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Par zéphyros2 le 28 Août 2019 à 16:37
Ils ont patienté depuis le 15 avril 1825, jour où la ville a commencé à être assiégée. Jusqu’à quand devraient-ils patienter ?
Le ravitaillement, qui arrivait de la lagune, était intercepté par l’ennemi.
Depuis longtemps déjà, il n’y avait plus de viande, ni ovine, ni bovine. Mais la famine était telle que les chevaux, les ânes, les mulets, et même les chiens et les chats étaient passés à la casserole.
Le général qui a voulu briser le blocus et leur porter secours a échoué.
Le siège n’a pas amené que la torture de l’estomac : il a aussi mis à mal l’organisme de bien d’autres manières.
La privation des produits frais livrait les corps au scorbut, qui les rendait difformes et méconnaissables. Il fallait patienter et tenir bon en extrayant des algues les nutriments. Jusqu’à quand fallait-il exercer la patience ? Jusqu’au 10 avril de l’année d’après, jour de l’Exode de Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ.
Les opprimés étaient donc grecs. Ils ployaient sous le joug ottoman.
L’Exode de Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ a entériné une patience, non pas de trois cent soixante jours, mais de quatre siècles.
Est-ce à dire que le jour de l’Exode de Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ, les opprimés grecs avaient leur liberté à portée de main ?
Ce jour-là, il fallait encore patienter, jusqu’à deux heures du matin, au lever du soleil du Dimanche des Rameaux : c’était l’heure décidée par le Grand Conseil pour l’échappée. À cet instant précis, l’opprimé ne serrait pas encore dans ses bras tremblants la liberté tant désirée. Il serrait dans ses mains la crosse de son arme à feu, le manche de son instrument de labour ou son bâton de vieillesse.
Il fallait patienter jusqu’au sacrifice des hommes valides qui feraient diversion pour libérer la route de ceux qui étaient plus faibles.
Quant à ceux dont l’extrême affaiblissement rendait leur propre évacuation vaine, ils ont patienté à côté de leurs barils de poudre, jusqu’au moment où ils serviraient d’allumage pour faire voler en éclats l’avancée de l’ennemi.
Ils ont patienté, sans savoir que l’un des leurs avait vendu à l’oppresseur, secrètement bien sûr, leur projet d’évasion !
Les opprimés grecs réclamaient le droit de disposer eux-mêmes de leurs vies, de leurs aspirations, de leurs convictions, comme ils voudraient, librement, dans un pays souverain.
L’oppresseur n’entendait pas la chose de cette manière.
En haut lieu, l’oppresseur a dit à l’homme de main : « Ou c’est eux, ou c’est ta tête ! ». L’homme de main a tenu compte de la mise en garde : le 11 avril 1826, il a fait empaler sur les murs de la citadelle en deuil trois mille têtes coupées.
Trois mille personnes qui en avaient assez d’être opprimées, qui ont patienté pendant un an, jusqu’au signal de l’évasion vers la liberté et la dignité, mais qui, hélas, ont été rattrapées par le sabre de l’oppresseur.
Est-ce à dire que leur patience a été vaine ?
Nullement ! C’est une patience qui disait la solidarité entre les opprimés.
La patience de l’opprimé n’est ni une reddition, ni une soumission. C’est une forme de lutte, en intelligence avec le facteur temporel. Elle prend en compte le processus de maturation du temps et guette la complétude des ressources offertes par le calendrier.
Sur les neuf mille assiégés, mille ont pu s’échapper sains et saufs de la citadelle. Le fait d’avoir franchi l’encerclement ne mettait pas fin à l’épreuve de la patience. Les rescapés devaient encore marcher, marcher, marcher...et se dissimuler, jusqu’à ce que le lieu de la catastrophe soit suffisamment loin.
Patience de fugitifs, malgré l’épouvante qui s’emparait de leurs entrailles.
Patience de marcheurs, dont l’espoir naissait de nouveau sur la route menant vers la liberté.
C’est ainsi que les plus chanceux des opprimés sont arrivés à Άμφισσα – ΑΜΦΙΣΣΑ, qui leur offrait la sécurité à cent cinquante kilomètres à l’Ouest de Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ, sur le même rivage.
La patience meurtrie des opprimés de Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ a fortement bouleversé Eugène Delacroix. Juste après la chute de Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ, le peintre français a exprimé sa vive émotion dans un magnifique tableau, qu’il a intitulé « La Grèce sur les ruines de Missolonghi ».
Ce n’est pas une scène de triomphe, ni une scène de défaite. On y voit ni rage, ni fureur. On y trouve ni chagrin, ni détresse.
Le personnage central, qui représente la Grèce, est une Aphrodite du dix-neuvième siècle. Ses habits ont gardé la sensualité des plis antiques. Les étoffes reflètent la magnificence de l’Orient.
Les décombres du premier plan portent la trace du sang qui a éclaboussé. À droite, la pénombre ne cache pas une main cadavérique. Les signes de la mort et du deuil sont là. La Grèce était donc veuve et orpheline. Mais le peintre ne montre aucune larme, aucun geste d’effondrement. Il peint la dignité de la victime, et surtout la perplexité de celle-ci.
À travers le fracas des armes, la réponse oraculaire vient de tomber : elle est défavorable. L’héroïne est toute désemparée. Littéralement, les bras lui en tombent !
À l’arrière-plan du tableau, l’Ottoman, bien armé et bien menaçant, continue de monter la garde pour ne pas desserrer l’étau de l’oppression.
Effectivement, au moment où Delacroix présentait son tableau à Bordeaux, l’incertitude était encore très grande quant au dénouement de la revendication des opprimés grecs.
Delacroix peint aussi l’attitude d’une femme qui s’offre. À qui s’offre-t-elle ? À l’oppresseur ottoman ? Sûrement pas ! Elle se présente comme offrande devant l’autel du Destin. Elle est telle Iphigénie, qui s’est présentée devant l’autel d’Artémis, pour que la flotte grecque, jusque là bloquée à terre par le manque de vent, puisse de nouveau appareiller et cingler vers Troie.
Le rite de l’offrande commence par une mise à nu du corps.
Dans le tableau de Delacroix, c’est le haut de l’axe de symétrie qui bénéficie de l'entrebâillement ménagé par le costume. On y voit le teint de la fraîcheur de la vie, mais aussi celui de la vulnérabilité.
Chez Delacroix, il existe une attirance entre la gorge mise à nu et la pointe du sabre maléfique. On le voit clairement dans son tableau intitulé « La Mort de Sardanapale ».
Mais dans le tableau pour Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ, avant que la mort n’entre par le thorax, le cri pour la liberté en jaillit déjà, immédiatement suivi par le cri pour la vie.
La gorge est une zone érogène notoire. De ce vallon de l’amour, Delacroix fait émerger un ruisseau de fraîcheur et de douceur, dont la clarté dit un regain de patience en attendant la délivrance définitive.
Malgré le violent choc provoqué par la chute de Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ, il faudra patienter trois ans encore avant que tous les opprimés de l’Hellade retrouvent leur liberté pleine et entière.
Le Zeph s’est vivement ému pour le sort des opprimés à Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ. Leur patience, surtout lorsqu’elle ne bénéficiait pas du soutien de la chance, force l’admiration du Zeph.
À quatre reprises, le Zeph a fait le pèlerinage de Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ.
Patience de l’opprimé, patience du martyr, patience du héros.
La patience des opprimés de Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ est citée en exemple dans toute l’Hellade, et a permis la sacralisation de la cité. Désormais, sur toutes les inscriptions officielles, telles que le panneau d’entrée du Jardin des Héros ou les pancartes des rues, Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ est qualifiée de Ιερή Πόλη – ΙΕΡH ΠΟΛH, c’est-à-dire de « Ville Sainte ».
L’Histoire a conservé la Porte de la Sortie héroïque.
Sur le côté septentrional, une stèle aux lettres d’or contient la proclamation suivante :
ΚΑΘΕ
ΕΛΕΥΘΕΡΟΣ
ΑΝΘΡΩΠΟΣ
ΕΝΑΙ
ΔΗΜΟΤΗΣ
ΜΕΣΟΛΟΓΓΙΟΥ
CHAQUE
HOMME
LIBRE
EST
CITOYEN
DE MISSOLONGHI
La stèle aux lettres d’or dit que notre condition de femmes et d’hommes libres fait de nous des citoyens de Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ. Cette marque d’honneur, offerte par Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ, n’est possible que grâce au sacrifice consenti par les assiégés de la citadelle. Si leur sacrifice n’était pas vain, leur patience ne l’était pas non plus, qu’elle soit ou non soutenue par la chance.
La patience sonde le temps tout en le fructifiant.
Certes, la patience porte l’espoir. Mais sa justification ne vient pas de l’avenir, qu’il soit proche ou lointain, mais de l’instant présent, auquel elle donne sens.
La raison d’être de la patience n’est pas dans l’aboutissement mais dans l’en-cours.
La patience est sa propre récompense.
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