• Il est dans la nature humaine d’espérer.

    La conscience de l’être humain pense l’éthique et l’esthétique par rapport aux ressources temporelles. Celui-ci se met alors à espérer des choses meilleures, des choses plus belles pour l’avenir, proche ou lointain.

    L’espérance naît de l’élan irrésistible vers l’harmonie.

    Harmonie avec soi-même et avec l’extérieur.

    L’environnement extérieur peut être humain ou physique.

    L’alpiniste piégé par une tempête de neige espère une accalmie. Le marin en mer Égée, poursuivi par la violence du meltem, espère trouver un havre fiable.

    Au cours de cette saison de navigation, le meltem, qui s’est plu à ressembler aux quarantièmes rugissants du Vendée-globe, nous a mené la vie dure. Très, très dure.

    Cette année, à trois reprises, nous avons espéré que la ville consacrée au dieu messager soit pour nous un abri fiable face aux déferlantes du meltem. Et là où Hermès est présent, là se trouve aussi son bâton. C’est la topographie du lieu qui a fait que le bâton d’Hermès était dépositaire de notre espérance.

    Nulle part dans la littérature, le bâton d’Hermès n’est associé à l’espérance. Nous n’avons pas la prétention d’innover, mais nous nous refusons à nous laisser enfermer dans des schémas pré-établis.

    L’espérance est un témoignage de confiance.

    Eρμούπολη – EPMOYΠΟΛΗ (en français : Ermoupoli), la ville qui porte le nom d’Hermès et qui exhibe son bâton a-t-elle fait peu de cas de la confiance que lui témoignait le Zeph ?

    Non ! Au contraire, elle a fait grand cas de la confiance qui émanait de celui-ci.

    Dans un premier temps, elle a inspiré au Capitaine une exploration minutieuse des lieux. Puis elle lui a suggéré un choix à la fois courageux et perspicace.

    Courageux, parce qu’il a misé sur une position inhabituelle, de surcroît délaissée par ceux qui avaient voulu accaparer les meilleurs emplacements.

    Perspicace, parce qu’en définitive il a trouvé le seul endroit qui bénéficiait d’une double protection.

    En cet endroit, l’architecte avait espéré neutraliser les assauts du vent et des vagues par une double stratégie : d’abord, étendre la protection sur une grande longueur, par rapport à l’horizontalité, puis briser en hauteur, l’élan enragé de la mer.

    Voici le Zeph amarré finalement à l’endroit qui autorisait la plus forte espérance :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    Comme toujours, le Zeph était reconnaissable à son éolienne voluptueuse.

    À tribord, se dressait la double protection. En contact direct avec la mer, le mur en forme de U, fait de pierres grises, avait pour mission d’arrêter les vagues et de les assagir. Puis la bâtisse en forme de cube jaune, qui dépassait en hauteur le mur gris précédent, avait pour but de freiner les rafales et de les dépouiller de leur nocivité.

    La théorie était séduisante. Mais comment les choses évolueraient-elles au milieu de la véritable épreuve ? Voici l’ambiance des lieux quand l’épreuve venait de commencer :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    L’environnement était lugubre, morbide. L’espérance commençait à vaciller.

     

    Le bâton de l'espérance

     

    Au début, nous tremblions de peur et de froid.

    Puis, au fil des heures, nous nous sommes aperçus des effets bénéfiques de la double protection. L’espérance se fortifiait de nouveau, grâce à la raison.

    La raison nous disait que le Capitaine avait effectué avec le plus grand soin le travail de consolidation.

    À l’avant, quatre amarres retenaient le museau du Zeph :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    Les deux bittes disponibles étaient toutes les deux réquisitionnées.

    Pour chaque amarre, il fallait jouer sur deux tableaux : préserver une certaine souplesse pour éviter la rupture, et assurer une solidité suffisante pour prévenir la dérive.

    Aux zones de friction intense, étaient installés des corps tampons. Pour réduire la corrosion, on se servait de la mollesse de certaines défenses.

    À l’arrière aussi, la même rigueur de pensée et d’exécution s’imposait :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    L’espérance se nourrissait de la conscience d’avoir aussi œuvré soi-même en vue de la réussite.

    L’espérance combattait le défaitisme et chassait l’angoisse.

    L’espérance ramenait le doux sommeil et des visions plus sereines.

    L’espérance finissait par faire triompher les éclaircies :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    Sur la photo, deux détails étaient à signaler. Vers la proue du Zeph, était assis un pêcheur, avec sa canne à pêche. C’était son territoire que nous avons occupé. Le Grec venait là, chaque matin, avec sa mob rouge, pour s’adonner aux joies de la pêche.

    Nous avons envahi son domaine. Nous avons perturbé son rituel.

    Mais le Grec ne nous en a pas tenu rigueur. Au contraire, il nous a accueillis avec le sourire aux lèvres et la bonté dans les yeux.

    Devant la menace de la tempête, nous espérions du secours. Voici la main secourable qui est venue à notre rencontre :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    Elle a pris nos amarres et apporté sa contribution pour mettre le Zeph en sécurité.

    Nous espérions un giron réconfortant. La bonhommie du Grec qui s’était installé dans ce coin abrité nous protégeait contre toute intrusion disgracieuse.

     

    Le bâton de l'espérance

     

    Le Grec ne pêchait pas pour lui-même. Il pêchait pour nourrir des chats orphelins.

    La belle amitié entre le Grec et la demi-douzaine de minous donnait lieu à des scènes fort émouvantes, qui assouvissaient les yeux de photographe chez votre serviteur.

    Ainsi, l’affection s’est propagée de proche en proche. Certains chats se sont mis à faire le gros dos dès qu’ils voyaient la silhouette de votre serviteur.

     

    Le bâton de l'espérance

     

    La beauté de la simplicité de la vie était un puissant antidote contre le stress et un formidable stimulant de l’espérance.

    Ce qui est beau redonne confiance.

    Dans la ville du dieu voyageur, nous avons fondé notre espérance sur des données architecturales. Mais l’environnement humain comptait aussi.

    L’une des formes les plus accomplies du bâton de l’espérance était le bâton de la dégustation.

    Nous espérions l’oubli du stress, voire un minimun de confort.

    La ville qui portait le nom d’Hermès a comblé notre espérance, avec libéralité, à travers le plaisir de la table. Voici l’outil de la transformation du bâton de l’espérance en bâton de la dégustation : le chariot pliable et les deux caissettes vertes pour faire les courses :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    L’abondance des produits en provenance directe du terroir et la grande facilité d’accès, tant du point de vue topographique que du point de vue financier, confirmaient que notre espérance était fondée en choisissant la ville qui honorait le dieu de l’échange. L’article précédent, intitulé « Le bâton de la dégustation », contait déjà la splendeur avec laquelle l’espérance était comblée dans ce domaine.

    Il existe une situation très inconfortable en mer, qui suscite immanquablement l’espérance. C’est lorsque le bateau se heurte à une houle croisée, qui menace de briser les reins de la nef. Dans ce cas-là, on espère moins de vagues, des vagues moins hautes et moins grosses. On espère que le temps du soulagement n’est pas très loin.

    Hélas, certains moments de l’existence ressemblent à une houle croisée. Ce temps de la souffrance, affective ou morale, porte toujours en lui l’espérance d’être abrégé.

    Toujours dans la ville du dieu des échanges, votre serviteur a fait la connaissance d’une âme en détresse, qui chavirait à cause de la houle croisée qui s’était emparée de sa vie.

    Pour survivre, la personne infortunée, qui était une Grecque, s’est cramponnée à l’espérance. Elle espérait retrouver un visage bienveillant qui lui ferait oublier sa peine. Elle espérait entendre une voix qui lui redonnerait du courage.

    Ce jour-là, la providence a voulu que la voix qui portait l’espérance soit celle de votre serviteur.

    Voici le lieu de l’échange :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    Il s’agissait de l’église appelée Ιερός Ναός Κοιμήσεως Θεοτόκου (en français : Sanctuaire de la Dormition de la Vierge).

    La Grecque était assise juste à droite du tapis rouge qui menait vers l’iconostase, sur l’un des premiers sièges qui se trouvaient devant l’ambon aux parois dorées.

    À cet endroit, votre serviteur, qui entrait dans l’édifice en suivant le tapis rouge n’a vu qu’un dos. En direction de cette présence, il a tout de suite dit : « Kαλησπέρα ! » (en français : Bonsoir ! ).

    En soi, cette formule de politesse recommandée à l’heure du coucher du soleil n’avait rien d’exceptionnel. Mais chez la personne à qui elle était destinée, la salutation a provoqué une marée montante qui remplissait de gratitude, de joie et de bonheur l’être submergé.

    Votre serviteur, qui, entre-temps s’est avancé vers la chaire dorée, à droite du tapis rouge, pour faire des photos, a été rejoint par la personne qu’il avait saluée de dos. Il a alors vu une Grecque, qui n’avait pas encore la quarantaine et dont les yeux étaient noyés de larmes. Tout de suite, il a compris que c’était la catastrophe de la houle croisée, à laquelle aucun terrien n’échappe.

    La Grecque remerciait le non-Grec pour la gentillesse de celui-ci.

    La salutation en grec, émanant de la bouche de l’étranger, comblait l’espérance de la Grecque. Celle-ci espérait retrouver goût à la vie. Désormais, c’était chose faite.

    Votre serviteur a compris qu’il était le premier à offrir à la Grecque le fameux « Kαλησπέρα ! » (en français : Bonsoir ! ), qu’elle avait tant attendu.

    La Grecque a dit à votre serviteur qu’elle était contente de faire sa connaissance. En guise de réponse, votre serviteur a pointé l’index droit vers le ciel et a prononcé le mot « Θέος » (en français : Dieu). La Grecque a hoché la tête pour acquiescer.

    En guise d’au revoir, la Grecque a offert à votre serviteur une poignée de mains très énergique. Les derniers mots de votre serviteur à la Grecque étaient : « Υπομονή ! Μετά, όλα καλά. » (en français : Patience ! Tout finit par s’arranger. »

    L’espérance de la Grecque a été comblée de manière inattendue, mais comblée tout de même. Mais dans cette affaire, y a-t-il eu vraiment un bâton de l’espérance ? Voici le bâton de l’espérance, en triple exemplaire même :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    La Grecque a prié devant ce chandelier érigé avec trois grands cierges.

    Ils étaient témoins de l’espérance qu’elle nourrissait

    La lumière qui éclairait leurs sommets signifiait que l’espérance finirait par être exaucée.

    On a coutume de penser que c’est la Grèce qui est donatrice envers le visiteur. Dans le cas ci-dessus, c’était l’inverse qui s’est produit.

    Votre serviteur raconte la rencontre, non pour s’en vanter, mais parce que l’universel est, par vocation, destiné à être divulgué, à être offert en partage. Et la fraternité est une valeur universelle.

    L’espérance est une vertu qui relève de l’intimité de l’être.

    Elle peut choisir la discrétion, qui est une forme de raffinement.

    Deux jours avant de rencontrer la Grecque dans la nef centrale, votre serviteur s’est rendu à la même église et s’est beaucoup plus attardé dans la nef latérale qui se trouvait à gauche.

    Voici cette nef latérale :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    Sur la photo, le pope qui apparaissait de dos, avec son large manteau blanc, traversait l’espace avec son encensoir.

    À mi-chemin, sur la gauche, près d’un baldaquin doré, se trouvait le bac de sable où chacun pouvait planter son cierge allumé. Pour l’instant, une seule flamme était visible, celle de la veilleuse.

    Après le passage du pope, un jeune Grec est entré dans cette nef latérale gauche, et seulement dans celle-ci. À pas feutrés, il est entré. Non pas parce qu’il avait honte ou parce qu’il voulait passer inaperçu. Mais parce qu’on lui avait enseigné le respect des choses sacrées.

    Le jeune Grec semblait avoir l’âge des élèves qui apprennent à philosopher au lycée. C’est l’âge où l’on commence à manier le raisonnement pour se définir par un choix. Et le choix de ce jeune Grec était clair : fonder sa vie sur l’espérance. C’est réjouissant d’avoir un fondement pour bâtir sa vie. C’est encore plus réjouissant quand ce fondement est une noble vertu comme l’espérance.

    Conformément à la liturgie orthodoxe, le jeune Grec a embrassé les icônes qui se trouvaient à l’entrée de la nef latérale gauche. Puis il a allumé un cierge. Voici ce cierge près du baldaquin doré :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    Le seul et unique cierge allumé, pour l’instant.

    L’espérance est une force qui n’a que faire du grand nombre.

    L’espérance est une forme de courage.

    Tout le monde a droit à l’espérance. Elle n’est réservée à aucune élite, à aucune classe sociale, à aucune latitude, à aucun continent.

    Tout le monde a le droit d’espérer en une issue heureuse. Tout le monde a le droit d’espérer en des jours meilleurs. Si ce n’est pas pour demain, ce sera pour après-demain. Et si ce n’est pas pour après-demain, ce sera pour après-après-demain.

    Dans le cas du Zeph, l’issue heureuse s’est présentée au bout de dix jours. Le voici qui quittait la ville d’Hermès, dans l’aurore de la paix :

     

    Le bâton de l'espérance

     

    Avec la bénédiction du bâton de l’espérance.

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