• Mars 2018

    Dans un voyage immobile, les mois se ressemblent.

    Mais au 1er degré seulement !!!

    Au second degré (je parle comme le mousse maintenant ...) y'a plein de choses qui diffèrent d'un mois à l'autre, parce que même dans un voyage immobile, l'esprit peut s'égarer !

    Pour ce mois de mars, je vous laisse découvrir les divagations du mousse...

     

     

    ...Pour mon humble part, j'ai aussi divagué. mais pas ici. Ça se passe dans la rubrique "accueil" avec un texte généraliste sur les ports.

  • Équilibre entre la parole délivrée et la parole reçue. Entre la parole proclamée et la parole suggérée. Entre la présence et l’absence.

    La prophétesse était Cassandre.

    Le Zeph voulait fêter la floraison du mimosa et des primevères avec Cassandre. Mais Cassandre avait rendez-vous avec Asclépios. Alors elle a envoyé son messager pour tenir compagnie au Zeph.

    Le Zeph a reçu le messager avec l’esthétique des Maharadjahs, parce que le Zeph savait que Cassandre revenait d’un périple dans le Nord de l’Inde.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    Pour être en phase, le Zeph a conçu les agapes avec l’équilibre des six saveurs, préconisé par l’Ayurvéda. Le défi à relever était de créer un heureux mariage avec des saveurs sucrée, salée, acide, piquante, amère et astringente.

    Premier service : feuilleté de foie gras, pomme et mangue rôties.

    La mangue apportait le goût du sucre naturel. La pomme, qui était une Granny Smith, y ajoutait une note acidulée. Le foie gras, qui formait le cœur fondant du feuilleté, était généreusement assaisonné avec du sel et du poivre.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    La dégustation trouvait sa plénitude avec le Gewurztraminer, qui fournissait un peu d’amertume et d’astringence. Dès le premier service, l’équilibre des six saveurs de l’Ayurvéda était réalisé pour honorer la mémoire de Cassandre.

    Deuxième service prévu : porc mariné, poivrons trois couleurs, ananas et tomate rissolés.

    La marinade donnait à la viande un goût salé sucré. L’ananas apportait à la fois la douceur, l’acidité et l’astringence.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    Les poivrons étaient légèrement piquants. La tomate offrait un peu d’acidité. L’ail et le gingembre grillés parfumaient délicieusement leur astringence.

    Troisième service : gâteau à la châtaigne, coulis d’orange, café.

    Douceur du sucre, relevée d’une pointe de sel, grâce au gâteau. L’orange avait un goût à la fois sucré, acide et légèrement amer.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    L’amertume de l’orange s’alliait à merveille avec celle du café.

    En est-il de l’appétit de vivre comme de l’appétit à table ?

    C’est au moment où le fil de l’existence s’apprête à se rompre que l’appétit de vivre se réveille et retrouve son impétuosité.

    C’était sans doute le cas pour Andromaque et Hector, juste avant le combat meurtrier avec Achille.

    Dans la scène des adieux, la tendresse entre les époux était le sujet principal. La douceur des gestes et des mots échangés pouvait se suffire à elle-même.

    Pour exprimer leur attachement mutuel, Andromaque et Hector n’avaient pas besoin de l’acidité des railleries d’un Achille qui hurlait son désir de vengeance de l’autre côté des murailles. L’harmonie du couple troyen se serait aussi passée du goût salé de la transpiration provoquée par la fureur martiale.

    Témoignage d’affection d’un guerrier pour sa femme et leur fils. Tendresse d’Andromaque pour le défenseur de Troie, l’homme qu’elle chérissait, et le père de son enfant. Innocence d’un très jeune garçon, qui s’amusait de l’aller-retour entre les bras de sa mère et ceux de son père.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    Douceur des caresses, du souffle aimant. Comme la vie semblait avoir un goût très agréable pour ces trois êtres portés par un bonheur si communicatif ! Tant d’amour exprimait la prédominance de la saveur sucrée.

    Mais prédominance ne signifiait pas présence exclusive. En effet, les deux époux étaient parfaitement conscients que c’était la dernière fois qu’ils se serraient dans les bras l’un de l’autre.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    Car la prophétie avait dit que le guerrier ne reviendrait pas du tout du champ de bataille, qu’il y périrait assurément sous les coups de l’ennemi. Les entrailles d’Andromaque ont commencé à se nouer, son cœur s’est mis à se remplir de chagrin. Dans peu de temps, elle serait veuve et son fils serait orphelin. Astringence et amertume se sont invitées au déploiement du goût sucré au cours de ces adieux.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    Seul le tout jeune enfant n’avait pas une claire conscience du drame qui l’attendait. Il ne savait pas qu’il ne reverrait plus jamais son père. Mais le sein maternel a communiqué au nouveau-né une part d’intuition féminine, et le fils a pris peur à la vue du casque de son père. Cette frayeur n’était pas anodine, elle avait une valeur prémonitoire.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    Même l’enfant n’a pas été épargné par le goût astringent de la terrible tragédie qui se préparait.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    Acidité extrêmement toxique des railleries qui fusaient pour déstabiliser l’adversaire avant le verdict des armes.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    Goût salé de la transpiration sous un soleil de plomb, surtout quand le combat était rude, acharné, impitoyable.

    Effroi à cause du fracas des armes. Astringence provoquée par le suspens.

    Quel goût avait la vie pour Hector au moment où sa gorge a été transpercée par une lance ennemie ?

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    De quelle saveur était l’existence pour les parents du héros troyen, qui assistaient en direct, du haut des murailles, à l’immolation de leur fils bien-aimé ? Car d’autres pointes acérées et d’autres lames tranchantes allaient s’abattre sur le corps sans vie du vaincu, avant que les chevilles ne soient perforées pour l’attacher derrière le char du triomphe.

    Douleurs aiguës, sensation de brûlures, blessures profondes. Le goût était atrocement piquant !

    La perforation par des gestes meurtriers se doublait de la perforation par des mots d’une cruauté insatiable : dans ses invectives, l’ennemi était farouchement déterminé à livrer le corps du prince troyen aux becs puissants des rapaces et aux crocs féroces des charognards.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    Andromaque n’a pas assisté à la mort en direct de son époux. Mais elle a été alertée par les cris déchirants de ceux qui avaient donné la vie à l’être qu’elle aimait le plus au monde. Lorsqu’à son tour, elle voyait le corps de son époux racler le sol et en heurter les aspérités, la vie avait pour elle un goût horriblement amer et astringent. Avec le spectacle d’une chair en lambeaux, qui s’ensanglantait dans la poussière derrière le char fougueux de l’ennemi, l’astringence était à son comble. L’amertume, aussi.


    L'équilibre de la prophétesse

     

    Le spectacle était insoutenable. La silhouette d’Andromaque a vacillé, puis s’est écroulée. Ses entrailles s’étaient douloureusement nouées. Son diaphragme s’était cruellement contracté. Sa respiration s’était amèrement étranglée. L’évanouissement était la conséquence d’une astringence et d’une amertume à très forte dose.

    Le cours des événements charrie son lot d’expériences au goût sucré, salé, acide, piquant, amer ou astringent.

    Andromaque avait-elle besoin de toutes ces saveurs et de toutes ces épreuves pour réaliser qu’elle tenait à son époux, et qu’elle aimait tendrement son Hector ? Nullement ! Elle ne rêvait que de paroles douces, de gestes affectueux, et non de gorge transpercée et de corps en lambeaux.

    L’appétit de vivre a-t-il besoin de nutriment astringent ou brûlant ? Nullement ! L’amertume ou l’acidité, non plus, ne sont pas nécessaires.

    Pour stimuler l’appétit de vivre, la douceur suffirait à elle seule.

    Il arrive que l’on pleure de joie. Bienvenue alors au goût biologiquement salé des larmes de bonheur ! Mais les quatre autres saveurs nommées par l’Ayurvéda se révèlent superflues, voire nuisibles et indésirables.

    Le Zeph souhaite à tous ses amis lecteurs une table qui s’enchante jour après jour de l’heureux équilibre des six saveurs. En revanche, il forme le vœu que pour tous, le fleuve de la vie ait seulement le goût de la douceur.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    Les propos du messager faisaient sans cesse l’apologie de l’harmonie.

    De quelle harmonie parlait le messager ?

    L’harmonie, si précieuse aux yeux de Cassandre, repose sur un équilibre des contributions, un échange équitable où le don et la gratitude sont d’égales intensités.

    L’équilibre qui permet à la nef d’arriver à bon port, sain et sauf, dans la joie, n’est pas seulement l’équilibre entre tribord et bâbord, mais l’équilibre qui régit le lien social à bord, un équilibre subtil et précieux que Cassandre et son messager appellent « harmonie ».

    Harmonie entre les êtres qui sont sur la même embarcation, au milieu de l’Océan de la vie.

     

    L'équilibre de la prophétesse

     

    La vie a bien ses saveurs sucrée, salée, acide, piquante, amère ou astringente. Mais l’harmonie tant recherchée par Cassandre et son messager se compose exclusivement de la première saveur.

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