• L’élan de la vague attire toujours l’attention. Il fascine le peintre, inspire le poète, charme le photographe et interpelle le marin.

    L’élan de la vague est à l’œuvre de bon matin. Il déroule un paradoxe en alliant la tonicité et la douceur. L’aspect tonique se voit dans le caractère inlassable du train d’onde. La douceur est dans la caresse qui effleure le sable mouillé.

     

    L’élan de la vague

     

    Le ruissellement induit une fausse impression, qui est celle de la superficialité. Car, en vérité, l’élan de la vague diffuse inlassablement la volupté de son humidité dans toute la profondeur du sable.

     

    L’élan de la vague

     

    Il arrive que l’élan de la vague creuse des sillons. Ou plus exactement, qu’il en favorise la formation. Mais l’initiative ne lui revient pas. Il ne fait que suivre les prédispositions du terrain et écouter les suggestions de la terre limitrophe.

     

    L’élan de la vague

     

    Les rainures et les crevasses n’ont pas un profil déchiqueté. Ce sont des vallons aux bords lisses, aux lèvres charnues.

    L’élan de la vague dessine le plaisir, sculpte la volupté dès les premières heures du jour.

    Puis quand les rayons du soleil deviennent de plus en plus entreprenants, la passion se met à s’emparer de l’élan de la vague. Celui-ci devient plus fougueux, plus bruyant, plus spectaculaire.

     

    L’élan de la vague

     

    Il part à l’assaut de ce qui est saillant.

     

    L’élan de la vague

     

    Il explose sur les éperons, pour le plaisir de générer le fracas.

     

    L’élan de la vague

     

    Il s’engouffre dans tout ce qui est creux.

     

    L’élan de la vague

     

    Il remplit avec impétuosité les cavités pour les submerger tous azimuts.

     

    L’élan de la vague

     

    Il s’attaque à toute bordure qui constitue une limite à sa progression.

     

    L’élan de la vague

     

    Il rase l’obstacle, s’acharne à repousser celui-ci, qu’il finit par recouvrir allègrement.

     

    L’élan de la vague

     

    L'afflux d'énergie soulève chez Baudelaire des pensées positives. Voici comment le poète retranscrit ses impressions :

    Les houles, en roulant les images des cieux,

    Mêlaient d'une façon solennelle et mystique

    Les tout-puissants accords de leur riche musique

    Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

     

    Il s'agit du deuxième quatrain du poème intitulé « La vie antérieure ».

    De l'élan de la vague, Baudelaire fait un récit de splendeur car il considère que cet élan est un élément constitutif des conditions paradisiaques de l'Idéal.

    Le premier vers établit un lien entre l'élan de la vague et la voûte céleste.

     

    L’élan de la vague

     

    Le dynamisme de la mer crée une mouvance du ciel.

    Et inversement, les paysages du ciel motivent les mouvements de l'étendue salée.

    Le vers suivant qualifie cette association par deux adjectifs.

    Le premier adjectif mentionne la solennité qui fait de cette association une alliance où chacun s'engage avec sérieux. C'est l'évocation de la cohésion du cosmos.

    Voici une illustration de cette belle cohésion :

     

    L’élan de la vague

     

    L'écrin où la vague orchestre son élan est offert par la voûte céleste, limpide et radieuse.

    Le second adjectif, lui, dit que de cette heureuse association, naît une dynamique qui tire vers le haut, vers des valeurs transcendantes.

    Le troisième vers décrit la métamorphose apportée par un état d'esprit qui s'élève au-dessus de la banalité. Ce qui est considéré par certains comme un fracas est perçu par Baudelaire comme une musique.

     

    L’élan de la vague

     

    Baudelaire note la richesse de la musique déployée par l'élan de la vague.

    Et les temps forts de la partition, marqués par une intensité sonore accrue, expriment, non pas la violence, qui est dévastatrice, mais la toute-puissance, qui est organisatrice.

    La quatrain se termine en célébrant la complémentarité entre l'ouïe, fascinée par l'élan de la vague, et la vue, charmée par la palette du ciel.

    Ce point de vue du poète est celui d'un être rempli de bonnes dispositions au moment de la composition du poème.

    Toutes les photos ci-dessus ont été faites sur l'île appelée Kουφονήσι – KOYΦΟΝΗΣΙ (transcription : Koufonissi).

    Le même phénomène naturel, celui de l'élan incontrôlable, fait venir d'autres mots quand l'homme est fatigué, déprimé, angoissé ou malheureux.

    C'était le cas de Victor Hugo, quand il a écrit ces lignes :

    Mais le vent n’aura point mon livre, ô cieux profonds !

    Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons,

    Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ;

     

    Ces vers sont extraits du poème « À celle qui est restée en France ».

    La personne qui était restée en France, et que le poète n'a pas pu revoir, parce que lui-même se trouvait en exil, c'était Léopoldine, sa fille défunte.

    Victor Hugo souffrait de ne pas pouvoir aller se recueillir sur la tombe de Léopoldine. Aussi lui a-t-il écrit un livre, destiné à le remplacer auprès de la sépulture.

    Parmi les obstacles sur la route de l'envoi, il y avait les « flots », « âpres embûches ».

    Ainsi, le poète voyait dans l'élan de la vague un piège, dont on ne pourrait se dégager qu'au prix d'une âpre lutte.

    Quant à l'espace marin, il était comme infesté de « noirs typhons ».

    Des « typhons », c'est-à-dire des tempêtes violentes et meurtrières.

    D'où le qualificatif de la noirceur. Noir parce que tout s'assombrit autour vous. Noir, parce que c'est l'obscurité du séjour des morts, là où l'élan de la vague menace de vous y projeter.

    La mer avait alors la férocité des bêtes « sauvages », qui mettaient en pièces leur proie.

    Hélas, le Zeph a connu la dure réalité du champ lexical employé par le poète.

    L'un des moments les plus angoissants et les plus douloureux de cette saison était le trajet entre Καβαλλιανή – KABAΛΛΙΑΝΗ (transcription : Kavalliani) et Χαλκίδα – XAΛΚΙΔΑ (transcription : Khalkida).

    Pour reprendre les termes hugoliens, la permanence du déséquilibre était une « âpre embûche ».

     

    L’élan de la vague

     

    À chaque instant, on s'attendait à ce que le Zeph chavire !

    Où que l'on tournait le regard, on se retrouvait cerné par la noirceur. Une noirceur ô combien horrible !

     

    L’élan de la vague

     

    La vague, énorme, massive, invincible, était impatiente de nous recouvrir, de nous envelopper et de nous engloutir.

    On espérait que la montagne toute proche offrirait ses flancs paisibles pour amadouer la vague.

    Mais l’espoir paraissait vain. Car la montagne tardait trop à calmer l’élan de la vague.

    L'élan était menaçant, assourdissant.

    C'était un élan vorace, qu’en définitive, seul l’Olympe pouvait décider de freiner.

    Et l’Olympe, dans sa grande clémence, a fini par contenir l’élan de la vague pour que celle-ci ne devienne pas meurtrière.

    Que de fois nous avons retenu notre souffle, écarquillé nos yeux, douté de la possibilité d’une issue qui ne soit pas fatale !

    Oui, l’élan de la vague est un défi. Défi à notre lucidité, à notre sang-froid, à notre endurance, à notre capacité de rester confiants et de rebondir du bon pied.

    L’élan de la vague fait naître le regard de l’enchantement tout comme la vision de l’épouvante. Il rappelle à l’être humain la véritable condition de celui-ci, c’est-à-dire la vulnérabilité en tant que mortel, mais aussi le statut privilégié d’un être doté d’une conscience artistique.

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