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Par zéphyros2 le 25 Août 2019 à 09:33
Elle a vu le moteur de son bateau s’étouffer à l’entrée du port, le vent pousser inexorablement la coque vers la paroi rocheuse.
Malgré l’imminence du danger, elle a gardé son sang-froid et a patiemment attendu que les secours prennent possession de la nef perdue et la ramène au quai.
Elle avait élu domicile à l’embouchure du Tibre, à Ostie, mais son époux était aussi amoureux de la mer. Alors patiemment, elle accompagnait son cher timonier, qui avait une grande prédilection pour les eaux grecques.
Son bateau avait une coque bleue et s’appelait Blue Bauer.
La mauvaise surprise a eu lieu à Πύλος – ΠΥΛΟΣ, au début du mois de juin de l’an 2016.
Peu de temps après le terrifiant incident, le Zeph est arrivé sur les lieux.
À l’époque, la configuration était celle-ci, sur le quai septentrional : le phare vert à l’entrée, puis un remorqueur, ensuite le Blue Bauer et enfin le Zeph.
À présent, les lieux se plaisent à montrer leur quiétude. Dans l’ombre rafraîchissante que la falaise projette sur l’onde aux couleurs de l’émeraude, se blottit une barque de pêche.
Patiemment, le pêcheur passe en revue les mailles de son filet. La seule agitation vient du chahut des mouettes à l’affût du poisson rejeté à la mer.
La Dame d’Ostie aimait le breuvage de Διόνυσος – ΔΙΟΝΥΣΟΣ, surtout quand ce jus de la vigne avait le teint frais et la robe transparente.
Par modestie, et sans doute par coquetterie, elle n’en demandait qu’une petite quantité à chaque fois. Et les lois de la gravitation universelle faisaient que le breuvage venait se poser au fond du verre. C’est ainsi que les deux capitaines, celui du Zeph et celui du Blue Bauer, ont fabriqué la locution « Juste un fond de verre ! » pour la taquiner sur la restriction momentanée de sa consommation.
L’humour, qui n’était pas corrosif, la faisait rire, et leurs auteurs aussi. Patiemment, elle enregistrait les occurrences successives de la locution. Et patiemment, elle multipliait les fonds de verre avec du vin blanc bien frais.
Deux mois après, la Dame d’Ostie nous a tendu les bras à Γουβιά – ΓΟΥΒΙΑ, sur l’île de Corfou.
En retour, le soir du même jour, nous lui avons tendu les bras dans la baie située devant le Musée Archéologique, à l’Ouest de celui-ci.
Le Zeph était au mouillage.
La route qui longeait la mer à cet endroit était le Λεωφόρος Δημοκρατίας – ΛΕΩΦΟΡΟΣ ΔΗΜΟΚΡΑΤΙΑΣ. Le trottoir extérieur présentait en direction de la mer une excroissance qui avait le profil d’une plate-forme rectangulaire, destinée à faciliter l’embarquement ou le débarquement, et appelée Σκάλα του Δημάρχου – ΣΚΑΛΑ ΤΟΥ ΔΗΜΑΡΧΟΥ.
C’était là que le capitaine du Zeph a donné rendez-vous à la Dame d’Ostie et à son époux pour les amener en annexe vers la table des agapes à bord du Zeph. Et après le festin, les mêmes personnages ont fait le chemin inverse, à la tombée de la nuit. À un détail près, toutefois : le vent s’est levé, les vagues devenaient plus turbulentes, l’annexe était beaucoup plus instable. Avec patience, elle endurait l’épreuve de la traversée du retour, sans se livrer ni à l’ironie, ni à la raillerie.
À la fin des agapes de l’au revoir corfiote, les derniers mots de la dame d’Ostie étaient pour le blog. Elle nous conseillait de le poursuivre en dépit de l’arrêt de la navigation à l’automne, de continuer à y consigner tous les événements concernant le Zeph, même lorsque celui-ci serait sur un ber et non plus à flot.
Par ces paroles prophétiques, La Dame d’Ostie montrait qu’elle entrevoyait la renaissance de l’épopée dans les eaux grecques, qui, effectivement, a eu lieu trois ans plus tard. En fait, elle nous a conseillés de patienter jusqu’à cette glorieuse renaissance et de cultiver la patience par l’écriture, qui ne devrait ni faillir, ni s’essouffler.
Pour la Dame d’Ostie, le blog du Zeph ne devrait pas être simplement le récit des aventures dans l’écume, mais le reflet intégral d’un choix de vie.
Car la Dame d’Ostie suivait avec grand intérêt les pérégrinations du Zeph dans le moindre méandre, et se délectait avec la narration des faits et la description des personnages dans le blog. Sa patience lui offrait le temps d’entreprendre une exploration en profondeur, d’examiner posément le raisonnement, de s’émerveiller des subtiles nuances, de mémoriser avec intelligence tout ce qui faisait la saveur du voyage.
La patience protégeait la Dame d’Ostie de l’écueil de la superficialité.
Quant au Zeph, la renaissance tant espérée est arrivée au printemps de cette année.
Dès le 16 mai, la Dame d’Ostie nous attendait déjà sur les rives du Tibre. Mais à ce moment-là, le Zeph était encore à Imperia, à 400 miles marins au Nord-Ouest.
La Dame d’Ostie a dû attendre que la vent cesse ses frasques, que la mer se calme, que le Zeph retrouve son élan.
La patience de la Dame d’Ostie a été récompensée quand le Zeph a atteint le Porto Turistico di Roma le 25 mai 2019.
Dès le lendemain, elle nous a reçus dans sa charmante demeure romaine.
Deux jours après, son époux nous a fait découvrir la splendeur des Monts Albains au Sud-Est de la Ville Éternelle.
La patience de la Dame d’Ostie libérait son époux de toute contrainte du temps, pour qu’il puisse multiplier, avec générosité, les perspectives qui enchantaient le regard et les haltes gustatives qui flattaient les papilles.
Il était convenu que le guide dévoué soit de retour à domicile à 17h ce jour-là, pour éviter les terribles embouteillages sur la Route de la Mer. Or, à cette heure, nous n’étions pas encore de retour au bateau.
Notre guide aurait au moins une demi-heure de retard par rapport à l’emploi du temps de la famille. Mais la Dame d’Ostie ne nous a adressé aucune remarque au sujet de ce retard. Le soir de cette promenade dans les Monts Albains, nous avons remercié la Dame d’Ostie avec l’enthousiasme qui convenait.
La patience ne s’accorde pas avec l’exubérance, ni avec l’impulsion.
La patience est sœur de la discrétion.
« La pazienza è la più eroica delle virtù giusto perché non ha nessuna apparenza d’eroico. », disait l’écrivain Giacomo Leopardi.
La patience est la plus héroïque des vertus, simplement parce qu'elle n'a pas d'apparence héroïque.
Avec bonheur, la patience de la Dame d’Ostie a accompagné le Zeph dans les grands projets, l’un d’eux étant celui de l’écriture.
« La pazienza c’insegna a portare non solo con forza ma con grazia, il peso della vita : la pazienza è bellezza. », disait le poète Nicolò Tommaseo.
La patience nous apprend à porter non seulement avec force, mais avec grâce, le poids de la vie : la patience est la beauté.
Le poète associe la patience avec la beauté et la grâce.
La Dame d’Ostie a une création artistique faite de patience. Avec soin et délicatesse, elle fait éclore sur la céramique un univers plein de grâce, avec le profil aérien des lignes et la douce harmonie des coloris.
Avec la Dame d’Ostie, la patience au bout des doigts produit le raffinement.
Mais le poète parle d’une autre beauté, de la beauté qui ne se fane pas malgré les épreuves de la vie.
La patience donne à la Dame d’Ostie une beauté intérieure inégalable.
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