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Par zéphyros2 le 31 Août 2019 à 07:49
Tout le monde finit par s’engourdir et glisser dans le Grand Sommeil, comme dans une trappe, sans le vouloir, malgré l’immense désespoir des proches qui sont restés éveillés.
Qui peut trouver du sens à ce sommeil frustrant, spoliateur et aliénant ?
Est-ce à dire que dans ces conditions, tout est perdu, définitivement perdu ?
Nullement ! Il existe une promesse qui assure que tous les dormeurs se réveilleront.
À Πύλος – ΠΥΛΟΣ, les dormeurs reposent face à la mer, les uns à l’aplomb, les autres plus en retrait.
L’axe du corps est orienté Est-Ouest. La tête est vers l’Ouest, les pieds sont à l’Est. À l’heure du Réveil collectif, quand les corps se relèveront, leur regard sera tourné vers l’Est, c’est-à-dire vers la Ville du Nazaréen. D’ici là, il leur faudra être patients.
Sur chaque construction funéraire, sont gravées les données personnelles de chaque inscription à l’épreuve de patience. On peut lire le nom du participant, le jour où a débuté l’épreuve et même le temps de préparation.
ΦΩΤΙΟΣ est le dormeur qui a la place la plus proche de l’arc d’ogive qui orne les îlots de l’Ouest.
Il a commencé son épreuve de patience le 27 juin 2018. Sa préparation à l’épreuve a duré soixante-dix ans.
ΦΩΤΙΟΣ patiente dans une atmosphère de paix ménagée par ses proches. La paix est évoquée par l’olivier dont l’ombre rafraîchit les pieds du dormeur. La famille a aussi pensé au basilic. Les effluves suaves de la plante aromatique donnent un meilleur état d’esprit pour réussir l’épreuve de la patience.
Le capitaine du Zeph fait remarquer au mousse qu’ici, à Πύλος – ΠΥΛΟΣ, la coutume est d’inscrire la durée de la préparation plutôt que le début de celle-ci.
Il existe aussi des participants précoces, comme ΓΕΩΡΓΙΟΣ, qui a commencé l’épreuve le 25 février 2019. Mais auparavant, il ne s’y est préparé que pendant six mois !
Alors, pour que l’épreuve de patience se déroule dans de bonnes conditions, les parents ont continué à manifester leur présence affectueuse. Ils ont recréé l’univers ludique qui lui est familier.
Une grande fleur fait tourner sept pétales d’azur pour apporter la fraîcheur.
Le rappel des repères d’avant le sommeil fatidique témoigne du soutien moral de la famille pour passer avec succès l’épreuve de la patience.
Il existe des cas où plusieurs dormeurs de la même famille choisissent d’être ensemble dans l’attente du Réveil final. Bien sûr, l’épreuve de la patience a commencé avec des dates différentes, selon la situation personnelle de chacun. Il en va de même de la durée de la préparation en amont.
C’est le cas de la famille ΦΡΕΝΤΖΟΣ.
À Πύλος – ΠΥΛΟΣ, les dormeurs ont le visage éclairé par le lever du soleil. Au crépuscule, la source de lumière se trouve dans leur dos. Mais ils continuent d’en profiter, grâce à une vitre judicieusement aménagée dans la stèle verticale. À l’objectif premier de la transparence, vient s’ajouter un désir de coquetterie : sur la vitre, naissent des motifs floraux, qui s’illuminent avec les reflets irisés du couchant.
L’impact de la lumière solaire fait ressortir le profil d’une autre source de lumière, fournie par la main de l’homme. Cette autre lumière, apportée du foyer de ceux qui sont encore épargnés par le Grand Sommeil, prend le relais de l’astre solaire quand celui-ci plonge derrière l’horizon empourpré.
À Πύλος – ΠΥΛΟΣ, la transmission de la lumière d’un relais à l’autre ne se réduit pas à un simple geste physique ou technique. C’est une cérémonie où la personne qui assure la médiation s’habille. Pour le plaisir du Zeph, la robe de ce jour-là est pourpre, bien assortie à la palette du crépuscule.
La lumière de la générosité de la Nature et celle de la sollicitude des proches se succédant sans discontinuité, le dormeur bénéficie sans arrêt de la lumière au cours de l’épreuve de la patience.
L’obscurité est synonyme de refroidissement, d’abandon et d’oubli.
À l’inverse, la lumière évoque une présence chaleureuse, encourageante et réconfortante.
L’épreuve de la patience concerne le dormeur, mais aussi ses proches. Le défi est dans la non-interruption de l’enchaînement des cycles complets de lumière.
La patience du dormeur n’a de sens que si parallèlement, dans le monde des éveillés, ses proches cultivent la même patience.
Dans ce cas, la patience est une lutte conjointe contre la séparation et l’oubli.
À Πύλος – ΠΥΛΟΣ, on ne laisse pas partir facilement les êtres chers, même si on a la promesse de les revoir un jour. On essaie de les retenir par différents subterfuges. À Πύλος – ΠΥΛΟΣ, l’un des subterfuges est fourni par l’urbanisme.
Dans le passé, la ville a été ravitaillée en eau douce par un aqueduc.
Arrivé au niveau de l’emplacement des dormeurs, il fait un coude pour le border par le côté Sud.
Le bras incurvé de l’ouvrage de génie civil qui apporte l’eau douce est comme un geste affectueux de la part des éveillés qui refusent de se séparer des dormeurs. Il s’agit de créer la proximité géographique pour maintenir celle du cœur.
Les arches de l’aqueduc deviennent des lucarnes à travers lesquelles un monde veille sur l’autre.
Sous le passage de l’eau douce, le veilleur essuie une larme en contemplant le dormeur. Le regard inverse apporte la bénédiction du Royaume des silencieux.
Face à la mer, l’emplacement des dormeurs à Πύλος – ΠΥΛΟΣ est un cimetière marin. Blotti contre le bras de l’aqueduc, c’est un creuset de patience et un giron d’amour.
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