• Pour entrer en Italie, nous avons suivi l’idée du Hanabi en nous dirigeant sur Cunéo. Nous voici à la frontière :

     

     

    Notre voiture était garée à côté de l’un des premiers panneaux de signalisation qui définissaient le territoire italien.

    L’inscription « Area Compartimentale Piemonte » confirmait que nous étions bien dans le Piémont. L’abréviation SS21 indiquait que nous empruntions la Strada Statale 21 (en français : Route nationale 21).

    Avec des chiffres noirs sur fond blanc, était mentionnée une distance en kilomètres : 59,708. C’était la longueur totale de la Strada Statale 21. Autrement dit, ce panneau d’information se trouvait tout au début de la SS21 et nous étions au Col de Larche.

    Le mousse a demandé que la voiture s’arrête pour faire des photos de la neige à la frontière.

    Ce jour-là, nous avons escompté passer la nuit à La Spezia, du côté du port de plaisance. Hélas, un énorme embouteillage à l’entrée de la cité portuaire nous a contraints à nous rabattre vers le port de commerce. Voici le pont qui nous a menés vers le port de commerce, à l’heure du soleil couchant :

     

     

    Le gîte du côté du port de commerce s’étant révélé horriblement illusoire, nous avons profité de la disparition du bouchon pour retrouver le chemin du port de plaisance. Nous avons donc retraversé le pont ci-dessus et nous nous sommes arrêtés devant la Capitainerie. À proximité, une fontaine, moderne et tumultueuse, commémorait la fête de l’aviron, qui a lieu chaque premier dimanche d’août. Du bassin d’eau émergeait un bouquet composé de treize coques en acier, qui correspondaient aux treize sites qui contribuaient à la notoriété du golfe de La Spezia.

     

     

    En conséquence, cette fontaine s’appelle officiellement « Fontana del Palio del Golfo ».

    Sur ce qui s’offre à la vue, l’on projette volontiers l’état d’âme où l’on se trouve.

    C’est ainsi que le bouquet des treize coques en acier n’a pas provoqué en nous de l’enthousiasme, mais de la douleur, comme si notre projet de dormir à La Spezia était haché menu par treize lames impitoyables. En effet, nous n’avons rien trouvé qui soit à notre goût dans l’offre hôtelière locale. Pendant ce temps, l’obscurité étendait inexorablement son opacité.

    Nous avons quitté La Spezia avec beaucoup d’amertume et nous sommes allés tenter notre chance plus au Sud.

    Finalement, Morphée nous a suggéré de nous reposer à Carrare, qui est réputé pour ses marbres.

    Le nom de l’établissement qui nous a accueillis était « Rondine » (en français : Hirondelle). Or la sagesse populaire a ce proverbe français : “Hirondelle volant haut, le temps sera beau. Hirondelle volant bas, bientôt il pleuvra.”

    Ce soir-là, comment était le vol de l’Hirondelle ?

    Ce soir-là, c’était presque la pleine lune. Donc il y avait assez de clarté pour observer le vol de l’Hirondelle. Mais notre état fourbu faisait que nous n’avons vu que les signes qui annonçaient que nous allions bientôt dormir dans des draps tout propres, qui sentaient bons.

    Objectivement, la réalité était sans aucun doute plus complexe, comme le montre cette photo de la façade du logis surnommé « Rondine » :

     

     

    En venant de l’extérieur, chacun pouvait remarquer des signaux engageants et d’autres qui l’étaient moins. Mais nous avons nourri de si grandes espérances que nous avons manqué de discernement à cause d’elles.

    Dans cette circonstance, ô combien elle sonnait juste, cette phrase écrite par Charles Dickens dans son livre « Les Grandes Espérances » :

    « On n'est jamais mieux trompé sur terre que par soi-même. » !

    C’est une leçon à retenir.

    L’autre piège était de laisser le désenchantement noircir le tableau intégralement, donc de façon injuste.

    Honnêtement, nous étions bien contents que le service de la restauration ait accepté de rajouter deux couverts à la dernière minute. Certes, il n’y avait pas le calme dans la grande salle à manger car deux classes de collégiens y étaient déjà installées pour prendre le repas du soir. Le manque de discrétion de la jeunesse ne nous a pas empêchés de déguster le dessert et d’en être très satisfaits. C’était une glace à la vanille :

     

     

    La décoration utilisait des fruits rouges pour simuler des cercles concentriques tandis qu’un crumble déposé à la base de la sphère glacée devait enrichir l’onctuosité de la glace avec la sensation du croustillant.

    Certes, tout était loin d’être parfait.

    Il fallait glaner pour se nourrir, au sens propre comme au sens figuré.

    Le sol de notre espace privé était revêtu avec le marbre qui venait des carrières toutes proches. Le veinage faisait penser à un tissu biologique :

     

     

    La multiplicité des formes alvéolaires rappelait que la vie était intrinsèquement complexe et qu’il faudrait beaucoup de patience ou beaucoup de chance pour naviguer avec succès au milieu de cette complexité.

    D’autres coupes du marbre mettaient en évidence un sursaut coloré, qui s’approchait de l’ocre rouge, comme pour contester la prédominance du bleu gris :

     

     

    La surprise existait donc. Quelle signification avait-elle ?

    Le marbre de Carrare, tout comme la vraie vie, a son imprévisibilité. Tenter de juguler celle-ci est une sottise.

    Le mousse se félicite que le marbre qui décorait l’espace intime renferme des sujets de réflexion. À ce sujet, le mousse se reconnaît tout à fait dans cette maxime, formulée par un Maréchal de France : “La modération trouve encore à glaner dans le champ du bonheur, lorsque les favoris de la fortune semblent avoir tout moissonné.”

    L’auteur de cette maxime est François Gaston de Lévis, qui a été élevé à la dignité de Maréchal de France en 1783.

    Le mousse pratique « la modération ». C’est pourquoi il « trouvait encore à glaner dans le champ du bonheur », même lorsqu’il semblait qu’il n’y rien (ou plus rien) à moissonner.

    Nous avons passé une nuit très agréable, grâce au confort du lit, à tel point que nous étions pratiquement les derniers à descendre pour prendre le petit déjeuner qui était compris dans le prix de la chambre.

    Le repos nocturne a été assuré, d’une manière plus que satisfaisante, et c’était quand même le point essentiel.

    Soit dit en passant, l’évocation du lit fournit au mousse l’occasion de parler de la grécité, comme il l’a fait dans les articles précédents. En effet, la couverture qui compensait la finesse et la légèreté des draps portait sur son pourtour la frise grecque :

     

     

    Cette allusion à l’héritage grec était inévitable, en raison de son caractère universel.

    Revenons maintenant au petit déjeuner. Il avait lieu dans la même salle à manger que la veille. Mais la veille, à cause de la fatigue, nous n’avions pas réalisé que nous mangions en compagnie de plusieurs flamants roses, qui pourtant étaient immenses.

     

     

    Au premier plan, sur la gauche, se trouvait une planche sur laquelle l’on pouvait couper à volonté du pain frais. Les tranches découpées pouvaient être grillées à souhait dans un grille-pain. Le Capitaine a utilisé ce service et en a retiré une grande satisfaction.

    Le mousse, lui, s’est régalé avec une assiette mixte, où des aliments salés côtoyaient des apports sucrés :

     

     

    Il accompagnait, non sans plaisir, le saucisson avec des dattes, et l’emmental avec des pruneaux.

    Ces bouchées nous mettaient de bonne humeur. Ce résultat positif, qui était loin d’être négligeable, était en parfaite harmonie avec le cadre, car le flamant rose était justement l’oiseau de la bonne humeur.

    Le nom scientifique du flamant rose est Phoenicopterus roseus. La science établit un lien entre le flamant rose et le phénix, qui est le symbole du renouveau.

    Dans notre route vers la Grèce, les divinités ont introduit une pause auprès des flamants roses de Carrare pour nous rappeler qu’à l’arrivée, la renaissance du Zeph nous attendait.

    Pendant que nous jouissions, seuls, de la présence prophétique des flamants roses, les deux classes de collégiens commençaient à s’installer dans leurs cars scolaires.

    Les voici prêts à démarrer :

     

     

    Malgré l’exubérance de la jeunesse, nous n’avons pas été dérangés dans notre sommeil. Cet acquis était aussi un énorme point positif.

    Avant l’au revoir, le mousse a découvert dans le Grand Salon de la Réception un ouvrage sur le sculpteur Leone Tomassi :

     

     

    La photo de couverture montrait le profil droit d’Icare. La position du bras gauche indiquait qu’il était en train d’arranger l’aile qui se trouvait de ce côté.

    Il existait un message oraculaire dans cette rencontre avec la figure d’Icare : les divinités voulaient nous mettre en garde contre les dangers de la témérité.

    Puis est venue l’heure de l’au revoir. Sur la vitre qui nous séparait de l’ordinateur qui servait à encaisser les frais de séjour, étaient représentées deux silhouettes féminines, avec de longs cheveux bouclés, des habits richement décorés et des ongles semblables à des griffes.

     

     

    Étaient-ce des créatures bienfaisantes ou malfaisantes ?

    Cette dernière photo de la halte chez « l’Hirondelle », tout comme la première photo, était ambiguë.

    Cette ambiguïté devait nous inciter à la vigilance.

    Nous avons quitté Carrare au milieu des pins parasols qui nous rappelaient la Via Appia, la reine des voies consulaires :

     

     

    Les années précédentes, nous avions bifurqué vers l’Est très tôt. Cette année, nous avons continué en direction de Rome jusqu’à Assisi (en français : Assise) :

     

     

    Ce n’était qu’au niveau d’Assisi que nous nous sommes préoccupés de rejoindre l’Adriatique. À Ancône, qui était le port d’embarquement, nous sommes arrivés sans encombre, avec plus de deux heures d’avance.

    La descente de l’Italie avait pour mission de nous mener en toute sécurité jusqu’au port d’embarquement pour la Grèce. Cette mission a été accomplie de manière irréprochable. C’est le premier point positif du bilan.

    Il est d’usage de se poser la question si le trajet parcouru a apporté un quelconque enseignement. Force est de constater que tout n’a pas été simple. La contrariété est inhérente à la réalité de tous les jours. Pour mieux affronter celle-ci, il vaut mieux ne pas verser dans le romantisme et accepter que le désagrément fasse aussi partie de l’aventure.

    Le philosophe indien Jiddu Krishnamurti a ce conseil :

    “Range le livre, la description, la tradition, l'autorité, et prend la route pour découvrir toi-même.”

    Au cours de la descente de l’Italie, le livre sur les étapes n’a servi à rien, la description sur internet est truffée d’erreurs, la tradition par ouï-dire n’était pas à jour, l’autorité de régulation du tourisme était défaillante. Alors, nous avons pris la route pour découvrir par nous-mêmes.

    Ainsi, nous avons vécu l’aventure, que Milan Kundera a définie comme « l’exploration passionnée de l’inconnu ».


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