• Il s’agit du lac volcanique que les Anatoliens appelaient Meke Gölü.

    La route qui menait à ce lac volcanique à partir de Konya, la Cité Bicéphale, passait par Karapınar.

    L’hospitalité du lac volcanique s’est manifestée avec beaucoup d’enthousiasme dès que nous sommes arrivés à Karapınar, qui se trouvait à une dizaine de kilomètres du cratère.

    À Karapınar, nous étions intrigués par la multitude de cheminées qui se dressaient au-dessus du bâtiment qui était une sorte de Halles municipales. Pendant que nous cherchions une perspective pour photographier ces cheminées insolites, un homme très volubile a abordé le mousse, sans doute à cause du physique de celui-ci. Quand l’Anatolien a su qu’il avait en face de lui quelqu’un qui était né au Vietnam, il a explosé de joie et a tout de suite voulu un portrait du visiteur. Pendant que le selfie se mettait en place, passait par là un ami de l’Anatolien. Tout de suite, l’Anatolien a demandé à son ami de se joindre à nous pour le selfie.

    Voici l’empreinte laissée par cet instant euphorique :

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    Sur la photo, l’Anatolien qui portait un béret était celui qui s’entichait de l’Orient-Extrême. Sa charmante spontanéité révélait deux caractéristiques de l’hospitalité du lac volcanique : le désir d’exotisme et la fougue.

    À Karapınar encore, avait lieu la deuxième démonstration de l’hospitalité du lac volcanique.

    En effet, nous nous sommes arrêtés à Karapınar pour acheter des provisions avant d’aller pique-niquer au lac volcanique.

    La première denrée était le pain. Sur le flanc occidental du bâtiment des Halles, nous avons trouvé une boulangerie qui nous plaisait beaucoup. En voici la raison :

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    Sur la vitrine était collée une affiche qui portait l’inscription :

    EKMEK

    5 TL

     

    En français :

    PAIN

    5 LIRES TURQUES

     

    5 lires turques, c’est-à-dire 0,175 €.

    Chacun des pains exposés dans la vitrine faisait 500g.

    Autrement dit, la miche anatolienne était vendue au prix de 35 centimes d’euro le kilo !

     

    Quel rapport y avait-il entre cet affichage et l’hospitalité ?

    L’affichage précisait que la monnaie d’échange était la TL. Or, le peuple anatolien ne pouvait payer qu’en TL ! La mention de la TL serait donc une redondance, voire une futilité, à moins qu’elle ne s’adresse à des clients qui auraient d’autres devises dans leurs porte-monnaie. Même pour de tels visiteurs nantis, la miche anatolienne restait à 5 TL pièce.

    L’hospitalité était là, dans le refus d’extorquer l’étranger de passage.

    Cette égalité entre le natif et la personne venue d’ailleurs était une manière d’honorer celle-ci.

    Mais dans le cas présent, cette égalité comportait une subtilité.

    En effet, la même miche de pain était vendue 6 TL dans les boulangeries des quartiers populaires. Par conséquent, à Karapınar, nous étions face à une offre exceptionnelle. Et l’Anatolien du pays tout comme le touriste venu d’ailleurs bénéficiaient tous les deux de la même offre exceptionnelle. L’hospitalité était dans le fait qu’il n’y avait pas un prix pour l’un et un autre prix pour l’autre.

    Nous avons donc acheté deux miches de pain, au prix accordé aux gens de conditions très modestes. C’est le Capitaine qui a voulu porter lui-même ces deux miches de pain, que le boulanger a placées dans un sac transparent.

    Après la nourriture solide, nous nous sommes préoccupés de la nourriture liquide.

    Au sujet de celle-ci, nous avions envie de houblon fermenté. Nous savions qu’il était possible de mettre la main dessus. Mais auparavant, il faudrait dénicher les cachettes qui le dissimulaient aux regards sourcilleux et réprobateurs.

    Cette quête de houblon fermenté avait l’apparence d’une errance, qui émouvait les membres d’une entreprise familiale, spécialisée dans le lavage des automobiles. En effet, ceux-ci voyaient l’homme solitaire qu’était le Capitaine, qui avait la démarche lourde de lassitude, et qui ne possédait que deux miches de pain. La condition esseulée, à laquelle s’ajoutait l’impression que l’étranger ne maîtrisait pas la langue du pays, agissait comme un aiguillon sur le devoir d’hospitalité, que tenait en très haute estime l’entreprise familiale de lavage.

    C’était le fils aîné de la famille qui a proposé au Capitaine de se reposer à l’ombre du garage, avec une tasse de thé.

    Le Capitaine était seul, parce que le mousse était parti photographier des bas-reliefs de la mosquée rencontrée avant le garage.

    Quand le mousse réapparaissait, il a aussi eu droit à sa tasse de thé, à l’accueil chaleureux et au désintéressement du geste de l’hospitalité.

    Voici le mousse avec le fils aîné, qui s’émouvait de notre allure de nomades :

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    L’attitude bienveillante de l’Anatolien ne pouvait qu’avoir la bénédiction de son père.

    Craignant que nous n’ayons faim et ne voulant pas que nous entamions nos miches de pain, le patriarche nous a proposé de partager avec lui les fameux dürüm, qui étaient des crêpes salées, farcies au fromage.

    Voici le patriarche au moment de l’au revoir :

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    L’hospitalité manifestée par cette station de lavage était un héritage de l’époque des caravanes. Il s’agissait d’un geste de fraternité envers le voyageur afin que celui-ci puisse continuer sa route dans les meilleures conditions.

    Sur le site même du lac volcanique, qui était double, l'hospitalité a donné lieu à un coup de théâtre.

    D'abord, le caractère double concernait uniquement l'aspect physique et ne se référait à aucune roublardise. En effet, le lac était formé par la réunion de deux bassins, l’un à l’Ouest et l’autre à l’Est.

    Au début, la route d’accès nous a menés vers le bassin occidental, qui malheureusement, s’est asséché. Mais l’enchantement demeurait, grâce au décor minéral des lieux.

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    Quinze secondes plus tard, seulement quinze secondes, la photo suivante a été faite :

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    Autrement dit, pendant que notre coquetterie cherchait à laisser une empreinte virtuelle dans le paysage, un corps errant s’est glissé dans l’ombre de notre voiture pour trouver du soulagement. Le langage corporel, appris auprès de Κανέλα (en français : Cannelle) et de sa fille « Fleur de sel » au cours des derniers jours à Χαλκούτσι (transcription : Khalkoutsi) révélait que l’organisme du réfugié était détendu au maximun. En effet, les membres étirés sur toute leur longueur signifiaient à la fois un bien-être physique et une confiance totale.

    Le corps, qui n’était plus errant, savourait la fraîcheur providentielle d’une demeure symbolique. À l’intérieur de celle-ci, il faisait bon vivre. À l’extérieur, c’était l’âpreté de l’existence, qu’exacerbait la chaleur torride du soleil. La frontière entre les deux mondes se voyait sur la photo, en haut, à gauche. Le sol éclairé par le soleil était le sol de la souffrance tandis que le sol qui recevait l’ombre de notre voiture était le sol de l’espoir.

    Dans les circonstances actuelles, l’espoir, ténu mais réel, demeurait prudent et réaliste : il ne concernait que le futur proche et naissait de la confiance qui emplissait le présent.

    Cette confiance, totale et libératrice, se voyait déjà dans les pattes étirées au maximun, mais encore dans les yeux qui se fermaient progressivement, en douceur.

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    Plus du tout besoin de vigilance ! Fini aussi le qui-vive !

    L’âme infortunée se sentait désormais en sécurité.

    Les paupières closes indiquaient une très grande fatigue, mais aussi le doux plaisir de s’abandonner totalement dans le giron de la bonté, que procurait l’hospitalité.

    Le langage des paupières closes était encore une leçon apprise auprès de Κανέλα et de sa fille « Fleur de sel ».

    L’hospitalité offerte à l’ami fourbu était un heureux concours de circonstances, dont nous ne détenions pas l’initiative. En quelque sorte, nous étions mis devant le fait accompli. Certes, nous approuvions la tournure des choses. Mais pour nous, l’hospitalité ne pouvait pas être une affaire de passivité.

    Nous nous sommes alors posés la question : que pourrions-nous faire d’autre pour l’ami, à part lui offrir la fraîcheur de notre demeure ambulante ?

    Le tout premier sujet qui nous est venu à l’esprit était le terrible harcèlement par le soleil, qui desséchait impitoyablement le gosier.

    Conscients de cette effroyable réalité, nous avons immédiatement agi en conséquence.

    Il fallait agir vite et aller au fondamental. Et le fondamental en la circonstance était l’hydratation du corps. De plus, il serait souhaitable que la solution se rapproche le plus possible du critère de pérennité.

    Nous n’étions nullement équipés pour faire face à une telle urgence. Mais l’impératif de l’hospitalité nous donnait des idées pour nous acquitter de nos responsabilités.

    De l’eau potable, nous en avions en réserve. Ce qui nous manquait, c’était un récipient qui s’adapte aux besoins de l’ami et que nous pourrions lui laisser pour prolonger le bénéfice de cette rencontre.

    C’est ainsi que nous avons découpé une bouteille en plastique de deux litres, qui, initialement, avait contenu du Fanta et qui, par la suite, était destinée à nous servir de gourde jetable.

    Le bas de la bouteille allait très bien pour apporter l’eau à l’ami assoiffé. Nous avons présenté telle quelle cette partie de l’emballage, sans l’avoir rincée, pour que l’ami profite aussi du sucre qui se trouvait dans les alvéoles.

    Voici l’ami tout surpris qu’une potion magique soit venue à lui :

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    L’œil ouvert disait la surprise. Le cou, qui traînait encore par terre, inversait légèrement la courbure pour rejoindre la source de fraîcheur. La langue descendait lentement la paroi du récipient inconnu. La lenteur de la progression était due à l’exténuation mais aussi à la prudence. La couleur orange de ce qui restait du Fanta apparaissait au milieu des alvéoles qui composaient le fond de l’emballage.

    Après l’étonnement, il y a eu le plaisir. La jouissance était plus intense avec des paupières closes :

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    Le sucre redonnait la mobilité musculaire. La patte de devant, côté droit, s’en allait dire bonjour au récipient qui avait procuré tant de délices :

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    La langue qui s’étirait comme pour envelopper tout le museau, disait que l’espoir, lui aussi, était extensible à souhait.

    L’organisme revigoré commençait à manifester sa joie par une roulade.

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    La torsion du cou avait lieu pendant que la patte qui s’était allongée pour aller chercher la coupe de potion magique se repliait pour ne pas entraver l’amorce de la rotation.

    La roulade sur le dos se poursuivait en plaquant le cou au sol.

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    Une euphorie, franche et bouleversante, s’échappait de la cavité buccale grande ouverte. La langue, avec une souplesse extrême, se mettait à exécuter d’émouvantes arabesques autour du museau pour célébrer la résurrection du goût de la vie.

    Grâce à la nouvelle énergie, l’ami s’est remis debout. Désormais bien en équilibre sur ses quatre pattes, il savourait goulûment l’eau fraîche que nous lui donnions sans parcimonie.

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    La moindre goutte était un délice pour l’ami.

    La sensation que la source d’eau vive était intarissable était une fête pour toutes les âmes présentes.

    Le claquement de la langue, qui se dépliait, puis s’enroulait, puis se dépliait, créait une musique tonique dont la gaîté exprimait la ferme détermination d’en finir avec la détresse.

    La soudaineté du bonheur transformait l’entrain en enthousiasme. La langue s’empressait alors d’être en contact direct avec la source qui ruisselait de bonté.

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    La photo montre le deuxième approvisionnement.

    Pour satisfaire la consommation immédiate de l’ami, quatre approvisionnements ont été réalisés.

    L’abondance créait une joie qui soulevait des vagues dans la coupelle :

     

    L'hospitalité du lac volcanique

     

    L’eau de la vie rejoignait les airs sous forme de perles, qui venaient orner les poils de la moustache.

    En plus de ces quatre rations consommées sur-le-champ, nous avons laissé à l’ami une cinquième, bien calée au fond d’un nid de pierres. C’était l’eau de la survie, pour continuer à résister au milieu d’un cadre terriblement inhospitalier.

    En accueillant l’ami au sein de notre demeure symbolique, nous avons obéi à notre conscience.

    L’hospitalité du lac volcanique était une interpellation qui s’adressait à la conscience.

    Presque toujours, l’hospitalité est évoquée par rapport aux bienfaits reçus par le visiteur. Très rarement, elle est montrée comme une dette, qui s’affranchit de la condition de dette en engendrant le geste de la bonté réciproque.

    L’hospitalité du lac volcanique était une leçon de vie.

    Leçon sur la part d’humanité qui était en nous, sur la gratitude, sur la réciprocité.

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