• Il y a l'eau douce et l'eau salée. Mais quand on parle de l'eau tout simplement, c'est toujours de l'eau douce dont il s'agit.

    Cette primauté de l'eau douce s'entend dans les préoccupations de tous les équipages. Le Zeph aussi, a sa quête de l'eau, à chaque escale. Il ouvre grand ses yeux chaque fois qu'il voit une fontaine publique.

    Voici une fontaine publique qu'il a dénichée à Ναύπλιο – NΑΥΠΛΙΟ, sur la route du ravitaillement en produits maraîchers :

     

    La route de l'eau

     

    Un homme portant un tablier gris clair qui couvrait le devant du corps, depuis le sternum jusqu'à mi-hauteur des tibias, s'apprêtait à remplir un grand seau gris clair aussi. Du côté de son flanc droit, attendait sur un chariot, un autre grand seau, noir cette fois, et déjà rempli. De l'autre côté, par terre, dans l'herbe, deux autres seaux, noirs aussi, et empilés, attendaient d'être remplis.

    Vers la droite de la photo, se dressait le chariot qui avait pour mission de ramener les provisions du Zeph. Nos lecteurs ont déjà vu son châssis bleu et ses caissettes vertes dans une photo de l'article « La route du bougainvillier », publié le 04/11/2020.

    Vers le haut de la photo, une imposante forteresse exhibait ses murailles. C'était la forteresse Παλαμήδι – ΠΑΛΑΜΗΔΙ, construite par les Vénitiens, il y a un peu plus de trois siècles.

    Une fois ses quatre seaux bien remplis, l'homme au grand tablier s'en est allé, d'un pas alerte, comme s'il y avait quelque urgence.

     

    La route de l'eau

     

    Du côté de son flanc droit, des parasols géants ont hissé leurs chapeaux aux teintes claires. À proximité d'eux, plusieurs camions semblaient serrés les uns contre les autres. Serait-ce par là que se dirigerait notre homme ?

    Effectivement, c'était par là-bas qu'allait l'homme au grand tablier. Le voici dans son activité principale, qui nécessitait l'apport de quatre grands seaux d'eau douce :

     

    La route de l'eau

     

    L'homme de la fontaine observait un autre, qui était plus jeune et qui portait un tablier bleu, tout luisant.

    Au premier plan, apparaît le chariot avec les quatre grands seaux remplis tout à l'heure, à la fontaine publique.

    Nous sommes au marché forain de Ναύπλιο – NΑΥΠΛΙΟ, qui se tient deux fois par semaine, le mercredi et le samedi, au pied de la forteresse Παλαμήδι – ΠΑΛΑΜΗΔΙ.

    Notre homme vendait du poisson. Et il avait besoin de beaucoup d'eau douce pour laver le produit et nettoyer l'étal.

    Dans le cas présent, la route de l'eau contribue à l'échange commercial.

    Plus généralement, la véritable finalité de la route de l’eau est l’édification du lien social, c’est-à-dire la construction de la relation à l’autre.

    À Πύλος – ΠΥΛΟΣ, l’arrivée d’eau avait des dimensions plus modestes, pour un environnement plus modeste :

     

    La route de l'eau

     

    La monumentalité n’était pas une nécessité. La disponibilité, si.

    L’eau était disponible pour des personnes âgées, qui devaient s’hydrater régulièrement, au cours de leur promenade de santé.

    Sur la photo, une Grecque, toute de bleu vêtue, cherchait à remplir une petite bouteille transparente, qui lui servait de gourde pour sa balade du matin.

    Le dos voûté et la canne indiquaient le grand âge de la personne. L’eau participait ainsi au lien intergénérationnel et témoignait des égards du groupe social envers ses aînés. À Πύλος – ΠΥΛΟΣ, la route de l’eau devenait la route de la piété.

    Derrière la dame âgée, était garé un bus, qui voulait profiter de l’ombre.

    L’eau était disponible pour les chauffeurs des bus interurbains. Ces hommes devaient entretenir la propreté de leur outil de travail. Ainsi, l’eau concourait au service public, pour le bien de celles et ceux qui n’étaient pas motorisés.

    À travers l’eau, s’exprimait la considération que la société avait pour ses membres les plus fragiles ou les plus infortunés.

    À Πύλος – ΠΥΛΟΣ, l’eau symbolisait la sollicitude et la générosité.

    La générosité envers le visiteur ou l’étranger porte un nom : l’hospitalité.

    Au premier plan de la photo, se trouvent plusieurs éléments qui rendent hommage à cette merveilleuse hospitalité.

    Nos lecteurs ont sans doute reconnu le châssis bleu du chariot qui servait au ravitaillement dans les photos de la fontaine publique à Ναύπλιο – NΑΥΠΛΙΟ.

    Ils ont peut-être aussi reconnu l’une des deux caissettes vertes. Au lieu de primeurs, la caissette contenait une outre dont la panse pouvait contenir une vingtaine de litres, à faire chauffer au soleil, pour avoir l’eau chaude des douches.

    Derrière la caissette verte, se trouvaient un jerrycan blanc, d’une contenance d’au moins vingt litres, et un entonnoir, blanc lui aussi. La hauteur du jerrycan ne permettait pas d’ajuster son ouverture au robinet. Il fallait l’intermédiaire d’une bouteille, qui n’avait aucune difficulté pour faire du bouche-à-bouche avec le robinet et qui se déverserait ensuite, avec impétuosité, dans l’entonnoir placé sur le jerrycan.

    Le chariot bleu permettait le transfert de l’importante masse d’eau jusqu’à la coque du Zeph, sans douleur lombaire à retardement.

    À quoi servait le seau ? À la lessive.

     

    La route de l'eau

     

    Sur la photo ci-dessus, une chemise bleue, à fleurs, attendait, dans le seau noir, son tour d’être lavée.

    À l’arrière-plan, se dessinait la silhouette d’un camion aménagé en magasin. C’était l’outil de travail d’un marchand ambulant.

    Et quand ce n’était plus l’heure du négoce, le véhicule servait d’arrière-boutique et de lieu de repos.

    La maison nomade abritait les quatre personnes qui faisaient tourner l’entreprise familiale. Voici le chef, qui revenait, à pied, d’une tournée de prospection :

     

    La route de l'eau

     

    L’ombre traînait encore sur le camion, pour permettre à certains occupants de faire la grasse matinée. La place du stationnement n’était pas due au hasard : elle a été pensée avec précaution, par des êtres qui avaient observé l’inclinaison des rayons du soleil à cet endroit.

    À l’horizon, toute la chaîne rocheuse, connue depuis l'Antiquité sous le nom de Σφακτηρία – ΣΦΑΚΤΗΡΙΑ, baignait dans la lumière solaire, généreuse et agréable.

    Il a déjà été question de cette enfilade d’îlots, dans l’article « Le refus de l’indifférence », publié le 18/10/2020.

    Le camion, intelligemment garé, n’était pas pressé de s’immerger dans la lumière.

    Il était aménagé de manière à offrir des lits superposés.

    Sur celui du dessus, côté mer, se trouvait une cage d’où sortait le chant du rossignol.

    Par ses mélodies, l’oiseau égayait l’univers de la trésorière, qui avait le type balkanique, mais qui n’était pas grecque. Voici celle qui s’occupait de la trésorerie du marchand ambulant :

     

    La route de l'eau

     

    Aux gens de passage comme aux natifs, le point d’eau apportait de nombreuses satisfactions.

    Même simple et très rudimentaire, la fontaine à Πύλος – ΠΥΛΟΣ faisait converger des modes de vie différents. S’y croisaient des nomades occasionnels, saisonniers ou permanents.

    À Πύλος – ΠΥΛΟΣ, l’eau coulait librement, sans avarice et sans restriction, pour le bonheur de celles et ceux qui chérissaient la libre circulation.

    À Πύλος – ΠΥΛΟΣ, la route de l’eau était l’alliée de la route de la liberté.

    La fontaine de Πύλος – ΠΥΛΟΣ se situait à la frontière entre le territoire du port et le centre urbain. Quand on venait de la ville, le robinet qui ne tarissait jamais se trouvait à droite, au pied de l’escalier qui menait vers les maisons au sommet de la falaise.

    À Ναύπλιο – NΑΥΠΛΙΟ, où nous étions au début de l’article, y avait-il aussi de l’eau en libre service, à proximité du port ?

    Regardez donc :

     

    La route de l'eau

     

    Les amis du Zeph ont tout de suite reconnu ce qui lui appartenait : le chariot au châssis bleu et les deux caissettes vertes.

    Le cuivre du robinet de la générosité brillait sous la lumière des lampadaires.

    À gauche de la bitte jaune destinée à l’amarrage, c’était l’emplacement des barques de pêche.

    La proue visible à droite de la photo était celle du bateau des gardes-côtes.

    À l’arrière-plan, cinq lampadaires, qui participaient à l’éclairage du complexe portuaire, se contemplaient dans le miroir de la mer. C’était par là-bas qu’était amarré le Zeph.

    Au sol, était dessinée une ligne blanche, dont la courbure indiquait le virage qu’il fallait prendre pour passer du centre urbain au territoire du port.

    À Ναύπλιο – NΑΥΠΛΙΟ, tout comme à Πύλος – ΠΥΛΟΣ, la fontaine occupait une position stratégique.

    Pour le transfert de l’eau depuis la fontaine jusqu’aux réservoirs du Zeph, il fallait suivre la ligne blanche, de gauche à droite.

    Nous voici arrivés devant le Zeph :

     

    La route de l'eau

     

    Pourquoi le jerrycan blanc et l’outre noire n’étaient-ils plus utilisés ?

    La réponse est dans l’installation qui apparaissait derrière le chariot bleu et les caissettes vertes.

    Voyez-vous la pente de la passerelle ? Eh oui, la pente était effroyablement raide ! La sécurité du bateau était à l’origine de cette conception.

    Autre motif de crainte : la cassure du quai, juste au-dessous de l’extrémité suspendue de la passerelle. Quand celle-ci parvenait à s’abaisser, il y avait toujours le risque que la planche glisse dans le trou béant et qu’elle bascule latéralement.

    Autre souci encore, et non des moindres : l’état de la mer. Celle-ci était d’humeur dansante et faisait danser le Zeph, sans ménagement.

    Avec ce triple danger, passer sur la passerelle en portant une trop lourde charge, c’était s’exposer à un déséquilibre, qu’il ne serait pas possible de corriger.

    C’est pourquoi la solution des petits volumes à transférer lors de chaque passage sur la passerelle a été adoptée. Les bouteilles ont permis le fractionnement de la charge globale.

    Bien sûr, le travail de manutention a augmenté.

    Mais le Zeph est courageux et patient. Sans oublier d’être reconnaissant.

    Il est reconnaissant envers la Grèce pour l’eau qu’elle offre aux personnes venues d’ailleurs.

    La route de l’eau est la route de la gratitude. En guise de corollaire, c’est aussi la route de la flexibilité et de l’adaptabilité.

    La fontaine du port de Ναύπλιο – NΑΥΠΛΙΟ a-t-elle créé du lien social ?

    Absolument !

    Voici le décor d’une rencontre :

     

    La route de l'eau

     

    Elle a eu lieu entre un natif et un visiteur.

    D’une manière générale, le natif précédait le visiteur, spatialement et chronologiquement.

    Sur le plan conjoncturel, le visiteur avait deux roues tandis que le natif en avait trois.

    Le visiteur, c’était le Zeph, représenté par le chariot bleu, les deux caissettes vertes et les bouteilles qui permettaient d’affronter le péril de la passerelle insolite.

    À gauche de la photo, apparaît la margelle de la fontaine.

    Derrière, la bitte jaune pour l’amarrage signalait la proximité des pêcheurs.

    Avec la même profondeur de champ, mais de l’autre côté du tricycle, c’était le natif, qui ne montrait que le haut de son corps.

    L’homme semblait absorbé par sa tâche. Que faisait-il donc ?

    Il peaufinait sa victoire.

    Le voici avec son trophée :

     

    La route de l'eau

     

    Le Grec, qui se déclarait « fisherman » avec le bel accent d’Oxford, était très fier de sa prise. Magnifique prise, qui ne manquerait pas de ravir convives et amis, quand la braise ferait exulter les saveurs de la mer.

    Comme avant-goût de ce bonheur convivial, le porteur d’eau savourait l’élocution de ce gentleman né en Mer Égée et chanceux dans sa capture de poulpes.

    Quel décor pittoresque, pour une rencontre si charmante !

    La route de l’eau est la route de la confrontation avec l’altérité.

    La plupart des voisins du Zeph ne connaissaient pas la route de l’eau.

    Ils préféraient être servis à domicile.

    C’était le cas de cette vedette, à Ναύπλιο – NΑΥΠΛΙΟ.

     

    La route de l'eau

     

    Le tuyau, qui accomplissait le service, montait en altitude.

    Le Zeph, lui, faisait la démarche inverse, en descendant à la fontaine. Symboliquement, il allait aussi à la rencontre des personnes de conditions modestes. Son choix est philosophique.

    Pour beaucoup, la question de l’eau donnait lieu à une simple transaction.

    Dans le cas du Zeph, la quête de l’eau aboutissait toujours à une bénédiction.

    Et il arrivait que cette bénédiction était octroyée dans un cadre éclatant de pureté, comme celui-ci :

     

    La route de l'eau

     

    Le décor était cycladique. En vérité, nous n’étions pas dans les Cyclades, mais à Πορτοχέλι – ΠΟΡΤΟΧΕΛΙ.

    La fenêtre centrale était bleue. L’auvent pour s’abriter des ardeurs du soleil était bleu. La manette du robinet était bleue.

    Le châssis du chariot et les bouteilles étaient bleus aussi, par anticipation ou par empathie.

    Devant le beau mur blanc, des bancs permettaient aux poètes de trouver leur inspiration dans l’azur.

    À Πορτοχέλι – ΠΟΡΤΟΧΕΛΙ, transporter l’eau jusqu’au Zeph, c’est lui ramener la vision de la pureté.

    Voici le Zeph amarré au quai municipal de Πορτοχέλι – ΠΟΡΤΟΧΕΛΙ :

     

    La route de l'eau

     

     À bâbord, il y avait un voilier occupé par quatre Israéliens.

    Avec beaucoup d’émotion, nos voisins à bâbord ont regardé l’eau qui arrivait en bouteilles dans les caissettes vertes.

    Dans leur émotion, il y avait, sans nul doute, le souvenir de l'âpre combat que leurs ancêtres avaient mené sur la Terre, dite « Promise », pour préserver cette richesse naturelle de premier ordre.

    Le septième art a maintes fois évoqué la route de l’eau.

    Celui qui vient de vous parler des fontaines de Ναύπλιο – NΑΥΠΛΙΟ, Πύλος – ΠΥΛΟΣ et Πορτοχέλι – ΠΟΡΤΟΧΕΛΙ se souvient particulièrement de la scène du puits dans le film Lawrence of Arabia, réalisé par le talentueux David Lean.

    L’officier britannique Lawrence, chargé d’une mission auprès du prince Fayçal, a recours au service d’un guide local, Tafas. Épuisés, les deux voyageurs s’arrêtent devant un puits pour se désaltérer.

     

    La route de l'eau

     

    L’un d’eux y laissera sa vie : c’est Tafas, le guide.

    Le propriétaire du puits est le Cheik Ali, de la tribu des Harith. Celui-ci abat le guide, qui est de la tribu des Hazimi. Les Harith refusent de partager leur eau avec les Hazimi.

    Après le décès du guide, une conversation s'engage entre l'officier britannique et le Cheik Ali.

     

    Cheikh Ali : He is dead. ( Il est mort. )

    Lawrence : Yes... why ? ( Oui...pourquoi ? )

    Cheikh Ali : This is my well. ( Ceci est mon puits. )

    Lawrence : I have drunk from it. ( J'ai [aussi] bu l'eau du puits. )

    Cheikh Ali : You are welcome. ( Tu es le bienvenu. )

     

    Il ne nous appartient pas de juger le personnage du Cheik Ali.

    Néanmoins, il ressort de ses propos que le partage de l'eau est un geste de bienvenue, surtout en Orient. Et la Grèce fait partie de l'Orient, égéen.

    Le puits ou la fontaine jouent le même rôle que la table des convives, où le partage du pain a lieu entre co-pains.

    La route de l'eau est la route des affinités.

    Le Zeph est très heureux de la trouver à chaque escale.

     


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