• Poséidon, habituellement connu en tant que Souverain des mers, était encore appelé dans l’Iliade « Celui qui fait trembler la terre ». Cette double casquette lui a inspiré, en septembre dernier, une très mauvaise plaisanterie, au cours de laquelle il a bénéficié de la complicité d’Éole, le Maître des vents.

    Le fruit de cette complicité était un être protéiforme, nommé Ιανός – ΙΑΝΟΣ, capable de soulever des vagues jusqu’à six mètres de hauteur et de se déplacer jusqu’à la vitesse de 130km/h. Cette démonstration de puissance avait un seul but : semer l’effroi parmi les gens de la mer et les habitants de la terre ferme.

    La science moderne, qui aime classifier, a rangé Ιανός – ΙΑΝΟΣ dans la catégorie des cyclones méditerranéens.

    Le terrain de jeu du monstre était le Sud-Ouest de la Grèce. C’est pourquoi l’État grec a réuni une cellule de crise le mercredi 16/9/2020 quand il a vu l’affreux Ιανός – ΙΑΝΟΣ s’approcher du flanc Ouest du Péloponnèse.

    Voici l’empreinte qui a déclenché l’alerte nationale :

     

    L'épreuve du cyclone

     

    À cet instant, le Zeph se trouvait à Καλαμάτα – ΚΑΛΑΜΑΤΑ, là où se rejoignaient le doigt occidental et le doigt médian de la péninsule du Péloponnèse.

    Le Zeph venait d’obtenir les bonnes grâces des autorités portuaires pour se prélasser, avec un coût très modique, le long du quai municipal.

    Voici le Zeph en train de se délecter des câlins de la dernière aube innocente :

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Hélas, l’alerte venait d’être donnée. L’heure n’était plus à l’insouciance, encore moins à la frivolité. Vite, il fallait déguerpir et se réfugier ailleurs. L’effort demandé était double, voire triple. D’abord, il était physique. Car il fallait défaire l’installation, qui était assez complexe :

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Puis aller s’amarrer ailleurs, avec encore plus d’exigences.

    L’effort était aussi financier. En effet le droit d’asile au sein de la Marina nous coûterait sept fois plus cher que la liberté sur le quai municipal.

    Enfin, l’effort impacterait surtout l’activité des neurones, qui veilleraient à ne pas être submergés ni par le stress, ni par la peur, ni par le doute.

    L’épreuve du cyclone se déroulait dans les domaines musculaire, financier et psychique.

    Voici le Zeph dans son nouvel abri, protégé par une série de trois brise-lames :

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Le monstre, lui non plus, ne perdait pas de temps.

    La première île sévèrement touchée était Κεφαλονιά – ΚΕΦΑΛΟΝΙΑ, dont la capitale était Αργοστόλι – ΑΡΓΟΣΤΟΛΙ.

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Voici une vue de la baie à Αργοστόλι – ΑΡΓΟΣΤΟΛΙ :

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Parmi les mâts qui se dressaient au fond, sur la droite de la photo, il y avait celui du Zeph. Le pont reliait la rive Est, où se trouvait le Zeph, et la rive Ouest. L’obélisque faisait converger vers le Nord les regards des visiteurs qui se promenaient sur le pont.

    Un mois plus tard, jour pour jour, un certain Ιανός – IANOΣ est venu sur les lieux pour chanter et danser. La danse était endiablée. En guise de chants, c’étaient des hurlements intempestifs. Le visiteur, fougueux et incontrôlable, était accompagné d’une horde de furies qui se bousculaient pour franchir le pont, non pas dans le sens de la longueur, mais transversalement. Voici le résultat du déchaînement :

     

    L'épreuve du cyclone

     

    La violence des torrents d’eau qui avaient submergé le pont s’était jointe à la force des rafales de vent pour desceller le muret qui servait de garde-fou et projeter pêle-mêle les blocs détachés.

    Au Nord de la Marina, toujours sur le flanc occidental de l’île, après un chapelet de plages étincelantes que surplombaient des falaises abruptes, se trouvait un splendide bijou appelé Άσος – ΑΣΟΣ. Le voici :

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Ce bijou de la Nature était comme un pendentif posé langoureusement sur l’azur.

    Sur l’extrémité libre du pendentif, se dressait un château. C’est de ce château que la photo a été prise. Une langue de terre le reliait à la chaîne montagneuse qui formait l’épine dorsale de l’île. Des pêcheurs ont élu domicile sur l’isthme, jusqu’aux contreforts de la chaîne principale.

    Nous avons visité le site grâce à une voiture louée à Αργοστόλι – ΑΡΓΟΣΤΟΛΙ. Nous venions du Nord, qui se trouvait à droite de la photo. La visite de l’isthme a été un pur enchantement.

    La photo montre le site tel que le cyclone l’a découvert. Et voici ce que le monstre nommé Ιανός – IANOΣ a fait de ce lieu paradisiaque :

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Le cyclone s’en est donné à cœur joie en jouant avec les pentes et en faisant dévaler toutes sortes de pierre.

    Après avoir martyrisé la partie occidentale, le monstre est parti dévaster l’autre flanc, qui faisait face à Ithaque, l’île d’Ulysse.

    Voici le Zeph lors de sa dernière visite à Ithaque :

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Le Zeph est à droite de la photo, jouissant à lui tout seul de toute la largeur du quai municipal, qui honorait la mémoire d’Ulysse. Sur la gauche de la photo, se dressait une effigie du roi qui cherchait inlassablement le chemin du retour.

    Le cadre était lumineux, paisible.

    Dans la mer, dansaient nonchalamment les reflets de l’effigie royale ainsi que ceux du Zeph.

    Quatre semaines plus tard, voici comment le monstre a défiguré l’île d’Ulysse :

     

    L'épreuve du cyclone

     

    La mer, endiablée, s’élançait à la conquête du sommet des arbres. Il se peut même qu’elle projette d’assaillir la tour de garde qui se trouvait à flanc de colline.

    Après avoir saccagé le Sud de l’archipel ionien, l’affreux Ιανός – IANOΣ faisait ventouse à Πύλος – ΠΥΛΟΣ.

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Quarante-huit heures après le déclenchement de l’alerte, le monstre s’apprêtait à pénétrer dans l’intérieur des terres.

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Pour le Zeph, la nuit qui se préparait serait décisive, voire fatale !

    Le monstre avait son humour bien à lui. Non content de semer « simplement » la terreur, il s’avisait de doubler le suspense en se scindant en deux. Double front, double combat.

    Qui, parmi les humains, aurait pu prévoir ce coup de théâtre ? Personne. Nul ne pouvait l’anticiper.

    Désormais, l’affreux Ιανός – IANOΣ était un monstre à deux têtes.

    Laquelle de ces deux têtes allait s'occuper de nous ?

    Sans doute la plus méridionale, car elle se trouvait juste au dessus de Καλαμάτα – ΚΑΛΑΜΑΤΑ, sur le même méridien.

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Par bonheur – par miracle, devrions-nous dire, il y a une torsion du cou, en direction de l'Ouest. Et au lieu de descendre tout droit sur Καλαμάτα – ΚΑΛΑΜΑΤΑ, la méchante tête s'est mise à lécher le flanc occidental du Péloponnèse, épargnant ainsi le creux entre les deux doigts.

     

    L'épreuve du cyclone

     

    Qui a dit au cyclone de dévier vers l'Ouest ? Personne ! Personne ne pouvait le faire. Personne n'a osé le faire.

    C'était le cyclone qui, tout seul, a décidé de changer de direction.

    Ce virage était-il prévisible ? Aucunement. Rien, absolument rien, ne laissait présager un tel virage, qui était comme un coup de théâtre.

    Bien sûr, une fois le virage amorcé, on pouvait, par de petits bouts de droite, extrapoler et recommencer à faire des prévisions. À moins que...à moins que se préparait un autre coup de théâtre, en secret évidemment. Mais tel n'a pas été le cas.

    Le monstre continuait à glisser le long du flanc occidental, en direction du Sud, sans se mettre en tête de venir chatouiller l'espace entre les deux doigts.

    Il n'est pas futile de remarquer que le virage était amorcé aux toutes premières heures du samedi, entre minuit et l'arrivée de l'aube, c'est-à-dire au moment où pratiquement tout le monde dormait. Bien sûr, pendant ce laps de temps, l'outil électronique s'affairait avec les différentes tâches d'enregistrement. Mais la conscience humaine était engourdie dans un profond sommeil. Tout se passait comme si l'impuissance humaine était aggravée par la somnolence. La leçon est double.

    Des scènes de dévastation auraient pu se produire à Καλαμάτα – ΚΑΛΑΜΤΑ, là où le Zeph a trouvé refuge. Qu’est-ce qui a suspendu leurs cours et dévié leur chemin, pour qu’en définitive notre soulagement arrive plus vite ? Nous n’avons pas de réponse à cette question. Tout discours basé sur le conflit des masses d’air ou tout autre agencement des composantes atmosphériques aborde le comment et non le pourquoi de cette évolution en notre faveur. Le comment s’intéresse au mécanisme fonctionnel. Le pourquoi concerne l’instance décisionnaire qui met en branle ce mécanisme fonctionnel, et qui en constitue donc l’amont. Les anciens Grecs personnifiaient cet amont en y introduisant la figure de Poséidon ou d’Éole. Alors, pour parler comme les Anciens, nous dirons que si les scènes dévastatrices ont été éloignées de Καλαμάτα – ΚΑΛΑΜΤΑ, c’était parce que Poséidon et Éole ont eu pitié du Zeph.

    Dans ce contexte, il n’est pas incongru de penser que la piété, qui est celle du Zeph, soit récompensée.

    Dans la mer, le ballet des molécules d’eau et de chlorure de sodium n’est pas livré au hasard. Il est sous la surveillance d’un Maître Chorégraphe, d’une Intelligence Organisatrice qui ne reste pas insensible à la manifestation des gestes pieux.

    L’épreuve du cyclone pourrait-elle se résumer en deux locutions verbales : avoir peur et courir ? Courir sans que la peur disparaisse. Courir de nouveau, courir encore, et continuer d’avoir peur.

    L’expérience serait bien pauvre si elle ne comportait qu’une leçon de diligence.

    Le récit de l’événementiel a beau se gonfler de superlatifs, il finira par sonner bien creux.

    Il faut que le vécu émeuve le diaphragme, même jusqu’aux entrailles, pour que ces journées d’épreuve ne soient pas du gaspillage. Souvenons-nous de ces vers de Γιάννης Ρίτσος – ΓΙΑΝΝΗΣ ΡΙΤΣΟΣ, évoqués dans l’article précédent :

     

    Τότε που η μέρα που πέρασε

    δεν είναι μια μέρα που χάθηκε

     

    Quand le jour qui est passé

    n'est pas un jour perdu,

     

    le temps de l’épreuve n’est pas un temps sacrifié, mais un temps formateur et fécond.

    Que nous enseigne donc l’épreuve du cyclone ?

    Que l’espace marin n’est pas une cour de récréation, ni une aire de jeu.

    La confrontation avec la mer et ses sautes d’humeur doit nourrir sainement notre pensée, la rendre à la fois plus éveillée et plus raisonnable.

    Le cyclone est absolument souverain dans ses agissements. Il ne reçoit d’ordre de personne. Et il ne tient pas à en recevoir.

    La science ne sait utiliser que l’extrapolation linéaire. Ses prévisions sont basées sur le modèle de la droite, qu'il suffirait de prolonger, si celle-ci ne se casse pas soudainement, ou ne s'incurve pas dans un virage étroit, de faible rayon de courbure. On peut prédire tant que le cyclone ne change pas d'avis. Mais qui sommes-nous pour lui intimider de ne pas changer d'avis ? Il changera d'avis quand il en aura envie, autant de fois qu'il voudra. Il ne demandera pas notre avis et n'a nullement l'intention de le faire.

    Le cyclone Ιανός – IANOΣ n’est pas un simple paragraphe dans les archives des services météorologiques grecs. Ce terrible bouleversement de l’équilibre des forces qui régissent le cosmos égéen a pris le Zeph par surprise. Mais celui-ci a fait de cette rencontre indésirable un bonus qui fortifie la détermination de persévérer sur les flots. L’impact du cyclone ne se situe plus au niveau primaire de la peur. La plus-value apportée est dans une plus grande confiance en soi, parce que celle-ci est sortie victorieuse de l’épreuve. Victoire, non pas au sens triomphaliste, mais au sens d’une meilleure prise en compte des mouvements émotionnels de la Nature. Pour reprendre la pensée du poète grec, c’est cette plus-value qui fait que les jours consacrés à l’épreuve du cyclone ne sont pas des « jours perdus », loin de là !

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