• Le mot « limite » vient du latin limes, qui désigne un chemin bordant un domaine ou un sentier entre deux champs. Le premier emploi concerne une séparation territoriale.

    Dans le port de Βασιλική – ΒΑΣΙΛΙΚΗ, au Sud de l'île appelée Λευκάδα – ΛΕΥΚΑΔΑ (en français : Leucade), il y avait une séparation qui distinguait deux territoires au moment où le Zeph y a fait sa halte.

    Il y avait une zone qui était en service, et une autre qui ne l'était pas.

    Voici la zone où le stationnement était interdit :

     

    L'épreuve de la limite

     

    L'interdiction était signalée par une grande pancarte, où figurait un texte rédigé uniquement en anglais, c'est-à-dire intentionnellement à destination de ceux qui venaient en voilier.

    Les lettres blanches sur fond rouge : RESTRICTED AREA indiquaient que l'usage du lieu était restreint aux urgences illustrées par la borne anti-incendies. Les lettres noires sur fond blanc : CONSTRUCTION WORK IN PROGRESS expliquaient que l'interdiction de stationner était due à des travaux d'agrandissement et de modernisation, qui étaient en cours. En effet, à l'arrière-plan, le long du quai lifté, de nouvelles structures attendaient leur finition.

    Voici l'autre zone, là où il était permis de s'amarrer :

     

    L'épreuve de la limite

     

    Au premier plan, le Zeph venait d'étendre le linge lavé au petit matin. À gauche de la borne anti-incendies, étaient posées les deux caissettes vertes qui étaient les protagonistes de l'article « La route de l'eau », publié le 10/11/2020.

    Encore plus à gauche de la photo, se dressait la pancarte d'interdiction, décrite ci-dessus.

    En vérité, le texte anglais ne parlait pas explicitement d'interdiction, mais de limitation. Sans doute par euphémisme.

    Entre le quai désert et le quai occupé, il y avait une barrière grillagée.

    En quoi la limite matérialisée par le grillage était-elle une épreuve ?

    C'était pour le Zeph une épreuve car il était très tenté par la quiétude du quai en réfection. Mais sa conscience lui disait de ne pas braver l'interdiction, même sous-entendue.

    Le recul montrait que le Zeph était soucieux de respecter la limite :

     

    L'épreuve de la limite

     

    En effet, le grillage de la séparation portait une pancarte jaune où étaient écrites ces lignes :

    ΑΠΑΓΟΡΕΥΕΤΑΙ

    Η ΕΙΣΟΔΟΣ

    ΧΩΡΟΣ ΕΡΓΟΤΑΞΙΟΥ

     

    Littéralement :

    EST INTERDITE

    L'ENTRÉE

    LIEU D'UN CHANTIER

    Le Zeph s'est mis en bordure, pour bien profiter de la quiétude à bâbord. Mais il n'a pas enfreint la loi, explicite ou implicite.

    Le responsable des lieux a bien remarqué la position singulière du Zeph.

    Voici une photo du Grec :

     

    L'épreuve de la limite

     

    L'homme portait un tee-shirt bleu gris et un masque noir. Il venait de faire le tour de la bite avec l'amarre noire que lui avait lancée le catamaran autrichien, qui se présentait à tribord du Zeph. Celui-ci était reconnaissable par l'éolienne et le vélo pliant du Capitaine.

    Le lendemain de notre arrivée, le Grec est venu dire au Capitaine :

    « Another day, Captain ? »

    Littéralement :

    « Un autre jour, Capitaine ? »

    L'interrogation a été prononcée avec une voix suave, ô combien charmante.

    Sans nul doute, l'homme était heureux de nous voir, ou plutôt de nous revoir, pour nous offrir de nouveau l'hospitalité.

    Et il s'agissait d'une très belle hospitalité. Car nous avons eu droit à l'exonération de la taxe de séjour, sans qu'il y ait eu une demande émanant de notre part.

    La générosité du Grec était spontanée et irrévocable. Il nous a vus en bordure, mais sans effraction par rapport au chantier. Le respect de la limite avait une double résonance en lui. Et il a réagi avec beaucoup d'élégance en retour.

    Il existe une perspective qui illustrait le bonheur obtenu en honorant la limite. Voici cette vision :

     

    L'épreuve de la limite

     

    En se mettant de ce côté-ci du grillage, le Zeph, reconnaissable à l'aileron tricolore de son éolienne, se plaçait sous la bénédiction de l'olivier, symbole de paix et de prospérité.

    Cette bénédiction n'a pas été octroyée à un autre voilier, qui était belge et parlait français aussi, mais qui s'est installé de l'autre côté, dans la zone interdite, bien que nous lui ayons montré les deux pancartes de part et d'autre du grillage.

    Le bateau en infraction a même tenté de nous rallier à sa cause.

    Mais nous aimons trop la Grèce pour la déshonorer.

    La situation conflictuelle créée par le voilier belge montrait que la limite était une épreuve.

    Le XVIIè siècle français, par l'intermédiaire de Blaise Pascal, nous a laissé ce rappel : « Nous devons apprendre nos limites. Nous sommes tous quelque chose, mais aucun de nous n'est le tout. »

    Le philosophe nous met en garde contre la tentation de s'identifier à la totalité, c'est-à-dire contre la propension à la démesure. Celle-ci s'oppose à l'exercice du bon sens et traduit un égoïsme sans borne.

    Dans le contexte pascalien, se considérer comme « le tout », c'est s'accorder le droit de tout posséder, de tout envahir et de tout phagocyter.

    « À partir du moment où je suis TOUT, le reste n'est rien ! Je n'ai que faire des autres, même des limites liées au bon sens. »

    L'égoïsme immodéré du voilier belge était à l'origine d'un comportement sans-gêne qui dévastait le savoir-vivre.

    Une autre expérience de la totalité s'est déroulée sur l'île appelée Αίγινα – ΑΙΓΙΝΑ (en français : Égine)

    Voici une photo de la mise en œuvre de « la totalité » :

     

    L'épreuve de la limite

     

    Le voilier qui cherchait à entrer à bâbord du Zeph s'imaginait qu'il était tout ce qui comptait. Imperturbable et décidé, le nouvel arrivant avançait sans se soucier de ce qu'il y avait à sa droite ou à sa gauche, même si ses flancs n'étaient qu'à quelques millimètres de ceux des voisins. Comme il était « tout ce qui comptait », il considérait que la place lui revenait tout naturellement. Avec avidité, il s'en emparait, quitte à laisser des éraflures ou d'autres stigmates sur les voisins qui ne pouvaient pas se pousser davantage pour lui offrir l'aisance. Consternés, ceux-ci improvisaient une protection devant un tel aplomb.

    C'est ainsi que le Capitaine était contraint de déplacer lui-même les défenses pour éviter au Zeph d'être abîmé. Car, pour ce bord-là, le nouveau affichait le plus grand dédain. Avec mépris aussi, il recevait les conseils du veilleur qui apparaissait de dos, au premier plan, sur la photo.

    Le veilleur, qui prodiguait le discours de la raison, était le pilote du Tanis, qui battait pavillon espagnol et qui se trouvait immédiatement à tribord du Zeph.

    L'Espagnol, avec beaucoup de patience, disait au nouveau qu'il y avait de la place un peu plus loin, vers l'Est, en direction du sanctuaire dont il était déjà question dans deux articles : « La coquetterie de l'ange », publié le 28-02-2021, et « La saveur de l'espérance », publié le 4-12-2020.

    Mais le nouveau voulait absolument cet emplacement-ci. Et il forçait, forçait, jusqu'à ce que les défenses giclent au-dessus des filières ! Et malgré cette mise à mal du système de protection mutuelle, il continuait à forcer le passage. L'homme obstiné se considérait comme « tout ce qui comptait ». En conséquence, il devait s'imposer, quitte à utiliser la force. Une force qui était de la violence.

    La violence, qui résidait dans l'entêtement et le mépris, ne résolvait rien.

    Après avoir insisté de manière affreuse pendant de très, très longues minutes, le prédateur a fini par lâcher sa proie :

     

    L'épreuve de la limite

     

    C'était encore au Capitaine de prendre les devants pour sauver la peau du Zeph.

    Celui qui est venu avec arrogance est reparti avec la même arrogance.

    Comme le spectacle était navrant et burlesque !

    Le nouveau avait la ferme intention d'écrabouiller les limites. Pour lui, elles n'étaient que sottises.

    Cette façon d'agir reflétait la personnalité de l'être intérieur.

    Le talentueux chef cuisinier Auguste Gusteau, distingué par cinq étoiles, dans le film « Ratatouille » produit par les studios Disney a cette exhortation :

    « You must not let anyone define your limits because of where you come from. Your only limit is your soul. »

    Tu ne dois laisser personne définir tes limites en raison de ton origine. Ta seule limite est ton âme.

     

    L'épreuve de la limite

     

    Les limites n'appartiennent plus à l'espace extérieur. En réalité, elles relèvent de notre être intérieur, de nos exigences internes.

    L'homme qui voulait à tout prix s'amarrer à bâbord du Zeph à Αίγινα – ΑΙΓΙΝΑ avait un ego si démesuré qu'il pensait pouvoir faire fi de toutes sortes de limites.

    Une autre tentative de s'emparer du quai a laissé le Zeph pantois. Elle a eu lieu dans l'archipel des Παξοί – ΠΑΞΟΙ.

    Voici l'impétueux phénomène :

     

    L'épreuve de la limite

     

    Il portait le matricule 11 à sa proue.

    Il guettait la libération d'une place devant le Musée.

    Le guet, qui était de style militaire, n'empêchait l'activité artistique. En effet, sur le flanc droit, une silhouette féminine soignait ses cadrages. À ce moment-là, votre serviteur ne savait pas encore qu'il croiserait les pas de cette artiste, qui était très matinale pour capter la douce lumière du lever du jour.

    Le matricule 11 avait le coup d’œil, la célérité et la précision d'un rapace.

    Dès que la place convoitée s'est libérée, il s'en est emparée avec promptitude et beaucoup d'aisance.

    Le voici devant l'édifice le plus valorisant du port :

     

    L'épreuve de la limite

     

    Aucun problème d’exiguïté.

    Aucun risque de frottement ou de collision.

    La maîtrise de la marche arrière a été parfaite.

    À la performance technique, s'alliait une sorte de raffinement culturel. Apparemment, du moins.

    À la proue, était suspendu un joli bouquet de fleurs sauvages, qui rappelaient la camomille :

     

    L'épreuve de la limite

     

    L'esthétique était très grecque.

    La photo a été réalisée au lever du jour, peu de temps après que la sensuelle photographe a quitté le bateau pour prospecter le quai.

    Avec le matricule 11, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes ?

    Pas si vite ! Pas si vite !

    Un Grec n'était pas de cet avis, et il l'a montré très clairement. Le voici dans sa protestation :

     

    L'épreuve de la limite

     

    Les bras de l'homme étaient dirigés vers le matricule 11, qui venait de s'emparer de la place avec une avidité terrifiante.

    D'ordinaire, le Grec était assis sur les marches du Musée. Son immobilité et son silence lui donneraient même l'apparence d'un fantôme.

    Mais avec l'entrée en scène du matricule 11, le Grec s'est levé et a parlé à voix haute pour exprimer son désaccord.

    Quelles limites le matricule 11 n'a-t-il pas respectées pour choquer à ce point le Grec ?

    Voici le geste qui expliquait l'indignation du Grec :

     

    L'épreuve de la limite

     

    Dans sa désapprobation, le Grec levait ses bras.

    L'indignation prenait à témoin des instances supérieures, dont Zeus, qui était garant du caractère sacré de l'hospitalité.

    La violence avec laquelle le matricule 11 s'est emparé de la place donnait l'impression que le quai était une prise de guerre. Cette brutalité était un affront infligé au caractère sacré de l'hospitalité offerte par la Grèce. Les limites que le matricule 11 a bafouées allègrement étaient celles de la décence.

    Pour le Grec devant le Musée du port, le choc visuel était suivi d'un choc psychologique à cause de la vision d'une profanation.

    La première occurrence constatée du mot « limite » a eu lieu en 1372 : elle concernait le contexte spatial.

    Il faudra attendre encore quatorze décennies pour que le mot s'applique aussi au domaine de la morale.

    En quoi les limites constituent-elles une épreuve ?

    L'écrivain Romain Rolland a écrit dans son roman Jean-Christophe :

    « Le bonheur est de connaître ses limites et de les aimer ».

    Pour l'écrivain qui a reçu le prix Nobel de littérature en 1915, il ne s'agit pas seulement de s'accommoder des limites, voire même d'en faire nos alliées. L'auteur emploie un verbe très fort pour caractériser le rapport aux limites : c'est le verbe « aimer », qui est sans équivoque. Et sa phrase débute par un autre mot, qui est aussi fort : « bonheur ».

    Habituellement, les limites déclenchent une réaction de rejet ou d'hostilité.

    L'épreuve est là : faire en sorte que les limites soient à la fois l'objet d'un lien affectif intense et le chemin qui mène à la félicité.

    Puisse chacun de nous traverser l'inéluctable épreuve de la limite avec l'état d'esprit de l'écrivain français !

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