• Il a dû livrer au feu ce dont il était le plus fier.

    Nombre des siens se sont opposés à son choix étrange.

    Mais il a maintenu l'épreuve du feu pour sauver ce qui était encore plus essentiel : la liberté. Liberté pour les siens, pour son peuple, pour sa patrie.

    Lui, c'était Θεμιστοκλής – ΘΕΜΙΣΤΟΚΛΗΣ (en français : Thémistocle). Il était athénien et occupait la fonction de stratège. Ce dont il était si fier, c'était sa ville bien-aimée, Athènes. Pourtant, il l'a livrée aux flammes ! Comment était-ce possible ?

    Il n'a pas allumé lui-même le bûcher. Mais sciemment, il a laissé les autres le faire.

    Donc, il savait que leur geste serait inévitable. Oui, parce que ceux-là, c'étaient ses pires ennemis, venus de l'autre côté de la Mer, pour venger la honte qui leur était infligée dix ans plutôt, à Marathon.

    Nous sommes donc dans le contexte des Guerres Médiques, qui ont opposé Grecs et Perses, au cinquième siècle avant notre ère.

    L'armée perse, commandée par Xerxès, qui se faisait appeler « Roi des rois », tentait, pour la deuxième fois, d'envahir la Grèce. L'envahisseur semblait invincible. Il s'emparait sans difficulté du Nord de la Grèce et progressait furieusement vers Athènes. Pour stopper cette avancée inquiétante, les Grecs ont mis deux verrous, l'un sur la terre et l'autre sur la mer. Le premier se trouvait au défilé des Θερμοπύλες – ΘΕΡΜΟΠΥΛΕΣ (en français : Thermopyles). Le second, au cap Aρτεμίσιο – APTEMIΣΙΟ (en français : Artémissio). Le premier n'a pas tenu bon. En apprenant cet échec, les Grecs chargés de bloquer l'accès par la mer ont préféré anticiper la retraite. Désormais, la route d'Athènes s'offrait à l'ennemi.

    Le stratège grec a consulté l'oracle de Delphes. La réponse de celui-ci parlait d'une protection grâce à des palissades de bois, que le stratège a identifiées aux flancs des trirèmes.

    Certain que l'ennemi serait vaincu par une bataille navale, le stratège grec a ordonné l'évacuation en masse des Athéniens vers Τροιζήνα – ΤΡΟΙΖΗΝΑ (en français : Trézène), qui se trouvait de l'autre côté de l'isthme de Corinthe, à proximité de Πόρος – ΠΟΡΟΣ (en français : Poros)

    Nous voici à Τροιζήνα – ΤΡΟΙΖΗΝΑ, là où les Athéniens se sont réfugiés, sur ordre du stratège grec :

     

    L'épreuve du feu

     

    Il nous a été donné un double privilège, celui d'être sur place, au centre névralgique de la résistance à l'ennemi, et celui de contempler le déploiement de la route de la survie. Voici un panorama de cette route de la sécurité et de la ruse :

     

    L'épreuve du feu

     

    Le panorama a été capté depuis Αίγινα – AΙΓΙΝΑ (en français : Égine)

    Le chemin des fugitifs se déroulait à l'horizon. À droite de la photo, c'était Athènes, qui se dépouillait de sa population. À gauche de la photo, c'était la direction de Τροιζήνα – ΤΡΟΙΖΗΝΑ, la cité-refuge.

    Τροιζήνα – ΤΡΟΙΖΗΝΑ offrait l'hospitalité aux femmes et aux enfants accourus depuis Athènes, mais encore la sûreté d'un abri pour la flotte grecque. En effet, Ηρόδοτος – HPOΔΟΤΟΣ ( en français : Hérodote), surnommé « le père de l'Histoire », a écrit ceci :

    [8.42.1] ἐπεὶ δὲ οἱ ἀπ᾽ Ἀρτεμισίου ἐς Σαλαμῖνα κατέσχον τὰς νέας, συνέρρεε καὶ ὁ λοιπὸς πυνθανόμενος ὁ τῶν Ἑλλήνων ναυτικὸς στρατὸς ἐκ Τροιζῆνος· ἐς γὰρ Πώγωνα τὸν Τροιζηνίων λιμένα προείρητο συλλέγεσθαι. συνελέχθησάν τε δὴ πολλῷ πλεῦνες νέες ἢ ἐπ᾽ Ἀρτεμισίῳ ἐναυμάχεον καὶ ἀπὸ πολίων πλεῦνων.

    [8.42.1] Le reste de la flotte grecque, qui se tenait à Pogona, port des Trézéniens, où elle avait eu ordre de s'assembler, ayant appris que l'armée navale, revenue d'Artémissio, était à l'ancre devant Salamine, s'y rendit aussi. On eut donc en cet endroit beaucoup plus de vaisseaux qu'au combat d'Artémisio, et il s'y en trouva de la part d'un plus grand nombre de villes.

     

    L'épreuve du feu

     

    Πώγωνα – ΠΩΓΩΝΑ, le port de la cité-refuge, permettait à la flotte grecque d'effectuer les derniers préparatifs avant d'affronter l'ennemi à Σαλαμίνα – ΣΑΛΑΜΙΝΑ (en français : Salamine)

    Est arrivé ce qui devait arriver : l'incendie de l'Acropole par l'armée perse.

     

    L'épreuve du feu

     

    L'ennemi a donné libre cours à sa fureur.

    Le stratège grec devait choisir entre protéger les monuments et sauver les forces vives du pays. L'homme d’État a mis la priorité sur les vies humaines, tout en organisant intelligemment la riposte.

    En effet, les Grecs consolidaient leur défense en déconnectant le Péloponnèse du territoire envahi.

     

    L'épreuve du feu

     

    Ainsi la route de l'isthme a été coupée du côté d'Athènes, en attendant la bataille décisive qui se déroulerait dans le détroit de Σαλαμίνα – ΣΑΛΑΜΙΝΑ.

    Voici le Zeph à l'isthme qui relie le Péloponnèse au continent :

     

    L'épreuve du feu

     

    La terre ferme qui se trouvait à l'arrière-plan de la photo faisait partie du marche-pied du Péloponnèse, dont l'armée perse rêvait de s'emparer après avoir dévasté Athènes.

    Sur la scène internationale de l'époque, l'incendie de l'Acropole était perçue comme une humiliation extrême grave, une épreuve dont personne ne pouvait entrevoir la véritable issue, sauf le stratège grec.

     

    L'épreuve du feu

     

    La mise à sac d'Athènes était une terrible épreuve. D'abord, sur le plan militaire et politique, le triomphe apparent de l'ennemi pourrait se prolonger et croître. Ensuite, les cendres se confondent avec la poussière pour devenir un substrat anonyme, quelconque, sans intérêt. L'art grec pourrait-il supporter l'outrage d'un retour au néant ?

    L’épreuve possède deux composantes temporelles : celle qui concerne le présent et celle qui a trait au futur. La première se traduit par le désagrément de la contrainte, par la pénibilité du mal nécessaire. La seconde, par la quête d’une issue. Objectivement, l’issue est incertaine. Mais subjectivement, elle est toujours envisagée avec l’espoir inextinguible d’une victoire.

    Le 22 septembre de l'an 480 avant notre ère, les flots de Σαλαμίνα – ΣΑΛΑΜΙΝΑ ont offert au stratège grec ce qu'il voulait : une victoire éclatante sur l'immense flotte du « Roi des rois ».

     

    L'épreuve du feu

     

    Les trirèmes grecques ont eu raison des énormes vaisseaux perses, qui avaient beaucoup de mal à manœuvrer en raison de l'étroitesse du détroit.

    Écœuré, l'ennemi est reparti, tête basse, chez lui.

    Est-ce à dire qu'à ce moment-là, l'épreuve du feu a pris fin ?'

    Oui, par rapport à la sécurité territoriale.

    Mais le feu n'a pas fait que brouiller les frontières. Il a aussi été l'instrument qui visait à détruire les mémoires.

    Dans ce cas, il suffirait de relever les temples et d'en achever la construction pour avoir une Acropole restaurée.

    Seulement, la conscience grecque d'alors ne raisonnait pas de cette façon.

    Ce qui est souillé n'est plus consommable, ni pour les mortels, ni pour les Immortels.

    Les temples, dont le premier Parthénon, qui ont été profanés par l'ennemi perse, ne pouvaient plus servir d'offrandes aux divinités. Ils demeureraient en l'état, pour exhiber le malheur qui les avait frappés.

    C'est ainsi que pendant quatre décennies après le départ des Perses, le premier Parthénon gisait au milieu de ses décombres.

    Le caractère indélébile de l'affront causé par l'incendie de l'Acropole ressort de ce serment prononcé par le guerrier grec avant de partir au combat :

    Καὶ τῶν ἱερῶν τῶν ἐμπρησθέντων καὶ καταβληθέντων ὑπὸ τῶν βαρβάρων οὐδὲν ἀνοικοδομήσω παντάπασιν, ἀλλ' ὑπόμνημα τοῖς ἐπιγιγνομένοις ἐάσω καταλείπεσθαι τῆς τῶν βαρβάρων ἀσεβείας.

    ΛΥΚΟΥΡΓΟΥ

    ΚΑΤΑ ΛΕΩΚPΑΤΟΥΣ ΥΠΟΘΕΣΙΣ

    Κεφ. πα'

     

    Je ne relèverai jamais aucun des temples brûlés ou renversés par les Barbares ; mais je laisserai à l'avenir ce monument de leur impiété.

    LYCURGUE

    PLAIDOYER CONTRE LÉOCRATE

    Chapitre 81

     

    L'épreuve du feu a deux causes : une cause exogène et une cause endogène.

    La cause exogène était l'impérialisme perse.

     

    L'épreuve du feu

     

    La cause endogène était constituée par la résolution de ne pas rebâtir sur des décombres. Exhiber la plaie : dans quelle intention ? Survivre, autrement, par la mémoire, et non seulement au premier degré. Car dans la mémoire, il y a le rappel de la leçon, qui conjure le double péril de l’oubli et de l’insouciance. Culturellement parlant, le Grec a une prédilection sans borne pour la mémoire du tragique.

    Le miracle du renouveau a quand même eu lieu, grâce à un autre stratège athénien, Περικλής – ΠΕΡΙΚΛΗΣ (en français : Périclès). Celui a fait ériger un nouveau Parthénon, à partir de nouvelles fondations.

    Le peintre britannique Alma-Tadema montre le chef du nouveau chantier en train de présenter la frise ionique au philosophe le plus célèbre de l'époque, accompagné de son beau et fringant disciple :

     

    L'épreuve du feu

     

    La dédicace du nouveau Parthénon à la déesse tutélaire a eu lieu en l'an 438 avant notre ère.

     

    L'épreuve du feu

     

    Les couleurs vives du renouveau ont-elles définitivement fait oublier les flammes et la fumée amenées par les Perses ?

    Nous pourrions en douter si notre curiosité s'oriente vers les faits et gestes du plus célèbre des Macédoniens, Alexandre le Grand, pendant sa campagne d'Asie. En voici un épisode significatif :

    [2] Ὅτε δὴ καὶ μία τῶν παρουσῶν γυναικῶν, ὄνομα μὲν Θαΐς, ᾿Αττικὴ δὲ τὸ γένος, εἶπεν κάλλιστον ᾿Αλεξάνδρῳ τῶν κατὰ τὴν ᾿Ασίαν πεπραγμένων ἔσεσθαι, ἐὰν κωμάσας μετ' αὐτῶν ἐμπρήσῃ τὰ βασίλεια καὶ τὰ Περσῶν περιβόητα γυναικῶν χεῖρες ἐν βραχεῖ καιρῷ ποιήσωσιν ἄφαντα. [3] Τούτων δὲ ῥηθέντων εἰς ἄνδρας νέους καὶ διὰ τὴν μέθην ἀλόγως μετεωριζομένους, ὡς εἰκός, ἄγειν τις ἀνεβόησε καὶ δᾷδας ἅπτειν καὶ τὴν εἰς τὰ τῶν ῾Ελλήνων ἱερὰ παρανομίαν ἀμύνασθαι παρεκελεύετο. [4] Συνεπευφημούντων δὲ καὶ ἄλλων καὶ λεγόντων μόνῳ τὴν πρᾶξιν ταύτην προσήκειν ᾿Αλεξάνδρῳ καὶ τοῦ βασιλέως συνεξαρθέντος τοῖς λόγοις πάντες ἀνεπήδησαν ἐκ τοῦ πότου καὶ τὸν ἐπινίκιον κῶμον ἄγειν Διονύσῳ παρήγγειλαν. [5] Ταχὺ δὲ πλήθους λαμπάδων ἀθροισθέντος καὶ γυναικῶν μουσουργῶν εἰς τὸν πότον παρειλημμένων μετ' ᾠδῆς καὶ αὐλῶν καὶ συρίγγων προῆγεν ὁ βασιλεὺς ἐπὶ τὸν κῶμον, καθηγουμένης τῆς πράξεως Θαΐδος τῆς ἑταίρας. [6] Αὕτη δὲ μετὰ τὸν βασιλέα πρώτη τὴν δᾷδα καιομένην ἠκόντισεν εἰς τὰ βασίλεια· καὶ τῶν ἄλλων ταὐτὰ πραξάντων ταχὺ πᾶς ὁ περὶ τὰ βασίλεια τόπος κατεφλέχθη διὰ τὸ μέγεθος τῆς φλογὸς καὶ τὸ πάντων παραδοξότατον, τὸ Ξέρξου τοῦ Περσῶν βασιλέως γενόμενον ἀσέβημα περὶ τὴν ἀκρόπολιν τῶν ᾿Αθηναίων μία γυνὴ πολῖτις τῶν ἀδικηθέντων ἐν παιδιᾷ πολλοῖς ὕστερον ἔτεσι μετῆλθε τοῖς αὐτοῖς πάθεσιν.

    ΔΙΟΔΩΡΟΥ ΣΙΚΕΛΙΩΤΟΥ ΙΣΤΟΡΙΩΝ

    ΒΙΒΛΟΣ ΕΠΤΑΚΑΙΔΕΚΑΤΗ

    Κεφ. οβ'

     

    [2] Une des courtisanes qui avaient été de leur repas, nommée Thaïs, et athénienne de naissance, s'avisa de dire que la plus belle chose qu'Alexandre pût faire en Asie était qu'à la fin d'un repas où il avait admis des femmes à sa table, il fit brûler et disparaître par leurs mains en un moment le plus fameux édifice de la Perse. [3] Cette proposition présentée à de jeunes gens à qui le vin avait déjà fait perdre la tête, leur fit demander des flambeaux allumés pour venger, disaient-ils, l'impiété commise auparavant par les Perses à l'égard des temples de la Grèce. [4] Ils vinrent même à dire que c'était à Alexandre lui-même à commencer cette expédition. Le roi, flatté de ce discours, les fit tous lever de table et se mit à leur tête : ils disaient entre eux qu'ils allaient offrir à Dionysos une libation de victoire. [5] En un moment un grand nombre de flambeaux furent allumés, les femmes tinrent lieu de musiciens : et le roi guidé par la courtisane Thaïs, marcha au son des fifres et des flûtes comme à une Bacchanale. [6] Thaïs jeta d'abord après le roi son flambeau dans le palais, et tout le reste de la troupe ayant suivi son exemple, le palais entier fut bientôt embrasé par l'étendue qu'on avait donnée à cet incendie volontaire. Ainsi par un événement remarquable, une femme de la plus vile profession conduite uniquement par un esprit de débauche vengea la ville d'Athènes où elle était née, du sacrilège commis autrefois et bien des années auparavant, par le roi Xerxès dans le temple d'Athéna.

    DIODORE DE SICILE

    HISTOIRE UNIVERSELLE

    Chapitre 72

     

    Persépolis, la capitale de l'empire perse, a été incendiée par le Macédonien en l'an 330 avant notre ère, c'est-à-dire cent cinquante ans après le sac de l'Acropole par Xerxès.

     

    L'épreuve du feu

     

    L'épreuve du feu, subie par les Grecs, a été infligée, en guise de représailles, au sanctuaire le plus imposant de l'empire perse.

    La boucle est bouclée. Apparemment.

    Car l'Histoire réserve bien des coups de théâtre. En voici un :

     

    L'épreuve du feu

     

    Ces statues dévastées ont été découvertes par l'archéologue français Charles-Ernest Beulé en 1866, dans une poche souterraine située entre le nouveau Parthénon et l'Érechthéion.

    Ces œuvres d'art, défigurées par l'épreuve du feu des Perses, ont reçu une sépulture grâce à la piété des Athéniens revenus sur l'Acropole libérée. Autrement dit, entre l'an 480 avant notre ère et l'an 1866 de notre ère, elles n'ont jamais vu la lumière du soleil. Leur exhumation a marqué la fin du deuil national causé par l'épreuve du feu.

    Au centre de la photo de l'exhumation, apparaît un jeune homme qui porte sur ses épaules un veau destiné au sacrifice.

    La violence des Perses lui a amputé le bas du visage, les mains et le bas des jambes.

    Voici le Porteur du veau, réhabilité au nouveau Musée de l'Acropole :

     

    L'épreuve du feu

     

    La sculpture appartient au style archaïque, caractérisé, entre autres, par le sourire contemplatif, qui reflète un état de santé et de bien-être idéal.

    À droite de la photo des décombres exhumés, se trouve un torse d'éphèbe, sans la tête. Celle-ci a été retrouvée vingt trois ans plus tard, entre le Musée et le Mur Sud de l'Acropole.

    Voici l'éphèbe restauré :

     

    L'épreuve du feu

     

    Son déhanchement, que les historiens de l'art appellent contrapposto, est une nouveauté apportée par le style classique.

    Ainsi, dans la fosse commune, pendant plus de vingt-trois siècles, était préservé un lien intergénérationnel, qui exprimait la transition entre le style archaïque et le style classique.

    Le deuil infligé par le feu n'a pas pris fin quand les Perses sont rentrés chez eux, en Asie. Ni quand le nouveau Parthénon a été dédié à Athéna en l'an 438 avant notre ère. Ni même quand Alexandre le Grand a mis le feu à Persépolis cent cinquante ans plus tard. Mais seulement au dix-neuvième siècle, quand tous les débris de la « fosse persane » ont été exhumés pour revoir la lumière du jour.

    Les stigmates laissés par la brutalité des coups et par la violence du feu sont encore visibles. Mais l'épreuve du feu dont ils sont la marque tangible n'est plus une menace.

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