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L'hospitalité du temps festif
D’ordinaire, l’hospitalité se pense par rapport à un lieu. Cette fois-ci, nous substituons à celui-ci un cadre temporel, qui n’est pas sans rapport avec la présente période du calendrier.
Le temps festif nous a grand ouvert ses bras dès que nous sommes entrés sur le territoire anatolien. L’Anatolie faisait la fête en répandant partout des fleurs. Les voici accrochées aux lampadaires municipaux :
Les fleurs sont géométrisées selon un motif polygonal hérité de l’art seldjoukide.
Elles remplissaient l’intérieur d’un vase très élancé, qui s’épanouissait à la manière d’un lotus.
La photo a été faite à Keşan, qui était notre toute première halte, sur la rive occidentale du Détroit des Dardanelles.
Et la fête a continué de l’autre côté. La photo suivante a été faite à Çanakkale, sur la rive orientale :
Au premier plan, un Anatolien découpait la viande qu’il avait fait rôtir autour d’un axe vertical. Pour mettre en valeur le geste du cuisinier, une immense guirlande fleurie lui servait d’arche gourmande. La fête visuelle préparait la fête des papilles.
Le temps festif innovait la forme et les positions.
Traditionnellement, l’axe de rotation pour rôtir la viande en Anatolie était vertical. Il y avait donc de la nouveauté quand il devenait horizontal, comme ici à Aksaray :
Le volume de viande apprêtée et donc disponible était un autre attrait visuel.
L’Anatolien qui maniait la longue lame veillait à le faire avec élégance.
Car la fête en Anatolie ne signifiait pas diffusion du désordre mais exaltation de l’harmonie.
L’Anatolie savait préparer la table de la fête. Ces couverts, dont les manches portaient des fleurs qui ambitionnaient l’éclat de l’éternité, étaient impatients d’entrer en contact avec une nourriture préparée avec art :
La même devanture, trouvée à Trabzon, proposait aussi une vaisselle qui rappelait l’âge d’or de Constantinople :
La fête ne se déconnectait pas du passé. Au contraire, l’esthétique du plaisir se nourrissait du savoir-faire des Anciens.
Il existait une saveur qui était indissociable du plaisir gastronomique en Anatolie : c’était celle de la feuille de thé. Le temps festif a magnifié le goût du thé par des architectures géantes. Voici celle qui évoquait la diffusion des tanins :
Cette théière géante se trouvait à Van, là où résidait la Dame de l’Est.
Remontons la chaîne qui élaborait le plaisir de la dégustation : l’art du thé nous a conduits à Rize, qui célébrait la plante elle-même, au moment de la cueillette.
Voici donc l’hommage rendu à cette chlorophylle gorgée de tanins :
L’immense branche de thé, encore toute verte, était montrée à côté d’une tasse, immense elle aussi. Un maillage lumineux parcourait le corps de la tasse de bas en haut pour évoquer le parfum ascendant.
Il n’y a pas de fête sans musique.
Voici la musique qui apportait du tonus au temps festif :
La photo a été faite à Konya, la Cité bicéphale.
L’orchestre mariait les sonorités de l’Occident avec celles qui berçaient les villages anatoliens.
L’harmonie restant le principe d’organisation de la fête, celle-ci pouvait très bien se manifester par un triomphe de la douceur. Dans ce contexte, la musique de l’eau était insurpassable :
Ces magnifiques jets d’eau, éclairés à la base par des lumières qui traversaient tout le spectre de l’arc-en-ciel, enchantaient les yeux tout en apportant la paix intérieure.
La photo ci-dessus a aussi été faite à Konya.
Le temps festif prenait en compte la présence de l’eau, en souvenir des caravanes qui avaient jadis sillonné le territoire anatolien.
Voici une fontaine subtilement mise en valeur par l’éclairage des murailles :
Deux registres se partageaient cette photo faite à Kayseri, la Cité de César.
Il y avait la musique du retour à la paix, évoquée par la fontaine.
Mais il y avait encore la musique du triomphe militaire, incarnée par le rouge sang qui se répandait sur les murailles.
Le temps festif avait besoin de rappeler les succès du passé pour garder l’adhésion du peuple. Il existait deux sortes de réussite.
D’abord, il y avait la réussite amenée par l’art militaire.
Le temps festif célébrait alors la victoire par les armes en mettant en valeur les fortifications, comme ici à Kayseri :
À l’intérieur de l’enceinte, s’ouvrait un musée en plein air pour entonner le chant de gloire.
L’autre domaine où se déployait la réussite était lié à la spiritualité.
Le temps festif escaladait les minarets, comme ici à Kayseri :
Il chatouillait leurs gorges richement décorées :
Il répandait en abondance l’or et l’argent sur les façades, comme devant ce mausolée érigé à Kayseri :
On rit dans une fête.
Voici une manifestation de l’humour du temps festif :
Des parapluies de la modernité côtoyaient des vestiges plus prestigieux pour leur servir de contrepoint.
Laissons le poète persan حافظ (translittération : Hâfez) conclure cette exploration de l’hospitalité du temps festif :
دوستان وقت گل آن به که به عشرت کوشیم
Mes amis, il est temps d'essayer d'être heureux
غزل شماره ۳۷۶
Poème 376
Cette invitation fort alléchante, le poète ne semble pas la rattacher à un moment particulier du calendrier. Elle serait permanente. En tout cas, elle vaut pour tout de suite.
Pour l’Anatolie, le temps festif est dans l’ici-et-maintenant.
Joyeux Noël à tous les amis du Zéphyros !
Καλά Χριστούγεννα σε όλους τους φίλους του Ζέφυρου !
Tags : Hospitalité, temps festif, Keşan, Çanakkale, Aksaray, Trabzon, Constantinople, Van, Rize, Konya, Kayseri, thé, حافظ (Hâfez)
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Joyeux Noël à vous 2, chers amis, et à bientôt, nous l'espérons