• Il a trouvé refuge à l’arrière d’un camion pour faire la route à moindres frais, c’est-à-dire sans débourser le sou.

    Il est découvert quand le véhicule s'arrête à une station-service, qui propose aussi de la restauration.

    L'inconnu est débarqué sans ménagement, puis abandonné là, sur le bord de la route.

    L'auteur de ce conte illustré est le maestro Luchino Visconti, qui réalise là son premier long métrage.

    L'inconnu, qui n'a pas encore montré son visage, est vu de dos quand il s'avance vers le bâtiment, qui est plutôt délabré. La façade porte l'inscription « TRATTORIA » (en français : TAVERNE). Sur l'un des battants de la porte principale, on lit, sur deux lignes :

    ITALO

    PILSEN

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    À cette taverne, on peut manger, et surtout boire, ou seulement boire. La marque de la bière servie est même indiquée sur le panneau de bois.

    L'allusion à la fête dionysiaque est claire.

    Puis la caméra prend de la hauteur et du recul. Grâce à ce mouvement d'élévation, qui s'accompagne d'un élargissement du champ, le spectateur découvre l'enjeu du drame qui se prépare. Au-dessus de l'écriture « TRATTORIA » (en français : TAVERNE), apparaît la mention « EX DOGANA » (en français : EX-DOUANE). L'actuel bâtiment, qui sert à la restauration, appartenait autrefois à la Douane, c'est-à-dire à l'administration qui devait contrôler la circulation des personnes et des marchandises.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    La « TRATTORIA », c'est pour se restaurer. La « DOGANA », c'est pour rendre des comptes. La « TRATTORIA » s'adresse au tube digestif tandis que la « DOGANA » interroge la conscience.

    Spatialement, la fonction initiale coiffe la fonction actuelle, ce qui annonce la prééminence de la question de la conscience dans le déroulement du drame.

    Les données scripturales abondent dans ce sens.

    La particule « ex- » signifie une péremption administrative. Mais le scénario du maestro Luchino Visconti va rendre caduque cette particule. L'apparition de celle-ci dans le prélude du drame est une manière d'évoquer l'ironie du sort, une ironie qui est bien cruelle.

    Le revirement provient donc du passé, un passé qui refuse de disparaître, que l'on a beaucoup de mal à oublier ou à effacer.

    Un coup de peinture sur la façade aurait enlevé l'allusion à la fonction première du bâtiment. Mais non, le passé n'est pas effacé ou effaçable ! À présent, il s'inscrit dans le champ de vision, avant d'agir sur les leviers de l'histoire.

    Sur le plan grammatical, le préfixe « ex » pose la question de l'extériorisation. Ici, non seulement le passé afférent à des comptes à rendre ne sort pas du champ visuel, mais il y fait une entrée sournoise, qui n'en est pas moins menaçante.

    Toute la tonalité du conte viscontien est ainsi donnée. Il n'y a plus qu'à attendre le raffinement qui peaufine chaque étape.

    Devant le rideau de la porte principale, l'inconnu fouille laborieusement ses poches. Celle de gauche est vide, mais celle de droite contient quelques pièces. Il les sort et les fait valser en l'air, au-dessus de sa main droite. Il est toujours vu de dos.

    L'inconnu entre dans la trattoria. Un profil droit est esquissé, mais seulement au niveau des tibias. Puis se succèdent une série de plans où l'homme apparaît seulement de dos.

    Le voyageur clandestin, qui est sans domicile fixe, n'a pas de visage, et pas encore de nom.

    L'inconnu se dirige vers le comptoir. Comme personne ne s'y trouve, il signale sa présence en frappant sur le dessus du châssis de bois, avec son poing droit. Trois coups, comme au théâtre, avant l'ouverture du rideau ? On pourrait le penser.

    En effet, l'inconnu se penche sur la droite et un rideau apparaît. C'est le deuxième, celui qui donne accès à l'arrière-boutique, où se nichent les secrets de la trattoria.

    Par rapport au théâtre, cette arrière-boutique fait fonction de coulisses, où les acteurs attendent avant d'entrer en scène. Quel personnage sera dévoilé par le lever du rideau de l'intimité ?

    À vrai dire, l'inconnu n'a pas tapé trois coups sur le comptoir, mais quatre. Trois coups fermes, bien marqués, suivi d'un quatrième, plus atténué, comme en suspension.

    Cette bande son en miniature a une valeur prémonitoire : une histoire sera tissée entre trois adultes et une quatrième personne qui n'aura pas le temps d'être un adulte, puisqu'il s'agit d'un bébé encore dans le ventre de sa mère.

    Des trois adultes, on en connaît déjà deux : l'inconnu, qui est apparu quand la porte de l'arrière du camion s'est ouverte, puis l'aubergiste, qui est sorti du rideau de la façade de la trattoria, après les coups de klaxon du camion.

    L'heure est donc venue de découvrir le troisième personnage du trio réuni par la libido.

    Mais avant que le rideau de l'intimité ne s'écarte sur le côté, un air mélodieux, chanté par une voix féminine, jeune et romantique, s'échappe de l'arrière-boutique.

    Le chant, au phrasé doux et gracieux, est-il la réponse aux coups secs donnés sur le comptoir ? Nullement. La succession des deux registres est une pure coïncidence. C'est le hasard. Et le hasard porte l'empreinte du destin.

    Que dit la chanson ?

    Voici ce qu'elle dit :

    « Fiorin Fiorello, l'amore è bello vicino a te. Mi fa cantare, mi fa sognare, chissà perché... »

    Fiorin Fiorello, l'amour est beau près de toi. Ça me fait chanter, ça me fait rêver, qui sait pourquoi...

     

    Il s'agit d'une chanson populaire, que la fée du logis fredonne à sa manière, en s'inspirant librement de la mélodie écrite par le compositeur Vittorio Mascheroni et du texte fourni par le parolier Giuseppe Mendes.

    Avec l'interprétation personnalisée qui fait le charme de la trattoria, au moment où l'on entend « ...vicino a te... » (en français : près de toi), l'inconnu se rapproche du rideau et devient plus proche de la cantatrice, au moins spatialement.

    À cet instant précis, le texte de la chanson résonne comme une douce invitation à entrer. C'est l'avant-goût du bonheur.

    Quand l'inconnu franchit le rideau, c'est le verbe « cantare » (en français : chanter), qui monte dans la mélodie. Le bonheur trouve son expression vocale. C'est l'hymne à l'amour, entonné de concert.

    Et finalement, quand l'inconnu se retrouve de l'autre côté du rideau et que ses yeux ne sont plus entravés par aucun obstacle, c'est le verbe « sognare » (en français : rêver) de la chanson qui emplit tout l'espace. Le rêve, comme délice de l'arrière-goût laissé par l'amour.

    À l'écran, l'image qui accompagne le verbe « sognare » est celle d'une jambe droite, nue depuis le genou jusqu'au talon, qui se balance allègrement entre le sol et le dessus d'une table.

    Finesse de la silhouette dévoilée, élégance du spectacle improvisé.

    Sensualité de la vision, franchise de la nudité.

    Rêve devenu réalité ou réalité qui fait rêver ?

    Le maestro Luchino Visconti a l'intelligence de laisser le spectateur libre de choisir la formulation.

    En tout cas, le verbe « sognare » est on ne peut plus approprié pour accompagner le choc visuel.

    Après la jambe droite, la jambe gauche apparaît à son tour, tout aussi joyeuse et désirable, avec un balancement complice et plein de vie.

    À ce ballet de la spontanéité, participent aussi les chaussures, qui virevoltent sous la voûte plantaire, dans la gaieté et l'insouciance.

    Comme la caméra du maestro Luchino Visconti excelle dans la description de la naissance progressive du désir !

    Au fur et à mesure que le corps féminin se dévoile, l'inconnu se rapproche de celui-ci.

    L'inconnu est vu de dos. La progression de l'homme élargit le champ de vision sur son costume. On commence par voir le coude de la manche gauche. Celle-ci est déchirée à l'arrière, au niveau de l'avant-bras. L'épiderme masculin apparaît, mais dans la pénombre, tandis que les jambes féminines sont éclatantes de fraîcheur et de joie. Est-ce pour dire que c'est à la cantatrice d'illuminer la vie de l'inconnu ?

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    La nudité du corps masculin apparaît par le biais d'une déchirure de l'habit. La nudité du corps féminin, elle, ne souffre d'aucun stigmate. Il y a une fonction réparatrice qui est évoquée. Est-ce pour annoncer que c'est la présence féminine qui assurera le rôle de la consolation ?

    Le cadrage initial du zoom rapproche deux jointures : un genou féminin, celui de droite, et un coude masculin, celui de gauche. Le rapprochement visuel est absolument fortuit. Mais la perspective induite n'est pas bénigne : les deux vies s'articuleront l'une à l'autre. Mais pour combien de temps ? Le destin, qui a tout mis en œuvre pour produire le coup de foudre, a quelle intention à l'égard du refuge que vient de trouver l'inconnu ?

    D'une voix claire et incisive, l'inconnu demande s'il peut manger « ici ».

    « Ici », c'est évidemment « sur place ». Sur place, mais où ? Là où il se tient, de ce côté-ci du rideau de l'intimité, ou là où en général les clients sont servis ?

    L’ambiguïté concernant le lieu amène le suspense.

    La personne à qui la question s'adresse interrompt son travail et fixe des yeux celui qui vient de poser la question. Enfin, on découvre le visage de la fée du logis.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    On y voit de la surprise, à cause d'un certain aplomb de l'inconnu.

    Mais on y voit surtout une lumière magique, faite de fraîcheur et de sensualité.

    C'est la première manifestation du principe apollinien.

    Que faisait la maîtresse de maison avant l'irruption de l'inconnu ?

    Elle était en train de se mettre du vernis à ongles sur les doigts de sa main gauche.

    Pendant un très, très bref instant, elle a voulu ignorer l'intrus. C'est pourquoi, sans répondre, elle a baissé sa tête pour continuer d'appliquer le vernis. Mais à peine a-t-elle baissé la tête qu'elle la relève aussitôt, pour dévisager l'inconnu.

    Et là, dans un zoom époustouflant, le maestro Luchino Visconti dévoile le visage et le regard de l'inconnu.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    La tête masculine est légèrement inclinée au dessus de l'épaule gauche, pour créer plus de charme, inconsciemment ou consciemment.

    C'est la deuxième manifestation du principe apollinien.

    Le coup de foudre est amorcé, sans parole.

    En fait, ce face à face dans l'éblouissement se termine par une parole, car l'inconnu répète sa question. Il veut savoir s'il peut manger « ici ». Ses gestes ne tarderont pas à montrer quel sens il donne à l'adverbe de lieu.

    Quelle femme fait ses ongles devant un étranger à la famille ? Là où la maîtresse de la maison fait ses ongles en fredonnant l'air de Fiorin Fiorello, c'est un espace qui appartient à la sphère de l'intime. Mais l'inconnu n'en a que faire, surtout après que les deux regards se sont croisés. Il jongle avec ses piécettes pour montrer qu'il est fier de son pouvoir d'achat. Mais en réalité, il joue au magicien de l'aplomb, en trempant ses doigts, sans doute sales, directement dans les gamelles, à trois reprises.

    Bien sûr, il n'oublie pas de s'écrier « Buono ! » (en français : C'est bon !), ce qui ravit la cuisinière tout en la déroutant. Celle-ci finit par accepter de servir le contenu des gamelles et dit à l'inconnu d'attendre dans la salle à manger, de l'autre côté du rideau évidemment.

    L'inconnu a-t-il entendu la consigne ?

    En tout cas, pendant que la jeune femme s'affaire devant le meuble à vaisselle, l'inconnu ne quitte pas la pièce. Puis il se met à enlever la veste. On ne voit que ce qui est au-dessus de la ceinture, mais on devine aisément la qualité de l'ensemble.

    Objectivement, on voit un débardeur clair, qui montre la nuque et les deux bras. Le torse est vu d'abord vu sur le côté droit.

    La jeune femme qui se retourne vers la table centrale découvre le dénudement, effectue ensuite un mouvement de recul, puis une légère rotation dans le sens des aiguilles d'une montre. Le corps masculin suit le même sens giratoire et exhibe frontalement un torse qui célèbre à la fois la jeunesse et la virilité.

    C'est la troisième manifestation du principe apollinien.

    L'inconnu en jubile.

    La jeune femme a du mal à cacher son ravissement.

    C'est vrai qu'avec le débardeur, tout n'est pas montré. Mais ce qui est montré est d'une telle éloquence !

    La vue, puis la contemplation allument le désir, qui s'exprime avec les mots de la campagne.

    En guise de compliment, la jeune femme dit à l'inconnu :

    « Hai le spalle comme un cavallo ! »

    « Tu as les épaules comme un cheval ! »

     

    Éloge de la robustesse, mais aussi de la beauté naturelle, avec l'agréable vision du bon usage que l'on en fera. Quelle finesse dans l'érotisme !

    Peu de temps après, on entend le nom de la jeune femme résonner dans la bouche de l'aubergiste qui est son mari.

    Elle s'appelle Giovanna.

    L'inconnu, c'est Gino.

    Le maestro Luchino Visconti est un orfèvre brillantissime du coup de foudre !

    Comment fonctionnent les principes séducteurs dans l'univers viscontien ?

    D'abord il y a la voix, qui cajole et envoûte. Puis c'est le régal des yeux. Et c'est la fête des papilles qui annonce l'apothéose. Autrement dit, l'ouïe, la vue et le goût, dans cet ordre.

    Le refuge de la trattoria est donc sensuel, au moins triplement !

    Il procure à Gino le couvert, le gîte et même de l'amour.

    Le refuge à la fois sécurisant et érotique que Giovanna offre à Gino finit par ne plus convenir à l’aventurier, qui se voit contraint de partager ce que la vie propose de meilleur à ce moment-là. Gino fait donc ses bagages et s’en va de ce refuge devenu inconfortable.

    Gino persuade Giovanna de quitter la trattoria.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    Manquant de confiance, la jeune femme est vite épuisée. Elle abandonne l'errance ainsi que Gino.

    Après la route asphaltée, c’est la voie ferroviaire qui donne à Gino l’idée d’un autre refuge. De nouveau, il a envie de partir loin.

    Dans le train qui va à Ancona, Gino fait la connaissance d'un forain qui lui paie le billet. Parce que Gino n'a pas d'argent pour payer son propre billet.

    Le forain a un surnom qui est « Lo Spagnolo » (en français : l'Espagnol), car l'homme a séjourné en Espagne.

    Dans sa quête de liberté, le refuge immédiat de Gino est le compartiment du train qui file à Ancona. Mais dans cette fuite, le refuge véritable, et pourquoi pas durable, est l'amitié de l'autre aventurier, surnommé « l'Espagnol ».

    Voici, avec les yeux du maestro Luchino Visconti, Gino et son ami « l'Espagnol » à la sortie de la gare ferroviaire d'Ancona.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    Comme Gino, nous avons quitté la plaine du Pô pour tenter de nous ressourcer plus au Sud, au bord de la mer.

    Comme Gino, nous avons suivi la Via Flaminia pour arriver à Ancona.

    À Ancona, nous avons vu ce que Gino et « l’Espagnol » avaient vu : le ballet incessant des ferries.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    Face au port, nous avons ressenti ce que Gino avait ressenti : le désir d’évasion.

    Comme pour Gino, le spectacle de la foule qui se pressait pour embarquer nous a plongés dans l’excitation et l’euphorie.

    Comme Gino, nous avons rêvé d’un ailleurs qui soit synonyme de renouveau.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    Sur la gauche de la photo, c'est la structure pentagonale du Lazzaretto. derrière nous, c'est l'aire d'enregistrement, où se rassemblent les guichets des compagnies maritimes.

    Notre rêve s’est accompli. Et celui de Gino ?

    Pour l’infortuné Gino, les choses avaient été plus compliquées.

    L'homme de lettres Stefano Benni, natif de la plaine du Pô, a dit :

    « Il destino ti da la spinta e ti butta in acqua. Ma sei tu che decidi se tornare su oppure nuotare nella corrente, finché trovi un mulinello più forte della tua voglia di vivere, e addio merlo. »

     

    Le destin te flanque une bourrade et te précipite dans l'eau. Mais c'est toi qui décides de revenir ou de nager dans le courant, jusqu'à ce que tu trouves un tourbillon plus fort que ta volonté de vivre, et adieu merle.

     

    Gino a essayé de remonter le courant quand il a quitté la trattoria de Giovanna pour aller à Ancona. Mais les flots de la passion ont été plus forts.

    Gino et Giovanna se sont revus à l'occasion de la Foire à Ancona.

    Le refuge proposé par Giovanna l'emporte sur celui fourni par « l'Espagnol ».

    Les deux amants assassinent l'aubergiste, qui est le mari de Giovanna. L'assassinat est maquillé en accident de la route.

    À partir de ce moment, l'âme de Gino n'est plus en paix, nulle part. Car le véritable refuge, qui est la conscience, est souillé.

    Dans leur fuite désespérée pour retrouver le bonheur, Gino et Giovanna connaissent un accident de la route.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    Et dans le tourbillon fatal dont parle Stefano Benni, Giovanna et l'enfant qu'elle porte ont trouvé la mort.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    Gino, lui, perd sa liberté tant chérie.

    En quoi l'histoire de Gino concerne-t-elle le Zeph ?

    D'abord, les raisons sont d'ordre conjoncturel. Comme Gino, nous sommes allés de la plaine du Pô jusqu'à Ancona. Comme Gino, nous avons mis nos espoirs dans le port d'Ancona.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    Comme Gino, nous avons donné libre cours à nos rêves d'évasion quand nous étions sur le parvis de la Cattedrale di San Ciriaco à Ancona.

    Mais si l'histoire de Gino nous saisit par les tripes, c'est parce qu'elle parle de la redoutable étreinte du destin. Le destin, nous avons eu affaire récemment à lui, et c'était loin d'être une partie de plaisir !

    Ce face-à-face périlleux avec le destin a eu lieu à la fin de la prospection au sujet de nouveau port à sec. Après une semaine de recherches incertaines, nous devions rentrer à la Marina Aktio, où le Zeph nous attendait encore.

    Le retour se faisait en bus, de Γαλατάς – ΓΑΛΑΤΑΣ à Λευκάδα – ΛΕΥΚΑΔΑ, avec un changement au milieu, au niveau de l'Isthme de Corinthe.

    Le premier bus arrivait à l'Isthme à 13h40. Et un deuxième devait en repartir à 14h00 pour nous amener jusqu'à notre destination finale. Confiants, inconscients ou naïfs, nous nous sommes vite réjouis, en nous basant seulement sur le temps de l'attente à l'Isthme de Corinthe.

    Pourtant, le capitaine a eu un pressentiment, quand il craignait que le premier bus, celui de Γαλατάς – ΓΑΛΑΤΑΣ, ne soit complet. En fait, nous n'étions que trois passagers en tout dans ce préacheminement.

    Nous étions loin de soupçonner que le destin allait nous tomber dessus à l'Isthme de Corinthe. Pour reprendre les mots de Stefano Benni, le sort nous a fait une très mauvaise plaisanterie en nous poussant à l'eau. Suite à quoi, nous avons bien bu la tasse, avec le sentiment effroyable d'être tout près de la noyade.

    Concrètement, l'administration de l'Isthme nous a annoncé que le deuxième bus sur lequel nous comptions, était déjà bien complet, et ce, au départ d'Athènes.

    Voici le cadre de cette annonce qui correspondait à la malheureuse chute dans l'eau :

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    La personne au guichet ne cessait de dire : « Πρόβλημα ! Πρόβλημα ! » ( en français : « Problème ! Problème ! » ). Mais ses exclamations répétées et vaines ne changeaient rien au fait que nous allions être comme des sdf, naufragés à l'Isthme de Corinthe.

    Le capitaine a essayé de « nager contre le courant ». Il envisageait un contournement par le Nord, en passant par Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ. Peine perdue ! Le bus de Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ était aussi complet.

    Non sans risques, le capitaine a opté pour un contournement par le Sud, en passant par Πάτρα – ΠΑΤΡΑ. Malédiction ! Malédiction ! Le bus de Πάτρα – ΠΑΤΡΑ était complet, ne pouvait qu'être complet !

    Alors, comme le dit si bien Stefano Benni, on s'est laissé emporter par le courant, avec résignation, presque sagement. Le courant de la déception et du désespoir, qui nous a mené jusqu'à l'affichage de 19h50 à l'horloge de l'Isthme de Corinthe.

    Vite, le capitaine a couru vers le chauffeur avant que celui-ci ne redémarre.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    Enfin, il y avait de place pour nous emmener jusqu'à notre destination finale, qui était Λευκάδα – ΛΕΥΚΑΔΑ.

    Le bus venait d'Athènes, qui se trouvait au Nord de l'Isthme. L'Ouest était donc à gauche de la photo. Les ombres s'allongeaient en direction de la droite. Leur longue traînée indiquait que le soleil était bien bas au-dessus de l'horizon.

    Initialement, nous avions pensé parvenir à Λευκάδα – ΛΕΥΚΑΔΑ deux heures avant le coucher du soleil. Finalement, nous sommes arrivés peu de temps après minuit.

    Par bonheur, un taxi a accepté de nous conduire jusqu'à la Marina Aktio.

     

    Le refuge de l'infortuné

     

    Le prix de la course était de trente euros pour un trajet aller de vingt-deux kilomètres.

    Il n'est pas bon de tomber sous les pattes du destin. Elles blessent, paralysent, et peuvent même tuer. Ce qui est flagrant, c'est qu'il n'est pas en notre pouvoir de décider de l'issue.

    Notre mésaventure à l'Isthme de Corinthe semble peu de chose par rapport à ce qu'a connu Gino. Mais toute déconvenue émanant du destin est toujours cruelle.

    Nous l'auriez compris, naviguer, ce n'est que vivre sur les flots, selon le point de vue « néoréaliste ». Et la plupart de nos existences, pour ne pas dire toutes, ont une parenté avec celle de Gino. Le talent du maestro Luchino Visconti est de nous faire ressentir cette parenté en montrant avec poésie et véracité la précarité et la vulnérabilité de la condition humaine.

    Le maestro Luchino Visconti a conté l'histoire de Gino dans Ossessione vingt ans avant de réunir Claudia Cardinale, Alain Delon et Burt lancaster dans le somptueux Il Gattopardo.

    Le titre que le maestro a choisi pour son premier long métrage souligne l'acharnement du destin sur Gino.

    L'émouvante actrice Clara Calamai a prêté ses traits à Giovanna. Le ravissant Massimo Girotti a donné tout son charme à Gino.

    Le chroniqueur du Zeph se félicite de se reconnaître parmi les disciples du maestro Luchino Visconti, par le choix des thèmes abordés, et par la manière dont ceux-ci sont traités.

     

     

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