• La coquetterie de l’Aurore était déjà remarquée dès les temps homériques.

    En voici une description, au Chant 23 de l’Odyssée :

    καί νύ κ᾽ ὀδυρομένοισι φάνη ῥοδοδάκτυλος Ἠώς,

    εἰ μὴ ἄρ᾽ ἄλλ᾽ ἐνόησε θεὰ γλαυκῶπις Ἀθήνη.

    νύκτα μὲν ἐν περάτῃ δολιχὴν σχέθεν, Ἠῶ δ᾽ αὖτε

    ῥύσατ᾽ ἐπ᾽ Ὠκεανῷ χρυσόθρονον, οὐδ᾽ ἔα ἵππους

    ζεύγνυσθ᾽ ὠκύποδας, φάος ἀνθρώποισι φέροντας,

    Λάμπον καὶ Φαέθονθ᾽, οἵ τ᾽ Ἠῶ πῶλοι ἄγουσι.

    Oμήρου Oδύσσεια. Ραψωδία κγ'. Στίχοι σμα’ – σμϛ’

     

     

    Et l’Aurore aux doigts de rose eût reparu, tandis qu'ils pleuraient,

    si Athéna, la déesse aux yeux brillants, n'avait eu une autre pensée,

    qui était de retenir la longue Nuit sur l'horizon et de garder l’Aurore

    aux bords de l'Océan, près de son trône d'or, en lui défendant de mettre

    sous le joug ses chevaux rapides qui portent la lumière aux hommes,

    Lampos et Phaéton, les poulains de l’Aurore.

    Odyssée d’Homère. Chant 23. Vers 241-246

     

    Le poète personnifie l’Aurore en lui attribuant, littéralement, des « doigts de rose ».

    La périphrase rassemble au moins trois attraits sensoriels : le visuel, l’olfactif et le tactile. La douceur de la teinte, l’élégance du parfum et la délicatesse du toucher donnent à chacune des apparitions de l’Aurore un charme fou. C’est pourquoi le Zeph n’en rate aucune.

    Voici l’Aurore à Λευκάδα – ΛΕΥΚΑΔΑ, quand le Zeph a retrouvé pour la première fois les flots de la belle saison :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    L’Aurore caressait avec ses doigts roses l’horizon alangui. Le phare de la forteresse médiévale Αγία Μαύρα – AΓΙΑ ΜΑΥΡΑ écarquillait ses yeux pour ne rien perdre de la scène de tendresse.

    Au premier plan, le pont tournant a laissé l’éclairage nocturne pour saluer, avec coquetterie lui aussi, l’Aurore qui émergeait.

    Le Zeph, friand de teintes pastel, était en alerte, dès les toutes premières heures du matin, pour savourer l’accomplissement de la description homérique :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    Un bateau, paré de ses feux de proue, attendait sagement la première ouverture du pont tournant, avec l’intention de remonter jusqu’à la ville et son complexe portuaire.

    Amusé, le Zeph regardait le chenal lancer au bateau entrant des clins d’œil tantôt verts, tantôt rouges.

    Dans le texte cité ci-dessus, Homère dit que l’Aurore se déplaçait avec un char tiré par deux superbes chevaux dont les noms étaient Λάμπος – ΛΑΜΠΟΣ et Φαέθων – ΦΑΕΘΩΝ.

    Le terme Λάμπος – ΛΑΜΠΟΣ (littéralement : brillant) s’applique à la lueur des flambeaux. Il décrit aussi l’éblouissement provoqué par la beauté, la jeunesse ou la joie.

    Quant au second mot, Φαέθων – ΦΑΕΘΩΝ (littéralement : éclatant), il se réfère à l’éclat du feu et peut encore évoquer une présence radieuse.

    Une représentation de l’attelage qui tire le char de l’Aurore se trouve sur les fresques de la Villa romaine du cardinal Ludovisi, neveu du pape Grégoire XV :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    L’artiste qui les a peintes était Giovanni Francesco Barbieri, surnommé il Guercino.

    Le cheval du premier plan possède une robe qui présente des reflets rougeoyants : il s’agirait de Φαέθων – ΦΑΕΘΩΝ. Dans ce cas, c’est Λάμπος – ΛΑΜΠΟΣ qui se trouverait à l’arrière-plan.

    Dans le texte d’Homère, l’indication temporelle explique qu’Athéna a volontairement retardé l’ascension de l’Aurore au-dessus de la mer océane. Cette suspension de la course du temps était en rapport avec le drame qui se jouait dans les appartements de la Reine d’Ithaque. En effet, l’épreuve du tir à l’arc n’a pas convaincu Pénélope au sujet de la véritable identité du vainqueur. Aussi lui a-t-elle imposé une autre épreuve, celle de l’intimité. Cette fois-ci, il ne s’agissait plus de vaincre grâce à la force musculaire et à l’adresse des doigts, mais grâce au souvenir exact d’un enracinement dans le sol, De cette plongée dans le passé, dépendaient la crédibilité d’un époux et l’autorité d’un roi. En raison de son enjeu colossal, l’épreuve de l’intimité ne pouvait être bousculée par aucune hâte.

    L’artiste anglaise Evelyn de Morgan s’est inspirée d’Homère pour faire le portrait de l’Aurore :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    La peinture montre la déesse en train de répandre la rosée sur la végétation au petit matin. Au premier plan, sur la droite du tableau, des roses embaument la scène grâce à leur parfum suave.

    L’œuvre est exposée au Columbia Museum of Art.

    Certes, la coquetterie était une préoccupation constante de l’Aurore. Mais la manifestation de cette coquetterie n’était ni automatique, ni dénuée de sens, car il s’agissait d’un geste réfléchi, qui était une prise en compte du caractère favorable du contexte ambiant.

    Au mouillage de Γάιος – ΓΑΙΟΣ, dans l’archipel des Παξοί – ΠΑΞΟΙ, l’Aurore n’a pas montré ses « doigts de rose » parce qu’elle savait que Poséidon était de très mauvaise humeur et qu’il s’apprêtait à donner libre cours à sa colère monstrueuse.

    Ce matin-là, l’Aurore avait le teint blafard.

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    L’ambiance était froide, lugubre, angoissante.

    Les bateaux qui se pavanaient la veille ont essayé, en vain, d’égayer le site avec leurs feux de mât. Mais tout le monde a fini par prendre la poudre d’escampette.

    Puis, est arrivé ce qui devait arriver. La nymphe des vents, qui avait accompagné le Zeph depuis Port Napoléon, a été sauvagement malmenée par le Souverain des Mers. Le traumatisme subi se révélerait irrémédiable.

    Choqué et courbaturé, le Zeph est retourné à Λευκάδα – ΛΕΥΚΑΔΑ, dans l’espoir d’y trouver à la fois consolation et réparation.

    L’Aurore aux « doigts de rose » l’y attendrait-elle encore, pour lui prodiguer des encouragements dès les premières lueurs du jour ?

    La réponse était positive. Même mieux : éblouissante !

    En effet, Homère montre que la coquetterie de l’Aurore concernait la morphologie, mais aussi la toilette.

    Comme preuve, voici comment débute le Chant 8 de l’Iliade :

    Ἠὼς μὲν κροκόπεπλος ἐκίδνατο πᾶσαν ἐπ᾽ αἶαν,

    Ζεὺς δὲ θεῶν ἀγορὴν ποιήσατο τερπικέραυνος

    ἀκροτάτῃ κορυφῇ πολυδειράδος Οὐλύμποιο :

    αὐτὸς δέ σφ᾽ ἀγόρευε, θεοὶ δ᾽ ὑπὸ πάντες ἄκουον :

    Oμήρου Ιλιάδα. Ραψωδία η'. Στίχοι α’ – δ’

     

     

    À présent, l’Aurore à la robe couleur de safran se répandait sur la face de toute la terre,

    et Zeus qui se réjouit de la foudre convoqua l'assemblée des dieux

    sur la plus haute cime de l'Olympe aux innombrables sommets.

    Et il parla à leur assemblée, et tous les dieux prêtaient l’oreille :

    Iliade d’Homère. Chant 8. Vers 1 – 4

     

    Sur l’Olympe, Zeus convoque une assemblée générale. Et pour annoncer la solennité de la circonstance, l’Aurore se pare d’une robe couleur de safran.

    Voici comment l’Aurore a accueilli le retour du Zeph à Λευκάδα – ΛΕΥΚΑΔΑ :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    L’Aurore a mis sa tunique couleur de safran dès le premier matin pour souhaiter la bienvenue au Zeph fortement commotionné par les récentes mésaventures.

    Jusqu'à l'émergence de l'Aurore, le Zeph était malheureux parce que les deux emplacements sur lesquels il avait compté n'étaient pas libres. Alors, par lassitude et par découragement, il s'est mis n'importe où, dans un no man's land. Ou plutôt dans un no man's water.

    Voici le Zeph, au milieu de sa prison d'eau, avant la venue de l'Aurore :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    Les lumières de la cité portuaire se reflétaient dans les hublots. Mais c'était trop compliqué pour aller à terre. Le Zeph se sentait seul, comme abandonné. C'était le contrecoup de la tempête subie l'avant-veille dans l'archipel des Παξοί – ΠΑΞΟΙ.

    Face à cette déprime, l'Aurore a réagi, en déployant de larges pans de sa robe couleur de safran :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    Le Zeph a repris courage au sein de ce giron offert avec tant de douceur et de poésie.

    Certes, le génois avait du mal à cacher le délabrement infligé par l'humeur exécrable de Poséidon. Mais à gauche de la voile effilochée, la robe de l'Aurore exposait les reflets d'un arc-en-ciel inattendu. Sublime présage, qui a aussitôt redonné de l'espoir au Zeph.

    La sollicitude de l'Aurore ne manquait pas de ressources. En effet, la Lune, qui était, aux yeux des Anciens, la sœur de l'Aurore, était présente au moment où la robe couleur de safran se répandait dans le ciel. Sur la photo, le génois enroulé avait l'arc-en-ciel à bâbord et la Lune à tribord. La tunique de l'Aurore délivrait un double message : le Zeph retrouverait des conditions paisibles et la plénitude de la joie.

    La coquetterie de l'Aurore n'était pas vaine.

    L'optimisme qu'elle rallumait ravivait la lucidité et l'esprit d'initiative.

    C'est ainsi que le Zeph a joint par les ondes l'Ouvé qui se trouvait à Gruissan, en Occitanie, pour obtenir les caractéristiques techniques de la voile de rechange.

    Puis l'un des deux emplacements désirés s'est libéré, ce qui a beaucoup facilité la consultation des ateliers du complexe portuaire.

    Voici le Zeph, non plus au milieu du no man'water, mais à couple d'un bateau bleu qui effectuait un séjour prolongé entre le pont tournant et la Marina :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    La photo a été prise avant l'ascension de l'Aurore.

    Le cadrage mettait en valeur les lampadaires de la route qui reliait le pont tournant et la Marina. Sur ce trajet, toutes les lumières sphériques privilégiaient le jaune, sauf une. Cette dernière, qui était blanche, émanait de la Lune. Une Lune bien coquette, qui s'amusait à s'accrocher sur un hauban du Zeph.

    Si le Zeph était en voie de guérison, c'était grâce à l'énergie positive que l'Aurore lui a communiquée.

    L'Aurore utilisait sa coquetterie pour exprimer son empathie et sa bienveillance.

    L'art grec possède un exemple émouvant où l'Aurore manifestait une grande sensibilité devant un événement tragique.

    Une coupe à figures rouges montre l'Aurore recherchant le corps de son fils, qui vient d'être tué devant les murailles de Troie, dans un combat singulier avec Achille :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    La tête et les bras du guerrier tombent sans vie à droite.

    Le nom du mort est écrit dans l'espace courbe qui se situe devant le front. De la périphérie vers le centre, on trouve :

    MEMNΩN

    KAΛΙΑΔΕΣ

    ΕΠΟΙΕΣΕΝ

     

    En français :

    MEMNÔN

    KALIADES

    L'A FAIT

     

    La ligne supérieure (ou extérieure, d'après la configuration de la coupe) indique le nom du guerrier décédé. Il s'agit de Μέμνων – MEMNÔN.

    La ligne médiane précise l'identité du potier, qui est Καλιάδες – KAΛΙΑΔΕΣ.

    Le corps du défunt est délicatement soulevé par les bras maternels.

    La raideur du cadavre contraste avec la souplesse du geste bienveillant.

    L'identité de la mère est révélée par l'inscription au-dessus de la coiffe féminine.

    Contre le bord extérieur, on peut lire : HEOΣ – ΔΟΡΙΣ

    Puis, juste au-dessous, entre les deux têtes : ΕΓΡΑΦΣΕΝ

    Ce qui donne en français :

    L'AURORE – DOURIS

    L'A DESSINÉE

    La silhouette féminine est donc l'Aurore, frappée par le deuil.

    Après le nom de l’Aurore, le texte mentionne celui du peintre qui a décoré la coupe.

    Malgré le contexte tragique, l’Aurore ne délaisse pas sa coquetterie. Son corps est revêtu d'une élégante tunique, finement plissée, qui révèle avec sensualité la courbure du dos et les lignes des jambes. La coiffe, ornée de guirlandes, laisse s'échapper des cheveux égayés par des fleurs. Les ailes présentent des motifs variés, qui caractérisent chaque rangée de plumes. Celles-ci semblent animées par une légère ondulation.

    La coquetterie contribue à la dignité du geste de l'adieu et ne fait que rendre le drame encore plus poignant.

    La coupe, trouvée à Capua, dans le Sud de l'Italie, est conservée dans le Département des Antiquités grecques du Grand Louvre.

    L'Aurore ne s'est pas montrée insensible au sort funeste qui a frappé son fils Μέμνων – MEMNÔN. De la même façon, elle n'est pas restée insensible à la malchance qui s'est acharnée sur le Zeph.

    Grâce à la coquetterie de l'Aurore, le Zeph reprenait goût à la vie.

    Reconnaissant, il guettait, à chaque fin de nuit, l'émergence de l'Aurore aux « doigts de rose ». De sa nouvelle place, voici le spectacle qu'il pouvait admirer :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    Un voilier venait de franchir le pont tournant, qui s'était donc refermé pour montrer au-dessus de l'eau trois de ses lampadaires. À droite de la photo, c'était le continent, avec la silhouette de la forteresse médiévale, à la jonction avec le pont tournant. Dans le chenal qui passait entre le continent et l'île, les balises rouges et vertes avaient encore leurs feux allumés. La photo a été prise peu de temps après que le voilier avait dépassé la première paire de balises situées de ce côté méridional du pont.

    Les reflets des « doigts de rose » créaient un magnifique spectacle dans l'eau, mais aussi sur la terre, en se répandant sur la route qui allait du pont tournant à la Marina.

    Voici une vue de cette route, au niveau de la première balise rouge, côté Sud :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    À l'horizon se dessinaient les montagnes au-dessus desquelles l'Aurore avait exceptionnellement déployé son immense robe couleur de safran.

    Les mâts de la Marina profitaient de l'éclairage urbain pour se distinguer chacun de ses voisins tandis qu'au premier plan, une barque de pêche attendait d'être cajolée à son tour par l'Aurore aux « doigts de rose ».

    L'embarcation n'était pas seule à attendre les câlins de l'Aurore.

    Tout le groupe auquel appartenait la barque nourrissait le même espoir.

    Ce groupe avait une identité. Voici la carte de visite :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    On pouvait y lire :

    ΔΗΜΟΣ ΛΕΥΚΑΔΑΣ

    ΙΧΘΥΟΠΩΛΕΙΟ

    Το ιβάρι

     

    En français :

    MUNICIPALITÉ DE LEVKADA

    POISSONNERIE

    L'ivari

     

    L'inscription révélait qu'il était possible de s'y approvisionner en poisson frais.

    La dernière ligne indiquait le nom du lieu-dit.

    Voici une vue d'ensemble du lieu-dit :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    Depuis peu, les murs blancs des cabanons éclairés par les lampadaires de la route ont acquis une nouvelle nuance en s’empourprant légèrement. Le virage chromatique a débuté avec le cabanon qui était le plus près de la route, c'est-à-dire le plus à l'Est : c'était l'Aurore aux « doigts de rose » qui commençait sa visite des lieux.

    Le nouvel emplacement du Zeph a fait éclore des ballades qui étaient des hommages à la coquetterie de l'Aurore.

    Puis est venu le moment de quitter Λευκάδα – ΛΕΥΚΑΔΑ, que nous ne reverrions plus, avant longtemps.

    Pour la dernière ascension de l'Aurore, le Zeph a repris l'emplacement du premier jour, comme lorsqu'il arrivait tout droit de la Marina Aktio. Voici la scène de l'au revoir à l'Aurore aux « doigts de rose » :

     

    La coquetterie de l'Aurore

     

    À quoi reconnaît-on que c'est une photo de la dernière ascension et non de la première ?

    À la poupe, côté tribord, la nymphe des vents a changé, non pas de statut, mais d'état : la tempête dans l'archipel des Παξοί – ΠΑΞΟΙ l'avait fait passer de vie à trépas.

    En figeant le temps, la photo confond toutes les immobilités apparentes.

    La marque distinctive est à chercher au niveau de la proue, côté bâbord.

    Le dernier matin était consacré à la contemplation de l'Aurore, mais aussi au ravitaillement en eau douce. Les lecteurs qui ont pris connaissance de l'article « La route de l'eau », publié le 10/11/2020, reconnaîtront aisément le chariot bleu et les caissettes vertes.

    Ainsi la boucle est bouclée.

    La coquetterie de l'Aurore nous a enchantés. Mieux encore, elle nous a sortis du pétrin où Poséidon s'amusait à nous enfermer.

    Demain, ce sera la Saint-Valentin.

    Nous sommes confiants que l’Aurore aux « doigts de rose » introduira avec magnificence cette fête des amoureux, pour notre plus grande satisfaction, à nous tous.

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