• La première fonction de la proue est d’indiquer le sens de la progression du navire.

    Cette fonction doit être effectuée sans ambiguïté. L’efficacité technique attendue n’exclut pas la coquetterie d’une présence qui participe au dévoilement de l’âme du bateau.

    Dans l’Antiquité, l’ornement prévoyait un œil à tribord et un autre à bâbord, dans la position stratégique du veilleur. Voici une illustration de cette conception de la prudence :

     

    La coquetterie de la proue

     

    La sculpture de bronze se trouvait à l’entrée de Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ, quand on venait du Nord-Ouest.

    L’œil était l’organe de la lucidité et de la vigilance. C’était l’ornement de l’intelligence visuelle. Il était saillant pour exprimer la densité du regard.

    À la Marina Aktio, là où le Zeph avait passé le précédent hiver, l’un de ses proches voisins avait le privilège de porter l’œil antique. La coquetterie se voyait dans la stylisation, qui évoquait l’esthétique égyptienne. Voici ce regard qui rappelait l’univers des pharaons :

     

    La coquetterie de la proue

     

    Le profil hiératique induisait une parenté avec les hiéroglyphes et la couleur ocre brun faisait penser à la teinte des parois rocheuses dans la Vallée des Rois.

    À quel voilier appartenait cet œil configuré à l’égyptienne ?

    AEOLUS était le nom du voilier.

     

    La coquetterie de la proue

     

    Les lettres étaient aussi écrites avec la couleur de la roche dans le désert.

    Le nom du bateau était emprunté à celui du dieu grec qui commandait les vents.

    Nous étions donc en présence d’un spécimen qui revendiquait sa filiation avec l’Égypte hellénisée par le plus illustre des Macédoniens, Alexandre dit le Grand.

    Dans le panthéon grec, le nom du maître des vents s’écrivait Αίολος – ΑΙΟΛΟΣ. Sur le voilier qui possédait l’œil égyptien, la dernière voyelle, qui aurait dû être un « o », est devenue un « u ». Autrement dit, c’était l’écriture romanisée qui a été privilégiée. Or l’Égypte hellénistique, qui commençait à subir l’influence de Rome, c’était l’Égypte de Cléopâtre, qui recevait Jules César, puis Marc-Antoine ! L’œil égyptien qui observait le Zeph avait donc un pedigree qui remontait jusqu’à l’époque de la célèbre Reine d’Égypte.

    Malgré son aura, le prestigieux AEOLUS s’est montré très aimable et très serviable à l’égard du Zeph.

    L’œil égyptien nous a vus nettoyer le pont en teck de manière laborieuse. Ému, il nous a conseillé un procédé à la fois plus doux et plus efficace, qui faisait appel aux propriétés du chlore. Notre tâche s’en trouvait considérablement allégée.

    La perception visuelle n’était qu’un avantage physique et technique. Elle ne renfermait en elle-même ni la motivation, ni la finalité. Ce qui motivait le coup d’œil du noble AEOLUS, c’était son ouverture au monde, qui bannissait toute attitude égocentrée. Ce qui en constituait l’aboutissement, c’était l’entraide, par le biais du savoir partagé.

    En l’occurrence, l’ornement antique de la proue servait l’empathie et la coquetterie avait pour mission d’avantager l’éthique.

    À la Marina Aktio, les voiliers amoureux de l’œil antique rivalisaient d’imagination pour le parer du plus bel attrait. Voici une esthétique qui évoquait l’univers des courbes minoennes :

     

    La coquetterie de la proue

     

    À chaque coin de l’œil, la coquetterie crétoise faisait éclore des boucles, des volutes, des guirlandes, qui avaient contribué à la splendeur des fresques de Knossos.

     

    La coquetterie de la proue

     

    Le foisonnement des lignes incurvées ou enroulées créait un espace ondulant, qui jouait avec les vibrations chromatiques de l’astre solaire.

    L’œil antique, magnifié par la mode crétoise, était ivre de l’or du soleil couchant.

    La coquetterie de la proue servait de miroir à la beauté du cosmos.

    L’art grec sait créer le suspense en faisant deviner le tout à partir d’une partie.

    La coquetterie peut exceller grâce au principe de la litote, comme cela a été le cas à Πύλος – ΠΥΛΟΣ.

    Le mardi 08/9/2020, jour où le mécanicien devait revenir pour réparer le moteur du Zeph, un bateau est entré dans le port avec une proue ornée de chaque côté par quatre ondulations bleues :

     

    La coquetterie de la proue

     

    Non, il ne s’agissait pas de quatre vagues superposées.

    L’élégance du trait allongé, la délicatesse de la courbure et l’harmonie de l’ensemble étaient celles des palmettes qui ornaient le sommet des édifices de l’Antiquité.

    De chaque côté de la proue, était dessinée la moitié d’une palmette, pour évoquer l’œil antique, dont on verrait surtout la paupière.

    La première trouvaille de la coquetterie était d’utiliser un motif végétal pour représenter un détail anatomique.

    La deuxième trouvaille était de basculer l’axe vertical de la palmette de 90° pour s’accorder avec le profil des flots.

    La troisième trouvaille consistait à créer un chemin onirique dans la perception de l’observateur, qui était invité à recréer la totalité à partir d’une représentation partielle.

    Un œil dont on voit surtout la paupière est un œil mi-clos. Ou mi-ouvert.

    La semi-fermeture correspondrait à une obstruction de l’information. En effet, le Capitaine était sans nouvelle du mécanicien qui avait promis de revenir ce mardi-là.

    Tard dans la soirée, nous avons reçu un mail expédié d’une maternité à Athènes, où le mécanicien avait dû se rendre en urgence parce que sa femme accouchait avant terme.

    C’était l’œil mi-ouvert, qui laissait entrevoir le nouveau rendez-vous avec le mécanicien, vers la fin de la semaine.

    Comment s’appelait celui qui faisait circuler l’information dans l’Olympe ? Hermès.

    Justement, le bateau dont la proue était ornée de paupières bleues s’appelait « Hermès » !

    Le voici, le lendemain de la réception du mail :

     

    La coquetterie de la proue

     

    Le départ était imminent.

    Une fois le message délivré, Hermès quittait les lieux.

    Le marin posté à l’avant portait une paire de lunettes qui reflétaient l’azur du ciel au petit matin. En effet, le port se trouvait encore dans l’ombre de la falaise qui le surplombait.

    Chaque verre coloré était comme la prunelle de la paupière située juste au-dessous.

    L’œil antique retrouvait l’intégralité de ses composantes.

    « Hermès », qui s’était présenté au port pour nous signifier que nous ne serions pas sans nouvelles du mécanicien, s’en allait accomplir sa médiation ailleurs.

    La coquetterie de la proue peut être un présage. C’est au Zeph d’en capter la pertinence.

    Par rapport à l’ornement à Πύλος – ΠΥΛΟΣ, l’œil antique peut aussi se métamorphoser dans la direction opposée, c’est-à-dire en donnant à voir exclusivement la prunelle. C’est ce qui se passait à la Marina Aktio :

     

    La coquetterie de la proue

     

    Les Anciens y voyaient Hélios exultant de joie.

    Les Modernes y verraient la teinte favorite de Van Gogh et son coup de pinceau énergique.

    La coque se trouvait près de la clôture, au-delà de laquelle s’étendaient les flots bleus du Golfe Ambracique.

    Voici comment le marin a appelé son bateau :

     

    La coquetterie de la proue

     

    « Soléy », un nom solaire, pour une présence qui illuminait et réjouissait.

    La coquetterie peut aussi rendre plaisant et attractif un discours sur un sujet sérieux.

    Le succès d’une activité économique en lien avec la mer est une affaire sérieuse. En faire une présentation émaillée de coquetteries, c’est s’attirer les faveurs de la bonne fortune. Πόρος – ΠΟΡΟΣ nous en a fourni un exemple :

     

    La coquetterie de la proue

     

    La proue, qui s’ornait d’un joli beaupré, exhibait de part et d’autre de celui-ci le profil gracieux de deux mouettes en vol.

    Le bateau avait pour nom Δύο Aδελφοί (en français : [Les] Deux Frères).

    Il s’agirait donc d’une entreprise familiale, où la coopération entre les deux contributeurs existerait grâce au lien de la fraternité.

    L’image des deux mouettes symétriques évoquerait l’équilibre physique du bateau malgré les intempéries, l’équilibre budgétaire malgré les menaces de récession, l’équilibre affectif pour ne pas polluer l’amour fraternel par la crise environnementale et sanitaire.

    Du sommet du beaupré jusqu’à la base de la coque, était tendu un cordage, qui matérialisait l’exigence de l’équilibre. Cette ligne oblique offrait une autre coquetterie :

     

    La coquetterie de la proue

     

    Un poisson était suspendu, tête en bas, entre le filet et la ligne oblique.

    C’était le poisson qui permettait au pêcheur de vivre et au rivage de prospérer.

     

    La coquetterie de la proue

     

    Le poisson, qui se trouvait dans le plan de symétrie du bateau, indiquait que le bénéfice serait distribué à parts égales entre les deux frères. L’ornement de la proue préconisait une gestion équitable.

    La coquetterie a son mot à dire, même dans un contexte sérieux.

    Même dans un contexte extrêmement grave ?

    À l’heure de l’urgence ou du péril, la coquetterie a-t-elle encore droit de cité ? Elle sera sans doute contrainte à adopter une expression moins chatoyante, mais elle subsistera, pour nous permettre de prendre du recul et de préserver notre lucidité.

    Voici le Zeph au mouillage, dans l’archipel des Παξοί – ΠΑΞΟΙ :

     

    La coquetterie de la proue

     

    Une tempête était annoncée pour les heures suivantes. Vite, nous avons levé l’ancre pour échapper au chaos du mouillage. L’ancre a ramené la boue et des herbes sous-marines. Le vent qui commençait à forcir faisait voler les rubans de chlorophylle tels des oriflammes. Certes ce n’était pas le moment de s’adonner à la poésie. Mais cette coquetterie improvisée était providentielle : elle permettait de ne pas céder à l’affolement.

    Il y a le péril de jour et le péril à la tombée de la nuit. La coquetterie de la proue est toujours consciente de son rôle éclairant. Voici le Zeph à son entrée à Πόρος – ΠΟΡΟΣ :

     

    La coquetterie de la proue

     

    L’heure était tardive. Il y a eu achoppement au quai municipal. Nous étions contraints de trouver refuge ailleurs. Dans cette quête de la sécurité et de la tranquillité, la proue s’est illuminée avec les feux de garde. Coquetterie toute naturelle, qui favorisait le retour à la confiance.

    L’œil antique n’était pas oisif.

    La coquetterie de la proue ne traduisait pas une futilité.

    La coquetterie, en représentation ou en potentialité, était indispensable à l’accomplissement de la mission stratégique confiée à la proue.

    Au temps de la bataille de Salamine, l’œil de la trirème grecque avait un rôle militaire. Il servait à défier l’ennemi, qui était perse.

    Pour le retour du Zeph dans les flots égéens, l’œil antique transmettait des augures qui manifestaient la clémence des divinités. Il appartenait au Zeph d’être vigilant pour reconnaître les messages olympiens et d’en tirer profit.

    Le Zeph souhaite à ses amis une saison 2021 avec une proue ensoleillée.

     

    La coquetterie de la proue

     

    Mieux encore : avec une proue solaire. Non pas une proue qui reçoit et convertit l’énergie des photons. Mais une proue qui est elle-même source d’un rayonnement destiné à stimuler l’intelligence créatrice, à la manière d’un certain Louis XIV qui était un personnage solaire et qui avait illuminé le Grand Siècle.

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