• Dans la Grèce antique, l’habit du guerrier, c’est son armure.

    À Sparte, la pièce maîtresse de cette armure est le bouclier.

    S’il y a un raffinement dans la tenue guerrière, il serait à chercher au niveau du bouclier.

    Voici une statue du roi Λεωνίδας – ΛΕΩΝΙΔΑΣ, à Sparte. Elle se trouve à l’endroit où l’un des axes majeurs de la ville, la rue Κωνσταντίνου Παλαιολόγου, rejoint le Stade moderne.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    Le bas de la tunique est décoré par une frise qui alterne des motifs triangulaires et des motifs circulaires. Le sommet du triangle pourrait faire penser à la silhouette de la première lettre du nom royal, qui est la lettre Λ.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    Certes, la frise est belle par sa régularité. Mais juste à côté, sous l’ombre du bouclier, la richesse ornementale est stupéfiante.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    L’attache qui rend l’avant-bras gauche solidaire de la face concave du bouclier bénéficie d’un traitement artistique fabuleux.

    Le raffinement est dans le choix extrêmement pertinent des motifs ornementaux et dans la grande minutie de l’exécution.

    Chaque extrémité de l’attache est un trapèze qui contient un face à face de deux fauves de même famille. Voilà qui rend la fixation inattaquable.

    Pour des raisons de symétrie, le centre de l’attache se situe sur l’avant-bras même, près du repli du coude. Ce centre est le siège d’une magnifique floraison, qui fait apparaître douze pétales. Il s’y trouve quatre pièces majeures, d’extrémités pointues. Et entre deux grands pétales, vient se blottir une paire d’éléments plus petits, plus courts et d’extrémités arrondies.

    Le raffinement est dans la variation des formes pour imprimer un rythme binaire. Serait-ce le battement du cœur que l’on récupère ainsi au bout du bras ?

    La marguerite, élégante et persuasive, ne peut être que la fleur de la victoire. La victoire qui assure la continuité de la vie.

    Car avant de partir au combat, le guerrier a entendu sa mère lui dire, au moment des adieux :

    Ἢ τὰν ἢ ἐπὶ τᾶς

    Littéralement : « Ou avec lui ou sur lui »

    La devise maternelle signifiait :

    « Fils, ou bien tu reviens avec ton bouclier, victorieux, ou bien tu reviens, déposé sur ton bouclier, comme dépouille mortelle ! »

    Dans les mots d’adieux de la mère, le bouclier joue un rôle primordial.

    C’est pourquoi l’attache qui rend l’avant-bras gauche solidaire de la face concave du bouclier symbolise l’enjeu de la victoire. À cet endroit extrêmement important, l’art se doit d’être cohérent avec l’ambition militaire. L’esthétique raffinée qui s’y développe est une manière de constituer un augure favorable.

    La face extérieure du bouclier, celle qui est convexe, montre une tête de Gorgone. Cette tête est censée semer l’effroi dans le camp adverse.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    L’ennemi peut reconnaître de très loin la tête effrayante, et sans doute trembler à cause de la vision.

    Mais sur le champ de bataille, quel adversaire aurait le temps de voir les deux paires de fauves et la marguerite à douze pétales dissimulées sous le bouclier ?

    Le fracas des armes ne laisserait guère le temps à l’ennemi de découvrir, et encore moins de contempler, cette subtile iconographie.

    L’ornement raffiné de l’articulation entre le corps et le bouclier ne concerne donc que celui qui le porte. Le raffinement sert à renforcer le courage : on reconnaît l’impact du beau ( κάλλος – ΚΑΛΛΟΣ ) sur la force mentale ( σθένος – ΣΘΕΝΟΣ ) et on retrouve le principe de la callisthénie, qui a présidé aux soins cosmétiques auxquels se sont adonnés les Spartiates la veille de la bataille des Thermopyles.

    Le raffinement de l’équipement vestimentaire dévoilé sur la statue du roi Λεωνίδας – ΛΕΩΝΙΔΑΣ, à Sparte, est donc en lien avec la mort.

    La mort peut être biologique ou morale.

    La manifestation du raffinement est-elle encore là quand il s’agit de mort sur le plan symbolique ?

    La mort au sens spirituel, dont il est question ici, se traduit par une disparition dans un pays lointain, une dilapidation de l’héritage paternel et un naufrage dans la débauche. Viennent alors les souffrances de la misère et les affres de la faim. L’homme malheureux se met à lorgner les caroubes qui servent à nourrir des cochons, mais n’obtient rien.

    Avec un réalisme saisissant, le lyonnais Puvis de Chavannes peint la solitude de la misère en pareille circonstance.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    Quelle triste compagnie que celle des membres de la famille porcine !

    Solitude de la misère, qui est aussi la misère de la solitude. Car aucun humain ne vient au secours du malheureux.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    La silhouette humaine est recroquevillée sur elle-même.

    Que va-t-il advenir d’un tel dénuement ?

    Un jour, se produit un sursaut de sa conscience. Il réalise l’erreur qu’il a commise et s’écrie :

    Πάτερ ἥμαρτον εἰς τὸν οὐρανὸν καὶ ἐνώπιόν σου

    TO KATA ΛΟΥKAN ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ιε’. Στίχος ιη’

     

    Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi.

    Bonne Nouvelle selon Luc. Chapitre 15. Verset 18

     

    Vite, il s’en va demander pardon à son père.

    De façon bouleversante, le texte grec décrit la réaction paternelle. En effet, on peut lire au verset 20 :

    20 καὶ ἀναστὰς ἦλθεν πρὸς τὸν πατέρα ἑαυτοῦ ἔτι δὲ αὐτοῦ μακρὰν ἀπέχοντος εἶδεν αὐτὸν ὁ πατὴρ αὐτοῦ καὶ ἐσπλαγχνίσθη καὶ δραμὼν ἐπέπεσεν ἐπὶ τὸν τράχηλον αὐτοῦ καὶ κατεφίλησεν αὐτόν

    TO KATA ΛΟΥKAN ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ιε’. Στίχος κ’

     

    20 Il se leva donc et il alla vers son père. Tandis qu’il était encore à une bonne distance, son père l’aperçut et fut pris de pitié, et ayant couru il tomba à son cou et l’embrassa tendrement.

    Bonne Nouvelle selon Luc. Chapitre 15. Verset 20

     

    Un verbe pour indiquer la vive émotion du père : ἐσπλαγχνίσθη – être pris de pitié.

    Et trois autres verbes pour mentionner les trois gestes immédiats déclenchés par cette vive émotion : δραμὼν – courir , puis ἐπέπεσεν – tomber et finalement κατεφίλησεν – embrasser tendrement.

    Voilà pour les tous premiers gestes paternels. Après les gestes, suivent les mots qui expliquent les gestes. Voici les tous premiers mots prononcés par le père devant sa maisonnée :

    22 Ταχὺ ἐξενέγκατε στολὴν τὴν πρώτην καὶ ἐνδύσατε αὐτόν καὶ δότε δακτύλιον εἰς τὴν χεῖρα αὐτοῦ καὶ ὑποδήματα εἰς τοὺς πόδας

    TO KATA ΛΟΥKAN ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ιε’. Στίχος κβ’

     

    22 Vite, apportez une longue robe, la meilleure, et revêtez-l’en, et mettez un anneau à sa main et des sandales à ses pieds.

    Bonne Nouvelle selon Luc. Chapitre 15. Verset 22

     

    Les tous premiers mots officiels concernent l’habit de fête.

    C’est une robe plus raffinée que celle de tous les jours. Plus raffinée dans le coloris, dans la décoration, mais aussi au toucher. Une robe parfumée, qui sent bon. Car le raffinement est aussi olfactif et non seulement visuel ou tactile.

    Mais qu’est-ce qui a remis le fils sur le chemin du domicile paternel ? La morsure du froid ou le tourment de la faim ?

    C’est la privation de nourriture qui est à l’origine du repentir. Le père sait que le fils n’a pas mangé à sa faim. C’est pourquoi un festin est en route pour fêter le retour du fils jadis prodigue. Mais, chronologiquement, l’habit qui exprime la miséricorde doit précéder la nourriture périssable. Le second degré a la préséance sur le premier degré.

    Le sévillan Bartolomé Esteban Murillo illustre avec talent le texte grec : on voit les guenilles qui attendent d’être remplacées par l’habit de la miséricorde, les pieds sales et fourbus qui vont trouver le confort grâce à de nouvelles sandales.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    Le tableau se trouve au National Gallery of Art, à Washington.

    Le toscan Pompeo Girolamo Batoni préfère montrer les larmes versées par le fils touché par l’accueil paternel.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    Après avoir donné l’ordre de préparer la table, le père conclut son discours avec ces mots chargés de sens :

    24 ὅτι οὗτος ὁ υἱός μου νεκρὸς ἦν καὶ ἀνέζησεν ἦν ἀπολωλὼς καὶ εὑρέθη

    TO KATA ΛΟΥKAN ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ιε’. Στίχος κδ’

     

    24 parce que mon fils que voilà était mort et il a repris vie ; il était perdu et il est retrouvé.

    Bonne Nouvelle selon Luc. Chapitre 15. Verset 24

     

    Le verset parle expressément de la mort et du retour à la vie, c’est-à-dire de la victoire sur la mort.

    Le père n’a pas voulu accueillir son fils avec n’importe quel habit. Il a voulu que ce soit avec l’habit le plus raffiné, car ce raffinement optimal devait accompagner une résurrection et célébrer la miséricorde.

    Le conteur de cette histoire était un enseignant né à Nazareth. Lui-même a accompli le geste qui permet à toute l’humanité de bénéficier de la miséricorde du Très-Haut.

    Les Écritures grecques relatent que la question de l’habit surgit au pied du poteau de supplice, peu de temps avant que le condamné à mort ne rende le dernier soupir.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    Voici les versets qui décrivent la controverse soulevée par la tenue vestimentaire du supplicié :

    23 οἱ οὖν στρατιῶται ὅτε ἐσταύρωσαν τὸν Ἰησοῦν ἔλαβον τὰ ἱμάτια αὐτοῦ καὶ ἐποίησαν τέσσαρα μέρη ἑκάστῳ στρατιώτῃ μέρος καὶ τὸν χιτῶνα ἦν δὲ ὁ χιτὼν ἄραφος ἐκ τῶν ἄνωθεν ὑφαντὸς δι᾽ ὅλου

    24 εἶπαν οὖν πρὸς ἀλλήλους μὴ σχίσωμεν αὐτόν ἀλλὰ λάχωμεν περὶ αὐτοῦ τίνος ἔσται ἵνα ἡ γραφὴ πληρωθῇ ἡ λέγουσα διεμερίσαντο τὰ ἱμάτιά μου ἑαυτοῖς καὶ ἐπὶ τὸν ἱματισμόν μου ἔβαλον κλῆρον οἱ μὲν οὖν στρατιῶται ταῦτα ἐποίησαν

    TO KATA ΙΩΑΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ιθ’. Στίχοι κγ’ – κδ’

     

    23 Or, quand les soldats eurent attaché Jésus sur un poteau, ils prirent ses vêtements de dessus et firent quatre parts, une part pour chaque soldat, et le vêtement intérieur. Mais le vêtement intérieur était sans couture, tissé depuis le haut dans toute sa longueur.

    24 Ils se dirent donc les uns aux autres : “ Ne le déchirons pas, mais pour [ce vêtement] désignons par les sorts celui à qui il sera. ” C’était pour que s’accomplisse [la parole de] l’Écriture : “ Ils se sont partagé mes vêtements de dessus, et sur mes habits ils jettent les sorts. ” Et ainsi les soldats firent vraiment ces choses.

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 19. Versets 23 – 24

     

    Le raffinement de l'habit

     

    L’habit qui pose problème aux soldats romains est celui qui est le plus près de la chair du Nazaréen. Ceci veut dire que l’enjeu se trouve au niveau le plus intime.

    L’étoffe est d’une seule pièce. C’est l’évocation de l’intégrité. Une intégrité morale qui concerne tout l’être, même ses pensées les plus secrètes et les motivations les plus profondes.

    Le texte grec insiste sur le fait que l’absence de couture se voit de haut en bas. Autrement dit, l’intégrité caractérise toute la lignée. Le patrimoine n’est pas constitué par des possessions matérielles, mais par des valeurs spirituelles.

    Avec ou sans couture, si l’étoffe avait été de piètre qualité, les soldats romains n’auraient eu aucun scrupule pour la morceler, comme ils l’ont fait pour le vêtement de dessus. Le fait que la tunique de dessous a échappé au morcellement signifie que le textile était doté d’un raffinement inhabituel.

    Comme pour le bouclier du Spartiate, le raffinement de l’habit du Nazaréen échappe au regard qui se contente d’effleurer en surface.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    Le Nazaréen savait que sa mort violente porterait un coup dur au moral de ses disciples. C’est pourquoi il n’a cessé de les réconforter au fur et à mesure qu’approchait l’échéance du supplice sur le Golgotha.

    La scène de la transfiguration faisait partie de la pédagogie destinée à fortifier leur foi, en vue de l’épreuve inéluctable de la mort terrestre, qui n’épargnerait même pas le Messie.

    Voici un récit de l’épisode de la transfiguration :

    2 καὶ μετὰ ἡμέρας ἓξ παραλαμβάνει ὁ Ἰησοῦς τὸν Πέτρον καὶ τὸν Ἰάκωβον καὶ τὸν Ἰωάννην καὶ ἀναφέρει αὐτοὺς εἰς ὄρος ὑψηλὸν κατ᾽ ἰδίαν μόνους καὶ μετεμορφώθη ἔμπροσθεν αὐτῶν

    3 καὶ τὰ ἱμάτια αὐτοῦ ἐγένετο στίλβοντα λευκὰ λίαν οἷα γναφεὺς ἐπὶ τῆς γῆς οὐ δύναται οὕτως λευκᾶναι

    TO KATA ΜΑΡΚΟΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. θ’. Στίχοι β’ – γ’

     

    2 Six jours plus tard, donc, Jésus prit avec lui Pierre et Jacques et Jean, et il les emmena dans une haute montagne, à part, seuls. Et il fut transfiguré devant eux,

    3 et ses vêtements de dessus devinrent étincelants, très blancs, tellement qu’aucun nettoyeur de vêtements sur terre ne pourrait les blanchir ainsi.

    Bonne Nouvelle selon Marc. Chapitre 9. Versets 2 – 3

     

    L’importance de l’habit est incontestable dans cette manifestation de la gloire.

    Le raffinement réside dans la périphrase qui spécifie que l’éclat de la blancheur n’est réalisable par aucun procédé de lavage et de blanchissage de l’époque.

    Comment l’artiste va-t-il illustrer cette périphrase dans la matérialité de l’icône ?

    Une solution astucieuse est proposée sur l’iconostase de l’église byzantine qui se trouve dans la citadelle de Πύλος – ΠΥΛΟΣ.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    Quand on est face à l’iconostase, on dirige le regard vers l’Est, c’est-à-dire vers Jérusalem. Sur le côté Nord du panneau, on peut reconnaître l’effigie de Marie. Et un peu plus au Nord encore, il y a la scène de la transfiguration.

    Au registre inférieur, se trouvent les trois apôtres mentionnés au verset 2 : Pierre, Jacques et Jean. Ils portent des vêtements habituels.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    Au registre supérieur, c’est l’illustration du verset 3. L’éclat de l’argent est utilisé pour évoquer la gloire céleste.

     

    Le raffinement de l'habit

     

    Le personnage central est le Nazaréen. Sur la gauche du tableau, apparaît Moïse. Et sur la droite, c’est Élie. L’œuvre de Moïse et celle d’Élie annonçaient le ministère du Nazaréen. C’est pourquoi les vêtements des deux précurseurs jouissent du même éclat.

    Au-dessus de l’oreille droite du Nazaréen, on trouve l’inscription Ἡ ΜΕΤΑΜΟΡΦΩΣΙΣ, qui signifie littéralement « la métamorphose ».

    La transfiguration est donc une métamorphose du Nazaréen en Christ triomphant. Mais de quoi triomphera-t-il ? De la mort qui règne sur l’humanité.

    Il n’y a pas de raffinement plus grand pour un habit que de resplendir avec autant de pureté.

    En la circonstance, le raffinement n’est pas que visuel et physique. Il est surtout d’ordre moral, car il prépare les disciples à affronter le traumatisme causé par le geste sacrificiel du Nazaréen.

    Dans l’Antiquité, le raffinement de l’habit n’était pas une chose frivole ou vaine.

    Il était porteur d’un message, qui était en lien étroit avec le projet de vie.

    Les jours fastes de Πύλος – ΠΥΛΟΣ nous ont permis d’explorer l’arrière-pays et nous ont offert le privilège de contempler, à Sparte même, l’effigie de son célèbre roi Λεωνίδας – ΛΕΩΝΙΔΑΣ. Ici, le raffinement de l’habit du guerrier sert à conjurer la menace de la mort.

    C’est encore à Πύλος – ΠΥΛΟΣ, dans l’enceinte de la citadelle médiévale, que nous avons vu l’autre finalité du raffinement de l’habit. Sur l’iconostase de l’église byzantine, les vêtements d’argent évoquent, par leur pureté et leur éclat, la victoire définitive sur la mort.

    Le Zeph est très heureux que le καιρός – ΚΑΙΡΟΣ donne du sens à chaque escale de la navigation.

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