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Par zéphyros2 le 18 Avril 2024 à 09:59
Matériellement, pour être posé sur la mer, le balcon devait rompre ses attaches avec la terre ferme. Cette rupture physique n'était pas sans conséquence sur le plan affectif.
Depuis notre retour sur le chantier, nos deux amies, Κανέλα et Fleur-de-sel, qui appartenaient à la famille des félins, nous avaient offert une merveilleuse compagnie. À présent c'était l'heure d'assister à une rupture, temporaire – nous l'espérons, de ces sublimes liens d'amitié. Mais même temporaire, la rupture était très douloureuse pour tous.
Voici Fleur-de-sel qui est venue dire au revoir au Zeph avant que celui-ci ne lui soit enlevé, par la voie des airs :
Pour l'instant, Fleur-de-sel faisait encore preuve de stoïcisme. Mais plus tard, dans la soirée, le Capitaine a vu Fleur-de-sel errer au milieu des échafaudages chamboulés et faire des câlins aux tiges métalliques qui avaient soutenu l'attrayante silhouette du Zeph.
Le chemin de la mer passait par les airs parce que l'itinéraire habituel était entravé par un énorme bateau qui n'en finissait pas de faire sa toilette.
La méthode inhabituelle a mobilisé toutes les énergies existantes.
D'abord, il y a eu les trois ouvriers du chantier. Les voici en train de passer des objets de l'autre côté du grillage pour stabiliser la grue :
Celui qui s'occupait du tonneau bleu était Fiaz, le plus ancien des trois. Toujours au premier plan, mais sur la gauche, c'était Ahmed, qui se destinait aux travaux de revêtement. Entre Fiaz et Ahmed, à l'arrière-plan, c'était Mario, avec une casquette blanche. Mario, qui venait d'être embauché, était doué en tout. Tous les trois, Fiaz, Ahmed et Mario, étaient originaires du Pakistan.
Sur la droite de la photo, vers le haut, on aperçoit la grue qui devait soulever le Zeph de son ber, puis le faire passer au-dessus du grillage et finalement le déposer dans la rue qui ceinturait le chantier.
Après les préparatifs de la grue, ont eu lieu ceux du Zeph :
La photo montre la mise en place des sangles plates qui devaient se plaquer contre le ventre du Zeph. L'homme au tee-shirt noir, qui les amenait de bâbord à tribord, était Διονύσης, le chef du chantier, c'est-à-dire le maître des lieux. L'homme au tee-shirt vert, qui aidait au déroulement des sangles, était Στέλιος, notre voisin à tribord, dont le bateau était caché par la bâche bleue.
En suivant les sangles dans leur montée, on arrivait sur le pont du Zeph :
On retrouvait notre voisin Στέλιος au niveau de la bôme, toujours avec une sangle, tandis que le Capitaine cherchait à accrocher une autre sangle à l'énorme crochet de la grue.
Les suspensions ont été méticuleusement vérifiées, ce qui n'a pas été sans difficulté.
Puis le Zeph a commencé à s'affranchir de son ber.
Un premier obstacle s'est présenté à bâbord, au moment où la poupe du Zeph s'apprêtait à passer au-dessus du grillage : le portique des panneaux solaires heurtait un arbre.
C'était le Capitaine qui a donné l'alerte.
Immédiatement, le chef du chantier a demandé que les branches qui gênaient soient coupées. C'était Mario, le nouveau, qui a fait l'escalade et qui a scié ce qu'il fallait. Voici la photo de cet élagage :
Puis un autre obstacle a surgi à tribord : le flanc droit était menacé par un lampadaire du chantier. Sans aucune hésitation, le maître des lieux a donné l'ordre de coucher le lampadaire, quitte à malmener les branchements électriques. Sur la photo suivante, on voit le Capitaine qui s'empressait de coucher le lampadaire qui gênait :
La base du lampadaire était tenue par un Grec qui portait un tee-shirt blanc. Ce Grec était la toute première personne venue à bord pour donner un pronostic sur les varangues, juste après le heurt avec le caillou de l'ensorcellement.
Voici le Zeph qui venait de sortir de l'enceinte du chantier naval :
Vite, le Capitaine est passé par-dessus le grillage pour rejoindre le Zeph :
Le chemin vers la mer était désormais libre :
Sur la photo, la mer se trouvait à droite.
Mais dans l'immédiat, le balcon posé sur la mer ne pouvait venir à l'existence car les mises à l'eau avaient lieu seulement le matin.
Le Zeph se préparait donc à passer sa dernière nuit sur la terre ferme :
Il repassait par la porte qui avait vu son effarement un an auparavant.
Mais cette fois-ci, la confiance et l'optimisme étaient revenus :
Au cours de cette veillée d'armes, la nourriture terrestre avait toute son importance.
Une omelette au brocoli et à l'aubergine a ravi nos papilles :
Nous avons mangé comme si nous étions au mouillage.
Puis le jour nouveau est venu.
Voici le Zeph prêt à franchir définitivement le portail grand ouvert du chantier pour retrouver les flots égéens :
Sur la photo, à l'arrière du Zeph, on voit dans la mer une bouée rouge. C'était la bouée de la détresse, à laquelle s’était agrippé le Zeph, qui craignait à ce moment-là de perdre sa quille d’un moment à l’autre.
Après avoir donné des instructions pour la vérification de l’efficacité des travaux et avant de monter dans son tracteur, le chef du chantier nous a envoyé un bisou avec sa main droite qui partait de sa bouche. C’était pour dire « με αγάπη μου ». En français : « avec mon amour ». C’était le geste d’une belle amitié qui était née à l’époque où le Grec nous avait autorisés à camper sous un catamaran de son chantier.
Avec son traîneau, le Grec nous a poussés progressivement dans la mer. Nous avons reçu l’ordre de ne pas dévier ni à droite, ni à gauche dans cette phase transitoire.
En raison de la configuration du Zeph, c’était d’abord la poupe qui entrait dans l’eau :
Sur la photo, à gauche apparaissait la gaffe en bois, qui servait dans les manœuvres d’approche. On peut aussi reconnaître l’hélice du moteur de l’annexe, dont le haut était encapuchonné.
À son tour, le museau du Zeph est entré dans l’eau :
Plusieurs salves de klaxon en provenance du tracteur ont salué la naissance du balcon posé sur la mer, à Χαλκούτσι (transcription : Khalkoutsi).
Né d'une condition amphibie, le balcon posé sur la mer à Χαλκούτσι était la convergence d'une multitude de bonnes volontés. Il a emporté avec lui ce que la terre nourricière avait de plus beau et de plus précieux : l'affection.
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