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Par zéphyros2 le 20 Avril 2024 à 18:43
La précision du langage recommanderait d’enrichir le groupe verbal représenté par le participe passé « posé » en adjoignant à celui-ci un adverbe, qui dirait de quelle manière le balcon est posé sur la mer. Car il existe des balcons sur la mer, avec un panorama en direction de la mer, mais sans contact direct avec l’élément aqueux. Dans notre cas, il n’y a aucun intermédiaire entre le plancher du balcon et la mer. Il s’agit donc d’un balcon posé « directement » sur la mer.
Nous voilà donc très heureux de prendre possession de notre nouveau balcon posé directement sur la mer :
Voilà la précision qui dit la modalité par rapport au facteur spatial.
Qu’en est-il du facteur temporel ?
Le titre de l’article donne une indication à ce sujet : la durée de ce balcon correspondait au trajet entre Χαλκούτσι (transcription : Khalkoutsi), qui était la position géographique de la clinique où le Zeph avait eu sa chirurgie, et Χαλκίδα (transcription : Khalkida), qui était le terminus de l’examen probatoire par rapport à la flottabilité et à la mobilité autonome.
Une douzaine de miles nautiques séparait les deux lieux. Donc l’examen probatoire aurait une durée d’environ trois heures.
Διονύσης (transcription : Dionisis), le chef de la clinique de Χαλκούτσι attendait avec impatience les rapports que le Capitaine lui ferait parvenir par la voie des ondes.
Première constatation positive : aucune trace d’eau, ni dans les cales, ni dans le puisard.
À plusieurs reprises, le Capitaine vérifiait la réalité de cette étanchéité. À chaque fois, ce que l’œil voyait donnait satisfaction.
Quant à la quille, elle continuait à rester solidaire de la coque.
Nous étions rassurés.
Et le Capitaine a voulu rassurer le chef de la clinique de Χαλκούτσι.
Au téléphone, le premier disait au second que tout allait bien.
Voici une photo de cet échange téléphonique, qui a eu lieu à 8h04, c’est-à-dire 92 minutes après les coups de klaxon qui avaient salué l’entrée du Zeph dans la mer :
Nous étions à ce moment-là à mi-parcours de la route probatoire. La première moitié s’est très bien déroulée. Il était permis de penser qu’il en serait de même pour la seconde partie.
Un sentiment soudain de libération s’est emparé du Capitaine. Mû par une immense gratitude, il a dit au chef de la clinique : « I love you ! »
Et le Grec de répondre immédiatement : « Me too ! »
« I love you ! » : une telle parole ne pouvait pas être anodine. Non seulement c’était l’état conscient qui s’exprimait ainsi, mais l’inconscient y a aussi ajouté sa voix, avec le même diapason et le même message.
L’être intime du Capitaine reconnaissait par là qu’il y avait eu un âge d’or, qui avait occupé toute la durée des travaux.
Ainsi, le balcon posé sur la mer entre Χαλκούτσι et Χαλκίδα était un balcon du souvenir et de la gratitude.
Autrement dit, ce balcon n’a pas surgi de nulle part. Il a été engendré. Non pas par la mécanique, ni par l’hydraulique, mais par l’éthique.
Cet engendrement faisait que le balcon posé sur la mer n’était pas un balcon de la vacuité, ni un balcon de la morosité.
Les gestes de la mer reprenaient vie, avec prudence, mais sans crainte morbide.
Une demi-heure avant l’arrivée, le Capitaine préparait déjà les défenses :
La leçon du caillou de l’envoûtement nous conseillait d’être toujours vigilant. Et la vigilance se manifestait, entre autres, par l’anticipation :
Et l’anticipation permettait de préserver un esprit calme et lucide.
Une minute après avoir préparé les défenses destinées à l’accostage, nous passions devant le site que les historiens ont identifié comme le lieu où la flotte grecque, qui devait voguer vers Troie, était bloquée, faute de vent.
Ce site se trouvait sur la rive attique du Golfe d’Eubée, c’est-à-dire à bâbord du Zeph.
Sur la photo suivante, le lieu d’immobilisation de la flotte grecque, commandée par Agamemnon, était suggéré par les silhouettes des bateaux amarrés :
Voici en alexandrins rédigés par Jean Racine la description de l’impasse où se trouvaient les Grecs :
« Tu te souviens du jour qu'en Aulide assemblés
Nos vaisseaux par les vents semblaient être appelés.
Nous partions. Et déjà par mille cris de joie
Nous menacions de loin les rivages de Troie.
Un prodige étonnant fit taire ce transport.
Le vent qui nous flattait nous laissa dans le port.
Il fallut s'arrêter, et la rame inutile
Fatigua vainement une mer immobile. »
Iphigénie de Jean Racine. Acte I. Scène 1. Vers 43 à 50
Dans la tragédie de Jean Racine, c’était Agamemnon, le Roi des rois, qui parlait ainsi à son serviteur, Arcas.
Le texte mentionne que les vaisseaux grecs se sont rassemblés en Aulide.
Justement, l’Aulide était la côte qui s’étirait à bâbord du Zeph dans la photo ci-dessus.
Le texte de Jean Racine dit ensuite comment Agamemnon a essayé de trouver une issue à l’impasse :
« Ce miracle inouï me fit tourner les yeux
Vers la divinité qu'on adore en ces lieux. »
Iphigénie de Jean Racine. Acte I. Scène 1. Vers 51 et 52
D’abord, ce que Jean Racine appelle par « miracle inouï », c’est la « mer immobile », qui est mentionnée à la fin du vers précédent.
Et nous ne pouvons qu’être d’accord avec Jean Racine qui dit que l’immobilité de la mer est un « miracle inouï ».
Pour vaincre cette malchance, qui a une origine surnaturelle, Agamemnon a besoin de l’aide d’un allié lui aussi surnaturel. D’où l’invocation d’une « divinité » libératrice, au début du vers suivant.
Sur le plan de la stylistique, l’antagonisme entre la force d’obstruction et la force de libération se traduit par la mise en parallèle des mots « miracle » et « divinité » au début des vers correspondants.
Après cela, le texte de Jean Racine dit qui est la divinité capable de sortir la flotte grecque de l’impasse.
Voici la suite des paroles d’Agamemnon :
« Suivi de Ménélas, de Nestor, et d'Ulysse,
J'offris sur ses autels un secret sacrifice.
Quelle fut sa réponse ! Et quel devins-je, Arcas,
Quand j'entendis ces mots prononcés par Calchas !
Vous armez contre Troie une puissance vaine,
Si dans un sacrifice auguste et solennel
Une fille du sang d'Hélène
De Diane en ces lieux n'ensanglante l'autel. »
Iphigénie de Jean Racine. Acte I. Scène 1. Vers 53 à 60
Ainsi, la « divinité qu’on adore en ces lieux » (vers 52) est Diane (vers 60), c’est-à-dire Artémis (Ἄρτεμις en grec).
C’est le devin Calchas (vers 56) qui conseille à Agamemnon de rechercher la clémence d’Artémis.
Les quatre vers qui viennent après le nom du devin reprennent les mots adressés par Calchas à Agamemnon. Ils ne sont pas tous des alexandrins. En effet, cette première partie du discours du devin comporte un octosyllabe, qui est le vers 59 :
« Une fille du sang d’Hèlène »
De la bouche du devin, c’est une jeune Grecque qu’il va falloir sacrifier pour qu’Artémis fasse de nouveau souffler le vent favorable.
Pour Agamemnon, le chef des Grecs, cette annonce avait l’effet d’un coup de poignard.
Et la lame courte du poignard était évoquée par le fait que l’alexandrin est rétréci en octosyllabe.
Une telle révélation ne pouvait que provoquer un séisme, même chez le chef des Grecs.
Et il n’est pas rare qu’un séisme soit suivi par des répliques.
Le texte de Jean Racine montre que le séisme initial est suivi d’une réplique, avec cette seconde partie de la révélation faite par le devin :
« Pour obtenir les vents que le ciel vous dénie,
Sacrifiez Iphigénie. »
Iphigénie de Jean Racine. Acte I. Scène 1. Vers 61 et 62
La victime propitiatoire doit être Iphigénie, la propre fille d’Agamemnon, le chef des Grecs.
Le vers qui désigne Iphigénie n’est pas un alexandrin. C’est un octosyllabe, qui indique qu’Agamemnon reçoit un deuxième coup de poignard.
Sur les 1796 vers que comporte la tragédie de Jean Racine, tous sont des alexandrins, sauf deux qui sont des octosyllabes (les vers 59 et 62, que nous venons de voir).
Ces deux vers octosyllabiques portent à eux seuls toute l’intensité dramatique de la pièce de Jean Racine car ils traduisent un double coup de poignard, planté dans la chair même de la Grèce et de la famille royale.
Le réalisateur grec Μιχάλης Κακογιάννης (en français : Michael Cacoyannis) a porté à l’écran le drame d’Iphigénie.
Voici un portrait de la jeune Grecque qui devait être sacrifiée pour que l’armée de son père royal puisse appareiller :
La mère de la victime sacrificielle se débat pour s’opposer au meurtre exigé par la raison d’État :
Finalement, Iphigénie est quand même amenée par la force jusqu’au lieu de sacrifice :
Grâce à son flair exceptionnel, le Capitaine a retrouvé au cours des explorations précédentes, les vestiges du sanctuaire d’Artémis, dont le nom est associé au sacrifice d’Iphigénie.
Pour libérer la flotte grecque de la malédiction de l’immobilisation, il fallait implorer la clémence des Olympiens.
Il en est de même de l’immobilisation du Zeph, qui a été causée par le heurt avec le rocher de l’ensorcellement. Si nous sommes sortis indemnes de cet effroyable accident, c’était bien grâce à la clémence des divinités, qui nous ont fait connaître, d’une part, la bonté du chef de la clinique, et d’autre part, la douce compagnie de Κανέλα et Fleur-de-sel.
Heureux de renaître grâce à la bienveillance des Olympiens, le Zeph dépassait le promontoire de l’Aulide pour s’engager sous le nouveau pont de Χαλκίδα.
La mission probatoire était sur le point de s’accomplir à la perfection.
Voici le Zeph en train de passer sous le nouveau pont de Χαλκίδα :
Pour éviter le contre-jour, le photographe a tourné le dos au soleil. La photo montre donc le piler occidental, qui se trouvait sur la rive athénienne.
Après le passage du nouveau pont, le Zeph a viré à droite, dans une eau très accueillante, sans méchanceté, ni malice :
Devant le museau du Zeph, c’était l’ancien pont, autour duquel gravitaient tous les bâtiments administratifs. De l’autre côté de l’ancien pont, on arrivait dans le bassin septentrional du Golfe d’Eubée. Nous, nous allions rester dans le bassin méridional, qui était le nôtre depuis ce matin.
Nous tournions une seconde fois à droite pour nous diriger vers la Marina de Χαλκίδα. Voici la feuille d’énoncé pour la fin du problème de flottabilité et de manœuvrabilité :
Vers le haut de la carte marine, apparaissait une langue de terre parallèle aux deux largeurs du rectangle du cadran. Cette langue de terre fermait l’entrée d’un creux qui avait la forme d’un tronc de cône. L’espace ainsi circonscrit était celui de la Marina.
Sur la face interne de la langue de terre et perpendiculairement à l’axe de celle-ci, étaient installés trois pontons, qui avaient l’air de trois cure-dents sur la carte marine.
Les trois dernières questions de l’examen probatoire étaient donc celles-ci :
Le Zeph irait-il sans problème jusqu’au ponton extérieur ?
Le Zeph saurait-il manœuvrer pour dépasser le ponton intermédiaire ?
Le Zeph arriverait-il sans accrochage, sans heurt et sans fissure jusqu’au troisième ponton qui était le plus à l’intérieur ?
Réponse à la première question :
Les vedettes à gauche de la photo appartenaient au premier ponton tandis que les bateaux qui apparaissaient derrière le gros nœud rouge étaient amarrés au deuxième ponton. Le Zeph a donc répondu de manière satisfaisante à la première question.
Quant à la seconde question, voici la preuve par l’image :
Les bateaux visibles sur la photo appartenaient au troisième ponton. Donc ceux du deuxième ponton étaient déjà hors-champ, en arrière du cordage qui pendait au mât.
Sans blessure aucune, le Zeph est donc passé devant le deuxième ponton.
Nous arrivons maintenant à la toute dernière question de l’examen probatoire. Voici la réponse donnée par le Zeph :
La photo montre le Zeph en train de virer à gauche pour s’amarrer sur la face septentrionale du troisième ponton.
De manière satisfaisante, le Zeph a aussi résolu la troisième question de la fin du problème.
Le Zeph n’a pas failli au cours de cette épreuve de travaux pratiques.
Grande était la fierté du Zeph. Immense était le bonheur du Capitaine.
Le balcon posé sur la mer entre Χαλκούτσι et Χαλκίδα était le balcon de la réussite de l’examen probatoire. C’était donc le balcon de la confiance retrouvée. C’est encore le balcon d’un nouvel accès à la plénitude du sens.
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