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Par zéphyros2 le 4 Avril 2024 à 02:20
Sitôt arrivés à Ancône, nous nous sommes tout de suite présentés au bureau d’enregistrement pour retirer nos cartes d’embarquement, une pour chaque passager et une pour la voiture.
L’accès à ce quartier spécifique du tissu urbain à partir de la route de campagne que nous avions suivie depuis Carrare se faisait en traversant un croisement de voies rapides qui s’enroulaient telles des rubans dans la confection d’un nœud pour un cadeau de Noël.
Avant de monter à bord du ferry, nous avons fait une passeggiata du côté du port de pêche, qui jouxtait la zone d’enregistrement au Sud et le quai d’embarquement au Nord.
Entre la jetée où s’amarraient les bateaux de pêche et la voie asphaltée que sillonnaient automobilistes et cyclistes, s’est installée la forteresse Vanvitelli, au profil pentagonal.
Nous voici devant le pentagone qui initialement avait été érigé à des fins sanitaires, puisque c’était le lieu de mise en quarantaine de tout entrant dont l’état de santé pouvait mettre en danger la sécurité de la cité portuaire :
Juste derrière nous, étaient pendus les filets verts d’un chalutier.
À l’arrière-plan, au-dessus d’une tour d’angle dont le sommet était hémisphérique, se dressait un cheval rouge, à la silhouette élancée.
Juste à droite de la tour d’angle, se devinait la sortie d’un tunnel qui s’appelait « Galleria San Martino ».
Le cheval rouge, œuvre du sculpteur Mimmo Paladino, était arrivé sur cette muraille peu de temps après que vous avions pris l’habitude de prendre le ferry à Ancône, à chaque printemps.
Tout de suite, le mousse a qualifié l’équidé de « Cheval de Troie » alors que la gigantesque sculpture n’avait, à ce moment-là, aucunement la vocation de rejoindre l’inspiration homérique.
Cette année, en 2024, le ralliement à l’univers d’Homère a eu lieu. En effet, des affiches posées à l’entrée de la forteresse confirmaient que le cheval rouge gardait l’entrée du Museo Omero (en français : Musée Homère).
L’intuition du mousse avait vu juste.
Passons maintenant au tunnel appelé « Galleria San Martino », qui venait de l’Est et qui débouchait en ligne droite sur le « Cheval de Troie » du mousse.
Sur la photo suivante, on voit la partie septentrionale de l’arc qui marquait la sortie du tunnel :
Le premier plan de la photo montre une silhouette féminine qui ne laissait personne indifférent. Le corps était partiellement recouvert par une étoffe qui, de surcroît, était froissée. Ce désordre des plis s’associait tragiquement à celui des cheveux. L’expression du visage, qui s’unissait à cette apparence agitée, était celle d’une Furie. Une Furie, non pas du temps d’Eschyle mais du XXIè siècle, puisqu’elle tenait dans sa main gauche un sac moderne réservé aux femmes.
La main droite, qui normalement, disait vers quoi il faudrait regarder, était partiellement cachée par la vue de trois-quarts du côté gauche. Mais les quatre doigts raidis exprimaient la même fureur et suscitaient la même inquiétude.
Le mousse s’est approché de cette main si expressive pour mieux faire connaissance avec elle. Il s’est placé devant le flanc droit de la silhouette féminine et voici ce qu’il a vu :
Une extrême tension traversait les cinq doigts écartés, qui traduisaient une forte répulsion à l’égard d’un comportement dépravé. La paume, grande ouverte, se préparait à donner une puissante gifle au destin pour riposter contre le mal que celui venait d’infliger. La courbure de la douleur, qu’exhibait la paume, se retrouvait sur deux volumes charnus situés en-dessous des reins. La maltraitance qui était passée par là n’a pas laissé que le souvenir de la douleur : elle a aussi laissé dans la chair et le mental la marque de la honte.
Les pas réalisés pour mieux voir et comprendre ont finalement conduit le mousse face au dos. Voici l’émouvante scène qui se mettait en place devant lui :
Le personnage féminin titubait. Son corps penchait un peu vers l’avant. Allait-il choir ?
Le devant de la sculpture était tourné vers le soleil couchant, dont quelques rayons se sont glissés entre le bras et les reins du côté gauche.
La lumière du soleil couchant éclairait aussi la plaque qui était apposée sur le socle. Voici cette plaque, qui précisait l’intention de l’artiste ou du commanditaire :
La première ligne contenait ces mots :
IL RISPETTO E’ UN DIRITTO, SEMPRE.
En français :
LE RESPECT EST UN DROIT, TOUJOURS.
Sur la ligne suivante, on pouvait lire ceci :
IN ONORE DI TUTTE LE DONNE VITTIME DI VIOLENZA
En français :
EN L’HONNEUR DE TOUTES LES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE
Ça, c’est pour le langage officiel.
Le peuple, lui, préfère un raccourci linguistique qui prend en compte la position du corps et l’état des vêtements.
Ce raccourci est proposé dans l’avant-dernière ligne, qui est :
Scultura in bronzo dal titolo « VIOLATA » di Floriano Ippoliti
En français :
Sculpture en bronze avec le titre « VIOLÉE » de Floriano Ippoliti
Ainsi, la figure féminine violentée regardait le « Cheval de Troie ».
En raison de cette disposition spatiale, il est tout à fait naturel de s’interroger sur les violences faites à la femme lors du sac de Troie.
L’un des actes de violence commis contre la femme a été perpétré dans le temple même d’Athéna, pendant que Troie était en flammes. La victime était Cassandre, une princesse troyenne. L’agresseur était Ajax Le Locrien, qui figurait parmi les guerriers les plus illustres de l’armée grecque. Cassandre s’était cramponnée à la statue de la déesse, mais Ajax l’a quand même arrachée de là pour la traîner hors du temple et la violenter.
La scène est illustrée par le peintre britannique Solomon Joseph Solomon :
De la représentation d’Athéna, l’artiste ne montre que le socle de la statue, pour mieux focaliser le regard sur la lutte entre les deux corps faits de chair et de sang. La silhouette féminine bascule vers l’arrière pour tenter de rester en contact avec la déesse. À cet instant, le seul contact qui existe encore entre la mortelle et la divinité se trouve au niveau du rebord supérieur du socle. On est déjà loin du corps proprement dit de la déesse, mais l’index de la main droite s’incurve à la manière d’un crochet pour ne pas lâcher prise.
Combien de temps ce crochet tiendra-t-il encore, face à la force d’entraînement en provenance d’une puissante musculature ?
La main droite de la Troyenne se déchire tandis que celle du Grec reste compacte dans sa fermeté.
Le poing fermé du Grec est celui de la virilité triomphante, de la détermination maximale, et de la jouissance sans concession.
Aux pieds du Grec, un trépied est renversé et de l’encens encore tout fumant s’éparpille sur les marches de l’autel.
La chute du trépied et l’éparpillement de l’encens au sol indiquent que le Grec a gravement offensé la déesse, qui s’est mise à entrer dans une colère noire.
Nous retrouvons ici la couleur noire que le peintre britannique a utilisée pour évoquer la présence d’Athéna : noire comme la destinée subie par la Troyenne, noire comme la colère de la déesse qui fera payer au Grec l’impiété de celui-ci.
La plaque de la statue de la « Violata » déclare que le respect est un droit.
Dans l’Antiquité, le respect, et surtout celui envers les dieux, était classé dans la catégorie des devoirs. Chaque mortel (le) avait l’obligation de respecter les dieux. Faillir à ce respect, c’est commettre une faute très grave, qui était l’impiété.
Pour punir les Grecs, dont Ajax le Locrien, à cause de leur impiété, Athéna a demandé à Zeus de soulever une tempête meurtrière sur le chemin de retour de ceux-ci.
La tempête punitive a été déclenchée quand la flotte grecque traversait le détroit de Καφηρέας (transcription : Kaphiréas), entre l’île d’Andros et la pointe Sud-Est de l’île d’Eubée.
Dans ce naufrage de masse, le vaisseau du Grec qui avait violenté Cassandre dans le temple d’Athéna a été broyé par les flots.
Ainsi, l’on ne prend pas la mer ni pour effacer la culpabilité, ni pour fuir ses responsabilités.
Quel enseignement salutaire Ancône nous a donné avant l’embarquement !
Voici une photo faite avant d’entrer dans le ventre du ferry :
Tout droit devant, à l’horizon, se dressait l’Acropole d’Ancône. C’était le Septentrion.
Sur la droite de la photo, c’était la mer. En l’occurrence, l’Adriatique. C’était de ce côté-là qu’apparaissaient les cheminées des palais flottants.
Au premier plan, c’était la carte d’embarquement pour la voiture. Le nom du port d’arrivée y était écrit en grand : IGOUMENITSA.
La barrière de sécurité qui séparait ceux qui étaient autorisés à embarquer de ceux qui ne l’étaient pas était formée par le grillage qui courait sur la droite de la photo.
Les années précédentes, on nous avait demandé d’arrêter la voiture (ce qui était normal), de descendre de celle-ci, d’ouvrir le coffre et de présenter les cartes d’embarquement des passagers.
Cette fois-ci, l’agent de service nous a seulement fait signe de ralentir, sans qu’il s’approche de nous. De sa guérite, il nous a demandé si nous avions les « papiers adéquats ». Nous avons agité le papier où c’était marqué IGOUMENITSA. L’homme a reconnu la couleur des lettres. Tout de suite, d’un revers de la main, il nous a donné le feu vert pour pénétrer dans le parvis du ferry, sans aucune autre vérification de notre identité.
Laxisme ou confiance ?
La tournure des événements était pour le moins singulière.
Puisque nous sommes dans le jugement et non plus dans la narration événementielle, il n’est pas superflu de se pencher sur les circonstances qui ont permis au mousse de découvrir « la statua della Violata ».
Le mousse a trouvé cette remarquable sculpture parce qu’il suivait le Capitaine qui voulait absolument acheter le même gâteau que celui que nous avions mangé chez le Hanabi.
Voici le gâteau que le Hanabi avait acheté pour fêter notre passage dans les Alpes :
Il s’agissait du Panettone Motta.
Le Capitaine a tellement aimé cette pâtisserie festive qu’il voulait la même pour la traversée jusqu’en Grèce.
Nous avons tout simplement traversé le grand axe routier qui passait devant le « Cheval de Troie » : c’était la Via Guglielmo Marconi.
Juste après le passage à piétons, apparaissait le premier supermarché qui était le « Mercato Maxi Coal Archi ». Le Capitaine y est entré et a trouvé la pâtisserie de ses rêves. Pendant ce temps, le mousse, qui lorgnait à gauche, a remarqué que derrière le rond-point du tunnel San Martino, il y avait une statue en bronze. Pendant que le Capitaine faisait ses emplettes, le mousse a vite couru vers la statue de bronze, qui était la « statua della Violata ».
Si le Hanabi n’avait pas acheté le Panettone Motta pour nous gâter, cet article n’aurait sans doute pas vu le jour.
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