• Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

    Matériellement, pour être posé sur la mer, le balcon devait rompre ses attaches avec la terre ferme. Cette rupture physique n'était pas sans conséquence sur le plan affectif.

    Depuis notre retour sur le chantier, nos deux amies, Κανέλα et Fleur-de-sel, qui appartenaient à la famille des félins, nous avaient offert une merveilleuse compagnie. À présent c'était l'heure d'assister à une rupture, temporaire – nous l'espérons, de ces sublimes liens d'amitié. Mais même temporaire, la rupture était très douloureuse pour tous.

    Voici Fleur-de-sel qui est venue dire au revoir au Zeph avant que celui-ci ne lui soit enlevé, par la voie des airs :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Pour l'instant, Fleur-de-sel faisait encore preuve de stoïcisme. Mais plus tard, dans la soirée, le Capitaine a vu Fleur-de-sel errer au milieu des échafaudages chamboulés et faire des câlins aux tiges métalliques qui avaient soutenu l'attrayante silhouette du Zeph.

    Le chemin de la mer passait par les airs parce que l'itinéraire habituel était entravé par un énorme bateau qui n'en finissait pas de faire sa toilette.

    La méthode inhabituelle a mobilisé toutes les énergies existantes.

    D'abord, il y a eu les trois ouvriers du chantier. Les voici en train de passer des objets de l'autre côté du grillage pour stabiliser la grue :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Celui qui s'occupait du tonneau bleu était Fiaz, le plus ancien des trois. Toujours au premier plan, mais sur la gauche, c'était Ahmed, qui se destinait aux travaux de revêtement. Entre Fiaz et Ahmed, à l'arrière-plan, c'était Mario, avec une casquette blanche. Mario, qui venait d'être embauché, était doué en tout. Tous les trois, Fiaz, Ahmed et Mario, étaient originaires du Pakistan.

    Sur la droite de la photo, vers le haut, on aperçoit la grue qui devait soulever le Zeph de son ber, puis le faire passer au-dessus du grillage et finalement le déposer dans la rue qui ceinturait le chantier.

    Après les préparatifs de la grue, ont eu lieu ceux du Zeph :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    La photo montre la mise en place des sangles plates qui devaient se plaquer contre le ventre du Zeph. L'homme au tee-shirt noir, qui les amenait de bâbord à tribord, était Διονύσης, le chef du chantier, c'est-à-dire le maître des lieux. L'homme au tee-shirt vert, qui aidait au déroulement des sangles, était Στέλιος, notre voisin à tribord, dont le bateau était caché par la bâche bleue.

    En suivant les sangles dans leur montée, on arrivait sur le pont du Zeph :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    On retrouvait notre voisin Στέλιος au niveau de la bôme, toujours avec une sangle, tandis que le Capitaine cherchait à accrocher une autre sangle à l'énorme crochet de la grue.

    Les suspensions ont été méticuleusement vérifiées, ce qui n'a pas été sans difficulté.

    Puis le Zeph a commencé à s'affranchir de son ber.

    Un premier obstacle s'est présenté à bâbord, au moment où la poupe du Zeph s'apprêtait à passer au-dessus du grillage : le portique des panneaux solaires heurtait un arbre.

    C'était le Capitaine qui a donné l'alerte.

    Immédiatement, le chef du chantier a demandé que les branches qui gênaient soient coupées. C'était Mario, le nouveau, qui a fait l'escalade et qui a scié ce qu'il fallait. Voici la photo de cet élagage :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Puis un autre obstacle a surgi à tribord : le flanc droit était menacé par un lampadaire du chantier. Sans aucune hésitation, le maître des lieux a donné l'ordre de coucher le lampadaire, quitte à malmener les branchements électriques. Sur la photo suivante, on voit le Capitaine qui s'empressait de coucher le lampadaire qui gênait :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    La base du lampadaire était tenue par un Grec qui portait un tee-shirt blanc. Ce Grec était la toute première personne venue à bord pour donner un pronostic sur les varangues, juste après le heurt avec le caillou de l'ensorcellement.

    Voici le Zeph qui venait de sortir de l'enceinte du chantier naval :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Vite, le Capitaine est passé par-dessus le grillage pour rejoindre le Zeph :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Le chemin vers la mer était désormais libre :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Sur la photo, la mer se trouvait à droite.

    Mais dans l'immédiat, le balcon posé sur la mer ne pouvait venir à l'existence car les mises à l'eau avaient lieu seulement le matin.

    Le Zeph se préparait donc à passer sa dernière nuit sur la terre ferme :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Il repassait par la porte qui avait vu son effarement un an auparavant.

    Mais cette fois-ci, la confiance et l'optimisme étaient revenus :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Au cours de cette veillée d'armes, la nourriture terrestre avait toute son importance.

    Une omelette au brocoli et à l'aubergine a ravi nos papilles :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Nous avons mangé comme si nous étions au mouillage.

    Puis le jour nouveau est venu.

    Voici le Zeph prêt à franchir définitivement le portail grand ouvert du chantier pour retrouver les flots égéens :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Sur la photo, à l'arrière du Zeph, on voit dans la mer une bouée rouge. C'était la bouée de la détresse, à laquelle s’était agrippé le Zeph, qui craignait à ce moment-là de perdre sa quille d’un moment à l’autre.

    Après avoir donné des instructions pour la vérification de l’efficacité des travaux et avant de monter dans son tracteur, le chef du chantier nous a envoyé un bisou avec sa main droite qui partait de sa bouche. C’était pour dire « με αγάπη μου ». En français : « avec mon amour ». C’était le geste d’une belle amitié qui était née à l’époque où le Grec nous avait autorisés à camper sous un catamaran de son chantier.

    Avec son traîneau, le Grec nous a poussés progressivement dans la mer. Nous avons reçu l’ordre de ne pas dévier ni à droite, ni à gauche dans cette phase transitoire.

    En raison de la configuration du Zeph, c’était d’abord la poupe qui entrait dans l’eau :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Sur la photo, à gauche apparaissait la gaffe en bois, qui servait dans les manœuvres d’approche. On peut aussi reconnaître l’hélice du moteur de l’annexe, dont le haut était encapuchonné.

    À son tour, le museau du Zeph est entré dans l’eau :

     

    Le balcon posé sur la mer (1) à Χαλκούτσι

     

    Plusieurs salves de klaxon en provenance du tracteur ont salué la naissance du balcon posé sur la mer, à Χαλκούτσι (transcription : Khalkoutsi).

    Né d'une condition amphibie, le balcon posé sur la mer à Χαλκούτσι était la convergence d'une multitude de bonnes volontés. Il a emporté avec lui ce que la terre nourricière avait de plus beau et de plus précieux : l'affection.

     


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  • Commentaires

    1
    Mayapi
    Vendredi 19 Avril à 06:40
    Le Zeph est superbe, attention à ne pas l'abimer sur un cailloux Bises à tous les deux
    2
    anne
    Vendredi 19 Avril à 09:43

    Très heureuse pour vous, je vous embrasse fort 

    3
    falsa
    Vendredi 19 Avril à 10:50

    Bon vent à tous les deux  avec le Zeph et sa nouvelle livrée et ... évitez le rase-cailloux !

    pourquoi ne pas embarquer Fleur de sel avec vous ? 

      • Samedi 20 Avril à 04:31

        Chère lectrice,

        Une émotion contagieuse fait vibrer tes mots qui sont plus nombreux et plus lyriques que d’habitude. C’est l’émotion de l’empathie et de la bienveillance.

        Merci de nous donner l’occasion de parler un peu plus de Fleur-de-sel.

        La photo qui t’as fait réagir montre Fleur-de-sel à proximité du ber du Zeph, mais pas juste au-dessous, car Fleur-de-sel fuyait l’agitation des bipèdes, qui n’était pas de bonne augure cet après-midi là.

        D’autres poses dans ce retranchement territorial étaient révélatrices de son état d’esprit.

        Fleur-de-sel s’est mise à jouer avec des brins d’herbe et des feuilles comme si c’étaient des souris apeurées, des balles prêtes à rouler ou des ficelles qui pendouillaient.

         

         

        Dans quelle mesure ce jeu, apparemment spontané et naturel, n’était pas une thérapie qui se mettait en place pour affronter le chagrin de la séparation ?

        Fleur-de-sel s’amusait aussi à enfoncer son museau sous la couverture de chlorophylle comme s’il y avait là un terrier et une proie à l’intérieur.

         

         

        Psychologiquement, il n’est incongru de lire dans ce comportement le refus de voir ce qui est trop douloureux. L’isolement par la fermeture du champ visuel pouvait très bien indiquer une stratégie de la résilience.

        Mais revenons au début de la journée pour apprécier l’évolution des choses.

        Pour la montre, le jour nouveau commence juste après les douze coups de minuit. Et nous donnerons les indications horaires avec l’heure en vigueur en France.

        Donc, à 00h59, Fleur-de-sel, qui dormait sur la banquette près de la table du carré, a été réveillée par une silhouette qui lui était bien familière, puisqu’il s’agissait de celle de sa maman, Κανέλα.

        Κανέλα est venue pour manger. C’est très rare que Κανέλα vienne à une heure si tardive pour avoir de la nourriture.

        Voici Fleur-de-sel qui venait de sortir de son sommeil pour voir sa mère manger :

         

         

        Il était 1h du matin, heure de France. En Grèce, c’était 2h du matin.

        L’hospitalité du Zeph n’était pas restreinte à un créneau horaire.

        Κανέλα qui venait d’arriver était restée sur l’échelle. Fleur-de-sel, qui descendait de la banquette, a pris place sur le plancher.

        En la circonstance, Fleur-de-sel avait le respect de la hiérarchie. Spatialement, biologiquement et sentimentalement.

        Sans miauler, Fleur-de-sel guettait les premiers signes de la satiété maternelle. Quand ceux-ci devenaient visibles, la fille s’est approchée de l’assiette de la mère :

         

         

        Puis avec un plaisir non dissimulé, la fille a récupéré tout ce que la mère avait laissé :

         

         

        La langue râpeuse de Fleur-de-sel s’étirait au maximun pour rafler la moindre miette abandonnée par Κανέλα. L’ardeur gourmande de la langue faisait danser l’assiette sur la marche de l’échelle.

        Rassasiée à son tour, Fleur-de-sel est retournée à son sommeil :

         

         

         

        Cette photo a été faite à 1h14, toujours heure de France. Autrement dit, le repas de « minuit » de la mère et de la fille a duré un quart d’heure.

        L’indication horaire avait son importance, pour signifier la grande disponibilité du Zeph. Mais sur la photo, un détail spatial méritait d’être remarqué, à cause de l’enjeu affectif qu’il représentait.

        En effet, regardez bien en bas de la photo, sur la gauche : Fleur-de-sel a posé sa joue droite et son oreille droite sur un tissu bleuté, qui présentait des inflorescences grises et des lignes de couture bien régulières, faites à la machine.

        Ce tissu n’était pas un tissu quelconque. Au sens où il avait un statut spécifique, doublement même.

        Voici ce tissu dans une perspective moins incomplète :

         

         

        On reconnaît le même coloris, les mêmes coutures, mais avec la boucle d’une ceinture en cuir. C’était un short du Capitaine. Voilà pour le premier statut du tissu.

        Quant au second statut, il était donné par la position de Fleur-de-sel, qui n’était plus à côté du short comme c’était le cas dans la photo précédente, mais carrément sur le short cette fois-ci. Symboliquement, Fleur-de-sel s’est appropriée ce tissu, car celui-ci rappelait l’épiderme de l’humain qui lui offrait des câlins de rêve.

        La photo montre que le short du Capitaine était devenu la propriété exclusive de Fleur-de-sel, car sa mère, Κανέλα, qui apparaissait à l’arrière-plan, était maintenue loin du short.

        Cette photo de Fleur-de-sel entièrement sur le short du Capitaine a été faite à 1h51 du matin, c’est-à-dire 37 minutes après la précédente photo.

        Autrement dit, au fur et à mesure que le sommeil progressait, Fleur-de-sel a investi le territoire du short en passant de la périphérie à la zone centrale.

        Il arrive que l’on se retourne sur sa couche pour trouver une nouvelle position confortable.

        C’est ce qui est arrivé à Fleur-de-sel cette nuit-là. Mais regardez comment Fleur-de-sel s’est positionnée après s’être retournée :

         

         

        Tout le corps de Fleur-de-sel recouvrait le short, même la partie qui pendait devant le canapé. Fleur-de-sel, qui était friande de déséquilibre, n’avait aucun mal à signifier que cette courbure était sa propriété privée, comme tout le reste du tissu.

        La photo montre sans ambiguïté que la mère, Κανέλα, était exclue de territoire du short.

        Cette photo, qui a été faite six minutes après la précédente, témoignait que l’inconscient de Fleur-de-sel savourait encore les caresses reçues du Capitaine.

        Au lever du jour, Fleur-de-sel n’a pas quitté le Zeph. D’ordinaire, elle s’en allait chasser dans le terrain vague situé à l’extérieur du chantier. Mais ce matin-là, où nous avons appris que la grue allait venir l’après-midi, Fleur-de-sel était restée à bord du Zeph. Qu’a-t-elle compris de la conversation des bipèdes ?

        En tout cas, elle a continué à faire du Zeph sa demeure chérie. La voici qui savourait dans le cockpit, les yeux fermés, la quiétude que le Zeph lui offrait généreusement :

         

         

        L’éclairage n’était plus celui des lampes électriques. Le ciel était nuageux. Les teintes s’affadissaient, mais pas l’amitié entre Fleur-de-sel et nous. Au contraire, le plaisir du sommeil, sans cesse renouvelé, nous racontait la grande confiance que Fleur-de-sel avait à notre égard, à tout moment.

        Puis, quand midi approchait, Fleur-de-sel s’est rapprochée de l’espace des fourneaux.

        La voici qui est revenue dans le carré, et qui s’est installée sous la table pour jouer à cache-cache.

        À bâbord, côté convives, c’était l’évasion onirique, les yeux fermés :

         

         

        Puis, à tribord, côté fourneaux, c’était le qui-vive :

         

         

        Finalement, a lieu le repas de la mi-journée :

         

         

        Pour vite retrouver le calme, il fallait servir en premier l’estomac qui avait le plus faim et qui donnait le plus de vélocité pour se ruer vers l’échelle.

        Souvent, c’était Fleur-de-sel qui s’impatientait plus que sa mère et qui était prête à sauter tout de suite sur les marches supérieures de l’échelle.

        D’où la configuration qui est sur la photo : la fille mangeait au-dessus de la mère.

        Sur cette photo, c’était le premier service, avec des pâtes cylindriques, les penne rigate, et de l’aubergine en ratatouille. Fleur-de-sel et Κανέλα raffolaient de la préparation des aubergines avec des oignons confits.

        En fait, Fleur-de-sel et Κανέλα mangeaient ce que nous mangions. Il n’y avait pas de menu spécial pour les commensales qu’elles étaient.

        La lumière d’un soleil proche de son zénith donnait de l’éclat au cadre de ce partage.

        Il y a eu ensuite un second service. Car le Zeph a toujours su matérialiser de façon concrète la convivialité.

        Il était préférable qu’il y ait un crescendo entre le premier service et le second, afin que le plaisir aille en croissant.

        C’est ainsi que Fleur-de-sel et Κανέλα ont eu droit à des os de poulet pour la seconde tournée.

         

         

        L’excitation de Fleur-de-sel était si grande qu’elle a sorti ses griffes d’euphorie pour bloquer les cylindres de pâtes.

        Après le délice des papilles, il a eu la toilette comme signe de satisfaction et de coquetterie :

         

         

        Peu de temps après ces scènes paradisiaques, le spectre de la grue est apparu.

        Fleur-de-sel et Κανέλα ont dû quitter le giron du Zeph contre leur gré.

        La suite de l’histoire s’est passé en bas du ber.

        Nous retrouvons Fleur-de-sel dans le carré d’herbes à proximité.

        Elle a ouvert ses oreilles toutes grandes pour essayer de comprendre ce qui se tramait : c’est la photo qui a introduit l’article.

        Elle a joué pour devancer le chagrin : c’est la première photo dans cette réponse au commentaire.

        Elle a enfoui sa tête sous la couverture de chlorophylle pour ne plus voir la tragédie : c’est la deuxième photo dans cette réponse au commentaire.

        Elle s’est évadée par le sommeil pour se préserver : c’est la quinzième et dernière photo dans cette réponse au commentaire.

         

         

        Fleur-de-sel appartient à la Grèce. Fleur-de-sel restera sur le sol grec.

        Encore merci à toi, chère lectrice !

        RP

         

    4
    christo
    Vendredi 19 Avril à 18:08

    ENFIN     BRAVO POUR CETTE EPOPEE DIGNE D HOMERE

     

    puis je me permettre de suggerer un blog recapitulatif

    5
    Hanabi
    Vendredi 19 Avril à 21:07

    On est heureux pour vous et un peu tristes pour les minous, vous vous en doutez bien. Des bises



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