• Nous avons fait appel à la compagnie maritime Grimaldi Lines pour rejoindre la rive orientale de l’Adriatique. Au début, l’accessibilité se pensait seulement en termes géographiques.

    L’embarquement, qui se déroulait à Ancône, devait avoir lieu à 19h30.

    Prudents, nous sommes arrivés à Ancône au moment où le soleil était à son zénith. C’était à ce moment-là que la compagnie maritime nous a informés que le ferry aurait deux heures de retard. Ce décalage chamboulerait le programme que nous avions prévu pour notre arrivée sur le rivage grec. Car au lieu de débarquer à Ηγουμενίτσα – HΓΟΥΜΕΝΙΤΣΑ (en français : Igoumenitsa) avant le coucher du soleil, nous poserions le pied sur le sol grec au milieu de l’obscurité. Nous avions compté sur la clarté diurne pour trouver un emplacement romantique et y planter notre tente de routards. Mais ce rêve idyllique était d’ores et déjà compromis par le contretemps extrêmement fâcheux.

    La question de l’accessibilité se déplaçait du domaine spatial vers le domaine temporel.

    L’enjeu véritable dépend toujours du facteur temps.

    Contrariés puis résignés, nous avons attendu le ferry du retard.

    Sur le quai de la patience, nous étions garés à côté d'un énorme camion. Il n'était pas seul. En voici d'autres, qui attendaient pour monter dans le même ferry que nous :

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    À l'arrière-plan, apparaissait un ferry dont le sommet exhibait le profil de la Crète, surmonté par l'inscription ANEK. Il s'agissait d'une autre compagnie maritime. Nos premières expériences au-dessus de l'Adriatique se faisaient avec ANEK. Mais pour cette traversée et la précédente, nous avons choisi GRIMALDI, qui pratiquait des prix beaucoup plus accessibles à notre porte-monnaie.

    Enfin, le ferry promis est arrivé. Le voici à quai :

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    Son nom de baptême était Florencia. Il était enregistré sur les registres de Palerme, la capitale de la Sicile.

    Vers les cheminées sommitales, apparaissait en écriture cursive l'initiale de GRIMALDI.

    Le ventre du Florencia, qui se vidait de ses camions, nous serait bientôt accessible.

    Avant de rejoindre notre carrosse pour embarquer avec lui, nous avons fait un dernier selfie sur le sol italien. Voici ce portrait grâce à l'optique inversée :

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    À l'arrière-plan, se dessinait le G de la compagnie GRIMALDI. Une fois de plus, un camion se trouvait dans le champ de vision.

    La multitude des camions, qui allait remplir le ventre du Florencia, apportait aux routards que nous étions une accessibilité supplémentaire, qui n'existait pas avec la compagnie ANEK.

    En effet, tous les chauffeurs de ces camions disposaient d'une cabine à bord du Florencia et de ce fait, ils n'envahissaient nullement les espaces publics réservés au repos, que nous, routards, nous nous empressions alors de transformer en couchettes improvisées. Une telle transformation était très mal vue par le personnel d'ANEK tandis qu'avec GRIMALDI, cette accessibilité du confort nocturne était offerte comme un cadeau de bienvenue.

    Deux sortes de véhicules étaient donc en lice pour ravir la priorité de l'accessibilité : les poids lourds et les voitures de tourisme.

    Cette fois-ci, la chance a tourné en faveur des voitures de tourisme.

    Notre carrosse faisait donc partie du premier cortège. Et au sein de celui-ci, il était pratiquement en tête.

    Les premiers garés et les premiers libérés du parking étaient les premiers à choisir l'emplacement idéal pour leurs couchettes improvisées. Dans ce contexte très particulier, l'accessibilité, après avoir été un cadeau de la chance, devenait une conquête grâce à la rapidité.

    Où nous situions-nous dans cette course à l'accessibilité ?

    Voici notre place :

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    La photo montre un angle droit.

    Le côté gauche était le prolongement de la rampe d'accès.

    Le côté droit était l'extrême limite face à l'espace urbain. Les premières voitures montées devaient se coller contre cette paroi. Et quand la première rangée était complète, on en commençait une deuxième, en allant de gauche à droite sur la photo.

    Notre carrosse, avec ses deux sacs de couchage posés sur le toit, occupait le centre de la photo. Devant lui, la première rangée ne comptait que trois voitures. Notre carrosse était donc arrivé en cinquième position sur le parking. La sixième voiture, qui devait fermer cette deuxième rangée, avait une enveloppe jaune.

    Au-dessus des deux sacs de couchage, la photo montre la pleine lune qui assistait à notre embarquement. Malgré la trépidation provoquée par l'urgence du confort matériel, nous n'avons pas négligé l’accessibilité des beautés qui venaient d'en haut. Le clair de lune qui perçait les couches nuageuses laissait augurer de bien belles surprises.

    Après le prélude du parking, entraient en scène les espaces convoités pour la nuit.

    Voici l’entrée de notre refuge nocturne :

     

    La promesse de l'accessibilité


     

    Sur la droite de la photo, une pancarte précisait l’étage. Elle portait l’inscription :

    PONTE / DECK 6

    PASSENGERS DECK

     

    Nous étions donc sur le pont 6, surnommé le « pont des passagers ».

    À gauche de la photo, vers le haut, une autre pancarte portait l’inscription suivante :

    SALA POLTRONE

    Sleeping chairs

     

    Le texte en italien disait que c’était la Salle des Fauteuils.

    Le texte en anglais ajoutait que l’on pouvait dormir sur ces sièges.

    Mais le billet que nous avions acheté n’avait pas prévu ce confort, même modeste. En effet, nous avions acheté le billet le plus accessible au petit peuple, c’est-à-dire le billet qui autoriserait seulement les emplacements à l’extérieur, sur le pont.

    Le froid nocturne aurait été insoutenable sur le pont à l’extérieur, à cause de la baisse de la température pendant la nuit et à cause de l’hiver qui n’avait pas encore dit son dernier mot.

    C’est pourquoi la politique commerciale de GRIMALDI a offert à tout le peuple l’accessibilité du confort le plus élémentaire, qui était loin d’être négligeable. Autrement dit, tous ceux qui avaient acheté des billets pour le pont extérieur pouvaient, en toute tranquillité, s'abriter à l'intérieur de la Salle des Fauteuils, sans aucun supplément financier.

    Voilà qui rappelait l’esprit δημοτικό – ΔΗΜΟΤΙΚΟ (littéralement : accessible à toutes les composantes du peuple).

    Nous aimions être près du peuple. Nous nous sommes installés comme le peuple. Nous avions son champ de vision physique :

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    C’était au pied des fauteuils, près de l’humus symbolique, que s’est déployé avec de multiples rebondissements l’enjeu de l’accessibilité, au sens matériel comme au sens éthique.

    À première vue, l’accessibilité du matériel a introduit celle du cœur.

    Mais en vérité, c’était l’accessibilité du cœur qui a reconnu l’occasion favorable et s’en est emparé.

    Dans un premier temps, la question de l’accessibilité s’est posée sur le plan matériel.

    En effet, le mousse était en train d’archiver sur son ordinateur portable les photos effectuées avec le téléphone lorsqu’une voix masculine lui a dit, en français : « Bonjour ! ».

    Le mousse a tressailli quand il a entendu des sonorités françaises, et non pas italiennes ou grecques, car nous étions sur un ferry italien qui s’en allait en Grèce.

    L’interlocuteur a dû voir le sac où le mousse mettait ses cordons de branchement et ses disques durs. C’était un sac de courses, estampillé avec le nom d’un hypermarché français, lequel nom commençait par la troisième lettre de l’alphabet.

    L’homme voulait brancher sa cafetière électrique et sur la prise multiple du mousse, il restait des places disponibles. Évidemment, le mousse a dit à l’homme de profiter de l’accessibilité de la prise multiple.

    La courtoisie mutuelle incitait à vouloir en savoir davantage sur la destination finale de l’autre. L’homme s’est mis à confier qu’à la sortie du ferry, il filerait vite en direction de sa maison, qui se trouvait à Éphèse.

    Éphèse, en Anatolie ? Oui, Éphèse en Anatolie !

    Alors, le mousse a salué l’homme dans la langue des Éphésiens du XXI è siècle.

    À l’interlocuteur, le mousse a dit : “ Günaydın ! ” (en français : Bonjour !)

    Immédiatement, l’interlocuteur a dit au mousse : “ Nasılsın ? ” (en français : Comment allez-vous ?)

    L’échange avec des sonorités de l’Asie Mineure produisait une plus grande accessibilité de part et d’autre. Le mousse s’est intéressé au trajet de l’interlocuteur. Et celui-ci était tout fier de détailler l’itinéraire qu’il allait emprunter. À la sortie du ferry, il filerait vers la frontière gréco-turque, qu’il traverserait au niveau de la ville appelée Ύψαλα – YΨΑΛΑ (transcription : Ypsala) par les Grecs.

    Il s’avère que le Capitaine avait prévu d’entrer en Anatolie par le même poste-frontière.

    L’homme a choisi l’accès par la route asphaltée tandis que nous ferions notre entrée tout en restant au ras de l’eau.

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    Une fois la frontière passée, l'homme bifurquerait tout de suite vers le Sud pour gagner Éphèse, non sans passé par Troie.

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    Les ocres de cette lithographie réalisée par Salvador Dali illustrent à merveille le feu allumé dans le cœur du mousse par les propos très séduisants de l’interlocuteur.

    L’Éphésien du ferry avait de la culture. Son langage respirait la bonté. Son bilinguisme franco-turc ouvrait en grand la perspective de l’accessibilité d’un rêve caressé par le mousse depuis de longs mois.

    En effet, depuis la visite de Rhodes, effectuée au cours de l’été dernier, le mousse rêvait de comprendre une inscription calligraphiée à l’entrée d’un édifice prestigieux du centre historique.

    Voici la façade de l’édifice :

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    L’identité de l’édifice était précisée par une pancarte qui apparaissait tout en bas de la photo, à gauche. En effet, on pouvait lire l’inscription, rédigée en grec :

    BIBΛΙΟΘΗΚΗ ΤΟΥ

    ΧΑΦΙΖ ΑΧΜΕΤ ΑΓΑ

    ΩΡΕΣ ΛΕΙΤΟΥΡΓΙΑΣ

    Δευτέρα ως Σάββατο

     

    En français :

    BIBLIOTHÈQUE DE

    HAFIZ AHMET AGA

    HEURES DE TRAVAIL

    Du Lundi au Samedi

     

    L’édifice se trouvait dans la cité médiévale de Rhodes. Ce prestigieux centre du savoir a été fondé par un lettré ottoman, né sur l’île. La Grèce a choisi de préserver la mémoire de cette époque. De nos jours, ce lieu, mondialement réputé pour ses trésors culturels, fait partie du Patrimoine mondial de l’UNESCO.

    Le mousse a découvert cette Bibliothèque lors du récent périple dans l’archipel du Dodécanèse. Il était subjugué par l’élégante calligraphie qui ornait le haut de la porte d’entrée et rêvait d’en connaître la signification.

    À présent, grâce au partage de la prise multiple, ce rêve a cessé d’être inaccessible.

    C’était l’épouse de l’interlocuteur gracieux qui a livré le secret des lettres dansantes.

    Voici la première ligne :

    صـــــــــــاحب الخـــــــــــــیرات والحســــــــــــــــــــــــــنات

     

    Littéralement :

    L’ami du bien et des bonnes actions

     

    Et voici la deuxième ligne :

    سابقا راكبدار حضرة شھریار رودس حافظ أحمد أغا ١٢٠٨

     

    Littéralement :

    anciennement écuyer du Sultan Rhodes Hafiz Ahmet Aga 1208

     

    Le nom du fondateur de l’institution apparaissait à la fin de la deuxième ligne. Il s’agissait de حافظ أحمد أغا (transcription : Hafiz Ahmet Aga).

    Le nom était précédé du titre officiel au sein de la hiérarchie impériale. En effet, Hafiz Ahmet Aga était l’une des cinq personnes de confiance qui prenaient soin de la monture du Sultan.

    Mais ce passé administratif, introduit par l’adverbe سابقا (en français : anciennement) était évoqué par des lettres serrées les unes contre les autres tandis qu’à la ligne du dessus, l’élongation des caractères semblait montrer des bras grands ouverts pour recevoir ou offrir le bien.

    Le passé est comprimé tandis que le présent s’étale. La configuration spatiale dit ce qui est devenu primordial et qui le demeure. Ce que la postérité retiendra de l’être humain, ce n’est pas son rang hiérarchique mais le bienfait qu’il aura apporté à la famille humaine.

    L’année de la fondation de l’illustre bibliothèque était indiquée à la fin de l’inscription.

    Les chiffres ١٢٠٨ (transcription : 1208) se référaient au calendrier de l’Hégire. Pour le calendrier grégorien actuellement utilisé en Occident, c’était l’an 1793 de notre ère.

    L’intérêt, sincère et vif, du mousse pour des valeurs universelles rendait son cœur accessible à l’interlocuteur épris lui aussi de culture.

    Spontanément, celui-ci s’est mis à parler au mousse de la sortie d’Égypte, de l’unité des douze tribus d’Israël et de la mort de Pharaon par noyade.

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    L’illustration ci-dessus a pour titre : النبي موسى (en français : le prophète Moïse)

    Néanmoins elle ne montre pas le libérateur hébreu, mais son opposant : le Pharaon qui est en train de se faire piéger par les eaux de la Mer Rouge.

    L’illustration insiste sur la disparition du tyran qui incarnait les quatre cents ans d’esclavage qu’avaient subis les بني اسرائيل (en français : fils d’Israël).

    L’inscription en bas de la photo renseignait sur l’auteur de la maquette.

    On peut lire à ce sujet :

    صياغة  رسم  إخراج : ﺴﻨﺎ ﺸﻬﺎﺐ ﺍﻠﻤﻌﺒﻲ 

    En français :

    Rédaction, dessin et réalisation : Sana Shihab Al Moabyi

     

    Pourquoi l’interlocuteur inspiré s’est-il mis à parler au mousse de cet événement fondateur de la nation d’Israël ?

    Parce que cet événement avait une portée universelle et l’interlocuteur était absolument fan de tout ce qui était universel.

    En prélude, l’interlocuteur a dit qu’il avait une maison à Éphèse. Le mousse a tout de suite réagi en évoquant la magnifique bibliothèque de Celsius. Voici une vue de ce legs de l’Antiquité :

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    Le Capitaine et le mousse avaient eu l’occasion de contempler le bel édifice de visu à l’époque où ils étaient des routards avec des sacs à dos.

    Mais sur le ferry, l’interlocuteur avisé a préféré rattacher la gloire d’Éphèse à l’histoire de la Rédemption. Il a donc parlé au mousse de la dernière demeure de la mère du Nazaréen.

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    L’illustration est empruntée à l’œuvre picturale de Pietro Gagliardi. La fresque se trouve dans la nef de la Basilica di Sant’Agostino, située au Campo Marzio de Rome.

    La figure mariale est un modèle d’humilité. Elle est une expression de la miséricorde qui vient d’en haut.

    Le mousse faisait remarquer que l’interlocuteur avait une prédilection pour les choses concernant les أهل الكتاب (en français : gens du Livre).

    La remarque du mousse a été reçue par l’interlocuteur comme un compliment.

    L’interlocuteur a su choisir des sujets de conversation qui plaisaient au mousse car le cœur de celui-ci demeurait totalement accessible.

    Le sujet de conversation que constituait la Bibliothèque de حافظ أحمد أغا à Rhodes avait trait à la quête de vérité. Le thème de la Sortie d’Égypte correspondait au désir de liberté. L’évocation de la figure mariale à Éphèse traduisait la préoccupation de la miséricorde.

    Vérité, liberté et miséricorde sont trois valeurs essentielles qui donnent du sens à l’existence humaine.

    Comme aux temps anciens, l’échange d’accessibilité avait lieu au ras du sol, près de l’humus symbolique :

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    Le tableau a été réalisé par le peintre autrichien Ludwig Deutsch.

    Au ras du sol, on s’édifiait et se donnait mutuellement lucidité, sagesse et courage.

    Le ferry de l’Adriatique nous a offert la même opportunité.

    La traversée d’Ancône à Ηγουμενίτσα – HΓΟΥΜΕΝΙΤΣΑ a soulevé la question suivante, si primordiale : « Notre être est-il accessible à notre prochain ? Avons-nous quelque chose à partager avec lui ? »

    Souvenons-nous de l’accessibilité de la pleine lune au-dessus des deux sacs de couchage au moment où nous venions de garer notre carrosse au parking du ferry.

    Cette accessibilité annonçait une autre accessibilité, celle de la route de l’Anatolie au cours de l’été qui arrive.

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    Le clair de lune ci-dessus a été peint par le Russo-Arménien Ivan Konstantinovitch Aïvazovski pour Constantinople.

    Mais déjà dans le giron du ferry, l’accessibilité du cœur créait le voyage dans le voyage.

    L’accessibilité a fait naître un autre voyage à l’intérieur du voyage initialement prévu. La magie du dédoublement était à la fois une source d’édification et de ravissement.

    L'accessibilité improvisait un voyage au pays de la disponibilité. Parmi les trésors promis par ce voyage, il y avait le goût de la fraternité universelle.

    Comblés par l’apport spirituel, nous avons savouré l’accessibilité du sol grec en débarquant à Ηγουμενίτσα – HΓΟΥΜΕΝΙΤΣΑ.

     

    La promesse de l'accessibilité

     

    Posée devant le pare-brise, la pancarte de la destination nous rappelait que l’accessibilité de l’être intérieur a rendu fécond le temps de la traversée.

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