• Le théâtre dont il s'agit ici est, en tant qu'ouvrage d'architecture, le fameux hémicycle en plein air, situé à Επίδαυρος – ΕΠΙΔΑΥΡΟΣ (en français : Épidaure).

     

    Le souffle du théâtre

     

    C'est un véritable bijou sur le plan de l'acoustique.

    Si l'on se réfère à la création littéraire, le présent article concerne l’œuvre du dramaturge Σοφοκλες – ΣΟΦΩΚΛΕΣ (en français : Sophocle).

     

    Le souffle du théâtre

     

    Σοφοκλες – ΣΟΦΩΚΛΕΣ était l'un des auteurs qui ont contribué à l'âge d'or d'Athènes.

    Le souffle du théâtre est parvenu jusqu'à nous grâce à un double concours de circonstances. Chronologiquement, le premier des deux hasards s'est produit à l'entrée Ouest de la ville où se trouvait le port à sec qui hébergeait le Zeph. L'entrée dans le territoire administratif était signalée par deux panneaux. Voici la pancarte située du côté terre :

     

    Le souffle du théâtre

     

    La direction principale figurait sur le registre supérieur. Le voyageur était informé qu'il n'avait plus qu'un kilomètre à parcourir pour atteindre la mairie. Le nom du territoire administré est Λίηνη, en lettres minuscuscles. Avec des majuscules, on aurait eu : ΛΙΜΝΗ.

    Le deuxième panneau, situé du côté de la mer, remplissait la même fonction d'information, mais avec plus de solennité. Voici l'affichage d'apparat :

     

    Le souffle du théâtre

     

    On y lit :

    ΔΗΜΟΣ

    ΕΛΥΜΝΙΩΝ

    Avec des caractères minuscules, on aurait eu :

    Δήμος

    Ελυμνίων

     

    Sur la pancarte qui se voulait somptueuse, le mot de la ligne du dessus : Δήμος – ΔΗΜΟΣ était un nom commun, qui signifiait simplement « municipalité ». Le nom propre de cette municipalité était écrit sur la ligne inférieure. Il apparaît très clairement que ce n'était pas du tout le même mot que celui qui apparaissait sur la pancarte bleue, malgré qu'il soit question, dans les deux cas, du même territoire administré.

    Dans l'Antiquité, Λίηνη – ΛΙΜΝΗ s'appelait Ἐλύμνιον – ἘΛΥΜΝΙOΝ.

    La pancarte du côté de la terre a choisi la graphie de la modernité tandis que le panneau du côté de la mer a privilégié l'appellation antique, car celle-ci était encore toute auréolée de gloire.

    Cette gloire s'adossait au génie littéraire de Σοφοκλες – ΣΟΦΩΚΛΕΣ, pour qui Ἐλύμνιον – ἘΛΥΜΝΙOΝ était l'endroit où Zeus, le souverain de l'Olympe, avait rencontré pour la première fois, celle qui allait devenir son épouse officielle, c'est-à-dire Héra.

    Le mousse a commencé à capter le bruissement du souffle sophocléen grâce au double affichage de la municipalité locale.

    Mais dans l'Antiquité grecque, pour qu'il y ait vraiment théâtre, il fallait que les mots de la gestation engendrent concrètement une naissance sur les planches, à travers la matérialité d'une mise en scène.

    Le bruissement du souffle sophocléen est devenu souffle du théâtre, au sens où l'entendaient les anciens Grecs, grâce à l'intervention de l'Iravera, qui était le voisin à tribord du Zeph dans le port à sec.

     

    Le souffle du théâtre

     

    À gauche de la photo, c'était le linge qui séchait vers l'arrière du Zeph.

    L'Iravera était attentif à tout se qui se passait sur le Zeph, du côté de la poupe comme du côté de la proue.

     

    Le souffle du théâtre

     

    Sur la photo ci-dessus, c'était toujours le Zeph, avec la suite du linge étendu. Sur la gauche, on reconnaît les deux torchons blancs à rayures bleues, qui apparaissaient déjà dans la photo de la poupe.

    L'Iravera voyait les tâches glorieuses et racontables, mais aussi celles qui étaient considérées comme obscures et ingrates.

    Le pont du Zeph servait de planches où se jouait le spectacle des derniers préparatifs.

    L'accomplissement des tâches à bord du Zeph a ému l'Iravera, qui a alors pris l'initiative de nous offrir l'apéro.

    Pour reprendre les termes du capitaine de l'Iravera, qui se prénnommait Jean-Marc, l'invitation venait de plus haut que lui, de l'amirauté même. Et la personne qui occupait ce poste prestigieux sur l'Iravera s'appelait Myriam.

    L'apéro offert par l'amirale Myriam constituait le premier acte de la pièce improvisée entre l'Iravera et le Zeph.

    Les divinités nous ont suggéré qu'il y aurait un deuxième acte, qui relèverait de notre responsabilité.

    Entretemps, a eu lieu l'entracte. Voici un moment de cet entracte :

     

    Le souffle du théâtre

     

    Le capitaine de l'Iravera est venu pour aider celui du Zeph à diagnostiquer la fuite d'eau sous le ballon d'eau chaude.

    Au premier plan, sur la table de l'espace central, se voyaient un pain aux graines et des citrons. Myriam, l'amirale de l'Iravera, nous avait demandé de lui rendre un service : elle souhaiterait que nous lui ramenions du pain et des citrons quand nous irions faire nos courses.

    Myriam n'a pas abusé ni de sa position, ni de son autorité. C'était une marque de confiance de sa part, un moyen élégant pour dire que des relations toutes particulières venaient d'éclore enntre l'Iravera et le Zeph.

    L'amirale Myriam a tenu à nous rembourser les achats que nous avions faits pour elle.

    Avec l'Iravera, il y a eu d'abord le souffle de la bonté, à travers l'apéro.

    À présent, c'était le souffle de la probité, avec l'énonciatiion explicite du proverbe : « les bons comptes font les bons amis ».

    Mais le plus beau de tous les souffles qui rendaient la présence de l'Iravera si délicieuse, c'était le souffle de l'humilité.

    D'abord physiquement, par le geste corporel.

    Regardez donc :

     

    Le souffle du théâtre

     

    Il existe une position qui n'est pas très prisée en Occident. Elle est décrite par le verbe « se baisser », car celui-ci fait penser à « s'abaisser ». Mais pour le capitaine de l'Iravera, se baisser jusqu'au niveau du plancher, et même au-dessous, ne posait pas de problème, car le souffle de la serviabilité donnait la souplesse nécessaire aux articulations.

    Puis est venu le moment où devait se produire le deuxième acte de la pièce improvisée entre l'Iravera et le Zeph. Ce deuxième acte était construit autour de deux gestes essentiels. Voici les éléments qui contribuaient à l'accomplissement du premier geste :

     

    Le souffle du théâtre

     

    Le champagne était servi d'emblée pour dire à quel point nous étions redevables à l'amirale et au capitaine de l'Iravera pour leur profonde empathie.

    À leur générosité sans limite, déployée au cours de l'apéro, nous avons répondu par une gratitude qui prévoyait deux hors-d'oeuvre pour accompagner le champagne.

    La première entrée était une entrée froide.

     

    Le souffle du théâtre

     

    À l'occasion de ce plat, deux produits du terroir grec étaient en compétition pour leur craquant : l'oignon rouge et le concombre.

    La deuxième entrée était une entrée chaude.

     

    Le souffle du théâtre

     

    Tous les éléments étaient servis chauds, mais tous étaient absolument al dente : le poivron vert en tranches, les champignons blancs en quartiers, le chou vert en lanières.

    Le deuxième geste essentiel de la convivialité à bord du Zeph faisait intervenir un fleuron du terroir rhônalpin :

     

    Le souffle du théâtre

     

    Le Gigondas, estampillé du millésime 2013, avait pour mission de rappeler aux invités nos origines et notre patrimoine.

    Pour accompagner ce breuvage de la Vallée du Rhône, il était prévu un poulet rôti ave des choux-fleurs et des pommes.

     

    Le souffle du théâtre

     

    Du gingembre était ajouté pour parfumer les sucs caramélisés.

    C'étaient pendant ces instants festifs que le souffle du théâtre a fait une apparition remarquée.

    À l'amirale qui demandait au mouse ce qui le motivait, il a mentionné l'aiguillon de l'Histoire en prenant comme exemple la découverte de la pancarte ΔΗΜΟΣ ΕΛΥΜΝΙΩΝ. Naturellement, le mousse a prononcé le nom du dramaturge. Quand le capitaine de l'Iravera a entendu « Sophocle », il a sursauté puis souri.

    Nous avons eu l'explication de ce sursaut et de ce sourire au troisième acte. Car nous étions de nouveau invités par l'Iravera, pour un autre apéro.

    Nous avons alors appris que l'amirale et le capitaine de l'Iravera avaient eu le privilège d'assister en direct, sur les gradins du prestigieux théâtre d'Épidaure, à une représentation de la pièce Οἰδίπoυς ἐπὶ Κολωνῷ (en français : Œdipe à Colone), l'une des dernières tragédies composées par Sophocle.

    Le texte grec relate l'exil d'Œdipe. Privé de sa vue, celui-ci s'appuyait sur sa fille Antigone, qui l'accompagnait dans ce chemin expiatoire.

     

    Le souffle du théâtre

     

    Le tableau ci-dessus est une huile sur toile, peinte par Camille-Félix Bellanger.

    On y voit Œdipe assis comme sur un trône. Malgré les yeux crevés, la majesté n'a pas totalement quitté la silhouette de celui qui, jadis, a vaincu le Sphinx.

    Œdipe tient dans sa main gauche le bâton de l'errance, qui n'est pas sans rappeler son sceptre. Sa main droite repose affectueusement sur l'épaule droite de sa fille Antigone.

    Le peintre français a placé par rapport à Œdipe (et non par rapport aux personnes qui contemplent le tableau) l'autorité à gauche et l'amour à droite. Autrement dit, ce qui compte désormais pour Œdipe, c'est la route de l'amour.

    En réponse au geste paternel, Antigone lève ses yeux en direction du visage d'Œdipe. Et une tendresse infinie se dégage de ce regard émouvant.

    À gauche du tableau, vers l'horizon, apparaît Thèbes, que le père et la fille ont quittée. La ville est dans la lumière, mais les couleurs sont pâles, pour signifier un passé évanescent.

    Le premier plan, lui, est très net, avec des couleurs bien appuyées, parce qu'il concerne l'actualité que constitue la psychologie des personnages représentées.

    La couleur blanche de la tunique d'Œdipe exprime le fait que sa conscience veut retrouver la paix. Quant à Antigone, le haut de son vêtement présente des reflets d'or. C'est l'or d'un cœur mu par une profonde piété à l'égard de la figure paternelle.

    L'affection et la douceur peintes par l'artiste français sont en parfaite harmonie avec le texte de Sophocle. En effet, voici les paroles d'adieu d'Œdipe, avant de mourir :

    σκληρὰν μέν, οἶδα, παῖδες : ἀλλ᾽ ἓν γὰρ μόνον

    τὰ πάντα λύει ταῦτ᾽ ἔπος μοχθήματα.

    τὸ γὰρ φιλεῖν οὐκ ἔστιν ἐξ ὅτου πλέον

    ἢ τοῦδε τἀνδρὸς ἔσχεθ᾽, οὗ τητώμεναι

    τὸ λοιπὸν ἤδη τὸν βίον διάζετον.

    Οἰδίπoυς ἐπὶ Κολωνῷ. Στἱχοι ,χιε' – ,χιθ'

     

    « O mes enfants, dès ce jour vous n'avez plus de père ; tout est fini pour moi : vous n'aurez plus le soin pénible de me nourrir, et je sais ce qu'il vous a coûté, mes filles ; mais une chose suffit pour adoucir toutes vos peines, c'est que personne ne vous a plus tendrement aimées que ce père, sans lequel vous allez passer le reste de vos jours. »

    Œdipe à Colone. Vers 1615 – 1619

     

    Comme dira Paul de Tarse quelques cinq siècles plus tard, à la fin de toutes choses, seul demeure l'amour.

    L'Iravera était subjugué par la représentation en direct. Et à présent, il partage sa vive émotion à l'équipage du Zeph. C'est ainsi que le souffle du théâtre, au sens où l'entendaient les Anciens, est parvenu jusqu'à nous.

    À Επίδαυρος – ΕΠΙΔΑΥΡΟΣ, l'Iravera avait eu le privilège de voir en direct.

    À Λίηνη – ΛΙΜΝΗ, l'Iravera jouait des rôles taillés sur mesure.

    Des rôles animés par le souffle de la solidarité et de la disponibilté.

    Puis des rôles portés par le souffle de la probité.

    Mais le souffle qui distinguait le plus l'Iravera était celui de l'humilité.

    Car dans ses propos et dans ses gestes, l'Iravera ne déclarait jamais : « On est le meilleur, le plus beau, le plus veloce, etc, etc ! »

    En cela, la saine attitude de l'Iravera rejoignait la pensée sophocléenne, qui recommande ceci :

    μή νυν ἓν ἦθος μοῦνον ἐν σαυτῷ φόρει,

    ὡς φὴς σύ, κοὐδὲν ἄλλο, τοῦτ᾽ ὀρθῶς ἔχειν.

    ὅστις γὰρ αὐτὸς ἢ φρονεῖν μόνος δοκεῖ,

    ἢ γλῶσσαν, ἣν οὐκ ἄλλος, ἢ ψυχὴν ἔχειν,

    οὗτοι διαπτυχθέντες ὤφθησαν κενοί.

    ἀλλ᾽ ἄνδρα, κεἴ τις ᾖ σοφός, τὸ μανθάνειν

    πόλλ᾽, αἰσχρὸν οὐδὲν καὶ τὸ μὴ τείνειν ἄγαν.

    ὁρᾷς παρὰ ῥείθροισι χειμάρροις ὅσα

    δένδρων ὑπείκει, κλῶνας ὡς ἐκσῴζεται,

    τὰ δ᾽ ἀντιτείνοντ᾽ αὐτόπρεμν᾽ ἀπόλλυται.

    αὕτως δὲ ναὸς ὅστις ἐγκρατῆ πόδα

    τείνας ὑπείκει μηδέν, ὑπτίοις κάτω

    στρέψας τὸ λοιπὸν σέλμασιν ναυτίλλεται.

    Ἀντιγόνη. Στἱχοι ψε' – ψιζ'

     

    Ne te mets donc pas dans l'esprit qu'il n'y a que tes seules paroles qui soient sages. En effet, quiconque s'imagine que lui seul est sage, et que nul ne le vaut par l'âme et par la langue, est le plus souvent vide quand on l'examine. Il n'est point honteux à un homme, quelque sage qu'il soit, de beaucoup apprendre et de ne point résister outre mesure. Vois comme les arbres, le long des cours d'eau gonflés par les pluies hivernales, se courbent afin de conserver leurs rameaux, tandis que tous ceux qui résistent meurent déracinés. De même le navigateur qui tient résolument tête au vent et ne cède pas, voit sa nef renversée et flotte sur les bancs de rameurs.

    Antigone. Vers 705-717

     

    Le souffle du théâtre offre au Zeph un bonheur sublime, qui n'est pas superficiel et vain comme le plaisir procuré par la consommation des choses périssables.

    Nous sommes très reconnaissants à l'Iravera d'avoir été le médiateur providentiel du souffle sophocléen.

    Une chanson française dit que l'on « n'est riche que de ses amis ».

    Dès les premiers jours de cette saison, l'histoire du Zeph s'est enrichie d'une nouvelle amitié grâce au souffle de vérité, porté par l'Iravera.

    Voici le capitaine de l'Iravera, acteur et non plus spectateur :

     

    Le souffle du théâtre

     

    L'effervescence champenoise n'était pas vaine. Elle préparait le souffle du théâtre pour d'autres moments de convivialité exquis.

     

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