• Elle est gracile, mais elle dit l'épaisseur du temps.

    Elle s'incurve, mais elle est fière.

    Elle aime bien se montrer au sommet des œuvres qui magnifient l'élan vital.

    La voici à Πόρος – ΠΟΡΟΣ, sur la couronne sommitale de l'édifice qui célèbre l'arrivée de l'eau douce :

     

    L'attrait de la palmette 

    Les historiens de l'art l'appellent « palmette ».

    Elle a la forme d'une fleur symétrique, formée d'un nombre impair de pétales allongés, qui prennent naissance à partir d'un losange situé à la base. L'axe médian est matérialisé par le pétale central qui se dresse vers le ciel. De part et d'autre, se développent d'autres pétales qui s'incurvent progressivement depuis la verticale. La ligne qui relie les extrémités des pétales forme un cœur dont la pointe est tournée vers le haut.

    Sur la photo, la palmette regardait le Sud. Trois autres palmettes s'adressaient aux trois autres points cardinaux : l'Est, l'Ouest et le Nord.

    Placées aux sommets du carré inscrit dans le cercle qui moulait l'antique fontaine, les quatre palmettes proclamaient dans toutes les directions du territoire la fierté de la cité portuaire, qui était autonome en eau douce. À une vingtaine de miles de là, au Sud-Ouest, l'île appelée Σπέτσες – ΣΠΕΤΣΕΣ ne pouvait pas tenir le même discours iconographique, car elle ne possédait pas de source en eau douce et dépendait du ravitaillement par les ferrys-citernes.

    La palmette grecque est comme un oriflamme qui ondule dans le vent pour signaler la prospérité.

    Dans l'exemple ci-dessous, la floraison s'enrichit grâce au dédoublement :

     

    L'attrait de la palmette

     

    En vérité, il y a deux dédoublements.

    Le premier produit l'étagement de deux fleurs. Celle qui au-dessous est aussi celle qui est à l'intérieur. Les corps des deux fleurs s'incurvent avec beaucoup de délicatesse et d'élégance, pour exprimer la sollicitude de celle qui se déploie à l'extérieur et la gratitude de celle qui se blottit dans le giron.

    L'artiste grec crée un dialogue à l'intérieur de la palmette, entre la forme enveloppante et la forme protégée.

    Un même axe de symétrie traverse les deux fleurs et répartit de façon équilibrée, à droite et à gauche, les pétales dont la quantité totale est alors un nombre pair. Six pétales de chaque côté, pour chacune des deux fleurs.

    C'est le deuxième dédoublement, qui organise chaque fleur en deux lobes séparés, qui se préparent à s'adosser l'un contre l'autre.

    C'est la représentation de la dualité inhérente à chaque être.

    La sculpture est exposée au Metropolitan Museum of Art, situé sur la Cinquième Avenue, à New York.

    Le dédoublement en deux lobes qui se tournent le dos est une idée qui a vu le jour un siècle auparavant, avec la construction du Parthénon, impulsée par Périclès.

    Voici une reconstruction de la palmette qui ornait le sommet du fronton occidental :

     

    L'attrait de la palmette

     

    L'élancement de l'ensemble était époustouflant.

    La palmette partait à la conquête des cieux !

    Aucune ligne droite n'était à l’œuvre.

    La progression verticale se faisait par ondulations.

    La Terre, représentée par le marbre stylisé, s'en allait flotter au milieu de l'Air. Les tiges florales s'enroulaient comme des vagues successives et faisaient jaillir au-dessus d'elles une écume fleurie, qui se teintait en ocre dans la lumière du soleil couchant. Ainsi, l'Eau avait aussi son discours dans l'organisation de la palmette.

    Et qu'en était-il du quatrième élément, le Feu ? La palmette était comme un bouquet de flammes qui chantait l’avènement de la gloire et le retour à la vie, pour faire oublier l'incendie allumé par l'envahisseur perse.

    Ainsi l'artiste grec a convoqué les quatre Éléments pour inventer le double oriflamme qui célébrait la victoire de la toute première démocratie.

    L'oriflamme était double, parce qu'il se composait de deux entités séparées, qui correspondaient aux deux côtés, gauche et droit, qui constituaient chaque être. Les deux parties, qui étaient bien distinctes, progressaient du même pas, pour créer l'harmonie du tout. Elles étaient tantôt disjointes, tantôt contiguës. Elles ressemblaient à deux danseurs qui se tenaient par la taille, d'une manière extrêmement sensuelle. Après la défaite de Xerxès le Perse, la vie, avec toute sa sensualité, a repris sur le rocher sacré, comme en témoignait ce magnifique pas de deux, exécuté en haut du fronton qui recevait la lumière du soleil couchant.

    La silhouette de la palmette grecque est indissociable du haut-fait.

    Celui qui a été le premier empereur des Français l'a très bien compris. Dans la construction de sa légende, il a toujours veillé à associer la palmette à la gloire militaire et politique. Voici l'une des empreintes laissées par Napoléon sur le palais du Louvre :

     

    L'attrait de la palmette

     

    L'initiale du prénom occupait le centre du carré. La lettre était rehaussée par une couronne de perles qui donnait naissance à une autre couronne de pétales rayonnants. Deux palmettes matérialisaient l'axe horizontal, comme pour indiquer l'Est et l'Ouest sur une mappemonde. Le pétale central de chaque palmette était tel un fer de lance. Celui qui pointait vers l'Ouest s'adressait à la puissance britannique qui convoitait la maîtrise des mers tandis que celui qui se dirigeait vers l'Est visait l'autorité du tsar Alexandre 1er.

    La paire de palmettes manifestait un désir de puissance, de stabilité et de pérennité.

    La palmette était intelligemment sollicitée pour le discours d'apparat du pouvoir. Elle l'était encore pour susciter l'émerveillement du regard dans les scènes de l'intimité.

    Voici la décoration du trépied qui portait la cuvette d'argent utilisée par Napoléon pour faire sa toilette :

     

    L'attrait de la palmette

     

    Le plan horizontal était celui de la table triangulaire où était posée l'aiguière qui alimentait en eau la cuvette à l'étage supérieur.

    L'abeille, symbole du pouvoir napoléonien, apparaissait sur le montant oblique, là où celui-ci était rejoint par la table triangulaire. Juste au-dessus de cette jonction, un dauphin indiquait que le service appartenait à l'univers de l'eau. Sur le rebord de la table, figurait de façon ostentatoire la palmette, sous deux formes : une forme bordée, qui utilisait l'apparence de la fougère, et une forme aérée, qui avait recours à la silhouette du chèvrefeuille.

    Quant à l'aiguière en argent, qui contenait la réserve d'eau, elle avait une panse qui reflétait l'élégance et la noblesse. Voici la magnifique frise qui ornait cette panse :

     

    L'attrait de la palmette

     

    Entre deux palmettes majestueuses, s'intercalait un caducée, qui rappelait que la toilette personnelle permettait d'obtenir une bonne santé. La prospérité du corps était encore évoquée par une double corne d'abondance, dont l'axe de symétrie était le bâton ailé.

    Ce meuble luxueux, fait d'if, de bronze, d'argent et d'or, a suivi Napoléon depuis la chambre des Tuileries jusqu'au palais de l’Élysée, et même jusqu'à la résidence à Sainte-Hélène.

    Ainsi la palmette était indissociable du prestige napoléonien, en public et en privé.

    Ce qui est surprenant dans l'affaire, c'est que les adversaires de Napoléon ont aussi sollicité la palmette grecque, pour tenir le même discours de gloire et marquer le temps.

    À Waterloo, là où l'armée française, commandée par Napoléon 1er, a été battue de façon décisive par l'armée des Alliés, dirigée par le duc de Wellington, est érigé un monument funéraire à la mémoire de l'aide de camp de celui-ci, Alexander Gordon, tombé sur le champ de bataille en ce jour mémorable qu'était le 18 juin 1815.

    La stèle commémorative est formée d'un piédestal et d'une colonne brisée, qui symbolise la vie écourtée de l'aide de camp du général anglais.

    À chacun des quatre angles supérieurs du piédestal, voici ce qui surgit :

     

    L'attrait de la palmette

     

    Une palmette pliée en deux, pour se déployer en même temps sur les deux faces du piédestal. La gloire, visible de toutes parts, dans toutes les directions.

    La face Est du piédestal est décoré par un bas-relief qui montre les armes de l'armée anglaise. Ce bas-relief est surmonté par la sculpture suivante :

     

    L'attrait de la palmette

     

    C'est l'insigne des Scots Guards, le régiment d'élite auquel appartenait l'aide de camp Alexander Gordon. L'insigne est construit sur un chardon entouré de la devise latine Nemo me impune lacessit (en français : Nul ne m'offense impunément).

    Et autour de la couronne qui porte la devise de l'Ordre du Chardon, quatre palmettes définissent l'axe horizontal et l'axe vertical. Des palmettes qui reflètent la rigueur militaire, mais aussi le serrement du cœur de Wellington, qui pleurait la disparition de son ami en ces termes :

    “ Well, thank God, I don’t know what it is to lose a battle ; but certainly nothing can be more painful than to win one with the loss of so many of one’s friends. ”

    (En français : « Grâce à Dieu, j’ignore ce qu'est perdre une bataille, mais rien ne peut être plus pénible d'en gagner une en perdant tant d'amis ! »)

    Et Napoléon et ses adversaires ont eu recours à la palmette grecque pour exprimer ce que l'instant avait de crucial.

    La palmette n'a pas ébloui que le « vieux continent ». Elle a aussi charmé le Nouveau Monde. À titre d'exemple, voici la place d'honneur qui lui est réservée dans l’État de l'Ohio, aux États-Unis :

     

    L'attrait de la palmette

     

    La palmette, qui orne le sommet d'un fronton triangulaire inspiré par l'Antiquité, est comme une main qui appelle le visiteur en lui disant : « Approche ! Viens vite ! Il se passe ici quelque chose de remarquable, d'exceptionnel ! »

    Le recul montre mieux encore la beauté de cette invitation. Voici le panorama dominée par cette palmette qui a traversé l'Océan Atlantique après avoir franchi les colonnes d'Héraklès :

     

    L'attrait de la palmette

     

    Nous sommes devant l'entrée du Cleveland Museum of Art.

    L'édifice est fier de son hommage au modèle grec.

    Chaque sommet du fronton est gardé par une palmette. La plus haute est dépliée sur un seul plan. À la base du fronton, les palmettes sont pliées pour être vues aussi sur le côté.

    L'élégance grecque est magnifiée par le choix de l'ordre ionique pour les colonnes du portique de l'entrée.

    Devant l'escalier, s'exhibe « Le Penseur » de Rodin.

    Les palmettes couronnent donc un espace dédié au savoir et à la mémoire. Elles s'associent à la fleur de l'intelligence.

    Mais à Cleveland, il n'y a pas que le raffinement de l'esprit. Il y a aussi la noblesse du cœur. Car, de part et d'autre des quatre colonnes ioniques, sont tendues deux immenses voiles carrées portant l'inscription suivante :

    FOR THE

    BENEFIT

    OF

    ALL THE

    PEOPLE

    FOREVER

     

    Littéralement :

    POUR LE

    BENEFICE

    DE

    TOUT LE

    PEUPLE

    À JAMAIS

     

    La gratuité est à l'honneur. C'est l'idéal grec du δημοτικό – ΔΗΜΟΤΙΚΟ.

    L'offre vaut pour tout le monde. Le message est donc universel.

    L'invitation n'a pas de date limite. La proposition s'apparente à ce qui est éternel.

    Quelle générosité !

    Quelle beauté de l'âme !

    La palmette grecque, telle qu'elle est mise à l'honneur à Cleveland, célèbre le triomphe de l'éthique.

    La bonté est impérissable.

    La palmette marque la victoire sur la fuite du temps.

    Le mot grec pour « palmette » est ανθέμιο – ANΘΕΜΙΟ. Le même mot désigne l'hymne national.

    La palmette est donc un chant de gloire qui célèbre le savoir et le savoir-être grecs.

    La Grèce du XXIè siècle fait un usage très pertinent de cet ornement si précieux.

    En effet, l'Université Capodistrienne d'Athènes place la palmette aux endroits stratégiques.

    Par exemple sous le Sphinx, ou plus exactement la Sphinge, qui incarne la science des Mystères :

     

    L'attrait de la palmette

     

    La frise des palmettes, qui alterne les formes bordées et les formes aérées, reprend la palette du Parthénon de Périclès : l'or pour les pétales, et le rouge vif pour le fond en forme de cœur.

    Dans un autre exemple contemporain, la palmette coiffe la chouette d'Athéna, à la manière d'un éventail composé de plumes heureuses :

     

    L'attrait de la palmette

     

    Juste en dessous de la palmette, apparaît la déesse tutélaire, assise sur un trône.

    La Grèce du XXIè ne manque pas une occasion pour célébrer l'héritage incarné par la palmette.

    Et le Zeph dans tout cela ?

    Son histoire est orchestrée par la palmette.

    Ses projets gravitent autour de l'ανθέμιο – ANΘΕΜΙΟ.

    L'une des choses les plus importantes pour le marin est son rapport à la terre ferme. Beaucoup d'adrénaline pour la quitter, et beaucoup de joie pour la retrouver. Un objet précieux accompagne ces moments enthousiastes : la passerelle. Celle du Zeph arbore avec fierté le message de prospérité de la palmette :

     

    L'attrait de la palmette

     

    La palmette, en un seul ensemble indivisible ou sous la forme de deux lobes séparés, rehausse l'initiale du Zeph, non sans retenir le regard de maints passants émerveillés.

    Dans son giron aussi, le Zeph se plaît à montrer sa grande affection pour la palmette, surtout quand Διόνυσος – ΔΙΟΝΥΣΟΣ fait partie des convives. Voici le collier de palmettes destiné à décorer le cristal qui reçoit le délicieux jus de la vigne :

     

    L'attrait de la palmette

     

    Chaque palmette apparaît comme une stalactite fleurie, qui orne le chemin vers vers l'euphorie.

    Ainsi la palmette a toujours été pour nous la floraison du bonheur.

    Depuis le temps où nous n'étions que de simples routards :

     

    L'attrait de la palmette

     

    Le portrait a été réalisé à l'Université Capodistrienne.

    Au-dessus de nos têtes emplies de rêves, une palmette, prolongée par deux cornes d'abondance, accordait sa bénédiction. À l'époque, le Zeph était encore embryonnaire. Mais la palmette veillait à la gestation.

    À chaque angle, une chouette, rappelant la présence d'Athéna, servait de sentinelle pour que nous goûtions en toute quiétude cet instant magique.

    Depuis le sac à dos jusqu'au sac à voiles, la palmette a accompagné notre projet de suivre le sillage des Grecs. Tout comme elle a accompagné Napoléon depuis les Tuileries jusqu'à Sainte-Hélène, et l'Acropole depuis le siècle de Périclès jusqu'à l'ère moderne.

    Symbole de l'élégance et du triomphe, la palmette est l'ornement qui célèbre ce qui est essentiel.

    Pin It

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique