• Étymologiquement, le courage est une force du cœur, indépendamment de la robustesse de la constitution physique.

    L’évocation du courage est toujours associée à une difficulté à résoudre. Ce que le marin craint le plus, c’est l’imprévu, qui est souvent source de contrariétés et de crises, parfois paroxystiques.

    L’adversité ne nous a pas lâchés d’une semelle. La veille de la mise à l’eau, elle nous a joué un sale tour. En effet, vingt-quatre heures avant que le Zeph ne quitte définitivement son ber, le capitaine s’est rendu compte que la vanne des WC était complètement bloquée. De nouveau, il a dû retrousser les manches. Il a fallu beaucoup de courage pour ouvrir de nouveau la boîte à outils, tout démonter, scier, réajuster, coller, serrer, desserrer, resserrer, re-desserrer,...

    Voici la lucarne de l’évacuation, vue de l’extérieur, d’en bas, de là où était posté le mousse. La lucarne est entourée par une collerette de glu.

     

    Le triomphe du courage

     

    On voyait les toucans qu’avait peints le capitaine pour la salle d’eau. Était aussi visible le bouchon rouge du flacon de détartrant.

    Voici à présent la même salle d’eau, mais vue d’en haut et de l’intérieur.

     

    Le triomphe du courage

     

    On reconnaît le décor amazonien et son reflet dans la glace de l’armoire à pharmacie.

    Ce n’était pas un exercice de perspective, ni de centrage d’un collimateur.

    C’était plutôt un rude combat entre deux tours de poignet : celui du capitaine qui serrait de l’intérieur, et celui du mousse qui devait empêcher le dévissage sur la paroi externe. L’objectif du tandem action-réaction était de bien plaquer l’anneau doré sur l’épaisseur de colle, laquelle épaisseur était censée garantir l’étanchéité.

    Ah, l’étanchéité ! Quel redoutable sujet !

    C’est une question de vœu, de craintes, et parfois de surprises fort désagréables.

    C’était extrêmement rageant de devoir décaler la date de la mise à l’eau. Le fardeau des travaux préparatoires a déjà sérieusement rongé notre moral. Avec l’affaire de la vanne des WC, on s’est demandé si la succession des calamités finirait un jour.

    Le courage permet la persévérance.

    L’attitude courageuse est en lien étroit avec le temps, et non avec l’énergie.

    Le courage n’a rien à voir avec l’imprudence ou la présomption, comme le démontre l’affaire des batteries. Après avoir obtenu de précieux renseignements auprès de l’Aventy, que nous remercions vivement, nous avons pris la décision d’installer des batteries neuves pour cet été. Chaque module faisait trente-cinq kilos. Il y avait deux modules à hisser du sol jusqu’au pont supérieur, puis à déplacer jusque dans la soute. Il était hors de question de faire l’intégralité de cette manutention à bout de bras. Non pas parce que les bras n’auraient pas la force de soulever et de pousser, mais parce que le risque concernait les nerfs qui passaient entre deux vertèbres. Le capitaine du Zeph a donc pris la sage décision de s’équiper d’un treuil électrique, qui pourrait soulever jusqu’à deux cent cinquante kilos.

     

    Le triomphe du courage

     

    Le moteur du monte-charges était accroché à la bôme, qui servirait de balancier pour transporter sans heurt du flanc droit de la coque à l’antre de la soute.

    Le courage fonctionne avec la lucidité et la prévoyance.

    Le capitaine a aussi pris la précaution de protéger le bas du dos, grâce au port d’une ceinture lombaire, qui était en tissu noir.

     

    Le triomphe du courage

     

    Sur le plan médical, le port de l’orthèse était une mesure prophylactique. Sur le plan philosophique, c’était un signe d’humilité.

     

    Le triomphe du courage

     

    Du côté de la poupe du Zeph, à bâbord, attendait sur son ber un voilier qui appartenait à deux Nantais. Le nom du voilier était Lilia.

    Nous avons proposé aux Nantais le concours gracieux de notre monte-charges électrique pour soulever leurs nouvelles batteries. Mais nos voisins n’avaient pas le temps d’attendre que notre appareil soit dégagé du fatras de nos bagages, qui venait de traverser la plaine du Pô. Alors les propriétaires du Lilia ont tout fait avec leur simple force musculaire : soulever, hisser, pousser...bras tendus, jambes raidies,...en bâillonnant les reins et en retenant la respiration...

     

    Le triomphe du courage

     

    Les Nantais sont venus à la Marina Aktio un jour avant nous. Ils sont restés cinq nuits sur place et sont repartis sur la mer vingt-et-un jours avant nous.

    Le courage se méfie de la hâte et encore plus, de la précipitation.

    Avoir le courage d’étaler dans le temps pour préserver l’équilibre de soi.

    Avoir le courage de ne pas céder à l’impatience ambiante.

    Entre le Zeph et la mer qui baignait le port de Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ, se trouvait un voilier breton qui avait pour nom Boléro. Nous avons fait la connaissance des propriétaires du Boléro, Christophe et Annie, l'an dernier, à Iτέα – ΙΤΕΑ.

    Cet année, Christofle et Annie sont partis de Saint-Nazaire le vendredi 17 juillet. Après trois nuits à la Marina Aktio, ils ont eu leur mise à l'eau.

    Voici Annie qui s'activait sur le pont, juste avant l'intervention de la grue :

     

    Le triomphe du courage

     

    Arrivés deux semaines après nous, les Bretons sont repartis huit jours avant nous.

    Manifestement, notre rythme de vie n'est pas le même que celui de nos voisins.

    Sans doute, parce que nos objectifs et nos ressources sont différents des leurs.

    Littéralement, nous prenons « notre » temps. L'adjectif possessif est ici doté du sens fort : il s'agit du temps qui est le le nôtre, qui nous appartient, et que nous refusons de dénaturer par mimétisme.

    C'est le courage d’être conscient de son propre souffle et de le respecter.

    Pourquoi se presser pour faire comme autrui ? Pourquoi s'essouffler parce qu'on veut aller aussi vite que les autres ?

    C'est le courage d’être soi-même : courage de l’indépendance et de l’authenticité.

    Au contact de la réalité, l'indépendance d'esprit et l'authenticité du mode de vie engendre le principe de l'autonomie.

    C'est le courage de la faisabilité maximale.

    Ne pas reculer devant la somme de travail. Ne pas abdiquer à cause de la charge de travail.

    Un de nos lecteurs, qui a pour prénom Olivier, est aussi un grand fan de l'autonomie. Il sait que ce n'est pas un vain mot. Il sait que c'est une manière de préserver sa propre liberté et de se témoigner de la confiance. Confiance en soi-même, en ses aptitudes, en son potentiel.

    Les Nantais ont reçu de l'aide pour refaire la coque de leur voilier Lilia.

    Le surlendemain de leur arrivée à la Marina Aktio, une personne s'est occupée de remettre en état le revêtement de la partie immergée.

     

    Le triomphe du courage

     

    Le technicien qui tenait la perche du badigeonnage recevrait sans nul doute une compensation financière.

    Quant au Zeph, c'est le capitaine lui-même qui faisait office de technicien pour l'antifouling.

    Première phase du chantier : décaper. La perche facilitait quelque peu la tâche, mais ne supprimait pas les torticolis.

     

    Le triomphe du courage

     

    Il fallait six heures pour enlever les vestiges de l'ancien traitement.

     

    Le triomphe du courage

     

    Puis six autres heures pour appliquer la première couche de protection.

    Puis six autres heures encore, le lendemain, pour appliquer la deuxième couche protectrice.

    L'autonomie, c'est la prise en charge de soi-même par soi-même, et ce, jusqu'au bout.

    Matériellement, les endroits cachés par les patins du ber ne bénéficiaient pas encore du nouvel antifouling. Et c'est seulement le jour de la mise à l'eau qu'ils seraient dégagés. C'est donc le jour de la mise à l'eau du Zeph que le capitaine lui-même, et non pas un technicien de la Marina, qui s'est coltiné le travail de rebouchage.

    Il fallait faire vite, très vite, dès que les tubes métalliques étaient enlevées.

     

    Le triomphe du courage

     

    Il fallait consentir à se baisser, à se plier, à se contorsionner.

     

    Le triomphe du courage

     

    Se baisser ne signifie pas s'abaisser.

    Se plier sans courber l'échine.

    Se contorsionner sans faire d'entourloupe.

    Dans cette démonstration de la souplesse du corps, il y avait la fierté du travail bien fait.

    C'est le principe de l'autonomie qui procure la souplesse et l'entrain.

    Le joyeux courage du capitaine surprenait puis fascinait l’équipe de la mise à l’eau. Sans doute qu’il n’est pas courant de voir un capitaine se mettre à quatre pattes et ramper de tribord à bâbord, autour du bulbe.

    Le capitaine du Zeph ne semblait redouter ni les torticolis, ni les douleurs lombaires, ni les crampes au niveau des jambes.

    Le capitaine a du courage, parce que dans son son cœur, le Zeph tient une très grande place. Nous voici de nouveau en compagnie de l’étymologie, qui éclaire magnifiquement une attitude concrète.

    L'autonomie est une gestion de soi, par soi, dans la plus grande minutie. Celle-ci commandait une pause dans le transfert du Zeph jusqu'à l'eau, pour permettre aux ajouts protecteurs de sécher convenablement.

    Alors, celui qui était baissé, s'est redressé.

    Celui était plié s'est déplié dans toute sa verticalité.

    Celui qui s'était contorsionné s'est mis à tenir un langage direct et sans détour.

    C'est ainsi que le technicien, redevenu capitaine, a demandé au conducteur du traîneau un temps supplémentaire pour que la robe du Zeph soit sans inégalité. Voici le capitaine du Zeph en pleine négociation :

     

    Le triomphe du courage

     

    Il fallait avoir le courage de la négociation.

    En cet instant précis, avoir du courage, c’était faire preuve d’intelligence et oser se montrer persuasif.

    Concrètement, qu'a dit le capitaine du Zeph ?

    Il a d'abord dit : « Δέκα λεπτά ; πέντε λεπτά ; »

    (En français : « Dix minutes ? Cinq minutes ? »)

    Il s'agissait du temps supplémentaire que réclamait le séchage des couches qui venaient d'être apposées.

    La première quantité temporelle ne convenait pas au conducteur du traîneau. L’homme était d'accord avec la seconde quantité. C'était une petite victoire pour le capitaine du Zeph, mais c'était quand même une victoire.

    Satisfait, le capitaine a répondu : « Eν τάξη, πέντε λεπτά. »

    (En français : « D’accord. Cinq minutes. »)

    Dans la foulée, le capitaine a ajouté : « Ούζο ; Μπύρα ; »

    (En français : « Ouzo ? Bière ? »

    Il s'agissait cette fois-ci du geste de gratitude du capitaine envers son interlocuteur. De nouveau, celui-ci a préféré la deuxième proposition.

    Nous étions extrêmement contents que l'échange ait lieu dans les meilleures conditions.

    Avant de rentrer dans l'eau, le Zeph était immobilisé au-dessus de la grève pendant plus de cinq minutes.

    Puis l'heure de l'immersion est venue. Prenant son courage à deux mains, le mousse s'est lancé dans une élocution dont l'objectif était d'être exempte de faute grammaticale. Il a hurlé au conducteur : « Kαλλιτέχνης ! »

    En français : « Artiste (sous-entendu : tu es) ! »

    Il fallait hurler pour couvrir le bruit du moteur.

    Le conducteur s'est mis à sourire en hochant la tête. Les syllabes lui étaient bien parvenues à l'oreille, en bonne et due forme.

    En même temps que la réaction du conducteur, celle du technicien qui était le plus proche de celui-ci a retenu l'attention du mousse. Ce technicien portait un maillot jaune et une casquette rouge. Il s'est retourné quand il a entendu l'éloge prononcé à haute voix par le mousse. Sur le visage du technicien, se lisaient à la fois la surprise et l'admiration.

    Cette double réaction, très positive, a dopé le courage du mousse, qui a risqué une phrase un peu plus élaborée : « Καλή δουλειά κάνεις ! »

    Littéralement : « Du beau travail tu fais ! »

    Comme l'adjectif qualificatif « Καλή » (beau) est en première position, le mousse a insisté sur la beauté de l'exécution, et le ton de la phrase était celui-ci : « Quel beau travail tu fais ! »

    Le compliment était tout à fait justifié : la progression du traîneau était exécutée avec précision, sans aucun accident (c'est-à-dire sans aucun accrochage), et de surcroît sans aucun à-coup.

    Malgré le bruit du moteur, le conducteur a bien reçu le compliment. Le technicien le plus proche s'est encore retourné pour manifester sa surprise et son admiration.

    Le cœur palpitant de joie, le mousse a prononcé les mots de la fin :

    « Για την ελληνική φιλοξενία »

    En français : « Pour l'hospitalité grecque ».

    C'était l'apothéose pour l'auditoire privilégié du mousse.

    Là où d'ordinaire n'intervenaient que la technicité et l'efficacité, l'esthétique et la bonté faisaient irruption, sans le désagrément des fautes de grammaire.

    Le mousse a construit son discours en trois temps.

    D'abord, il s'est affranchi de la banalité du quotidien en considérant que le conducteur du traîneau n'était pas seulement quelqu'un qui tournait un volant ou qui appuyait sur des manettes, mais quelqu'un qui possédait un art, celui de la souplesse. Art, donc, d'un chorégraphe.

    Dans un deuxième temps, le mousse a montré que le statut d'« artiste » n'était pas usurpé, puisque la beauté, physique et morale, de l'ensemble des gestes au cours de cette mise à l'eau était un témoignage fort éloquent.

    Enfin, le mousse a élargi le contexte. Après avoir parlé de l'individu, le mousse a évoqué la culture d'une collectivité, une culture qui recommande de bien prendre soin de l'étranger. Car le mot grec pour « hospitalité » est φιλοξενία, c'est-à dire « amour de l'étranger », littéralement.

    Après la reconnaissance du mérite personnel, est venu l’hommage à un héritage culturel.

    Le mousse était très content que ses phrases soient allées droit dans le cœur de ceux qui les avaient perçues.

    Les propos du mousse n'avaient de sens que si le capitaine se souvenait de ses propres mots.

    Courage de tenir parole.

    En tant que chorégraphe, le conducteur du traîneau a placé sur la scène trois membres de son corps de ballet. Pour toute l'équipe en œuvre ce matin-là, le capitaine a offert deux bières, les meilleures à notre goût – bien sûr, et les plus fraîches, tout droit sorties de notre compartiment à glaçons.

     

    Le triomphe du courage

     

    Au tout dernier moment, le capitaine a doublé la quantité promise dans la négociation à la sortie du ber. Au conducteur du traîneau, il a parlé d’une bière, qui permettrait de rallonger le temps de séchage de l’antifouling d’appoint. Finalement, le capitaine a tendu à l’équipe, qui avait guidé le Zeph jusqu’à la flottaison intégrale, deux cannettes de 500ml chacune.

     

    Le triomphe du courage

     

    Il s’agissait donc du malt travaillé par la maison TIGER.

    Sur la boîte métallique, on peut lire :

    Η ΠΑΡΑΓΩΓΗ ΜΙΑΣ ΚΑΙSΕR ΕΙΝΑΙ ΤΕΧΝΗ

    ΟΠΟΥ ΣΥΝΔΥΑΖΟΝΤΑΙ ΑΡΜΟΝΙΚΑ ΤΑ ΠΙΟ ΠOΙΟΤΙΚΑ ΥΛΙΚΑ.

    ΕΚΛΕΚΤΕΣ ΠΟΙΚΙΛΙΕΣ ΚΡΙΘΑΡΙΟΥ ΚΑΙ ΛΥΚΙΣΚΟΥ ΖΥΜΩΝΟΝΤΑΙ

    ΚΑΙ ΩΡΙΜΑΖΟΥΝ ΑΡΓΑ ΥΠΟ ΙΔΑΝΙΚΕΣ ΣΥΝΘΗΚΕΣ.

     

    L’équivalent en français de ce texte serait :

    LA PRODUCTION D’UNE KAISER EST UN ART

    OÙ SE COMBINENT HARMONIEUSEMENT DES MATÉRIAUX DE PREMIÈRE QUALITÉ.

    DES VARIÉTÉS CHOISIES D’ORGE ET DE HOUBLON SONT BRASSÉES

    ET MÛRISSENT AVEC DOUCEUR SOUS DES CONDITIONS IDÉALES.

     

    La bière Kaiser est présentée comme l’aboutissement d’un art. Au conducteur que le mousse a qualifié de « καλλιτέχνης », c’est à dire d’artiste, nous avons offert le produit d’un autre art. La correspondance était établie entre l’éloge verbal et le geste concret du remerciement.

    Les deux arts visaient le même objectif, qui était celui de l’harmonie.

    Dans les deux cas, la douceur était la modalité qui permettait de réaliser cet objectif.

    Se montrer reconnaissant requiert du courage. Se montrer généreux, aussi.

    Courage de la parole, improvisée ou réfléchie, mais toujours assumée.

    Courage de la cohérence, d’une attitude responsable.

    Fréquenter la mer nécessite du courage, à cause des épreuves incessantes.

    Le courage est l’expression d’un engagement. Celui-ci est ferme et durable, parce qu’il y a du sens dans ce qui est accompli.

     

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