• L’œil de la mémoire

    Voici l’œil de la mémoire :

     

    L’œil de la mémoire

     

    Ce coriandre fleuri, qui participait à la composition du giardinetto à bord du Βασίλισσα, était l’œil de la mémoire parce qu’il a montré de façon spectaculaire comment il s’est souvenu de ses origines.

    Né sur le rivage grec, il a rendu l’âme à l’automne dernier, quand le Βασίλισσα a retrouvé son ber au chantier naval de Λίμνη – ΛΙΜΝΗ (transcription : Limni), où le Zeph devait aussi passer son hiver.

    La dépouille de la plante aromatique a traversé l’Adriatique pour être ramenée à Rome, où la Muse du Βασίλισσα avait son pied à terre.

    Oubliée des humains, la plante s’est mise à se souvenir d’elle-même quand la nouvelle saison de navigation pointait le bout de son nez.

    Ce retour à la vie, spectaculaire et excessivement rare selon la Muse du Βασίλισσα, a été sans aucun doute provoqué par l’espoir de revoir la terre natale, espoir qui donc n’a jamais péri.

    Fier de sa nouvelle sève et de ses atours fleuris, le coriandre de la résurrection a vécu le retour dans l’eau puis la migration jusqu’à Χαλκίδα – ΧΑΛΚΙΔΑ (transcription : Khalkida), où le Βασίλισσα attendait le Capitaine du Zeph et le mousse pour l’apéro des retrouvailles.

    Avant même le verre d’ouzo grec ou de vin blanc italien, c’était ce coriandre fleuri que la Muse du Βασίλισσα a mis dans les mains du mousse pour nous souhaiter, de façon explicite, la bienvenue, et de façon implicite, un prompt rétablissement du Zeph.

    L’œil de la mémoire a inspiré à la Muse ce geste hérité de l’Antiquité. Le don du coriandre fleuri faisait allusion à l’offrande du rameau d’olivier que les ambassadeurs remettaient à l’hôte qui les recevait.

    L’œil de la mémoire a conjugué de façon remarquable la bonté naturelle de la Muse du Βασίλισσα et son univers culturel.

    Après la mémoire organique qui a créé la résurgence de la sève et la mémoire culturelle qui a présidé à l’offrande fleurie du coriandre, il y a eu la mémoire affective qui a redonné vie et saveur à l’amitié entre le Βασίλισσα et le Zeph.

    Dès qu’il a eu dans les mains le coriandre fleuri, le mousse a tout de suite pensé à la botte d’aneth que la Muse du Βασίλισσα avait donnée au Zeph quand celui s’apprêtait à quitter de quai de Ίος – ΙΟΣ (transcription : Ios).

    Voici cet au revoir très émouvant, qui a eu lieu au printemps de la saison précédente :

     

    L’œil de la mémoire

     

    Comme le geste était beau par sa spontanéité, sa joie et sa générosité !

    À travers la fraîcheur de la botte d’aneth, le Βασίλισσα souhaitait au Zeph une navigation savoureuse et odorante.

    Ce don de la plante aromatique était en vérité un don de soi de la part de la Muse.

    L’empressement et le dévouement de la Muse signifiait que pour elle ce geste représentait quelque chose de fondamental et de vital

    Un Grec s’est exprimé au sujet de ce caractère à la fois fondamental et vital. Voici sa déclaration :

    « Πραγματικά, κανένας δε θα επέλεγε να ζει δίχως φίλους, κι ας είχε όλα τα υπόλοιπα αγαθά. Ακόμη και οι πλούσιοι άνθρωποι, όπως κι αυτοί που έχουν αξιώματα και εξουσία, έχουν –όλος ο κόσμος το πιστεύει– ιδιαίτερα μεγάλη ανάγκη από φίλους »

    Αριστοτέλης. Ηθικά Νικομάχεια (1155a 1, 3-6)

    Vraiment, personne n’accepterait de vivre sans amis, eût-il d’ailleurs tous les autres biens. Plus on est riche et plus on possède de pouvoir et d’autorité, plus on éprouve, semble-t-il, le besoin d’avoir des amis autour de soi.

    Aristote, Éthique à Nicomaque. Livre VII

     

    Cette chose absolument fondamentale et vitale était donc l’amitié.

    Le Grec qui s’est exprimé ainsi était le philosophe Aristote.

    Aristote distingue cependant trois sortes d’amitié.

    D’après le philosophe, il y a l’amitié pour l’avantage matériel (κατὰ τὸ χρήσιμον), l’amitié pour le plaisir (κατὰ τὸ ἡδύ) et l’amitié selon la vertu (κατ’ ἀρετήν). Cette dernière est la plus noble et la plus durable des trois, parce qu’elle est basée sur la bonté et le désintéressement.

    À quelle catégorie appartient l’amitié entre le Βασίλισσα et le Zeph ?

    Le mousse se souvient très bien de la botte d’aneth à Ίος – ΙΟΣ. Le Capitaine du Zeph parle encore avec beaucoup d’émotion du don de cette botte. Mais cet épisode n’était pas du tout évoqué par le Βασίλισσα au cours des récentes retrouvailles à Χαλκίδα – ΧΑΛΚΙΔΑ. Cette discrétion du Βασίλισσα montrait qu’il était complètement désintéressé dans sa générosité.

    L’amitié entre entre le Βασίλισσα et le Zeph appartient donc à la catégorie la plus noble, celle qui est motivée par la vertu.

    L’œil de la mémoire crée un véritable enchantement en montrant la pureté du sillage laissé par des gestes du passé.

    Cette perspective édifiante sur l’axe du temps nous fait le plus grand bien, d’autant plus que l’œil de la mémoire a organisé l’espace en conséquence.

    En effet, voici la position du Βασίλισσα à Χαλκίδα, dans le bassin septentrional :

     

    L’œil de la mémoire

     

    La position par rapport à cet angle droit du quai permet de donner au regard une finalité extrêmement intéressante en suivant simplement la diagonale.

    Nous voici sur le pont du Βασίλισσα, au départ de la diagonale :

     

    L’œil de la mémoire

     

    Sur la droite de la photo, derrière nous, on voit là où la digonale rejoignait l’autre côté de l’angle droit : il s’agissait d’un édifice public surmonté par deux dômes, qui possédaient une base carrée et dont les triangles latéraux étaient recouverts de tuiles bleu acier.

    Voici cet édifice, vu de face :

     

    L’œil de la mémoire

     

    En haut de la photo, la fonction de l’édifice était indiquée par les mots ΔΗΜΑΡΧΕΙΟ (en français : MAIRIE).

    Sur le devant, trônait un buste, sous lequel apparaissait le nom ΑΡΙΣΤΟΤΕΛΗΣ (en français : ARISTOTE).

    Ainsi, les retrouvailles à Χαλκίδα entre le Βασίλισσα et le Zeph se sont déroulées sous l’œil approbateur du philosophe de l’amitié.

    Bien sûr, ces retrouvailles ne se sont pas limitées à l’offrande du coriandre fleuri.

    Pour reprendre les mots du philosophe grec, il y a eu aussi les gestes pour le plaisir (κατὰ τὸ ἡδύ), comme boire ensemble, manger ensemble et déguster ensemble.

    La boisson était venue sur la table avant la nourriture solide.

     

    L’œil de la mémoire

     

    Nous avons eu droit au Pinot Grigio, produit par le Trentino qui était frontalier avec l’Autriche.

    Quant à la nourriture solide, nous nous sommes régalés avec les anchois et les champignons marinés à la romaine.

     

    L’œil de la mémoire

     

    Une joie sincère, radieuse et pétillante régnait à bord du Βασίλισσα.

     

    L’œil de la mémoire

     

    L’œil de la mémoire faisait d’elle l’héritière des moments festifs de la saison précédente.

    Voici les deux capitaines en juillet de l’an dernier.

     

    L’œil de la mémoire

     

    C’était à Rhodes. L’entente cordiale était manifeste.

    Les voici de nouveau, en mai de cette année, à Χαλκίδα :

     

    L’œil de la mémoire

     

    Ont-ils beaucoup changé en dix mois ?

    Ils aiment toujours rire et prendre la vie du bon côté.

    Ils ne parlent plus de vents tournoyants ou de teck à remplacer par de l’iroko.

    Malgré l’apparente insouciance, la conversation n’avait rien de futile.

    C’était la Muse qui donnait le ton en racontant à quel point le Βασίλισσα était enchanté par le récit concernant la bibliothèque musulmane

       حافظ أحمد أغا (transcription : Hafiz Ahmet Aga) à Rhodes.

     

    L’œil de la mémoire

     

    L’article qui traitait la question était intitulé : « La promesse de l’accessibilité ». Il a été publié le 25 avril 2023.

    Le sujet abordé était très pointu. Malgré cela, il a passionné le Βασίλισσα.

    Le mousse était très ému en entendant cette confidence. De la bouche de la Muse, il a appris que c’était le Capitaine du Βασίλισσα qui était le premier à être soulevé par l’enthousiasme à la parution de chaque nouvel article dans le blog.

    À bord du Βασίλισσα, ce jour-là, on ne parlait pas de météo, ni de vent du Sud, ni de vent du Nord, dont plus personne ne s’en souviendrait. On parlait des choses qui rendaient l’instant inoubliable, c’est-à-dire du partage entre des êtres, de l’échange entre des cultures, de l’empathie et de la bonté qui faisaient du voyage, non pas un miroir nombriliste, mais une ouverture à autrui.

    Avec lucidité et courage, la Muse a aussi soulevé la question de la place de la démocratie à bord d’un bateau.

    Jusqu’à quel point la pratique démocratique devrait-elle faire des concessions à cause de l’objectif de l’efficacité du point de vue de l’amirauté ?

    Autrement dit, est-il nécessaire qu’un capitaine se comporte comme un tyran ?

    Assise entre les deux capitaines, la Muse a posé en termes très clairs la question de la légitimité du plein pouvoir.

     

    L’œil de la mémoire

     

    Le mousse n’en croyait pas ses oreilles. Pour la première fois, il a entendu des propos aussi osés, aussi intelligents et aussi sensés ! De plus, ils étaient en ligne directe avec l’héritage politique de la bataille de Marathon, qui était un symbole de la victoire de la démocratie contre le totalitarisme.

    L’œil de la mémoire insiste pour que l’on se souvienne que le bateau n’est qu’une prolongation de la terre ferme et non pas un espace qui en est totalement coupé, et que la dignité humaine, qui est respectée à travers le fonctionnement démocratique, doit le demeurer également au-dessus de l’eau, dans la manière de transmettre non pas des ordres mais des consignes, dans la nécessité de se montrer compréhensif envers des êtres qui ne sont pas aussi compétents que soi, dans la prise en compte des limites et des états d’âme de ceux-ci. Tout ne peut être sacrifié sur l’autel de l’efficacité : ni la bonté, ni la miséricorde, ni l’affection.

    Par la sincérité de ses sentiments et la profondeur de ses pensées, le Βασίλισσα émeut beaucoup le Zeph.

    Instinctivement, le Zeph s’est rapproché du Βασίλισσα.

    L’œil de la mémoire révèle progressivement le bien-fondé de ce rapprochement.

    Voici le Zeph et le Βασίλισσα ensemble, au cours de l’été dernier :

     

    L’œil de la mémoire

     

    Dix mois plus tard, les voici de nouveau, au cours de ce printemps :

     

    L’œil de la mémoire

     

    L’harmonie et la joie demeurent.

    L’harmonie, sans la superficialité.

    La joie, sans la frivolité.

    L’œil de la mémoire confirme que leur amitié est selon la vertu (κατ’ ἀρετήν).

    Sur la droite de la photo, était visible le bâtiment de la Mairie avec, au sommet, ses deux dômes gris acier, et en façade, le buste d’Aristote.

    Le Zeph a pris congé du Βασίλισσα quand les lampadaires publics se sont allumés.

    Chers lecteurs, le Zeph vous offre la sérénité de la diagonale de l’amitié :

     

    L’œil de la mémoire

     

    Sur la droite de la photo, le Βασίλισσα, seul sur son quai, occupe une extrémité de la diagonale. Le Capitaine du Zeph et le mousse se tiennent vers le milieu de la diagonale. Ils regardent vers l’autre extrémité, où se trouve Aristote, le philosophe de l’amitié.

    L’œil de la mémoire chérit la cohérence et bénit la fidélité en amitié.


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  • Commentaires

    1
    Hanabi
    Jeudi 1er Juin 2023 à 20:03

    On vous aime tous les 2. C'est tout.

      • Jeudi 1er Juin 2023 à 21:25

        Nous aussi. 

      • Jeudi 1er Juin 2023 à 23:59

        Cher Hanabi,

        Ton affection rend le Zeph meilleur.

        Par conséquent, l’amitié entre le Hanabi et le Zeph appartient à la troisième catégorie aristotélicienne, qui opère « selon la vertu » (κατ’ ἀρετήν).

        Une photo illustre l'effet du commentaire. Elle a été faite cet après-midi. La voici :

         

         

        Au milieu, une échelle bleue relie le sol au pont du Zeph. À droite, c’est le safran. Sur la gauche, se déploie un tissu beige qui ceinture le chantier naval. Cette ceinture évoque la sensation de confinement que nous éprouvons à cause de l’extrême lenteur de la compagnie d’assurance.

        Le long de cette paroi verticale, s’échappe un liseron, qui s’élève et s’apprête à passer la tête de l’autre côté.

        Le commentaire est comme le liseron, qui est beau, élégant et épris de liberté.

        Porte-toi bien !

        RP



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