• L'allégresse de la table

    Malgré l’environnement délétère pour cause de coronavirus, la Grèce, dans sa sagesse et sa clémence, nous a ménagé des créneaux de paix et de prospérité, qui ont permis l’éclosion de l’allégresse de la table.

    Le géographe français Jean Brunhes disait : « Manger, c'est incorporer un territoire ».

    Le territoire du Zeph était marin. En conséquence, l'allégresse de la table était très souvent un hommage aux produits de la mer.

    L'allégresse supposait une aisance qui découlait de la disponibilité du produit et de la possibilité du libre choix. Les haltes prévues par le Capitaine ont toujours favorisé la conjonction de ces deux facteurs.

    Pour une belle entrée en matière, rien ne valait plus que le spectacle du changement de la pigmentation des crustacés.

     

    L'allégresse de la table

     

    L'allégresse de la table naissait dans le plaisir visuel, qui précédait la découverte gustative.

    Le corail, aux teintes de feu, enchantait nos papilles.

    Le reflet argenté des écailles avait aussi son charme.

     

    L'allégresse de la table

     

    Une cuisson à feu doux permettait d’obtenir une chair moelleuse, câlinée à souhait par les sucs des poivrons.

     

    L'allégresse de la table

     

    La note d’acidité apportée par les câpres créait l’effet surprise à chaque bouchée.

    L’apport de protéines n’était pas indispensable à l’allégresse de la table.

    La frugalité pouvait très bien provoquer l’enchantement.

    Pour reprendre la formulation du géographe français Jean Brunhes, l’hommage rendu au « territoire » recommandait la présence de l’aubergine, dont les Grecs étaient si friands.

     

    L'allégresse de la table

     

    Revenue avec de l’ail et des olives du terroir, l’aubergine parfumait à merveille les torsades al dente.

    L’allégresse de la table s’accorde mal avec la contrainte. L’esprit de liberté doit prévaloir.

    Le chef français Guy Savoy a défini en ces termes la cuisine :

    « C'est l'art de transformer instantanément en joie des produits chargés d'histoire ».

    Il existe un plat qui nous remplissait toujours de joie, parce qu’il nous rappelait ce que nous avions mangé en Crète. Le voici :

     

    L'allégresse de la table

     

    La soupe de haricots, parfumée au cumin, contait « l’histoire » de nos merveilleuses escapades en terre crétoise. Sa préparation faisait émerger de façon inévitable l’allégresse de la table, qui se fondait sur une mise en perspective.

    À bord du Zeph, l’apport de protéines n’était pas déterminant. Par contre, il existait un produit dont la présence était essentielle pour l’éclosion de l’allégresse. Le voici :

     

    L'allégresse de la table

     

    En l’occurrence, notre art de vivre ne faisait que s’inspirer de la perception des Anciens.

    Voici ce qui est consigné dans les Écritures hébraïques :

    וְיַיִן יְשַׂמַּח לְֽבַב־אֱנוֹשׁ לְהַצְהִיל פָּנִים מִשָּׁמֶן וְלֶחֶם לְֽבַב־אֱנוֹשׁ יִסְעָֽד׃

    תְּהִלִּים קד : טו

     

    le vin qui réjouit le cœur de l’homme, l’huile qui fait briller le visage et le pain qui réconforte le cœur du mortel

    Psaumes. Chapitre 104. Verset 15

     

    L'allégresse de la table

     

    Le texte hébreu dit clairement que le vin n’agit pas seulement sur les capteurs sensoriels. L’euphorie suscitée concerne en premier chef le cœur, qui est le siège de l’affectif.

    Pierre Perret, chantre de la vie et de ses nombreuses joies, disait : « Pour bien cuisiner, il faut de bons ingrédients, un palais, du cœur et des amis. »

    Avec justesse, le chanteur français énumère les quatre facteurs qui contribuent à l’allégresse de la table. Dans l’ordre, il y a la qualité des produits, le savoir-faire, la générosité et le lien social. Les deux facteurs cités au début : la matière première et la technique, relèvent du premier degré. Les deux facteurs suivants : la propension au partage et l’amitié, appartiennent au second degré.

    Les termes médians décrivent le processus de la sublimation. Au cours de cette médiation entre la matière première et le plaisir de la convivialité, la compétence technique n’atteint son but que grâce à un cœur généreux.

    Dans cet édifice de la joie, le lien amical est la clé de voûte.

    Pendant la saison 2020, le Zeph a eu le grand privilège de savourer l’allégresse de la table grâce à des amitiés qui lui sont offertes par la mer Égée.

    La première rencontre mémorable a eu lieu à l’occasion d’un apéro dinatoire, à Πύλος – ΠΥΛΟΣ. Ce jour-là, le Zeph recevait à son bord le pilote et le copilote du Βασίλισσα.

     

    L'allégresse de la table

     

    Les invités du Zeph étaient des êtres cultivés, spirituels, drôles et attachants.

    Ils avaient le savoir qui faisait d’eux des héritiers d’Alexandre le Grand.

    Ils savaient contextualiser chaque chose pour mieux en extraire l’essence.

    Ils aiment rire et nous faisaient rire, sainement, sans égratigner personne.

    Ils étaient l’incarnation de l’empathie et de la sollicitude.

    La collation était frugale.

    Les légumes étaient rissolés dans un wok.

     

    L'allégresse de la table

     

    La cuisson était impérativement al dente.

    Le curcuma et le gingembre avaient pour mission de rappeler à nos invités les civilisations de l’Indus, qui leur étaient si chères.

    L’allégresse de la table n’avait aucune superficialité.

    Le professeur Jean Trémolières a écrit :

    « L'homme est probablement consommateur de symboles autant que de nutriments »

    Biologie générale, Tome 4, 1969, p.462.

     

    Quel symbole nos invités ont-ils vu dans l’allégresse de la table ? Celui de l’intemporalité.

    Symbole effectivement vivace, car lorsqu’ils ont su que nous traversions le fief médicéen pour revenir dans l’Hexagone en décembre dernier, ils nous ont proposé de reprendre des forces dans leur demeure toscane.

    L’hospitalité est un sujet d’allégresse. La perspective des retrouvailles sur les flots de la Mer Égée en est un autre. Il y a une semaine, le Βασίλισσα nous a fait part de son impatience de nous revoir dès la sortie de cet hiver.

    L’allégresse de la table ne connaissait pas de frontières. Elle mêlait des horizons variés. À Πύλος – ΠΥΛΟΣ, c’était le rivage toscan qui était honoré. À Γέρακας – ΓΕΡΑΚΑΣ, c’était le littoral basque qui était à l’honneur, par l’intermédiaire du Txori Txuri :

     

    L'allégresse de la table

     

    À Γέρακας – ΓΕΡΑΚΑΣ, l’allégresse de la table s’est donnée à voir au milieu du magnifique décor de scène constitué par les parois rocheuses du fjord.

    Le Txori Txuri était le protagoniste du premier acte, en invitant à son bord capitaines et équipages de quatre bateaux. C’était une très belle fête qui révélait la générosité et l’élégance de l’âme basque.

    Au milieu des effluves d’ouzo, nous avons capté les interrogations du Txori Txuri sur le miracle de la fraternité, qui faisait la réussite de la soirée. Ses interrogations ne reflétaient pas le doute, mais l’étonnement. Nous lui avons dit que c’était un cadeau de la mer. Notre réponse l’a beaucoup ému.

    La maîtrise de la langue de Molière a fini par faire de nous les interlocuteurs privilégiés du Txori Txuri. Avec lui, nous avons parlé de la maison natale de Maurice Ravel à Ciboure, puis du cimetière marin où reposait l’académicien Pierre Benoit.

    Ce qui était fabuleux avec le Txori Txuri, c’était que l’allégresse de la table a effectué des percées insoupçonnables vers des trésors du second degré.

    L’affinité était perceptible, grandissante, enivrante. La réciprocité était attendue, légitime, naturelle.

    C’est ainsi que le Zeph est devenu le protagoniste du deuxième acte.

    Le Zeph avait moins d’espace à bord, mais son dévouement disait l’ampleur de sa gratitude.

    Le Txori Txuri était très ému que le Zeph lui réserve un accueil chaleureux et raffiné.

    Pour cette invitation lancée par le Zeph, le Txori Txuri n’est pas venu les mains vides. Voici ce qu’il nous a apporté :

     

    L'allégresse de la table

     

    Un pur produit du terroir ! Un produit irremplaçable à la fois sur le plan gustatif et sur le plan olfactif. Un produit délicat, dont la sublimation nécessitait beaucoup de talent et de patience. Le talent et la patience, le Txori Txuri en avait en abondance, surtout pour régaler ses amis, dont nous faisions désormais partie.

    La chair tendre et goûteuse du poulpe mariné selon la méthode du Txori Txuri se mariait à merveille avec le Bordeaux blanc, très frais, que nous avons ouvert pour cet instant exceptionnel.

     

    L'allégresse de la table

     

    Entre gourmets, l’entente était immédiate, intense et féconde.

    D’ordinaire, une pièce de théâtre comprend trois actes.

    Dans cette perspective, y aurait-il un troisième acte avec le Txori Txuri ?

    Le troisième acte a eu lieu le lendemain de la réception à bord du Zeph. Le dénouement de la pièce était constitué par l’au revoir. Le Zeph se préparait à rejoindre Ναύπλιο – ΝΑΥΠΛΙΟ tandis que le Txori Txuri restait à Γέρακας – ΓΕΡΑΚΑΣ pour attendre du ravitaillement.

    Il était inévitable que l’au revoir soit dans le sillage de l’allégresse des deux jours précédents.

    Pour reprendre les mots du savant français Jean Trémolières, le Txori Txuri a eu l’intelligence d’employer un « symbole » pour rendre cette allégresse impérissable.

    En guise de provisions, le Txori Txuri ne disposait plus que de deux piments d’Espelette, amenés avec un grand soin depuis le pays basque. Il nous en a offert un et a gardé l’autre.

    La saveur ardente du piment d’Espelette rappellerait l’allégresse qui a réuni le Txori Txuri et le Zeph.

    L’allégresse de la table nous a révélé des cœurs en or du rivage toscan et du littoral basque. Jusqu’où irait l’exploration ? Jusqu’aux colonnes d’Hercule, grâce au Lusiades :

     

    L'allégresse de la table

     

    Le nom du bateau appartient au même champ lexical que le terme « Lusitanie », qui désignait dans la péninsule ibérique le flanc qui flirtait avec l’Océan extérieur.

    Nous avons découvert le Lusiades au cours d’une balade à Πόρος – ΠΟΡΟΣ.

    Dès le premier regard, il nous charmait par sa prestance, son élégance et sa sérénité.

    La « visione dall'interno » était encore plus enchanteresse.

    En effet, nous avons eu le privilège d’être invité à bord, puis d’effectuer une visite guidée. Le décor était raffiné. L’ambiance était chaleureuse. L’espace intérieur avait une âme romanesque.

    Le Lusiades nous faisait rêver. Et pour prolonger cette allégresse onirique, nous avons proposé au pilote et au copilote un apéro à bord du Zeph.

     

    L'allégresse de la table

     

    La frugalité, faite de lamelles de chou frais, permettait de concentrer l’attention sur les prochaines destinations du Lusiades : le Bosphore et la Mer Rouge.

    Le Lusiades en parlait sans emphase, avec simplicité et confiance.

    L’aspect extérieur du bateau, l’aménagement intérieur et les itinéraires en gestation exhibaient une parfaite cohérence, qui rendait la présence du Lusiades extrêmement envoûtante.

    L’allégresse de la table était un moyen de chérir cette présence.

    L’écrivain belge Georges Simenon disait : « La bonne cuisine, c'est le souvenir. »

    La mémoire, comme stimulant en amont et en aval des instants de bonheur.

    Dans un récent courrier qu’il a adressé au Zeph, le Lusiades a écrit :

    « Remercions les mots de nourrir notre mémoire !

    Non, nous ne vous oublierons pas ! »

    L’allégresse des agapes ne se confinait pas au ras de l’assiette. Au contraire, la joie collective apportée par la nourriture s’en détachait et prenait son envol pour nous mener vers des sphères supérieures, où l’échange amical semblait bénéficier d’un temps sans limite.

    Un texte grec explique pourquoi l’allégresse de la table est si désirable. Le voici :

    « Ουδέν μάγειρος του ποιητού διαφέρει νους γαρ έστιν εκάτερων τούτων τέχνην »

    Αθηναίος o Ναυκρατίτης, Δειπνοσοφιστές

     

    « En rien, le cuisinier n'est différent du poète car leur imagination est aussi un art pour tous les deux. »

    Athénée de Naucratis, Le banquet des sophistes, T1, chap 7. Vers 228

     

    Le texte grec dit que l’allégresse de la table est une célébration de la poésie de la vie.

     

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