Le miroir d'Autun

Capitaine, à plusieurs reprises déjà, tu nous as fait part de ta fascination pour la marée basse. C’est une des choses qui différencient le cosmos breton de celui de la Riviera.

Mais toi qui contemples souvent la mer, comme si tu y cherchais la finalité de ton destin, tu sais aussi qu’après le reflux, il y a le flux.

Sur l’illustration de l’article intitulé « Quand la mer(e) se retire », les deux personnages à droite et à gauche sont en marée basse.

À gauche, c’est une femme qui pleure la vie brisée de son fils. À droite, c’est un homme qui pleure son maître humilié et persécuté injustement. Le chagrin est immense. La peine, inconsolable. C’est le reflux avec un coefficient de marée gigantesque.

Mais le personnage central, avant de s’en aller, a prédit le flux du retour. La prédiction a ébranlé les plus hautes autorités religieuses de l’époque et lui a valu l’accusation de blasphème. Qu’a-t-il donc dit de si blasphématoire ?

Le Nazaréen, puisqu’il s’agit de lui, a dit :

Λύσατε τὸν ναὸν τοῦτον, καὶ ἐν τρισὶν ἡμέραις ἐγερῶ αὐτόν.

ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ

« Démolissez ce temple, et en trois jours je le relèverai. »

Évangile selon Jean, chapitre 2, verset 19

Méprise totale de la part des autorités religieuses de l’époque, qui pensaient que l’accusé parlait du temple en pierres, bâti par Salomon, reconstruit sous Hérode le Grand. Pas du tout, le Nazaréen parlait du temple en chair, qui était son propre corps terrestre.

Effectivement, le corps du Nazaréen a été inhumé avant le shabbat, et à l’aube du dimanche, c’est-à-dire du troisième jour après l’exécution, il a été relevé d’entre les morts.

La prophétie s’est accomplie : le flux annoncé a eu lieu. Il n’a eu lieu que pour une seule raison : pour servir de prémices à un flux de plus grande ampleur. Ce flux d’ampleur universelle, tu en as contemplé l’illustration sur le portail occidental de la cathédrale d’Autun en juillet dernier.

La route du septentrion, qui devait te mener jusqu’à Lutèce, n’avait pas prévu de halte nocturne à Autun. C’était la soif du réservoir d’essence qui imposait la halte. Le hasard du chemin faisait qu’elle a eu lieu à l’heure où les derniers rayons du soleil couchant coloraient le tympan occidental. Autre coïncidence : la période estivale proposait des visites nocturnes gratuites, avec un éclairage très approprié. Tous ces facteurs convergents ont fait que la décision a été prise de passer la soirée et de la finir à Autun.

C’est ainsi que tu as eu tout le loisir d’observer des silhouettes qui, loin de s’affaisser, s’arc-boutent pour se redresser.

Des jambes déployées, des bras tendus, des têtes relevées, toute la dynamique de la sève vivante qui revient et qui monte, monte, monte !

Moisson iconographique fabuleuse, grâce à trois coïncidences simultanées. Faudrait-il y voir le doigt de la Providence ? La tentation de répondre par l’affirmative est très forte.

Cette nuit-là, tu as dormi juste à côté du théâtre romain. Tu as même entendu la musique de la reconstitution historique. Mais les affaires des Césars ne t’intéressaient pas, ni leur pompe, ni leur héritage. Alors, tout s’est passé comme si tu ne t’es arrêté à Autun que pour le portail occidental.

L’expérience d’Autun a eu lieu dans la nuit du jeudi 20 juillet au vendredi 21 juillet. À l’époque, nul ne savait encore qu’elle serait d’un grand secours pour surmonter le traumatisme qui s’abattrait dans la nuit du vendredi 22 septembre au samedi 23 septembre, neuf semaines après, presque jour pour jour. Autun, c’était la coïncidence in situ, c’est maintenant la coïncidence à distance !

Capitaine, la prochaine fois que tu contempleras l’onde marine en Bretagne, souviens-toi de la marée montante sur le portail occidental de la cathédrale d’Autun.

Le miroir d’Autun est le miroir du triomphe sur la mort. C’est le miroir du retour à la vie !