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La saveur de l'espérance
Αίγινα – AΙΓΙΝΑ, l’île aux pistaches, possède un superbe tableau sur l’universalité de l’espérance. Dans cette peinture, voici le porteur du message d’espoir :
L’identité du messager est dévoilée par une inscription qui apparaît en lettres rouges, à gauche de la tête. Les voici :
Ὁ ἈΡ[ΧΆΓΓΕΛΟΣ]
ΓΑΒPIΉΛ
En français :
L(E)’ AR[CHANGE]
GABRIEL
La ligne du dessous donne le nom tandis que celle du dessus indique la fonction.
Le statut de messager céleste est évoqué par les deux ailes et l’auréole.
Au-dessus de celle-ci, des lettres d’or inscrites dans un carré bleu foncé apportent une précision. L’inscription est rédigée sur trois lignes, que voici :
ΑΓΙΟΣ
ΑΓΙΟΣ
ΑΓΙΟΣ.
En français :
SAINT
SAINT
SAINT.
La condition de sainteté est indiquée à trois reprises.
Le chiffre trois marque l’insistance. Sur quoi le tableau insiste-t-il ? Sur la « sainteté » du personnage ailé, c’est-à-dire, selon l’étymologie, sur sa « mise à part » pour une mission toute spéciale.
Mais la triple mention de l’adjectif « SAINT » fait aussi référence à Celui qui a ordonné cette mission. En effet, au sixième chapitre de son livre, le prophète Isaïe rapporte la proclamation qui retentit devant le trône du Très-Haut :
קָדוֹשׁ קָדוֹשׁ קָדוֹשׁ יְהוָה צְבָאוֹת מְלֹא כָל־הָאָרֶץ כְּבוֹדֽוֹ
יְשַׁעְיָהוּ ו : ג
« Saint, saint, saint est Jéhovah des armées. La plénitude de toute la terre est sa gloire »
Livre d’Isaïe. Chapitre 6. Verset 3.
Ainsi, selon le livre du prophète Isaïe, la triple mention de la sainteté désigne la présence de l’Autorité Suprême, qui a commandé au messager ailé la mission.
Quelle est donc cette mission ?
Celle-ci est évoquée par l’inscription en lettres rouges, au-dessus de l’auréole, vers la droite de la photo. Voici cette inscription :
Ὁ ΧΑΙΡΕ
XAIPE est la forme verbale qui appartient à la même famille que le substantif XAPA, lequel désigne la joie.
XAIPE signifie donc, littéralement, « Réjouis-toi ».
On salue en disant à l’autre de se réjouir, en annonçant à l’autre une nouvelle réjouissante.
Qui l’archange Gabriel salue-t-il ainsi ?
La personne à qui le messager céleste rend visite est un être pieux, dont voici le portrait :
L’auréole évoque la sanctification, c’est-à-dire la mise à part. Pour quel dessein ? L’inscription qui accompagne l’auréole nous renseigne à ce sujet.
Sur la ligne du milieu, est écrit :
ΜΗΤΗΡ.
En français :
MÈRE.
La graphie présentée par l’icône utilise une compactification, qui opère par le biais de plusieurs astuces.
Si les trois premiers traits verticaux correspondent à la première lettre, qui est M, le dernier trait vertical de celle-ci se confond avec le premier trait vertical de la deuxième lettre, qui est H.
Le trait vertical qui résulte de cette fusion devient celui de la troisième lettre, qui est T. Cette triple coïncidence a une utilité structurelle : c’est l’axe de symétrie du mot tout entier.
Quant au trait horizontal de la lettre T, il coiffe aussi l’intégralité du mot.
À droite de la lettre médiane, l’avant-dernière lettre, qui est H, et la dernière lettre, qui est P, mettent en commun leurs traits verticaux limitrophes.
Quant au trait vertical antérieur de l’avant-dernière lettre, il fait volontiers corps avec l’axe de symétrie, qui abrite alors une quadruple superposition.
Le choix de la forme compacte est une façon de gérer l’apparente étroitesse de l’espace réservé à l’écriture. Mais la contraction du mot pourrait aussi évoquer les contractions de l’enfantement.
Car il s’agit ici de l’espérance d’une maternité. Au sens où cette maternité est à la fois finalité et source de l’espoir.
Conscient de l’importance de son message, l’archange presse le pas.
Voici l’intégralité de la salutation qu’il adresse à la future mère :
« Χαῖρε, κεχαριτωμένη, ὁ κύριος μετὰ σοῦ. »
ΤΟ ΚΑΤΑ ΛΟΥΚΑΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. α’. Στίχος κη’
« Réjouis-toi, hautement favorisée, le Seigneur est avec toi. »
Bonne Nouvelle selon Luc. Chapitre 1. Verset 28.
Le peintre de l’icône a donc repris le texte de l’évangéliste. Le verbe Χαῖρε est écrit en majuscule (ΧΑΙΡΕ), en haut de l’auréole de l’archange. Le deuxième mot, κεχαριτωμένη, apparaît en majuscule aussi (ΚΕΧΑΡΙΤΩΜΕΝΗ), sous le pied droit de celui-ci.
Le tableau de l’Annonciation est composé de deux panneaux. Celui de gauche est consacré à la donation. Celui de droite, à la réception. La complémentarité des deux attitudes est merveilleusement illustrée par la position des mains.
Celle qui reçoit la bénédiction tourne la paume de sa main vers le haut tandis que de l’autre côté la concavité est tournée dans le sens opposé. Il y a là plus qu’une complémentarité géométrique. Il y a là une douce harmonie, qui reflète la perfection d’une confiance mutuelle.
L’espérance qui passe d’une main à l’autre a la douce saveur du bonheur.
Voici comment le prophète Isaïe décrit l’enfant qui va naître :
כִּי־יֶלֶד יֻלַּד־לָנוּ בֵּן נִתַּן־לָנוּ וַתְּהִי הַמִּשְׂרָה עַל־שִׁכְמוֹ וַיִּקְרָא שְׁמוֹ פֶּלֶא יוֹעֵץ אֵל גִּבּוֹר אֲבִי עַד שַׂר־שָׁלֽוֹםיְשַׁעְיָהוּ ט : ו
« Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné, et la domination princière sera sur son épaule. Et on l’appellera du nom de Conseiller merveilleux, Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix. »
Livre d’Isaïe. Chapitre 9. Verset 6
La maternité annoncée par le messager céleste porte l’espérance d’une paix universelle.
Cette espérance de l’universalité de la concorde a-t-elle une saveur ?
La Bonne Nouvelle selon Matthieu rapporte que trois têtes couronnées sont venues se prosterner devant le nouveau-né en lui apportant des présents. Voici ce que dit le texte grec à ce sujet :
« καὶ ἐλθόντες εἰς τὴν οἰκίαν εἶδον τὸ παιδίον μετὰ Μαρίας τῆς μητρὸς αὐτοῦ, καὶ πεσόντες προσεκύνησαν αὐτῷ, καὶ ἀνοίξαντες τοὺς θησαυροὺς αὐτῶν προσήνεγκαν αὐτῷ δῶρα, χρυσὸν καὶ λίβανον καὶ σμύρναν. »
ΤΟ ΚΑΤΑ ΜΑΤΘΑIΟΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. β’. Στίχος ια’
« Et quand ils entrèrent dans la maison, ils virent le petit enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage. Ils ouvrirent aussi leurs trésors et lui offrirent des présents : de l’or, de l’oliban et de la myrrhe. »
Bonne Nouvelle selon Matthieu. Chapitre 2. Verset 11.
L’espérance de la paix a la saveur envoûtante de l’encens et de la myrrhe.
Le tableau de l’Annonciation était la pièce centrale de l’iconostase du sanctuaire orthodoxe qui se trouvait à proximité de l’emplacement où était amarré le Zeph.
Voici le Zeph le jour de son arrivée à Αίγινα – AΙΓΙΝΑ :
La photo a été prise en début d’après-midi. Le Zeph, reconnaissable à son génois effiloché, tournait son museau en direction du Sud. Sur la gauche, c’est-à-dire à l’Est, apparaissait le sanctuaire orthodoxe.
Avec la lumière du crépuscule, voici le spectacle à bâbord du Zeph :
La façade occidentale du sanctuaire était illuminée par le soleil couchant.
C’était l’instant magique où la lumière dorée pénétrait sous les arches du portique.
Voici une vue rapprochée de celui-ci :
Une fresque ornait le haut du mur d’entrée. Elle illustrait la parabole du Bon Samaritain.
Dans la scène qui se trouvait tout de suite à droite du bandeau demi-circulaire qui coiffait la porte, le Samaritain soignait les blessures de l’homme attaqué par des brigands.
Celui qui prodiguait les soins n’avait aucun lien avec celui qui était soigné, ni sur le plan génétique, ni sur le plan culturel. Malgré cela, le cœur de l’un s’est ému devant l’infortune de l’autre.
L’aide apportée par le Samaritain est décrite dans les Écritures Grecques en ces termes :
« καὶ προσελθὼν κατέδησεν τὰ τραύματα αὐτοῦ ἐπιχέων ἔλαιον καὶ οἶνον »
ΤΟ ΚΑΤΑ ΛΟΥΚΑΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ι’. Στίχος λδ’
« Il s’avança donc vers lui et banda ses blessures, y versant de l’huile et du vin »
Bonne Nouvelle selon Luc. Chapitre 10. Verset 34.
Le vin est utilisé pour désinfecter. L’huile agit comme un baume qui favorise la cicatrisation.
Sur la fresque, le Samaritain tient dans sa main droite une fiole qui renferme l’un des deux liquides de la guérison.
L’espérance de la paix, illustrée sur l’iconostase, est associée à une autre espérance, celle de la compassion, de l’entraide, de la fraternité.
Chaque scène peinte est accompagnée du verset correspondant, non seulement en grec mais aussi en anglais.
Sur la photo précédente, est visible la fin du verset en anglais : « AND BOUND UP HIS WOUN(D)S POURING IN OIL AND WINE »
Le fait que le texte explicatif de la fresque est bilingue s’accorde parfaitement avec l’espérance d’une fraternité universelle.
Dans la contemplation de la fresque du Bon Samaritain, l’espérance de la paix fraternelle possède à la fois la saveur sécurisante du vin et la saveur apaisante de l’huile d’olive.
En cette fin d’année, la famille humaine n’est pas en paix à cause de la crise sanitaire.
L’espérance de la paix concerne le contexte général, mais aussi l’histoire personnelle du Zeph.
Voici comment le chantier Καλυψώ – ΚΑΛΥΨΩ nous a dit au revoir, le jour où nous sommes allés rejoindre le ferry qui nous ramènerait en France :
S’agissait-il réellement d’un au revoir ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’un bonjour parce que l’inscription WELCOME parlait, non pas de séparation, mais de bienvenue, c’est-à-dire de retrouvailles. À peine avons-nous tourné les talons pour quitter les lieux, que l’on s’apprêtait à nous accueillir de nouveau !
Le mât du Zeph se trouvait au niveau de l’extrémité droite du W.
Entre le Zeph et la pancarte de bienvenue, il y avait le traîneau de levage avec le nom du chantier : KΑΛΥΨΩ.
L’espérance d’un proche retour nous a toujours guidés dans nos projets.
Car ce n’était pas de bon cœur que nous quittions la Grèce.
Alors, nous avons fait que la route jusqu’au ferry soit la moins rapide possible, avec une halte mémorable au milieu.
En effet, l’espérance de faire corps avec la Grèce nous habitait jour et nuit.
La halte de mi-parcours a eu lieu à Ναύπλιο – ΝΑΥΠΛΙΟ, où un magnifique papillon de nuit nous attendait :
Le lépidoptère a revêtu son plus bel habit de lumière pour nous accueillir. Il a eu vent que nous préparions les agapes de l’espérance. C’est pourquoi il a mis sa tenue de soirée pour nous féliciter dans notre initiative.
Nous avons bon espoir que la terre en Grèce continue à produire avec générosité des céréales gourmandes et parfumées.
L’espérance de l’excellence sera toujours la motivation des artisans grecs.
Nous avons bon espoir que les vergers et les sous-bois en Grèce continuent à donner en abondance des fruits rouges et des fruits jaunes juteux et odorants.
L’espérance du sublime motivera toujours gourmets, créateurs et esthètes.
L’espérance nous rendait joyeux, optimistes, confiants.
Et nous avons fait chanter la beauté de l’espérance à la manière champenoise.
Pendant que l’agréable effervescence faisait vibrer le cristal, l’espérance répandait ses doux échos hédonistes dans notre calendrier.
À Ναύπλιο – ΝΑΥΠΛΙΟ, nous avons levé nos verres à l’espérance d’un proche retour en Grèce.
Pendant que le ferry se rapprochait de la côte occidentale de l’Adriatique, nous avons confié au cosmos notre espoir que les frontières resteront ouvertes et que le virus aura disparu en 2021.
Voici le ferry arrivé à Ancona :
À travers le hublot de gauche, se voyait l’acropole de la cité jadis fondée par des migrants originaires de Corinthe. C’était là-haut que nous avions passé la nuit précédant l’embarquement, il y a cinq mois, avec l’espérance de la liberté, qui inondait l’esprit, le cœur, les poumons,...
Dans la salle du ferry, un ange prêtait l’oreille à notre hymne à l’espérance. Avec grâce, il accompagnait à la lyre notre chant de l’espérance.
Y aurait-il quelque chose d’équivalent sur l’autre flanc du ferry ?
Regardez donc :
Un autre ange musicien était à l’œuvre. Mais de ce côté, il n’y avait aucune terre à travers les hublots. À perte de vue, s’étendaient les eaux de l’Adriatique. Et au-delà, c’était la Grèce, invisible à l’œil nu dans ces conditions.
Avec son luth, le messager céleste nous disait que notre espérance d’un proche retour en Grèce était légitime, avisée et touchante.
La poétesse américaine Emily Dickinson a écrit ce texte:
“ Hope is the thing with feathers
That perches in the soul
And sings the tune without the words
And never stops at all.”
« L'espoir est la chose avec des plumes
qui se perche dans l'âme
Et chante l'air sans les mots
Et ne s'arrête pas du tout, jamais. »
Le premier vers parle de présence ailée.
Le deuxième vers décrit la position spatiale.
Le troisième vers mentionne l’activité musicale.
Ces trois critères étaient réunis chez les messagers célestes qui nous tenaient compagnie dans le grand salon du ferry. Il est donc licite de les identifier, selon le poème, à des porteurs de l’espoir. Dans ce cas, heureux sommes-nous, car le quatrième vers proclame que le souffle de l’optimisme que ces créatures ailées nous communiquent est indestructible !
L’espérance est l’antidote au découragement.
Elle permet à chaque instant de garder la pleine saveur, qui est aussi une marque d’authenticité.
Elle encourage la lucidité et la gratitude.
Elle peut même être le marche-pied de l’entrain et de l’enthousiasme.
Le poète britannique Alfred Tennyson a écrit ces lignes:
“ Hope
Smiles from the threshold of the year to come,
Whispering ‘ it will be happier ’...”
« L’espérance
Sourit dès le seuil de l'année à venir,
Chuchotant ‘ ce sera plus heureux ’... »
Pour reprendre les termes du poème, nous sommes sur le seuil de l’an 2021.
L’espérance est donc en train de nous offrir son sourire pour accompagner les vœux de bonheur.
Joyeux Noël à tous les amis du Zeph !
Buon Natale a tutti gli amici dello Zefiro !
Καλά Χριστούγεννα σε όλους τους φίλους του Ζέφυρου !
Tags : espérance, Αίγινα, Ναύπλιο, chantier Καλυπσώ, Ancona, Annonciation, archange Gabriel, Isaïe, Bonne Nouvelle, Emily Dickinson, Alfred Tennyson
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Commentaires
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De bonnes fêtes de fin d’année à vous. Nous aussi, nous espérons dès le printemps retourner en Grèce, d’autant que nous avons maintenant de précieux guides et de belles adresses. Et merci surtout pour le traducteur des textes. Prenez soin de vous
Cher Hanabi,
L’espoir que tu nourris à l’occasion du retour du printemps est un très bel espoir.
Sois confiant : il se réalisera !
Tu reverras le Péloponnèse que tu as tant aimé.
À Κυπαρισσία – ΚΥΠΑΡΙΣΣΙΑ, là où le maestro a donné l’inoubliable concert de l’amitié, le passe-temps favori du capitaine du Hanabi était la contemplation des inscriptions qui ornaient la proue des embarcations. Il y avait la fascination à la fois pour la calligraphie, la sonorité et le sens.
Le Hanabi a raison : la langue, orale ou écrite, est le passeport pour rencontrer au-delà des paysages, des êtres et leurs quêtes.
RP