• La saison de la négociation

    On négocie pour ne pas être défavorisé, lésé ou brimé. On négocie pour sauver ses intérêts pacifiquement, par la voie de la diplomatie.

    La première négociation a eu lieu au début de l'été, pour offrir au Zeph un nouvel habitat pendant le prochain hiver. La prospection d'un chantier à Χαλκούτσι – ΧΑΛΚΟΥΤΣΙ (en français : Khalkoutsi) nous a donné satisfaction. En versant les arrhes, dont le montant s'élevait à cent cinquante euros, nous avons aussi négocié une place pour la voiture pendant tout le temps où le Zeph serait dans l'eau. Voici le Capitaine en train de protéger la carrosserie contre la poussière des prochains mois :

     

    La saison de la négociation

     

    La sécurité du parking était assurée par des caméras de surveillance.

    Nous n'avions rien à payer pour cet emplacement de la voiture.

    Nous étions très contents de la négociation menée à Χαλκούτσι – ΧΑΛΚΟΥΤΣΙ, car elle nous délivrait de l'étreinte morbide de Γαλατάς – ΓΑΛΑΤΑΣ (en français : Galatas).

    Hélas, la douloureuse chute sur le quai à Αμαλιάπολη – AMAΛΙΑΠΟΛΗ (en français : Amaliapoli) a rendu éphémère et caduque cette victoire.

    Le destin imposait une négociation urgente pour un hivernage anticipé.

    Elle a été entreprise dès le retour de l'ambulance qui avait permis les premiers soins à l'hôpital.

    La nouvelle négociation portait sur un ber à Λίμνη – ΛΙΜΝΗ (en français : Limni), dans la partie septentrionale de l'île d'Eubée.

    Le chapitre financier ne posait pas problème.

    La seule difficulté ( et elle était de taille ! ), était d'arriver à temps pour être gruté.

    Nous avons annoncé au nouveau chantier que nous serions sur place au coucher de soleil.

    Le feu vert pour reprendre la mer après le passage aux urgences de l'hôpital a été donné à 9h30 par les gardes-côtes. Il y avait soixante-douze miles nautiques à parcourir pour rejoindre le lieu de l'hivernage anticipé. Soixante-douze miles nautiques à parcourir en moins de douze heures, avec un bras cassé, qui faisait hurler de douleur à la moindre secousse ! ! ! Nous avons négocié ce rendez-vous pour sécuriser le Zeph au plus vite, avec l'intention de rentrer en France tout de suite après.

    Dans cette négociation, nous étions presque dans la position de suppliants. Par bonheur, notre interlocuteur semblait compréhensif, serviable et plein d'humanité.

    Pour nous guider, il comptait sur les lampadaires qui éclaireraient la plage :

     

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    Mais à l'heure où nous sommes arrivés, l'obscurité envahissante a commencé à compromettre nos espoirs. Voici le chantier tel qu'il nous est apparu pour la première fois :

     

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    Certes, le coucher de soleil dont nous parlions dans la négociation du matin se voyait encore, dans la lueur orangée qui coiffait les montagnes à l'Ouest. Mais l'astre solaire était déjà parti trop loin sous l'horizon pour nous venir en aide. Le manque de visibilité rendait impossible l'amarrage à l'entrée du chantier.

    Le Grec qui s'occupait du ber promis nous a alors proposé une solution de repli, un peu plus à l'Est du rivage. Il comptait sur un ponton pour nous apporter un peu plus de lumière, au sens propre comme au sens figuré. Voici ce ponton de la dernière chance :

     

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    Mais pour le Zeph, qui était en proie à une angoisse croissante, c'était le ponton de la malchance. En effet, seuls les contours des sources lumineuses étaient discernables. Tous les autres reliefs avaient fondu dans une terrible obscurité. Voici le cadre de cette nouvelle désolation :

     

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    De plus, la profondeur de l'eau était trop, trop importante à cet endroit pour y jeter l'ancre. Le Zeph, qui ne s'y sentait pas en sécurité, a préféré s'en aller. Mais où aller pour mettre fin à la détresse ?

    Le Capitaine a décidé de retourner au port, qui se trouvait à cinq kilomètres de là.

    Sur un ton qui disait le désastre, le Capitaine a annoncé sa décision au Grec. Celui-ci n'a pas dit mot. La négociation de ce matin a-t-elle échoué ?

    Le corps brisé et le cœur amer, le Zeph s'est donc dirigé vers le port, que l'on pouvait deviner du côté des lumières les plus à droite sur la photo précédente. Une demi-heure plus tard, il s'est retrouvé devant la calanque où il s'était abrité trois semaines auparavant.

    Au moment où nous nous sommes approchés du phare rouge, nous avons vu un homme qui se tenait à proximité et qui nous faisait de grands signes pour nous dire d'avancer vers lui. À la voix, nous avons reconnu le Grec qui administrait le chantier et qui continuait de proposer son accueil, avec d'autres modalités. À ses côtés, il avait une demi-douzaine de personnes, toutes dans la fleur de l'âge. Ce renfort, qui n'était pas que symbolique, avait un impact très important sur le moral du Zeph.

    Non, la négociation commencée ce matin n'a pas encore échoué !

    La patience du Grec et sa persévérance indiquaient qu'il négociait notre confiance et notre adhésion.

    D'une voix douce et chaleureuse, il disait : « It's easy, Cap'tain. Try ! Try ! It's easy ! »

    En français : « C'est facile, Cap'taine. Essaie ! Essaie ! C'est facile ! »

    Le ton fraternel de l'invitation finissait par être persuasif.

    Le Capitaine consentait enfin à s'approcher de la jetée et à s'amarrer à l'extérieur, en « alongside », position qui ne cessait de lui inspirer une terrible angoisse, car c'était avec cette position qu'avait eu lieu l'accident de la veille.

    La force morale et le talent de diplomate du Grec faisaient qu'il sortait gagnant de cette négociation marquée par de nombreux rebondissements.

    Voici l'amarre qui sécurisait le Zeph à l'avant, grâce à l'intervention exemplaire du Grec :

     

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    C'était le Grec qui s'occupait de l'amarre quand celle-ci se trouvait sur le môle. Et c'était le mousse qui s'affairait sur le pont, à bord du Zeph. Le Grec guidait le mousse en appelant celui-ci « the other cap'tain » (en français : l'autre cap'taine). Tout le monde sait qu'il n'y a qu'un seul capitaine. L'expression utilisée par le Grec pour désigner le mousse était donc incorrecte. Mais le Grec a commis sciemment cet abus de langage, qui était une coquetterie, pour rassurer le vrai et l'unique Capitaine, en proclamant que le travail accompli en la circonstance par le mousse était aussi fiable que celui d'un véritable capitaine.

    Belle stratégie langagière pour négocier le repos du Zeph en ce lieu, à Λίμνη – ΛΙΜΝΗ.

    Le museau du Zeph regardait vers le phare rouge, qui marquait l'entrée de l'étroite calanque.

    Qu'en était-il de l'amarre à l'arrière ?

    Elle était mise en place, sans aucune difficulté, grâce à une multitude de mains secourables :

     

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    En effet, les proches du Grec, qui étaient venus pour le soutenir, étaient tous volontaires pour nous secourir.

    Cette belle solidarité à l'intérieur de la fratrie n'a pas manqué d'agir sur notre inconscient, pour nous rendre perméables aux suggestions du Grec.

    Ce n'était pas un seul individu qui était venu à notre secours, c'était tout un groupe qui s'émouvait de notre condition d'infortunés et qui était tout disposé à nous apporter du soulagement.

    Dans sa négociation avec le Capitaine pour que celui-ci ne parte pas ailleurs, le Grec avait, non pas l'avantage numérique, mais l'atout d'un afflux de bonnes volontés.

    L'arrière du Zeph était tourné du côté des restaurants, qui s'animaient à la tombée de la nuit.

    Prenant en compte le cadre temporel, une jeune femme qui faisait partie du groupe venu pour prêter main forte au Grec, nous a demandé, avec beaucoup de délicatesse, si nous avions besoin de nourriture. Poliment, nous avons répondu par la négative. Et la voix féminine, toujours avec douceur, a ajouté : « Water, perhaps ? » En français : De l'eau, peut-être ? La jeune femme avait flairé que notre réponse négative était due à la pudeur. Alors elle a négocié une contribution qui ne nous mettrait pas mal à l'aise.

    Il est clair que le Grec et les personnes qui l'accompagnaient étaient mus par une même compassion à notre égard. À ce stade de l'histoire, la négociation du Grec se transformait en don : le Grec nous offrait son hospitalité.

    Avant de nous laisser nous reposer, le Grec a de nouveau manifesté sa sollicitude. Il nous a informé que le vent se lèverait à l'Ouest, vers six du matin. C'est pourquoi il nous a donné rendez-vous à sept heures, le lendemain matin, pour nous sortir de l'eau. Pas plus tôt que sept heures du matin, pour que nous ayons un sommeil convenable. Et pas plus tard que sept heures du matin, pour que la sortie hors de l'eau ne soit pas malmenée par le vent fort.

    Les derniers mots du Grec pour clore la soirée étaient : « Don't worry ! Sleep well ! »

    En français : Ne vous inquiétez pas ! Dormez bien !

    La bienveillance du Grec nous a procuré un sommeil réparateur.

    Nous avons suivi ses instructions et nous nous sommes présentés à l'entrée du chantier avant le lever du soleil.

     

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    Le Grec nous attendait déjà avec son traîneau de levage, qui était de couleur orange.

    Le professionnalisme du Grec nous impressionnait beaucoup.

    La sortie hors de l'eau s'est déroulée avec précision, sans heurt et sans bavure.

    Voici le Zeph qui venait de retrouver la terre ferme :

     

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    Le soulagement était à bord.

    L'objectif de la négociation de la veille était atteint. Presque. En effet, le Zeph attendait qu'un emplacement définitif lui soit attribué.

    Voici la place qui était réservée au Zeph désormais :

     

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    Le Capitaine a négocié un séjour sur ce ber jusqu'au prochain printemps.

    Sur la gauche de la photo, s'étirait un chemin dallé qui menait jusqu'à la plage. Ce dallage a permis au Grec de montrer une fois de plus sa grande serviabilité. En effet, c'était sur ce revêtement en dur qu'il nous a aidés à enrouler le génois. Mais auparavant, il fallait des bras, musclés de préférence, ou, pour le moins, dévoués, pour descendre la voile jusqu'au sol. Puis, il fallait des bras et des jambes, costauds ou dévoués, pour gravir l'échelle en portant l'énorme poids, que l'enroulement n'avait aucunement diminué.

    Le Grec suivait scrupuleusement les instructions du Capitaine et déployait ses efforts avec gaieté de cœur. Cette aide improvisée, mais ô combien efficace et précieuse, ne faisait pas partie de la négociation initiale.

    Le dévouement du Grec nous émouvait profondément.

    La négociation n'a pas fait un gagnant et un perdant, mais deux gagnants.

    Après l'acte chirurgical à Athènes, nous avons voulu passer la convalescence en compagnie du Zeph. Nous voilà donc revenus au chantier de Λίμνη – ΛΙΜΝΗ.

    Voici le Zeph, qui était tellement content de nous retrouver si tôt :

     

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    L'époque n'était plus à la crise, mais à l'apaisement.

    La vision du matin avait le charme de la douceur.

    Celle du soir avait la magie de l'or du temps.

     

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    Notre séjour actuel dans l'enceinte du chantier n'était pas prévu par la négociation menée quatre semaines auparavant. Qu'à cela ne tienne ! Nous savions que le Grec était capable de largesses. Et une fois de plus, nous en avons eu la confirmation. Effectivement, le Grec de Λίμνη – ΛΙΜΝΗ a fait ce que personne avant lui n'avait osé faire, ni à Port Napoléon, ni à Γαλατάς – ΓΑΛΑΤΑΣ, ni à Χαλκούτσι – ΧΑΛΚΟΥΤΣΙ : nous accorder la gratuité pour l'eau et l'électricité pendant ces deux semaines de retrouvailles anticipées avec le Zeph.

    Le Grec s'appelait Χάρις – ΧΑΡΙΣ (transcrit en français : Kharis, et signifiant : Grâce).

    Le nom du chantier est Λειβαδίτης – ΛΕΙΒΑΔΙΤΗΣ (transcrit en français : Livaditis).

    Puisque Χαλκούτσι – ΧΑΛΚΟΥΤΣΙ vient d'être évoqué, quel a été le dénouement de la toute première négociation ?

    Le Capitaine est retourné au chantier de la première heure avec son plâtre et sa béquille, pour proposer un arrangement à l'amiable : que les arrhes versées pour cette année servent pour l'an prochain. Mais on lui a tout de suite répondu qu'il serait intégralement remboursé par virement bancaire, dans les jours à venir !

    Le Grec de Χαλκούτσι – ΧΑΛΚΟΥΤΣΙ était aussi magnanime que le Grec de Λίμνη – ΛΙΜΝΗ. Le lait maternel qui les avait nourris leur avait enseigné le caractère sacré de l'hospitalité.

    Dans ce contexte bien particulier, la négociation n'était pas une confrontation d'où il faudrait sortir victorieux en tirant avantage coûte que coûte, quitte à spolier l'autre. C'était plutôt l'art d'avantager à la fois les intérêts des deux parties.

    Voici le Capitaine qui sortait du premier chantier, avec en poche, la promesse du remboursement des arrhes :

     

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    Le cœur joyeux, nous avons pique-niqué sur la plage devant le chantier de la première heure :

     

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    Le cadre était enchanteur.

    L'heureux dénouement de la négociation lui conférait encore plus de charme.

     

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    Le bien-être que nous avions en songe devenait réalité grâce à l'air vivifiant que produisait la générosité en terre hellène.

    La négociation magnifie le savoir-vivre grec.

    L'hospitalité est la clé de la réussite.

     

     


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