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La ronde des sourires de l'Hellade
La motivation première de la saison 2022 est le périple cycladique. Dès notre entrée dans la ronde des Cyclades, l'archipel nous a souri :
Nous sommes sur l'île appelée Άνδρός – AΝΔΡΟΣ (en français : Andros), le jour de la Pâque orthodoxe.
Le cuisinier sourit au mousse, qui vient d'être introduit dans l'extension de l'espace-cuisine. C'est le sourire de l'hospitalité immédiate, confiante et radieuse.
L'homme qui rôtit l'agneau pascal s'appelle Αρμάντο – APMANTO (en français : Armand). Les sonorités de ce prénom ne rappellent pas la langue d'Homère. En vérité, l'homme vient du Nord-Ouest de la péninsule balkanique. La patrie d'Ulysse lui a ouvert les bras. Et à présent, avec un sourire sincère et émouvant, il ouvre son espace privé à un visiteur qui, comme lui, n'a pas une origine grecque, mais qui, comme lui, se réfugie dans les bras de la Grèce.
C'est donc le sourire de l'adoption. Une adoption qui honore des valeurs universelles.
Dès l'entrée dans la ronde cycladique, les divinités ont offert au Zeph le sourire de l'universalité.
Ce geste de bienveillance n'exprime pas un hasard, mais une volonté. Il a donc sa confirmation, quelques instants plus tard.
Voici d'autres sourires, offerts avec tant de spontanéité et de générosité, toujours sur l'île appelée Άνδρός – AΝΔΡΟΣ :
Ils sont grecs, gérants d'une ταβέρνα – ΤΑΒΕΡΝΑ (en français : taverne), qui porte leur nom. L'agneau pascal, qui est en train de rôtir, est pour le menu du soir.
Ils ont un tempérament jovial et se montrent reconnaissants au visiteur qui prend plaisir à contempler leur dynamisme. Leur sourire est celui de la gratitude.
Le Grec s'appelle Κώστας – KΩΣΓΑΣ (transcription : Kôstas). La Grecque s'appelle Μαρία – MAPIA (transcription : Maria).
Ils sont émerveillés que le visiteur leur parle dans leur langue maternelle. Avec empressement, ils s'enquièrent de la façon dont celui-ci a pu apprendre le grec. Il existe donc un deuxième motif pour la gratitude qui fleurit sur leurs visages rayonnants : c'est l'immersion linguistique.
L'adoption par le cœur et la maîtrise de la langue font qu'à Άνδρός – AΝΔΡΟΣ, les sourires échappent au triste sort des choses superficielles et éphémères.
Le sourire cycladique est une manifestation de lumière.
Il ne s’agit pas de la lumière apportée par les photons de la physique, mais de la lumière intérieure, celle que fait briller la bonté du cœur.
Même lorsque la fureur du meltem nous a contraints à quitter les Cyclades pour le Dodécanèse, la quête de lumière continue, et avec elle, le ballet des sourires de l’authenticité.
Nous voici à Rhodes, dans le quartier historique, à deux pas de la Synagogue
בית הכנסת קהל קדוש שלום (en français : Synagogue de la Sainte Congrégation de la Paix) :
Le mousse est attiré par la lueur ambrée qui rayonne d’un vestibule. Et de mur en mur, il se retrouve devant un encensoir posé sur le seuil d’une demeure. Au moment où il photographie l’encensoir, la porte s’ouvre. Et voici le visage qui lui souhaite la bienvenue :
Le sourire de la Grecque porte la dignité des décennies écoulées tout en manifestant la joie de découvrir soudainement quelqu’un qui vient de si loin pour s’intéresser à l’histoire du lieu.
Avec générosité, la Grecque fournit au visiteur mille détails sur le passé de la maison, sur le pourquoi de la décoration actuelle, sur l’essaimage de sa famille aux quatre coins du monde.
Le sourire de la Grecque est le sourire de l’empathie qu’éprouve une citoyenne du monde pour un autre citoyen du monde. C’est le sourire d’une grande ouverture d’esprit. C’est aussi le sourire d’une affection spontanée et désintéressée.
Après les Cyclades, le sourire de l’archipel du Dodécanèse se plaît aussi à montrer son alliance avec l’universel. En voici un autre exemple :
Nous sommes à six kilomètres à l’Ouest de Rhodes, sur l’île appelée Χάλκη – XALKH (transcription : Khalki).
Qui nous sourit ainsi ?
La réponse peut se trouver sur la devise écrite sur la porte qui donne accès à l’arrière-boutique.
Voici l’inscription :
« The secret to having an epically beloved BAKERY is consistency... »
Littéralement :
Le secret pour avoir une BOULANGERIE épiquement aimée est la cohérence...
L’homme qui sourit fournit donc du pain frais à toute l’île, c’est-à-dire au port et à l’arrière-pays. C’est le seul boulanger sur les 28 kilomètres carrés du territoire insulaire.
Il a donc de quoi être fier.
Il est fier de sa situation sociale. Mais en cet instant précis, il est content que le mousse se soit intéressé à la devise et que celui-ci ait demandé la permission d’en faire une photo.
Or cette devise est en anglais et non en grec. Le Welcome est aussi en anglais. Tout est en anglais sur la photo, tout sauf deux inscriptions sur l’écran de la caisse :
ΣΥΝΟΛΟ (en français : TOTAL) et ΜΕΤΡΗΤΑ (en français : [EN] ESPÈCES).
L’homme qui sourit n’est donc pas natif de l’île. Il viendrait de l’Anatolie meurtrie et traumatisée. Il a refait sa vie à Χάλκη, dans le Dodécanèse. Son sourire est celui de la réussite d’une intégration.
L’intérêt que le mousse porte à la devise rappelle au boulanger ses origines.
Le sourire qui apparaît sur la photo est à la fois celui de la fierté et de la nostalgie.
Le fait que c’est un non-Grec qui a déclenché ce sourire montre que celui-ci devient le trait d’union entre le non-Grec installé et le non-Grec en transit. Ce trait d’union souriant porte un nom : celui de fraternité universelle.
Le sourire est une marque de gratitude. En voici un autre exemple :
Nous sommes à Κως – ΚΩΣ, l’île d’Hippocrate.
Le Zeph est amarré dans la Marina. Et nous faisons livrer des denrées fraîches ainsi que la boisson en prévision du prochain long périple en haute mer.
L’intérêt de la photo est dans le sourire du livreur qui nous aide à décharger le caddie de provisions.
Le Grec sourit parce qu’auparavant personne ne l’a pris en photo pendant son service.
Il sourit parce qu’il n’est pas considéré comme un banal employé de supermarché, mais comme un sosie de « Zorba le Grec ».
Il sourit parce que pendant le trajet depuis le supermarché jusqu’à la Marina, il a découvert que le mousse se servait des chansons pour apprendre le grec.
Le Grec sourit parce qu’il est sensible à la culture.
Son sourire est un sourire du deuxième degré, même si l’environnement immédiat n’est fait que des choses périssables.
C’est pour cela que ce sourire est si beau.
Le Grec a l’art de donner du plaisir dans la relation commerciale. Et sa façon d’exprimer ce plaisir est le sourire. Ce merveilleux savoir-être est un patrimoine, qui est mis en valeur par toutes les générations. En voici un exemple à Λέρος – ΛΕΡΟΣ (en français : Léros) :
La photo montre un loueur de motos et son petit-fils. Nous venons de louer une moto du Grec portant le tee-shirt bleu. Au moment de démarrer la moto, nous nous apercevons que nous n’avons pas de carte routière de l’île. Alors nous sommes revenus à la boutique pour en avoir une. Dès qu’il a compris le but de notre demi-tour, le jeune Grec s’est précipité à l’intérieur de la boutique pour nous ramener une carte routière. Il y a dans la célérité avec laquelle il effectue son va-et-vient un dévouement stupéfiant. On dirait qu’il s’acquitte d’un devoir sacré. D’un bout à l’autre de son intervention, une joie exquise illumine son visage. Nous en sommes très émus. Et pour avoir un souvenir de la beauté du geste accompli par le jeune Grec, nous demandons l’autorisation de faire une photo, ce qui nous a été accordé avec libéralité.
Ainsi, nous obtenons deux sourires : celui de la fierté chez l’adulte et celui de l’innocence chez l’adolescent.
Les sourires qui fleurissent sur la route du Zeph contribuent à donner du sens à cette route. Retrouver le passé est une autre manière de donner du sens. Il arrive que ces deux modalités opèrent de concert. C’est ce qui s’est passé à Λειψοί – ΛΕΙΨΟΙ (en français : Lipsi).
Jadis, du temps où nous étions routards, nous avons effectué un séjour très agréable sur cette île. Le chemin du souvenir nous y ramène au cours de cette saison. Or, trois décennies ont apporté bien des changements et nous avons beaucoup de mal à retrouver les repères du passé.
J’ai le souvenir d’un panorama qui s’étendait devant le logement de jadis, et qui comportait de larges vallonnements herbeux en direction du port. Pendant que je me cramponne à l’espoir de retrouver ce panorama, je découvre un superbe jardin en hauteur, qui pourrait très bien être celui qui se trouvait devant notre logement de jadis.
Au moment où je contemple l’espace fleuri, une silhouette féminine se glisse dans le champ de vision. La voici, avec son sourire empli de bonté :
C’est la fée du logis. Elle est la fée de ce logis depuis huit décennies.
Elle accueille le mousse comme si celui-ci est son propre fils.
C’est le sourire de l’adoption.
Elle s’appelle aussi Μαρία – MAPIA (transcription : Maria).
Le mousse éprouve une grande affection pour la Grecque.
Elle lui donne des figues sèches quand il s’en va.
Il lui dit qu’il lui écrira quand il sera de retour en France, c’est-à-dire pas avant quatre mois.
Elle lui répond qu’elle attendra le temps qu’il faudra : quatre mois, cinq mois,...
Le mousse emporte avec lui le sourire de la simplicité, de la patience et du contentement.
Le Dodécanèse ne cesse de nous offrir des sourires plus beaux les uns que les autres.
Voici une autre belle surprise :
Nous sommes à Πάτμος – ΠΑΤΜΟΣ (en français : Patmos), l’île où a été rédigé le dernier livre des Écritures Grecques Chrétiennes.
Le Grec assis au milieu de la photo s’appelle Γρηγόριος – ΓΡΗΓΟΡΙΟΣ (en français : Grégoire). Sa tenue indique qu’il est un berger spirituel. Sa mission est de prendre soin des brebis qui paissent à proximité du port.
Le mousse a rencontré le Grec au moment où celui-ci officiait devant l’iconostase. L’intérêt du mousse pour l’art byzantin charme le Grec. Celui-ci invite celui-là à partager un café après le temps liturgique. La photo ci-dessus montre le joyeux partage entre des frères selon l’esprit.
On y voit le sourire de la complicité, d’une très grande complicité.
Car le Grec et le mousse recherchent ardemment les mêmes trésors spirituels.
C’est le sourire d’une fraternité retrouvée.
En effet, le Grec et le mousse ont l’impression d’être comme des frères qui se trouvent après une longue période de séparation.
Et ils profitent de ces retrouvailles pour que l’aîné explique au cadet, dans le jardin puis devant l’iconostase, les nuances de l’épigraphie.
À Πάτμος – ΠΑΤΜΟΣ, le sourire n’est ni superficiel, ni vain. Au contraire, il est très réconfortant et très édifiant.
L’automne nous voit revenir dans les Cyclades. Certaines espèces végétales commencent à se faner, mais pas le sourire du καιρός.
Avec beaucoup de plaisir, nous retrouvons le sourire cycladique.
Avec émerveillement, nous le voyons s’enhardir dans l’humour.
En voici un magnifique exemple :
Nous sommes à Kουφονήσι – KOYΦΟΝΗΣΙ (transcription : Koufonisi).
Sur la droite de la photo, on voit des pains.
Pour le pain frais du jour, le mousse choisit la boulangerie qui se trouve sur la route du supermarché le mieux approvisionné, qui est aussi le moins cher.
Chaque jour, il demande toujours le même pain πολύσπορο (en français : multi-graines), qui coûte 1,40 €. Le rituel est tel qu’à la fin, le mousse est servi par la boulangère avant même qu’il n’ouvre la bouche. Puis, un beau jour, la boulangère glisse un pain aux raisins dans le sachet qui contient le pain multi-graines, sans faire payer le pain supplémentaire.
Le surlendemain, c’est le jour de l’au-revoir, impérativement. Car une fenêtre météo vient de se mettre en place, et il faut absolument en profiter, avant qu’elle ne disparaisse.
La photo ci-dessus a été faite le jour de l’au-revoir.
Modestement, le mousse demande l’autorisation de photographier les pains multi-graines. La boulangère veut rendre service au mousse et se propose de faire les photos elle-même. Au moment où elle a dans ses mains le téléphone du mousse, l’appareil se met en selfie. La boulangère se rend compte de l’inversion de l’objectif et ne cache pas sa surprise. Et malgré cette surprise, la boulangère fait quand même la photo. D’où ses sourcils très arqués, avec des yeux écarquillés et très rieurs.
Derrière la vitre installée à cause de la Covid, le mousse rit aussi, par contagion.
En définitive, cette photo inattendue est un joli souvenir de la sympathie de la boulangère.
« Jamais deux sans trois », a-t-on coutume de dire sur le territoire de l’Hexagone. Il s’avère que ce dicton s’applique aussi au sourire du froment en Mer Égée.
Il y a le sourire du froment à Χάλκη, puis à Kουφονήσι.
Maintenant, il éclot à Κύθνος – KYΘΝΟΣ (transcription : Kythnos).
Jadis, à l’époque où nous étions routards, nous avons séjourné à Κύθνος. Mais nous en avons gardé un triste souvenir, à cause de la grisaille. Cette fois-ci, grâce à un soleil radieux, l’île re-naît. Et nous la voyons avec des yeux absolument neufs et heureux.
En explorant les rues situées à l’arrière-plan par rapport au port, le mousse tombe sur une enseigne fort originale. On y voit l’inscription :
Le blé
MORE THAN A BAKERY
Le « l » dans Le blé est écrit avec un épi recourbé.
Intrigué par le nom en français, le mousse entre dans la boutique pour en connaître la raison.
Le boulanger, qui s’appelle Γεώργιος – ΓΕΩΡΓΙΟΣ (en français : Georges), dit que la famille de sa femme Αρχοντούλα – APXONTOYΛA (transcription : Arkhondoula) vit en Belgique, à Liège.
Voici les jeunes propriétaires de la boulangerie Le blé :
C’est le sourire de la francophonie. Ce sourire est franc et radieux.
À présent, la saison 2022 touche à sa fin. Mais la ronde des sourires n’a pas l’intention de s’arrêter.
La dernière escale avant le port à sec est Χαλκίδα – ΧΑΛΚΙΔΑ (transcription : Khalkida). Le matin du jour où le pont mobile s’ouvre pour nous, la Grèce célèbre le rejet de l'ultimatum italien du 28 octobre 1940.
Un défilé a lieu avec de nombreux costumes traditionnels.
Le mousse est fasciné par le costume aux reflets émeraude d’une jeune Grecque qui participe au défilé. Ému par le regard admiratif du mousse, le père de l’adolescente dit à celle-ci de montrer toute la splendeur du costume :
Le sourire de la jeune Grecque exprime à la fois la fierté et la pudeur.
Quelques pas plus loin, le mousse croise une silhouette adulte, resplendissante grâce au costume traditionnel. Il obtient facilement l’autorisation d’en avoir un précieux souvenir. Le voici :
C’est encore le sourire de la fierté nationale.
Le 28 octobre est appelé Επέτειος του “ Όχι” (en français : Anniversaire du « Non »)
C’était un « Non » catégorique à l’ultimatum de Mussolini.
Malgré la gravité du contexte historique, les deux sourires ci-dessus, qui disent « Oui » au photographe, reflètent la douceur propre à l’être féminin.
Finalement, la faveur souriante du καιρός accompagne le Zeph jusqu’au port à sec.
Dès la sortie de l’eau, il bénéficie d’un toilettage méticuleux, qui est prodigué dans la bonne humeur :
Le Grec qui tient le karcher est aussi celui qui fournit la force motrice pour tirer le Zeph hors de l’eau. Il s’appelle Βαγγέλης – BAΓΓΕΛΗΣ (transcription : Vanguélis).
À côté de lui, se tient son fils Χάρης – ΧΑΡΗΣ (transcription : Kharis), qui plonge pour vérifier les articulations du traîneau.
C’est le fils qui assure la gestion administrative du chantier.
Le père et le fils s’acquittent de leurs tâches avec beaucoup de professionnalisme.
C’est pourquoi leur sourire reste modéré sur cette photo. Mais il est absolument sincère. Il devient éblouissant quand le travail est fini.
Le καιρός a transformé la saison 2022 en une merveilleuse ronde de sourires.
Tags : Ronde, sourire, gratitude, καιρός, Cyclades, Dodécanèse, Άνδρός, Rhodes, Χάλκη, Κως, Λέρος, Λειψοί, Πάτμος, Kουφονήσι, Κύθνος, Χαλκίδα
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