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La ronde des confiseries
La ronde des confiseries a commencé avant même que nous ne traversions l’Adriatique pour rejoindre l’Italie.
En effet, voici un lieu qui proposait la dégustation des confiseries à Ιωάννινα – IΩΑΝΝΙΝΑ (transcription : Iôannina), qui était notre dernière halte avant de prendre le ferry.
La façade illuminée était impressionnante. Le sapin coiffé d’une étoile indiquait que les illuminations étaient en rapport avec la Nativité. Les confiseries proposées étaient donc spécialement conçues pour les fêtes de fin d’année.
Un néon phosphorescent dessinait en lettres cursives le nom de la boutique : à gauche du lampadaire central, on pouvait lire : Μάντζιος.
Pour le Grec, chaque confiserie, par sa douceur, est une porte ouverte vers un monde de rêve. Par conséquent, il prend soin de préciser de quoi il rêve.
Il rêve de l’absence de pénurie. C’est pourquoi l’écureuil accompagne la dégustation des confiseries.
C’est le plaisir de la disponibilité constamment alimentée.
Certains préfèrent plus d’aisance. Alors la compagnie du paon leur convient mieux.
Le chatoiement de la queue évoque l’opulence, le luxe.
L’extase gustative donne l’impression de se retrouver dans un paradis réservé à des êtres princiers.
Le contexte économique local interfère dans la représentation imagée. Il en est de même du patrimoine culturel. Même à plus de quatre cents kilomètres de la capitale de l’Attique, la chouette d’Athéna préside à tout ce qui a trait à l’âme grecque.
Ici, on déguste en pensant. L’inverse est vrai aussi : on pense le monde en savourant des confiseries.
Au pays d’Ολυμπιάς – ΟΛΥΜΠΙΑΣ (transcription : Olympias) qui a choisi Aristote pour être le précepteur de son fils Alexandre, la confiserie et le λόγος – ΛΟΓΟΣ (transcription : logos) sont intimement associés.
Partie de la rive orientale de l’Adriatique, la ronde des confiseries s’est poursuivie jusqu’à l’entrée dans l’Hexagone.
Voici une vitrine sur les berges du Rhône.
Les confiseries, soigneusement emballées dans un joli papier mauve, attendaient sagement au milieu des conifères.
Le décor, qui était censé encourager la dégustation, faisait valoir l’environnement des pays nordiques.
Nulle part, il n’y était question de l’humain, de ses préoccupations économiques, des attentes de ses entrailles, de son idéal en matière d’éthique.
Nous nous trouvions dans le quartier de l’Hôtel-Dieu.
Non loin de la vitrine, se dressait la statue qui honorait la mémoire de l’illustre chirurgien lyonnais Bonnet.
Au premier plan, sur la gauche de la photo, se répandait au sol la lumière qui venait de la vitrine avec les emballages mauves, sagement disposés au milieu des conifères. Malgré cette proximité spatiale, rien, absolument rien au niveau de ces confiseries lyonnaises n’a été tenté pour faire référence au mieux-vivre apporté par le savoir dispensé à l’Hôtel-Dieu.
Sur les berges du Rhône, la confiserie est cloîtrée dans une tour d’ivoire, de peur que la sacro-sainte dégustation ne soit dérangée par des phénomènes parasites.
Avant d’arriver à Lyon, la ronde des confiseries est passée par le massif alpin et c’est là, dans les Hautes-Alpes, qu’elle a eu son point culminant. Non pas par rapport à des considérations techniques, mais par rapport à la production du sens, grâce à une découverte à partir de l’intérieur.
Le privilège d’assister, d’un bout à l’autre, à la genèse de la confiserie nous a été offert au QG du Hanabi.
La convocation des ingrédients initiaux était d’une grande beauté.
Dès les premiers instants, l’onctuosité est une évocation du lien social. La confiserie est une manifestation d’altruisme.
Autre ingrédient fabuleux : le fruit confit.
En l’occurrence, il s’agit des agrumes :
Une lame bien tranchante commence par dégrossir la découpe.
Puis une autre lame, qui joue avec les oscillations, affine la taille les morceaux d’agrumes.
Les rideaux de la cuisine se reflètent sur la lame circulaire quand celle-ci est au repos.
Ce miroir imprévu a une signification très importante. Il signifie que l’espace de la genèse de la confiserie n’est pas clos, que cette genèse se nourrit de l’air ambiant et de toutes les bonnes volontés environnantes.
Une fois que la pâte est bien levée, elle est étalée avec la persévérance de la force musculaire.
De quelle utilité serait le rouleau s’il n’était pas appuyé, suffisamment appuyé par des doigts convaincus et dévoués ?
L’intense force qui se transmet du poignet aux extrémités digitales appelle cette déclaration de Montaigne dans les « Essais » :
“J'ai vu en mon temps cent artisans, cent laboureurs, plus sages et plus heureux que des recteurs de l'université. ”
L’écrivain-philosophe fait l’éloge du travail de « laboureur ».
Réellement, faire mouvoir le rouleau pour aplanir la montagne de pâte était extrêmement physique, comme pousser la charrue pour qu’elle brise la motte de terre.
La phrase de Montaigne n’a pas pour but de dénigrer le savoir des intellectuels que sont les « recteurs », mais de rendre justice et dignité au travail accompli avec des mains courageuses.
Montaigne dit qu’elles sont bénies par le bonheur qu’elles produisent.
C’est le cas pour cette confiserie dont l’élaboration nécessite un effort physique intense.
L’intérêt de cette scène de la genèse est explicité dans cette déclaration de Cathy Better :
“Life is raw material. We are artisans. We can sculpt our existence into something beautiful, or debase it into ugliness. It's in our hands.”
“La vie est le matériau brut. Nous sommes les artisans. Nous pouvons faire de notre existence quelque chose de magnifique ou d’affreux. Notre destin est entre nos mains.”
La boule de pâte levée est un « matériau brut ». C’est le capitaine du Hanabi qui a pris sur lui de transformer ce matériau brut en « quelque chose de magnifique ». Ce « quelque chose de magnifique » est le plaisir de la convivialité qu’apporte la confiserie de Noël.
La déclaration de Cathy Better dit que le geste de « laboureur », accompli par le capitaine du Hanabi, est une allégorie.
La moitié de la boule de pâte est transformée en rectangle prêt à aller au four.
L’autre moitié subit le même traitement.
Cette préparation avant la cuisson au four illustre tout à fait ces mots de Diderot :
“C’est peut-être chez les artisans qu’il faut aller chercher les preuves les plus admirables de la sagacité de l’esprit, de sa patience et de ses ressources.”
Le capitaine du Hanabi, parce qu’il se comporte comme un véritable artisan, est plein de « ressources ». Il pense à glacer la confiserie quand celle-ci est sortie du four.
Avec le reste de sucre fondu, il fait une sucette. D’aucuns appellent cela de l’humour. Diderot dit que c’est de « la sagacité de l’esprit ».
La dernière étape consiste à redécouper les délicieuses plaques pour en faire de jolis rectangles, plus maniables.
Bien sûr, nous avons eu le privilège de goûter tout de suite, sur place.
Et nous avons eu aussi le privilège d’en emporter le délicieux souvenir jusqu’à la capitale des Gaules, où se trouve le QG du Zeph.
La véritable finalité de la ronde des confiseries est le lien social.
Tags : ronde, confiserie, artisan, lien social, Ιωάννινα, Ολυμπιάς, Hôtel-Dieu de Lyon, Montaigne, Cathy Better, Diderot
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Commentaires
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Merci pour ce fabuleux reportage.
Les "Basel Leckerli" préparés pour Noël sont là pour rappeler par leur douceur et par la richesse de leur saveur, le goût unique de notre amitié et des moments passés ensemble.
Joyeux Noël et meilleurs voeux pour la nouvelle année.
Cher Hanabi,
Comme tu as raison d’utiliser le superlatif pour qualifier le lien fraternel qui t’unit au Zeph depuis Μισολόγγι – ΜΙΣΟΛΟΓΓΙ (en français : Missolonghi) !
Oui, ce lien fraternel a un « goût unique ».
Sont également « uniques » les moments passés ensemble. L’un d’eux montre la beauté du geste manuel qui t’honore. Le travail des mains est précis, persévérant, intelligent. Il fait écho à cette exhortation de Salomon :
…כֹּל אֲשֶׁר תִּמְצָא יָֽדְךָ לַעֲשׂוֹת בְּכֹחֲךָ עֲשֵׂה …
קוֹהֶלֶת ט : י
Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le de toutes tes forces
Écclésiaste 9 : 10
De toutes tes forces, tu fais agir ta main et il en sort des voies lactées sur fond de prunes :
RP