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La lumière intemporelle à Rhodes
Quand ce sourire de l'éphèbe a-t-il éclos ? Dans la matinée ? Dans l'après-midi ? Dans la soirée ?
À vrai dire, il a pu éclore à tout moment de la journée.
D'un point de vue extrinsèque, il n'aurait pas varié selon que la lumière soit du matin, de l'après-midi ou du soir.
D'un point de vue intrinsèque, il faut prendre en considération ce dicton grec : Tο πρόσωπο είναι ο καθρέφτης της ψυχής.
En français : le visage est le miroir de l'âme
Un miroir plongé dans l'obscurité ne renvoie aucune image.
Le dicton grec sous-entend donc la présence d'une source lumineuse pour que l'image se forme.
Dans ce cas, un visage souriant est révélateur de la lumière d'un bien-être intérieur. La lumière véhiculée par ce sourire s'affranchit alors de la temporalité.
Il en est de même du sourire archaïque qui s'épanouit sur les lèvres d'Apollon :
Le dieu est représenté avec une lyre.
La douce lumière qui émane de ce sourire vient de la pratique de la musique et ne dépend aucunement du moment de la journée.
C'est le talent de l'artiste qui donne à voir ce sourire intemporel de l'Antiquité.
La lumière qui vient de l'art est intemporelle.
En quoi ceci concerne-t-il Rhodes ?
À Corinthe, Delphes et même Athènes, cette lumière s'est éteinte à cause de la crise économique. Une seule échoppe a tenu bon sur le territoire que nous avons parcouru depuis que le Zeph a élu domicile dans les eaux grecques : c'est celle qui se trouve au 74 de la Rue de Socrate, que nos lecteurs connaissent bien, à présent.
En restant un flambeau de l'Art, Rhodes s'illumine d'une lumière intemporelle.
La lumière de l'Art est intemporelle parce qu'elle fournit des éclairages sur la condition humaine.
Tout ce qui est éclairage sur la condition humaine possède l'intemporalité.
Au siècle dernier, une effroyable calamité s'est abattue sur la condition humaine. Rhodes en porte les stigmates, s'en souvient encore et tient à s'en souvenir pendant longtemps, longtemps.
Cette lumière inextinguible de la mémoire est intemporelle. La voici :
L'hommage en hébreu est précédé de l'Étoile de David, qui se présente sous la forme d'un hexagone étoilé.
Une coupe transversale du monument donne un hexagone convexe. Chaque côté est affecté à une langue. Sur la droite de la photo, est visible la face consacrée à la langue grecque.
Voici la face dédiée à la langue française :
Le texte français est précédé de la représentation du chandelier à sept branches.
Le chandelier à sept branches, prescrit à Moïse selon le chapitre 25 du livre de l'Exode, symbolisait la présence divine dans le Tabernacle du désert, puis dans le Temple de Salomon.
L'image de la lumière qui brillait jour et nuit devant les Tables des Dix Commandements, dans le lieu dit « Très Saint », sied à merveille au caractère impérissable du souvenir.
Nous avons considéré les faces où l'hommage était rédigé en hébreu, en grec et en français. Les trois autres côtés étaient consacrés à l'anglais, à l'italien et à l'espagnol.
Sur la pierre polie, se reflétait le feuillage de l'arbre sous lequel était érigé le mémorial.
Celui-ci se trouvait donc, à toute heure de la journée, dans la pénombre. Cependant, il diffusait une lumière intemporelle, car elle était spirituelle.
La municipalité de Rhodes a eu l'intelligence de placer ce mémorial à un endroit très fréquenté, qui s'appelle désormais Πλατεία Εβραίων Μαρτύρων (en français : Place des Martyrs Hébreux).
La lumière de la mémoire est inextinguible, que le deuil soit collectif ou individuel, car il est une absurdité. La cessation brutale de la vie est un non-sens. Et la révolte, toute légitime, devant ce non-sens produit une lumière intemporelle.
En voici un autre exemple, sur le bord de la route, à l'échelon individuel cette fois :
La lumière de la guirlande et des spots ne s'éteignait pas durant toute la nuit.
Elle proclamait à toutes les personnes qui passaient par là, à pied ou en voiture, l'affection qui continuait de relier le disparu à celles et ceux qui l'ont tendrement aimé.
Le mousse passait par là, chaque soir, quand il revenait de sa moisson d'images.
Et chaque soir, il ressentait une profonde émotion devant le scintillement du combat contre l'oubli.
À l'arrière-plan, se dessinait une multitude de mâts. Parmi ces mâts, il y avait celui du Zeph.
Voici la stèle funéraire de face :
À côté de l'image du défunt, on pouvait lire :
ΣTAMATHΣ
KAPAOΛΑΝΗΣ
ΑΠΕΒ. 27-6-2021
ΕΤΩΝ 35
En français :
STAMATIS
KARAOLANIS
DÉCÉDÉ LE 27-6-2021
ÂGE 35
Les deux premières lignes donnaient le prénom et le patronyme du défunt.
La troisième ligne indiquait la date du décès.
La dernière ligne mentionnait l'âge au moment de l'accident fatal.
Dans le cas présent, l'homme a été fauché dans la fleur de l'âge.
Évidemment, la guirlande ne s'allumait pas pendant la journée. Néanmoins, la douleur de la perte était aussi vive avec la clarté du jour qu'avec l'obscurité de la nuit. Dans le cœur de celles et ceux qui continuaient de pleurer le disparu, la même guirlande du souvenir ne cessait de scintiller, indépendamment du moment de la journée.
Hélas, il est arrivé que pour des raisons purement techniques, une telle guirlande du souvenir ne pouvait pas être allumée. Tout simplement, parce qu'il était impossible d'assurer l'alimentation en électricité. C'était, par exemple, le cas de certains endroits perdus au milieu de la montagne.
Qu'à cela ne tienne ! La façon de faire des Anciens venait suppléer à la défaillance de la technologie moderne. Une châsse dorée servirait de temple et de signalisation de celui-ci.
Les reflets du métal précieux proclamaient tout naturellement le caractère impérissable du souvenir.
Mémoire du deuil, parce que l'on continue de se souvenir de la disparition, donc du disparu.
Mais en aucun cas, deuil de la mémoire, parce qu'on n'a pas enseveli celle-ci !
Cette lumière du souvenir était intemporelle. Car l'amour qu'elle véhiculait était intemporel.
La persistance du souvenir n'a de sens que si elle débouche sur une sorte de rétribution qui soit à la fois une compensation et une récompense. Cette issue s'appelle l’espérance.
La lumière de l'espérance n'est pas influencée par le moment de la journée. Elle brille en toute saison. Car elle possède l'intemporalité.
La voilà l'œuvre dans un lieu de spiritualité :
La lumière de la bougie qui flottait dans le bol rempli d'huile d'olive était la lumière de la promesse tandis que la lumière des deux bougies plantées dans le bac de sable était la lumière de l'espérance.
La promesse émanait de l'Hôte qui recevait chez Lui.
L'espérance était la motivation de celles ou ceux qui venaient là pour trouver de la consolation.
La lumière de la promesse et la lumière de l'espérance ne dépendaient aucunement de l'humeur du temps. Toutes les deux étaient intemporelles.
Voici l'entrée du sanctuaire :
Sur la droite de la photo, une plaque indiquait l'appellation officielle de l'édifice. On pouvait lire :
IEPA MONH
ΠΡΟΦ. ΗΛΙΑ
ΣΑΛΑΚΟΥ
En français :
SANCTUAIRE
DU PROPHÈTE ÉLIE
DE SALAKOS
La silhouette du prophète Élie apparaissait en haut de la façade, dans une niche rectangulaire, où on le voyait en train d'être nourri par les corbeaux.
Le bas-relief illustrait ce passage des Écritures hébraïques :
וְהָעֹרְבִים מְבִיאִים לוֹ לֶחֶם וּבָשָׂר בַּבֹּקֶר וְלֶחֶם וּבָשָׂר בָּעָרֶב וּמִן־הַנַּחַל יִשְׁתֶּֽה׃
מְלָכִים א יז : ו
Les corbeaux lui apportaient du pain et de la viande le matin, du pain et de la viande le soir, et il buvait de l'eau du torrent.
Premier Livre des Rois. Chapitre 17. Verset 6
Le même thème est repris sur une peinture exposée à l'intérieur de la chapelle, près de l'iconostase :
La nourriture apportée par les corbeaux, c'est la vision de l'espérance comblée.
Des anges veillaient à ce que la lumière de l'espérance ne vacille jamais :
Ces méditations sur l'intemporalité de la lumière de l'espérance sont inspirées par un site nommé Σάλακος – ΣAΛΑΚΟΣ (transcription : Salakos) et situé à une cinquantaine de kilomètres au Sud-Ouest de la cité médiévale. Celle-ci aurait-elle quelque chose à nous dire à ce sujet, avec des exemples qu'elle abritait dans son propre giron ?
La réponse est affirmative.
Rendons-nous à Μανδράκι – ΜΑΝΔΡΑΚΙ (transcription : Mandraki), qui est le port de plaisance. Et entrons dans l'édifice religieux qui se trouve sur la rive Ouest.
Il s'agit de l'église qui s'appelle Ιερός Ναός Ευαγγελισμού της Θεοτόκου (en français : Sanctuaire de l'Annonciation à Marie)
La vivacité de la lumière de l'espérance est tout de suite perceptible :
À n'importe quelle heure de la journée, quelle que soit la position du soleil à l'extérieur, la lumière de l'espérance a son éclat intrinsèque.
Cette lumière ne craint pas les sautes d'humeur du temps car elle se nourrit du regard de miséricorde qui provient de l'autel. Voici ce regard de miséricorde :
C'est parce qu'il prend conscience de cette miséricorde que Paul, l'apôtre missionnaire, écrit ces mots :
ἡ δὲ ἐλπὶς οὐ καταισχύνει
ΠΡΟΣ ΡΩΜΑΙΟΥΣ. Kεφ. ε’. Στίχος ε’
et l’espérance ne trompe pas
Épître aux Romains. Chapitre 5. Verset 5
La lumière intemporelle émane de la condition humaine transfigurée par l'Art, dans l'attente de la Rédemption.
Cette intemporalité existe à Rhodes et partout où l'être humain se préoccupe des « choses d'en haut ».
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