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La Crète et son émeraude
Le metteur en scène John Boorman a réalisé le film « La Forêt d'émeraude » pour décrire le joyau qu'était l'habitat originel de l'homme. Le génie crétois nous a offert l'immense privilège de nous approcher de ce joyau en nous invitant dans son jardin d'émeraude.
La matrice première de la vie était l'élément aqueux.
Tout naturellement, l'émeraude était présente dans l'onde crétoise.
Merveilleuse eau diaphane, qui utilisait les reflets de l'émeraude pour nuancer l'azur.
La photo a été prise au cours de notre randonnée entre Χώρα Σφακίων – XΩΡΑ ΣΦΑΚΙΩΝ (en français : Khôra Sfakiôn) et Λουτρό – ΛΟΥΤΡΟ (en français : Loutro), sur la côte méridionale.
Certains ont préféré la glisse sur l'eau, à bord d'une navette. Nous avons choisi de mettre un pied avant l'autre sur le chemin du chevrier pour nous immerger à notre gré dans l'atmosphère où l'émeraude était en osmose avec l'azur.
À présent, contemplons l'émeraude de l'arrière-pays :
Émeraude de la fertilité, de la vitalité, de la luxuriance.
Sur la gauche de la photo, se devinait la silhouette d'un olivier, venu là par hasard.
L'olivier semi-sauvage se plaisait en compagnie des espèces qui n'ont pas connu la main humaine.
Quelque soit son environnement, l'arbre de la paix symbolisait la prospérité.
Jeu de cache-cache entre l'émeraude et l'argent, sous l'arbitrage du vent. Souvent, c'était la face argentée du feuillage qui retenait l'attention. Mais il arrivait aussi que l'arbre de la paix montrait à quel point il était fier de l'émeraude qui a élu domicile sur la face gorgée de chlorophylle.
Émeraude d'une bénédiction, car elle témoignait de la présence de l'eau douce, condition sine qua non de l'éclosion de la vie, organique et artistique.
L’émeraude embellissait le feuillage. Elle prenait soin aussi de valoriser ce qui se trouvait au sol. Voici une scène de la cueillette des olives à Λιθίνες – ΛΙΘΙΝΕΣ (en français : Lithinès) :
L’émeraude se déployait en nappes immenses et s’étirait en longues traînées pour recueillir le précieux substrat qui donnerait l’une des meilleurs huiles du bassin méditerranéen.
L’émeraude célébrait l’effort physique, le courage, l’espérance.
Le Capitaine participait aussi à la fête de l'émeraude. Debout vers le centre de la photo, il portait une chemise de couleur claire et tenait un râteau vibreur destiné à secouer les branches.
Le valeureux Crétois qui tirait les énormes filets pour les installer sur d’autres aires de ramassage était Βασίλης – BAΣIΛHΣ (transcription : Vassilis), que nos amis lecteurs ont déjà vu dans l’article « LITHINES », publié le 08/12/2021. Βασίλης – BAΣIΛHΣ apparaissait dans la treizième photo, au centre de l’image.
L'art du jardin devait son existence à la matérialité du jardin d'émeraude.
Tous les Crétois, même les plus modestes, avaient accès au jardin d'émeraude. Et tous le magnifiaient avec élégance et poésie.
Voici comment le jardin d'émeraude habillait un escalier à Λιθίνες – ΛΙΘΙΝΕΣ :
La référence à la liberté originelle était essentielle.
Par conséquence, aucune contrainte n'était imposée à l'émeraude des origines.
L'art du jardin à Λιθίνες – ΛΙΘΙΝΕΣ prenait en compte les caractéristiques du microcosme.
Le site bénéficiait de la fraîcheur procurée par son altitude. Même face à l'ardeur du soleil, la fougère ne se dessaisissait pas de son émeraude.
De manière originale, le récipient évoquait la lascivité de la plante par des coulures azurées.
Le génie crétois excellait dans l'art de tirer de la simplicité le maximun d'expressivité.
Dans le hall d'entrée de la cathédrale à Ηράκλειο – ΗΡΑΚΛΕΙΟ, des vitres colorées rappelaient les pierres précieuses qui ornaient le pectoral du Grand Prêtre au Temple de Jérusalem. Ces pierres précieuses, qui étaient au nombre de douze, étaient disposées sur quatre rangées. Voici la composition de la première rangée :
טוּר אֹדֶם פִּטְדָה וּבָרֶקֶת הַטּוּר הָאֶחָֽד׃
שְׁמוֹת כח : יז
Une rangée de rubis, de topaze et d'émeraude : la première rangée.
Exode. Chapitre 28. Verset 17
À Ηράκλειο – ΗΡΑΚΛΕΙΟ, l'émeraude était la substance qui éclairait l'espace de sa lumière apaisante et inspirante.
Plus que le rouge vif du rubis, le jaune orangé de la topaze et le bleu ciel de la turquoise, la lumière de l'émeraude était celle qui conférait le mieux au site l'ambiance byzantine, en raison du lien chromatique avec la végétation de l'Éden.
À Ηράκλειο – ΗΡΑΚΛΕΙΟ, l'émeraude des origines se déployait avec majesté dans le parc municipal, qui commémorait le bicentenaire de la Révolution grecque. L'acanthe, qui inspirait le chapiteau corinthien, répandait sa luxuriance au sol.
Le jardin d'émeraude qui décorait les murailles vénitiennes de la capitale crétoise rappelait à juste titre qu'il était à l'origine du plus somptueux des trois ordres architecturaux.
À la nuit tombante, l'émeraude brillait de tout son éclat à Άγιος Νικόλαος – ΑΓΙΟΣ ΝΙΚΟΛΑΟΣ (en français : Ayios Nikolaos), sur le rivage septentrional de l'île. La pierre précieuse prenait la forme d'anneaux qui s'empilaient pour constituer une gigantesque corne de taureau.
Comme la corne regardait vers l'Ouest, la face occidentale du monument recevait l'or du soleil couchant.
Vert et or, c'étaient les deux principales composantes du chromatisme des mosaïques byzantines.
La forme, qui était celle d'une corne de taureau, rappelait le coup de foudre de Zeus pour une mortelle nommée Europe. Le maître de l'Olympe s'était métamorphosé en taureau pour transporter sa bien-aimée jusqu'en Crète.
Ce n’était pas par hasard que la corne d’émeraude regardait du côté du soleil couchant. En effet, géographiquement, c’est de ce côté-là que se trouve l’Europe par rapport au bassin méditerranéen.
Quant au bichromatisme émeraude-or, il était l'héritage de l'univers pictural codifié à Constantinople.
Dans le cas présent, l'émeraude crétoise participait à un double retour aux origines : origines constituées d'une part par la mythologie, et d'autre part par l'esthétique byzantine.
À Bάι – BAI (en français : Vaï), qui se trouvait à l’extrémité Est de l’île, l’émeraude crétoise aimait se jucher en hauteur. La position sommitale lui permettait d’embrasser l’horizon à son gré et de jeter des clins d’œil à Alexandrie, en Égypte :
De toutes les pierres précieuses, l’émeraude était celle dont Cléopâtre raffolait le plus.
Bάι – BAI avait la splendeur de la terre des pharaons.
Ce jour-là, nous étions pratiquement seuls à nous promener parmi les cinq mille palmiers de la palmeraie d’émeraude. Quel privilège ! Et quel délice !
La forêt d’émeraude de la Crète regorgeait de spectacles humoristiques. L’émeraude, qui constituait la parure de la croissance chlorophyllienne, se plaisait à habiller toutes sortes d’excroissance insolite, de rondeur lascive.
C’était la fantaisie qui était à l’honneur. Et derrière cette imagination créatrice, il y avait le libre arbitre, qui s’épanouissait sans crainte et sans restriction.
Le lieu où nous avons admiré ce spectacle de contorsion de l’émeraude s’appelait Φαράγγι Κυδώνι – ΦAPAΓΓI ΚYΔΩNI (en français : Gorge de Kydôni). C’était au cours d’une randonnée qui a duré quatre heures, dans le giron d’une forêt emplie de charmes.
L’émeraude crétoise exaltait l’état sauvage. Elle faisait aussi briller le savoir-faire de l’homme. Admirez la prospérité du basilic qui se trouvait à gauche de la photo suivante :
Nous étions à Κεφαλάς – ΚΕΦΑΛΑΣ (en français : Képhalas).
Le gigantisme de la plante aromatique était impressionnant.
Nourrie par des mains pieuses, l’émeraude de la croissance ne tarderait pas à dépasser le mousse en hauteur.
À l’arrière-plan, se profilait le départ d’une arche. C’était le porche d’entrée d’un édifice religieux. Celui-ci s’appelait « O Iερός Nαός Koιμήσεως της Θεoτόκoυ » (en français : Le Sanctuaire de la Dormition de la Vierge).
Ainsi, l’émeraude de la piété répandait ses effluves aromatiques pour parfumer l’accès vers la transcendance.
L’émeraude montrait avec éloquence le caractère précieux du lien que les Crétois entretenaient avec le divin. Elle ornait aussi leur rapport avec le prochain. À ce sujet, l’un des plus beaux exemples s’est déroulé sur le plateau nommé Λασίθι – ΛAΣIΘI (en français : Lassithi).
Jadis, nous avions sillonné cette région en mob, avec nos sacs à dos bien ficelés sur le porte-bagages. La récente exploration avait l’émouvant attrait d’un retour à la maison.
Le plateau du Λασίθι – ΛAΣIΘI était réputé pour ses moulins. Notre premier geste sur place était d’en fixer sur la pellicule les profils historiques. En courant vers un joli groupe de moulins, le Capitaine s’est retrouvé nez à nez avec un Crétois qui faisait sa récolte dans son potager. Avec une très grande joie, le Crétois a accueilli dans son jardin d’émeraude le visiteur venu de l’Extrême-Occident, puis a offert à celui-ci ce qu’il y avait de plus beau dans cet endroit : un énorme chou vert, le plus gros de tous dans le potager :
Le Capitaine était très ému par une telle spontanéité et une telle générosité. Mais il a refusé le cadeau car il ne voulait pas donner l’impression d’abuser de l’hospitalité du Crétois. Alors celui-ci a proposé un autre présent, moins volumineux mais plus gracieux : du brocoli cueilli directement sur place et à déguster sur-le-champ.
Le Capitaine était aux anges, sur le plan gustatif et sur le plan affectif.
Au mousse, il a rapporté quelques tiges sommitales et le récit de l’émouvante aventure.
À son tour, le mousse était aux anges. Il se délectait avec le récit du formidable accueil offert par le Crétois. Il se délectait aussi avec le brocoli le plus frais qu’il n’ait jamais mangé. La texture légèrement craquante était un pur bonheur en bouche. Quant à la saveur, le brocoli avait le goût parfumé d’un bonbon exquis.
L’émeraude fleurie du plateau du Λασίθι – ΛAΣIΘI était l’un des plus beaux joyaux du périple crétois.
Émeraude régénératrice. Car elle évoquait la pureté originelle.
De manière inattendue mais tout à fait légitime, l'émeraude crétoise s'est invitée à la table du réveillon de Noël :
Notre enchantement était sans borne. En effet, nous y voyions l'augure d'un magnifique retour au berceau de l'Occident pour la saison 2022.
Tags : Émeraude, John Boorman, Europe (mythologie), Λιθίνες, Ηράκλειο, Άγιος Νικόλαος, Bάι, Φαράγγι Κυδώνι, Κεφαλάς, Λασίθι, Exode 28 : 17
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