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La coquetterie de l'ange
Le terme « ange » vient du grec άγγελoς – ΑΓΓΕΛΟΣ, qui signifie « messager ».
C’est l’interface entre deux mondes, par exemple celui des vivants et celui des défunts.
Au cimetière de Πύλος – ΠΥΛΟΣ, deux anges assurent le service d’accueil dans la zone de transition entre le territoire où la respiration fonctionne encore et l’espace où le souffle de vie a disparu.
Voici l’ange qui est posté à droite de la porte d’entrée :
Il tient dans chaque main des roses.
Par coquetterie. Et par générosité également. Car elles sont aussi destinées au visiteur. Le parfum suave des pétales rend moins douloureux le passage d’un univers à l’autre et nourrit le doux espoir des retrouvailles. En effet, la coquetterie sait se préoccuper d’une question aussi sérieuse que celle de la mémoire.
Car il s’agit bien de la mémoire, à travers le rouleau que tient la main gauche.
Les Écritures hébraïques mentionnent le livre du souvenir. En effet, le prophète מַלְאָךְ (en français : Malachie) a déclaré :
אָז נִדְבְּרוּ יִרְאֵי יְהוָה אִישׁ אֶת־רֵעֵהוּ וַיַּקְשֵׁב יְהוָה וַיִּשְׁמָע וַיִּכָּתֵב סֵפֶר זִכָּרוֹן לְפָנָיו לְיִרְאֵי יְהוָה וּלְחֹשְׁבֵי שְׁמֽוֹ׃
מַלְאָכִֽי ג : טז
En ce temps-là, ceux qui craignent Jéhovah parlèrent entre eux, chacun avec son compagnon, et Jéhovah prêtait attention et écoutait. Et un livre du souvenir commença à être écrit devant lui pour ceux qui craignent Jéhovah et pour ceux qui pensent à son nom.
Malachie. Chapitre 3. Verset 16
La présence du livre du souvenir est rehaussée par un effet de coquetterie. En effet, le rouleau est serré dans la même main que les roses, qui donnent alors l’impression de surgir du parchemin. L’extrémité supérieure de celui-ci a la forme d’un bouton floral. C’est l’image de la mémoire qui fleurit grâce à la sève de la piété et de la gratitude.
La coquetterie du messager ailé se donne à voir dans un cadre de verdure délicieusement reposant, fait de passiflores et de pins.
L’ange, qui sait qu’il tient dans ses mains une promesse, esquisse un sourire.
A-t-on l’équivalent sur le côté gauche de l’entrée du cimetière ? Regardez :
À gauche, un autre ange, posté à la même hauteur, souhaite aussi la bienvenue, en tenant dans les mains des roses et le rouleau du souvenir.
Sous la silhouette de l’ange, apparaît un robinet pour l’arrivée de l’eau douce. C’est cette eau qui garantit la prospérité de la passiflore et qui étanche la soif du visiteur. La coquetterie reste ancrée dans le pragmatisme.
La perspective montre les sépultures blanches qui se trouvent de l’autre côté du mur d’enceinte, et tout au fond, la mer.
Le cimetière de Πύλος – ΠΥΛΟΣ est en effet un cimetière marin. Du côté de la mer, point besoin d’assurer un quelconque accueil. Celui-ci s’adresse aux proches qui viennent faire leurs adieux, et qui arrivent donc du côté de la terre. En conséquence, la coquetterie des messagers ailés a sa vitrine tournée du côté de la terre.
Le génie des bâtisseurs de ce site dédié à la mémoire s’est arrangé pour que le regard des messagers ailés soit aussi tourné vers le soleil levant, pour être la préfiguration du regard qu’auront tous ceux qui se lèveront des tombes et qui tourneront leurs yeux, à ce moment-là, vers l’Est, c’est-à-dire vers Jérusalem.
La coquetterie affichée dit alors la confiance en l’avenir.
Le sourire aux lèvres fait partie de cette coquetterie. Celui qui éclot à gauche est plus large et plus prononcé que celui de l’autre côté.
Comme il a été dit dans l’article « Le refus de l’oubli », publié le 30/10/2020, le cimetière de Πύλος – ΠΥΛΟΣ est ouvert sept jours sur sept, à toute heure de la journée, même la nuit. Car le souvenir des morts ne s’efface pas quand le soleil est sous l’horizon et la douleur de l’être endeuillé peut susciter l’envie de s’épancher, en pleine nuit, auprès de la présence enfouie sous la tombe.
Ainsi, le spectacle de la coquetterie de l’accueil des anges n’a pas de limite dans le temps. Coquetterie de la bonté. Bonté de la coquetterie.
Est-il possible d’obtenir des scènes où la coquetterie se donne à voir avec encore plus d’éclat et de raffinement ? L’Orient, qui est byzantin, répond par l’affirmative. L’Occident, qui est gothique, fait la même réponse positive.
L’or est indissociable de l’esthétique byzantine.
Voici le messager qui arrive à Nazareth pour annoncer la naissance du futur Messie :
L’échange entre les deux personnages se déroule sur un fond tapissé d’or.
L’ange porte une tunique bleue, recouverte partiellement par un manteau aux reflets dorés. Au niveau des épaules et le long des jambes, la tunique bleue possède des broderies où les filaments d’or déploient d’élégantes volutes. Le contour des plumes exulte aussi avec la brillance de l’or.
Le rouge vif du bâton qui symbolise la mission du messager orne le bord interne des ailes et donne de l’éclat à la pierre précieuse qui rehausse le diadème.
La tenue du messager fait de lui un personnage extrêmement important.
Parmi toute l’armée céleste, seuls deux anges sont connus par leurs noms propres. D’après les Écritures, l’ange de l’Annonciation s’appelle Γαβριήλ – ΓΑΒΡΙΗΛ (en français : Gabriel).
La graphie grecque apparaît en lettres rouges derrière le cou.
Les deux premières syllabes grecques sont construites sur la racine trilitère גֶּבֶר , qui désigne en hébreu la force.
La prononciation grecque est calquée fidèlement sur la prononciation en hébreu :
La consonne hébraïque ג donne en grec la lettre Γ (en français : G).
La consonne suivante ב donne en grec la lettre B (en français : B).
La consonne finale ר donne en grec la lettre P (en français : R).
Ainsi, la prononciation française a également gardé les trois sonorité consonantiques originelles.
Littéralement, le nom de l’ange de l’Annonciation a donc pour signification « Dieu est ma Force ».
Le tableau se trouve à Αίγινα – AIΓΙΝΑ, au sanctuaire Εισόδια Θεοτόκου – EIΣΟΔΙΑ ΘΕΟΤΟΚΟΥ. Voici une vue du sanctuaire :
Le portique s’ouvre vers le Sud. En regardant sous l’arcade la plus à droite sur la photo, on rejoint le Zeph.
Pourquoi l’esthétique byzantine affectionne-t-elle à ce point l’or ?
Parce que l’or, qui ne craint pas du tout l’érosion du temps, symbolise ce qui est impérissable.
Qu’est-ce qui est impérissable ? L’amour !
Et un certain Nazaréen est venu pour parler du Règne de l’amour.
Il arrive que les circonstances ne soient favorables à l’étalement des aplats d’or. Qu’à cela ne tienne ! L’art byzantin dispose de maintes ressources. Voici une autre façon de rester fidèle à la tradition iconographique :
L’or n’est plus surfacique, mais linéaire, pour souligner les contours, car l’artiste privilégie la transparence.
L’œuvre se trouve au sanctuaire Άγιος Κυπριανός – AΓΙΟΣ ΚΥΠΡΙΑΝΟΣ, sur la route entre Μέθανα – MEΘΑΝΑ et Πόρος – ΠΟΡΟΣ. Voici une vue de l’extérieur du sanctuaire :
À l’arrière-plan, on devine l’isthme qui relie Μέθανα – MEΘΑΝΑ au continent.
Le rôle essentiel de l’or peut produire un raffinement extrême, comme dans le cas de l’icône dite de l’ange aux cheveux d’or. La voici :
Pour chaque cheveu, est posé un mince fil d’or extrait d’une feuille d’or.
Les historiens de l’art y reconnaissent le portrait de l’ange Gabriel.
L’œuvre est attribuée à l’école de Novgorod. Elle est conservée au Musée Russe de Saint-Pétersbourg.
La coquetterie du messager céleste se voit dans sa coiffure, mais aussi dans la légère inclinaison de son port de tête et dans l'émouvante humanité qui pare son visage.
Un sourire, délicat et gracieux, rend cette coquetterie extrêmement séduisante.
Nous venons de voir comment l’Orient byzantin traite la question de la coquetterie de l’ange. Comment cette question est-elle abordée à l’autre bout de la Mer Intérieure, par l’Occident gothique ?
Une des réponses se trouve sur la façade occidentale de la cathédrale de Reims.
Sur le portail central, on peut contempler ceci :
À gauche de la photo, l’ange Gabriel vient à Nazareth pour rencontrer Marie.
Sur la droite, Marie rend visite à Élisabeth, sa cousine, qui porte Jean-Baptiste depuis six mois.
Quelle attitude l’art gothique a-t-il donné au messager céleste ? Regardons les sculptures de plus près :
L’inclinaison de la tête est un geste de coquetterie, qui reflète aussi l’empathie.
L’ange a le visage très épanoui.
Il est extrêmement heureux d’être le messager d’une excellente nouvelle.
Son sourire, sincère et radieux, le rapproche de la condition humaine.
La joie se répand dans les yeux, soulève les pommettes, incurve les lèvres.
L’artiste rémois, divinement inspiré, a même présenté l’anatomie de la bouche avec un réalisme truculent :
En effet, les lèvres entrouvertes laissent voir la dentition.
L’objectif de l’artiste est d’insister sur la crédibilité du message en rappelant la réalité du corps humain.
L’Occident gothique relie la coquetterie de l’ange au monde d’ici-bas, par le biais de la morphologie humaine.
Dans l’Orient byzantin, la connexion a lieu avec les sphères d’en haut, par le truchement de l’or inaltérable.
Voici la rosace de la cathédrale qui abrite le sourire de l’ange Gabriel :
La coquetterie de l’ange, c’est comme la lumière qui fait reculer l’obscurité de la nuit, au sens propre et au sens figuré.
La fête rémoise sait mettre de la coquetterie dans ses atours. Voici une scène qui évoque l’envol de l’ange :
L’élan vers les sphères supérieures est illustré par une série de triangles sphériques qui se développent au-dessus de la rosace.
Ces arcades magnifiquement stylisées et colorées rappellent les sourcils rieurs de l’ange de l’Annonciation.
La coquetterie est une invitation à s’élever au-dessus d’un quotidien terne, fastidieux, désespérant.
Tags : ange, coquetterie, Πύλος, Αίγινα, Μέθανα, cimetière, Gabriel, Cathédrale de Reims, Annonciation, ange au sourire, ange aux cheveux d’or
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