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L'horizon du cuisinier
Il y a l’horizon matériel, capté par la rétine. Et il y a l’horizon de l’être intérieur.
Par rapport à la technique, l’horizon du cuisinier est incarné par ses fourneaux.
Sur le Zeph, l’ustensile préféré est le wok. Il permet de bien envelopper l’aliment par une douce chaleur pour en préserver tous les sucs, grâce à une cuisson lente. Voici des légumes du terroir grec, préparés de cette façon :
L’aubergine et le chou-fleur ont mijoté à feu très doux, avec du laurier, du cumin et du curcuma. En choisissant cette façon de faire, le cuisinier du Zeph a tenu compte de la mise en garde suivante :
太猛烈的火不允許好好烹飪
En français :
Un feu trop intense ne permet pas une bonne cuisson.
Ce proverbe, hérité de la lignée maternelle, recommande la patience.
Géométriquement, le wok est un hémisphère qui montre sa concavité. Matériellement, l’horizon du cuisinier du Zeph est donc incurvé.
La pratique culinaire inspiré par le savoir-faire ancestral fait de cet horizon un horizon de douceur et de patience.
L’univers des lignes courbes qui conditionne le passage sur le feu est aussi le support pour l’esthétique de l’aliment cuit. En voici un exemple avec les pétales incurvés de l’oignon rouge des campagnes grecques :
En l’occurrence, l’oignon rouge, qui exhibait de façon ostentatoire ses pointes caramélisées servait à accompagner le poisson.
La ligne courbe, qui est très présente dans l’horizon du cuisinier du Zeph, fait écho à cette réflexion du philosophe français Michel Onfray :
« L'érotisme est à la sexualité ce que la gastronomie est à la nourriture : un supplément d'âme, une valeur intellectuelle et spirituelle ajoutée au strict nécessaire. »
La citation est tirée de l’ouvrage ''Anti-manuel de philosophie''.
Pour reprendre les termes du philosophe, le cuisinier du Zeph, inconsciemment mais aussi consciemment, inclut dans ses préparations culinaires un souffle érotique. Et la ligne courbe est plus apte que la ligne droite pour exalter la sensualité.
Le philosophe parle d’une plus-value, qui n’est pas confinée au domaine matériel, mais qui s’adresse à « l’âme ». Il précise les deux composantes de cet apport : il y a une composante « intellectuelle » et une composante « spirituelle ».
En choisissant d’érotiser son horizon, le cuisinier apporte à celui-ci de la hauteur et de la profondeur, en même temps.
Le processus d’érotisation commence avant même l’étape de la cuisson.
Voici un merveilleux spectacle de rondeur et de plénitude :
Il s’agit d’un potiron destiné à accompagner un rôti de porc.
La cuisson lente apporte de l’onctuosité au goût. Mais avant même qu’elle n’ait eu, il est possible d’anticiper ce plaisir en contemplant le disque parfait aux reflets ambrés, qu’exhibe la coupe transversale.
Pour reprendre la pensée du philosophe, le désir d’apporter « un supplément d’âme » dans la préparation culinaire se traduit par un enrichissement « intellectuel ».
Le philosophe britannique Theodore Zeldin précise l’impact sur l’intellect d’une telle démarche valorisante. Voici ce qu’il a déclaré à ce sujet :
“When peace and quiet, or wit and detachment, began to pall, a different yearning was born, to make a personal, original contribution to life. The search for a third kind of happiness – which moderns call creativity – demanded a way of eating which corresponded...”
En français :
“Lorsque la paix et la tranquillité, ou l'esprit et le détachement, ont commencé à s'estomper, un désir différent est né, celui d'apporter une contribution personnelle et originale à la vie. La recherche d’un troisième bonheur – que les modernes appellent créativité – exigeait une façon de manger qui corresponde...”
La richesse intellectuelle acquise par le « supplément d’âme » dans la pratique culinaire est donc la créativité.
Le cuisinier du Zeph adhère tout à fait à ce point de vue.
Son horizon est donc un horizon sans cesse renouvelé, car il est toujours prêt à relever le défi de l’originalité. C’est un horizon d’engagement et de courage.
Cette perspective du renouvellement de soi pour que cela se voit dans l’assiette est extrêmement stimulante. Autrement dit, l’horizon intérieur précède l’horizon externe.
Pour réussir l’aventure, il faut garder l’œil sensible et réactif.
Cette vigilance se traduit dans l’assiette par la célébration des nuances :
Dans cette assiette de crudités, deux sortes de croquant se complètent : le croquant bien ferme du chou rouge et le croquant plus modéré de la laitue grecque, connue sous le nom populaire de μαρούλι – ΜΑΡΟΥΛΙ (transcription : marouli). Pour rendre ce mariage plus heureux, des fleurs de thym frais embaument les deux couronnes concentriques.
Il n’y a pas mieux que les épices pour multiplier les nuances.
Certes, le profil rectiligne n’est pas très courtisé dans les circonstances présentes. Cependant, il parvient à se faire admettre, et même à séduire, comme c’est le cas de ces bâtonnets de gingembre :
La compagnie odorante qu’ils forment avec les feuilles de laurier et les fleurs de thym produit des effluves dont les nuances enchanteresses accompagnent l’humeur des crépitements.
Vous l’avez compris, l’horizon du cuisinier du Zeph n’est pas seulement visuel. Il est aussi olfactif et sonore. Il est surtout dansant.
Pendant que le cuisinier s’adonne à son art devant les fourneaux, il peut apercevoir l’horizon géophysique grâce à un hublot longitudinal. Voici cette ouverture sur le monde extérieur :
Le hublot de service apparaît au premier plan, à tribord, juste au-dessus du quai, grâce à la lumière qui éclaire l’intérieur de l’espace cuisine.
À l’arrière-plan, c’est Tήλος – THΛOΣ (en français : Tilos), dont avons abondamment parlé dans l’article précédent, intitulé « l’horizon du jardinier ».
La symétrie veut que le flanc gauche possède, lui aussi, un hublot équivalent à celui qui vient d’être décrit. Voici le hublot qui est censé révéler au cuisinier l’horizon à bâbord :
À quoi peut bien servir ce hublot qui semble bien loin des fourneaux ?
À élargir l’horizon du cuisinier, techniquement, esthétiquement et affectivement.
Techniquement, la lumière de bâbord participe à l’éclairage de séduction :
Le hublot à bâbord apparaît à gauche de la photo, tout en haut.
Bien éclairé, l’horizon accroît son attrait.
Surtout quand l’horizon que met en place le cuisinier n’est pas une donnée géométrique mais un choix esthétique.
La limpidité du cristal, l’éclat de l’argenterie et l’opulence de la terre nourricière représentée par le basilic et les poivrons en dépendent.
L’horizon construit par le cuisinier est un horizon d’équilibre pour devenir un horizon d’enchantement.
Il y a donc un horizon qui se déploie entre le hublot à tribord et le hublot à bâbord.
Voici la portion médiane de cet horizon :
Nos amis esthètes et gourmets ont sans doute remarqué la vigueur des feuilles de salade disposées vers le bas de la photo. Il s’agit toujours de la μαρούλι grecque, authentiquement grecque. Elle est destinée à accompagner des rouleaux de printemps qui viennent d’être préparés à bord du Zeph pour des amis. Le but recherché est de produire une exquise explosion en bouche quand le croquant de la fraîcheur rencontre le croustillant de la chaleur.
L’horizon du cuisinier ne connaît pas la monotonie.
Jusqu’à présent, l’art culinaire a été souvent évoqué par rapport à l’élévation de la température. Mais le plaisir des convives peut aussi être immense quand l’horizon du cuisinier fait des clins d’œil à l’univers du froid. Sur la photo suivante, le stockage des basses températures a lieu dans le meuble dont le couvercle blanc apparaît tout de suite à gauche de l’icône, en contrebas de celle-ci.
L’intérêt de la photo réside aussi dans la mise en parallèle de deux horizons : celui du barreur, qui rosit grâce à l’aurore, et celui du cuisinier, qui s’orne des reflets ambrés de la convivialité.
Le premier coiffe le second. Mais il n’est pas du tout incongru d’y voir l’illustration du fait que le second sert de fondement au premier, avec tout ce que cela implique par rapport à la résilience et la survie du Zeph.
Mais revenons à la question du froid et aux échappées effectuées par le cuisinier dans les basses températures.
C’est la nature de l’aliment et la qualité du service qui commandent de telles échappées.
L’horizon du cuisinier est alors un horizon de cohérence et de rigueur.
Le vin blanc, par exemple, est à l’origine d’une telle situation.
L’excellence du produit doit être honorée. Voici comment le cuisinier du Zeph s’y prend :
Il convoque l’horizon, ou plus exactement les étoiles qui sont au-dessus, pour qu’elles viennent se loger dans le corps du cristal.
La pureté évoquée par la transparence est déjà magnifique.
Cependant il est encore possible de de la transcender par l’incrustation des scintillements.
Ça, c’est ce que Theodore Zeldin appelle par créativité.
Mais, souvenez-vous, Michel Onfray parle de la composante « spirituelle » qui s’allie avec la composante « intellectuelle » pour constituer « le supplément d’âme » qu’apporte la gastronomie à la nourriture.
Nous voilà en présence de la composante « spirituelle ».
La pureté du cristal illustre le caractère désintéressé de l’amitié.
Et quand celle-ci éclot de façon miraculeuse comme à Ερμούπολη – ΕΡΜΟΥΠΟΛΗ (en français : Ermoupoli), entre le Zeph et l’Hirondelle brestoise, c’est une véritable bénédiction. C’est le caractère tout à fait exceptionnel de cette rencontre qui est évoqué par les étoiles qui illuminent le corps du cristal.
L’enjeu éthique enjoint au cuisinier du Zeph de prendre grand soin de l’horizon de bonté que déploie l’hospitalité. Le cuisinier se montre obéissant en faisant attention à tous les détails, y compris ceux qui concernent les basses températures :
La buée qui se dépose sur le cristal atteste que l’horizon du cuisinier du Zeph est un horizon de précision et de dévouement.
Dans ces moments exquis, l’horizon du cuisinier migre des fourneaux vers la ligne des yeux des convives.
Dans le regard du Zeph et de l’Hirondelle brestoise, se déploie l’horizon de la plénitude.
La photo illustre de façon admirable cette déclaration de Theodore Zeldin :
“Gastronomy is the art of using food to create happiness.”
En français :
“La gastronomie est l'art d'utiliser la nourriture pour créer le bonheur.”
Et le bonheur donne des ailes :
Le ballet des tentures blanches, mises en place par le Capitaine pour marquer l'extension de l'espace dédié à l'art culinaire, donne l'agréable sensation que l'horizon de convivialité palpite de plaisir.
La photo est faite à Tήλος – THΛOΣ, comme celle qui suit.
L’horizon du cuisinier est un horizon d’édification mutuelle.
Il produit une joie profonde et l'exquis souvenir de celle-ci.
Tags : horizon, cuisinier, wok, cuisson lente, oignon rouge, μαρούλι, amitié, dévouement, plénitude, bonheur, Michel Onfray, édification, Theodore Zeldin
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