• L'allégresse de l'an neuf

    Une allégresse au seuil de l’an neuf est-elle envisageable, nécessaire, souhaitée ?

    Une année nouvelle, c’est un nouveau départ, une perspective nouvelle, une énergie nouvelle. On s’en réjouit, pour soi, pour les autres.

    On espère que la chance nous sourira. On se le dit. On en fait le vœu pour les proches, à voix haute, publiquement, pour que ça s’entende, pour qu’une allégresse donne corps à l’optimisme dansant.

    À Sorrento, où le Zeph a fêté son premier Nouvel An sur l’eau, nos cousins transalpins manifestaient cette allégresse par des salutations échangées dans une gaieté très communicative, des phares de voiture prêts à éblouir, des coups de klaxons prompts à faire sursauter, et par des cyclamens intensément colorés, qui étaient offerts avec libéralité aux êtres chers.

     

    L'allégresse de l'an neuf

     

    La sincérité du vœu avait l’éclat de la robe de la fleur offerte. Le port lascif des pétales rendait le souhait persuasif.

    Avec la même optique, le Péloponnèse a égayé notre chemin par une multitude de cyclamens pour nous préparer au passage à l’année nouvelle.

    La route vers le sanctuaire de Poséidon à Πόρος – ΠΟΡΟΣ a été particulièrement choyée par rapport à cet objectif pédagogique.

    Pour commencer la nouvelle année, il est d’usage de prendre de bonnes résolutions et d’en faire part à son entourage, au moins dans la bonne humeur, si ce n’est avec conviction.

    Cet élan volontariste est toujours bien perçu et donne lieu à de joyeuses effusions. L’échange est alors un moment d’allégresse, que personne ne veut bouder.

    Se montrer authentique, être fidèle à soi, ne pas se trahir pourraient constituer un bel objectif pour l'année nouvelle.

    La question de la fidélité à soi s'est posée dès le début du sentier qui devait nous mener au sanctuaire de Poséidon. Voici le lieu où l'authenticité est devenue problématique :

     

    L'allégresse de l'an neuf

     

    À l'arrière-plan, derrière les arbres, c'était la mer. Le sanctuaire de Poséidon se trouvait dans la direction opposée, c'est-à-dire dans le dos du photographe. Le Capitaine avait commencé par escalader la montagne dans cette direction, avec l'espoir de rejoindre le temple en ligne droite. Mais très vite, nous étions freinés par des fourrés impénétrables. Nous avons demandé conseil à des riverains. Ceux-ci trouvaient que notre entreprise était plus que déraisonnable et nous ont renvoyés vers la route asphaltée. Or, le Capitaine ne voulait pas du tout entendre parler d'asphalte. Très contrariés, nous avons redescendu la pente que nous venions de gravir et nous nous sommes arrêtés à l'endroit de la photo pour réfléchir.

    Les gens du coin nous conseillaient d'aller vers la droite de la photo, pour emprunter une route sécurisée et confortable. Le capitaine, lui, était impatient d'aller à gauche, pour profiter de la virginité de la nature environnante. Devant nous, des cyclamens attentifs nous regardaient délibérer.

    En définitive, l'appel de l'espace inviolable l'a emporté.

    Fidèle à lui-même, le Capitaine a défié des ronces agressives, des murets glissants, des ravins terrifiants.

    Finalement, nous avons rejoint un sentier qui épousait une ligne de niveau et qui, dès lors, nous dispensait d’affronter à mains nues la pente farouche et meurtrière :

     

    L'allégresse de l'an neuf

     

    Les cyclamens présents à la croisée des chemins pouvaient rappeler que rester authentique serait une bonne résolution au seuil de l'an neuf. La joie qui couronnait la persévérance s'est transmise à tout le site. L'allégresse qui a fait vibrer le cosmos ce jour-là continue de stimuler nos souvenirs.

    Au cours de notre agréable progression vers le sanctuaire, nous regardions souvent vers la mer. Comme nous étions heureux d’avoir choisi l’itinéraire qui nous réservait de splendides panoramas !

     

    L'allégresse de l'an neuf

     

    L’allégresse qui soutenait la respiration des conifères nous donnait des ailes.

    Le temple de Poséidon à Πόρος – ΠΟΡΟΣ est lié au souvenir d’un homme illustre, universellement connu pour son talent oratoire.

     

    L'allégresse de l'an neuf

     

    Hélas, l’homme à la parole séductrice était accusé d’avoir plongé sa main dans les caisses du trésor public. Une main vorace, qui n’a jamais connu le repentir, même au moment de la dénonciation des faits.

    Son aura de beau parleur n’a pas suffi à étouffer le scandale. Alors il a fui en un lieu qui, selon lui, le mettrait hors de portée de ses justiciers.

    Fin stratège, le voleur démasqué misait sur les remparts de l’hospitalité. Comme l’hospitalité était sacrée en Grèce, ces remparts seraient infranchissables. Et plus l’hôte qui offrirait l’hospitalité était vénéré, plus le refuge serait inviolable.

    À ce moment-là, celui que les Grecs craignaient le plus était le Souverain des mers.

    Le beau parleur qui s’est servi dans les caisses de l’État irait donc se réfugier dans un sanctuaire de Poséidon. Mais pas dans n’importe quel sanctuaire de Poséidon. Le fugitif était conscient qu’il avait tout intérêt à choisir le sanctuaire le plus réputé parmi tous ceux qui étaient consacrés à Poséidon. Ainsi, le demandeur d’asile pourrait bénéficier d’une double protection : d’abord grâce à la crainte inspirée par la divinité, ensuite grâce au prestige de l’enceinte sacrée.

    Pendant ce temps, les agents envoyés pour retrouver le trésor volé n’avaient qu’un objectif : mettre la main sur le voleur, quitte à profaner le temple du grand Poséidon. Aucune tournure de phrase, aucune figure de style, aucun effet oratoire ne sauraient les freiner dans leur mission.

    Privé du subterfuge des mots, le beau parleur qui n’avait pas les mains propres s’est donné la mort pour échapper à la justice de ses contemporains.

     

    L'allégresse de l'an neuf

     

    Il s’appelait Δημοσθένης – ΔΗΜΟΣΘΕΝΗΣ (en français : Démosthène).

     

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    Sa cachette était le sanctuaire de Poséidon érigé à Πόρος – ΠΟΡΟΣ, car l’île se trouvait à la tête d’une puissante Confédération maritime qui regroupait plusieurs cités-états, dont Athènes.

    Le trésor public qui était spolié appartenait au pouvoir macédonien.

    La ballade jusqu’au temple de Poséidon situé à Πόρος – ΠΟΡΟΣ était extrêmement agréable en raison des somptueux paysages qui s’offraient en altitude. Elle était très saine à cause de l’effort physique déployé pour retrouver le chemin des Anciens. Elle était absolument sublime parce qu’elle délivrait un message dans le domaine éthique.

    Les cyclamens ont fourni une joyeuse contribution à cet enseignement. Les voici qui surgissaient entre les pierres équarries d’un mur d’enceinte :

     

    L'allégresse de l'an neuf

     

    La pierre est opaque, comme l’a été le comportement du beau parleur qui s’est sali les mains.

    La photo montre des blocs remarquablement ajustés et alignés dans le sens de la longueur. Cette disposition élaborée pourrait évoquer l’étendue du savoir chez le beau parleur qui n’a pas su maîtriser sa cupidité.

    La matière opaque de la roche contrastait avec le corps translucide de la fleur.

    Ce rapport à la lumière ferait référence à la pureté et à la probité.

    Manifestement, l’allégresse de ces corolles éclatait en plein jour, comme pour encourager les résolutions en faveur de l’honnêteté.

    Ce sont de très bonnes résolutions, à réactiver à l’arrivée de l’an neuf, car elles favorisent un lien social solide et fécond.

     

    L'allégresse de l'an neuf

     

    L’allégresse des cyclamens se voyait dans une lecture horizontale. Elle était encore manifeste quand le regard parcourait un axe vertical :

     

    L'allégresse de l'an neuf

     

    La photo pourrait correspondre à l’enjeu de la profondeur.

    Au plus profond de lui-même, le beau parleur réfugié au temple de Poséidon dissimulait des zones opaques. Sa parole enjolivée servait de leurre à l’égard d’autrui pour se révéler vaine à l’égard de soi-même, au moment ultime.

    L’allégresse des cyclamens dans cette présentation de la verticalité contenait l’invitation à se sonder, et à ne pas entretenir l’opacité, même dans les strates les plus enfouies. Voilà de quoi nourrir une bonne résolution au seuil de l’an neuf.

    Du temple de Poséidon, on pouvait contempler la mer à l’Ouest, en direction de Corinthe.

     

    L'allégresse de l'an neuf

     

    Du sanctuaire, on pouvait aussi voir la mer à Est, en direction d’Athènes.

    Après avoir exploré l’aire archéologique dans son intégralité, nous nous sommes adossés contre une rangée de pierres pour une pause contemplative, au milieu d’une multitude de cyclamens enjoués.

     

    L'allégresse de l'an neuf

     

    La façon dont l’homme le plus éloquent de l’Antiquité a fini ses jours au temple de Poséidon nourrissait nos méditations sur l’exemplarité attendue chez les hommes d’État, sur le piège de la performance oratoire, sur la tension entre technique et conscience, sur la finalité de l’existence.

    Des cyclamens en pleine forme nous tenaient compagnie.

     

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    Leur allégresse évoquait un désir de vérité, qui était triomphant. Vérité sur un homme qui s’est servi du vacarme des vagues pour corriger son élocution, mais qui n’a pas su dominer le vacarme de ses entrailles pour retrouver le chemin de la droiture.

    Depuis, de nouvelles têtes de charme, couronnées de pourpre, ont pris place sur les sites. Mais il s’agit toujours de la même tribu.

    L’allégresse des cyclamens grecs était un signe avant-coureur.

    Elle encourageait les bonnes résolutions en faveur de l’authenticité, de la probité et de la pureté.

    Voilà autant d’objectifs qui viennent stimuler l’année nouvelle par leur noblesse !

    Ce qui est beau et noble procure de l’allégresse. Et l’allégresse nous fait du bien, à nous tous, en ce début d’année.

    Le souvenir de l’allégresse donne naissance à une nouvelle allégresse pour le temps présent.


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