L'élixir d'Asklépios

Dans l’Antiquité, Asclépios était le dieu guérisseur.

L’élixir d’Asclépios aurait-il un lien quelconque avec le remède que la médecine du vingt-et-unième siècle appelle « élixir parégorique » ?

Il n’est pas saugrenu de faire une telle association d’idée, car le qualificatif « parégorique » vient du verbe grec παρηγορώ, qui signifie « consoler ».

Apporter la consolation à ceux qui souffrent dans leurs corps ou dans leurs âmes, c’est la principale préoccupation d’Asclépios.

Cependant, ce n’était pas cet élixir qui était servi lors de la fête qui a eu lieu au début de ce mois, en l’honneur d’un disciple d’Asclépios.

L’élixir versé en libation était un produit du terroir, qui était bourguignon. L’assemblée s’est délectée d’un Givry Premier Cru, sorti en 2016 des cuves du Domaine Masse.

 

 

Le disciple qui servait l’élixir bourguignon était une personne qui forçait l’admiration par sa disponibilité et sa bonne humeur.

 

 

Cette disposition de cœur est un réel atout pour entrer au service d’Asclépios.

Le capitaine du Zeph et le mousse ont été invités par les parents, qui sont eux-mêmes disciples d’Asclépios.

A-t-on à faire avec une dynastie ? Il s’agit plutôt d’une confrérie, soudée par la culture du dévouement. Voici donc la génération précédente :

 

 

C’était à l’occasion du baptême du Zeph, à Port Napoléon.

Le Zeph était très fier d’avoir comme hôtes des amoureux de la mer, pieux de surcroît, et magnifiquement philanthropes.

En juin dernier, leur savoir-faire de disciples d’Asclépios a été fort salutaire pour le Zeph. Ou plus exactement, pour le mousse. En effet, celui-ci a heurté avec son tibia droit une marche d’escalier pendant qu’il remontait du carré pour aller sur le pont arrière. Immédiatement, il y a eu rupture d’un vaisseau sanguin, puis de plusieurs autres dans la foulée. A jailli un geyser terrifiant, qui n’a cessé de hanter les nuits du capitaine, à partir de cet instant. La plaie a été pansée avec beaucoup de précautions, mais le capitaine, qui redoutait un début de gangrène, a appelé au secours les disciples ci-dessus. L’un d’eux a fait parvenir de France une ordonnance pour de l’acide fucidique, à appliquer deux fois par jour, pendant dix jours.

La photo suivante a été prise à Ventotene, dans l'archipel des Îles Pontines. Sur la jambe droite du mousse, la blessure était bien visible.

 

 

Sans l’antibiotique prescrit avec promptitude par le disciple d’Asclépios, des complications auraient entravé la guérison et compromis le voyage.

En l’occurrence, l’élixir, c’est-à-dire le remède qui produit le miracle, serait l’antibiotique ? Pourquoi pas ?

Il est difficile de résister à la tentation de chercher l’origine de la bonté qui unit ces deux générations de disciples d’Asclépios.

Que trouve-t-on à la génération précédente encore ?

Un autre disciple d’Asclépios, qui est une femme extrêmement cultivée et érudite. La voici :

 

 

Lors de sa visite à Port Napoléon, le disciple qui est le premier maillon de la chaîne a laissé au Zeph un très joli cadeau : il s’agissait d’une ordonnance, où la composition de l’élixir de la longévité était détaillée.

Comment durer au milieu des flots, malgré les flots, contre les flots ?

L’ordonnance était le résumé de plusieurs décennies vécues entre stress et soulagement.

Maintenant que l’action n’a plus le prétexte de l’urgence, la réflexion peut se dévoiler, sans ambages, librement.

L’élixir de la longévité de la navigation est composé de cinq principes actifs, qui sont des impératifs. Les voici, dans un ordre aléatoire, qui n’est donc pas un classement :

1. Être jeune

2. Avoir de l’argent

3. Habiter près de la mer

4. Aimer le bateau

5. Aimer la mer

Les trois premiers principes actifs concernent les ressources du premier degré, qui sont d’ordre physiologique, financier et géographique, tandis que les deux principes suivants s’adressent au second degré, à l’intensité d’une passion.

Premièrement, être jeune, non pas par rapport au nombre de printemps vécus, mais par rapport à la résistance musculaire, à l’endurance du mental, au dynamisme de la volonté, pour manœuvrer les voiles, tirer les cordages, courir de la poupe à la proue, puis de la proue à la poupe, quelle que soit la météo. L’été dernier, sous l’effet des bourrasques, un bateau russe a failli exploser contre un quai de la marina à Αργοστόλι – ΑΡΓΟΣΤΟΛΙ et un voilier norvégien a failli se fracasser contre le quai devant le κάστρο – ΚΑΣΤΡΟ de Λευκάδα – ΛΕΥKΑΔΑ. Dans ces cas paroxystiques, il fallait de l’énergie, énormément d’énergie, pour éviter le pire.

Deuxièmement, avoir de l’argent, suffisamment, pour entretenir la coque, réparer les voiles, s’offrir du chauffage. Le Zeph connaît un cousin qui a quitté le delta du Rhône six semaines avant lui pour se rendre en Grèce, mais qui n’a jamais pu franchir l’Adriatique parce que le capitaine et l’équipage étaient devenus trop vulnérables à cause du manque de chauffage à bord, pendant toute la descente de l’Italie, en novembre et en décembre.

Troisièmement, habiter près de la mer, pour éviter la fatigue des déplacements, qui s’accumule, s’accumule si personne n’y prend garde.

Quatrièmement, aimer le bateau, se satisfaire d’un espace confiné, qui paraît encore plus confiné quand il fait mauvais, ou très mauvais, dehors. Car le navigateur n’a aucun pouvoir sur une mauvaise météo. Il ne peut que l’éviter, s’il y parvient.

Et enfin, aimer la mer, l’aimer malgré ses frasques et ses sautes d’humeur, son inconfort et son péril. Tout le monde n’a pas cet amour. Et on ne peut demander à tout le monder d’avoir cet amour.

Finalement, que trouve-t-on dans l’ordonnance ?

Que du bon sens, et beaucoup de bon sens !

L’élixir de la longévité d’une navigation serait-il si facile à fabriquer ? Oui, à condition de modérer les ambitions et de restreindre les impulsions.

Il arrive qu’une thérapeutique ne produise son effet que si tous les principes actifs concernés sont administrés en même temps. Il en est de même de l’ordonnance prescrite par le disciple de la première génération. La prescription met bien l’accent sur une action conjointe. Si l’un des facteurs vient à défaillir, le préjudice rejaillira irrémédiablement sur l’ensemble.

Le Zeph a bien retenu la leçon. Et depuis, il ne cesse de veiller à ce que les cinq principes actifs qui composent l’élixir de la longévité en navigation soient toujours réunis et fonctionnent ensemble, pour une efficacité assurée.

Ce n’est pas par pur hasard que le Zeph bénéficie de la présence d’Asclépios, toujours au bon moment. Le dieu guérisseur se souvient que jadis, celui qui n’était pas encore le capitaine du Zeph, était un pèlerin très ému par la découverte du sanctuaire qui se trouvait sur l’île de Κωϛ – ΚΩΣ, dans l’archipel du Dodécanèse.

À l’époque, nous logions à deux pas du port touristique, dans une rue perpendiculaire au quai où étaient amarrés la plupart des bateaux de plaisance.

 

 

Par rapport au port, le sanctuaire d’Asclépios se trouvait à quatre kilomètres au Sud-Ouest. Nous nous y sommes rendus à pied, à la manière antique. Sur notre passage, nous avons trouvé le gymnase, extrêmement élégant avec la pureté des lignes.

 

 

Une émotion, jamais ressentie auparavant, a commencé à envahir le futur capitaine.

Porté par une marée montante de curiosité, de joie et d’enthousiasme, il partait à la conquête des quatre immenses terrasses qui structuraient le célèbre Ἀσκληπιεῖον – AΣΚΛΗΠΙΕΙΟΝ, centre de guérison dédié à Asklépios.

 

 

Plus on s’élevait, mieux on voyait la mer et plus le panorama devenait fascinant.

 

 

À l’horizon, c’était le rivage de l’Anatolie.

L’air était vif, parfumé des mille senteurs de la végétation.

Le cadre verdoyant, lumineux et calme apportait l’apaisement et favorisait la guérison.

Nous avons gravi les escaliers à l’Ouest. Nous avons fait des pauses fréquentes pour savourer l’évolution de l’angle de vue. Quand nous sommes parvenus à l’ultime esplanade, nous avons pris tout notre temps pour admirer la beauté des choses. L’esthétique met le miracle à portée de main.

Nous sommes redescendus par le côté Est.

L’enchantement suscité par cette visite était tel que le futur capitaine a recopié les plans d’une construction dans l’angle Nord-Est pour bâtir, sur le même modèle, sa demeure en France.

Sur le chemin du retour, nous avons continué à parler de la sagesse des Anciens, qui valorisait, avec dextérité, les ressources physiologiques, mentales et spirituelles de chacun.

Asclépios guérissait en apparaissant dans le sommeil du patient pour lui délivrer le remède approprié.

 

 

Le futur capitaine parlait comme s’il avait reçu la visite d’Asclépios en personne et que celui-ci continuait à l’habiter. Votre serviteur en était tout ébahi.

Malgré la longue route parcourue à pied, les efforts pour monter et descendre les pentes, le futur capitaine avait encore de l’énergie, beaucoup d’énergie pour partir à l’assaut de l’antique Agora.

 

 

Le regard aiguisé, le pas alerte, il disait à votre serviteur, sur le ton de la gourmandise, où il fallait filmer, ce qu’il fallait filmer, comment il fallait filmer. Quelle belle euphorie, qui se mirait dans la splendeur du passé, jusqu’à oublier l’aiguille sur l’horloge du jour !

 

 

Asclépios s’est souvenu de cet enthousiasme et il a accordé sa protection au pèlerin devenu capitaine du Zeph.

La gratitude appelle la gratitude.

C’est pourquoi nous nous arrêtons toujours pour visiter un sanctuaire d’Asclépios quand il y en a un sur notre route.

Pendant les jours fastes de Πύλος – ΠΥΛΟΣ, grâce à la location d’une voiture, nous avons exploré l’immense et magnifique parc archéologique de l’antique Μεσσήνη – ΜΕΣΣΗΝH, qui avait un sanctuaire d’Asclépios. Voici la photo en l’honneur du dieu qui a empêché le tibia droit de s’infecter indûment :

 

 

De nos jours, Asclépios agit par l’intermédiaire de ses disciples.

Le disciple qui a prescrit l’antibiotique pour le mousse est un cousin du capitaine.

En vérité, l’élixir du disciple d’Asclépios porte un nom : c’est φιλαδέλφία – ΦΙΛΑΔΕΛΦΙΑ. Ce mot est formé à partir du verbe φιλώ – ΦΙΛΩ, qui signifie « aimer tendrement », et du nom αδελφóς – ΑΔΕΛΦΟΣ, qui désigne le frère. Le frère, tel que le conçoit le proche-Orient, et le Moyen-Orient aussi, c’est-à-dire quelqu’un qui appartient au même arbre généalogique, peu importe s’il s’agit d’une branche proche ou éloignée.

Littéralement, φιλαδελφία – ΦΙΛΑΔΕΛΦΙΑ, c’est donc de l’amour fraternel. Ou plus exactement, de la tendresse fraternelle.

L’épître paulinienne à la congrégation de Rome contient l’exhortation suivante :

τῇ φιλαδελφίᾳ εἰς ἀλλήλους φιλόστοργοι τῇ τιμῇ ἀλλήλους προηγούμενοι

ΠΡΟΣ ΡΩΜΑΙΟΥΣ. Kεφ. ιβ’. Στίχος ι’

 

Dans l’amour fraternel, chérissez-vous les uns les autres, chacun, dans l’honneur, préférant l’autre.

Épître aux Romains. Chapitre 12. Verset 10

 

Le texte grec insiste sur la tendresse du lien affectif. En effet, le verbe φιλώ, qui signifie « tomber amoureux de », se retrouve au début de deux mots du verset :

D’abord, φιλαδελφίᾳ, qui signifie littéralement que l’on est amoureux de son frère (αδελφóς).

Puis, φιλόστοργοι, qui signifie littéralement que l’on est amoureux de ses proches (στοργή).

Comme l’affection, décrite dans la moindre nuance par l’Antiquité, était loin de la superficialité et de la mièvrerie !

Un cousin est donc un frère, au Proche-Orient et au Moyen-Orient.

Voici deux cousins, côte à côte :

 

 

Deux capitaines au coude-à-coude, celui du Zeph et celui de l’Andersen, comme jadis, dans la baie de Marciana Marina, sur les flots de l’Isola d’Elba.

Voici d’autres cousins, côte à côte aussi :

 

 

Il en résultait un face à face, entre deux générations. Mais point de conflit intergénérationnel. La fureur de gagner donnait le même âge à tout le monde. L’émulation était saine et joyeuse, grâce à l’élixir d’Asclépios.