• Le fleuve, c’est le Rio Douro, qui serpente en contrebas de la ville de Porto.

     

    L'élixir du fleuve

     

    Dans ces conditions, l’élixir du fleuve serait-il le célèbre breuvage qui porte haut et loin les couleurs et les saveurs de la cité portuaire ?

    C’est une possibilité.

    Sur les rives du Douro, le nom de ce breuvage est Vinho do Porto. Littéralement « Vin de Porto ». La langue française, elle, a créé un raccourci où se confondent la ville et la boisson alcoolisée qui incarne celle-ci.

    Les raisins sont cueillis à une centaine de kilomètres en amont de la ville de Porto.

    La descente du fleuve se fait avec des embarcations typiques appelées Barcos Rabelos.

     

    L'élixir du fleuve

     

    Ces bateaux font environ vingt mètres de long et cinq mètres de large. Ils n’ont pas de quille et possèdent un fond plat. Ils sont dotés d’un seul mât, qui porte une voile carrée.

    Ils étaient en service dès le treizième siècle pour le transport du vin.

    Nous voici sur le Cais da Rota do Douro, le Quai de la Route du Douro.

     

    L'élixir du fleuve

     

    C’était un des lieux d’embarquement pour les Barcos Rabelos, sur la rive Sud, côté embouchure.

    Mais nous tournions le dos au fleuve. Que regardions-nous donc, avec un air enjoué ?

    Nous fixions notre regard sur une immense façade éclairée. La voici :

     

    L'élixir du fleuve

     

    On dirait un décor spécialement conçu pour le prochain long métrage sur Harry Potter.

    C’était du cinéma ?

    On pourrait le dire. Car il y avait une fabuleuse mise en scène pour vanter les vertus gustatives d’un produit phare du terroir : le bacalhau. En français : la morue.

    Amusés et curieux, nous sommes entrés dans ce temple consacré à la morue. À l’intérieur, tout était beau, élégant, splendide.

     

    L'élixir du fleuve

     

    Il s’agissait bien d’un lieu dédié à la dégustation de la morue, mais sans les désagréments olfactifs de la criée ou de l’huile à frire.

    À l’entrée, une grande affiche murale annonçait aux visiteurs le menu en ces termes :

    PASTEL DE BACALHAU

    Queijo Serra da Estrela

    Vinho do Porto

     

    La première ligne nommait ce qui était soumis à l’appréciation des gourmets : un gâteau de morue.

    Le mot « pastel » est aussi employé pour le chou à la crème.

    La maison proposait donc au visiteur une préparation gourmande, délicieuse et raffinée, spécialement conçue pour honorer la chair du poisson le plus populaire sur ce rivage entre Douro et Oceano Atlântico.

    La deuxième ligne indiquait ce qui constituait le cœur onctueux de ce gâteau : un fromage fabriqué avec le lait des brebis qui paissaient sur les pentes de la Serra da Estrela, la montagne de l’Étoile, ainsi nommée parce qu’elle possédait le sommet le plus haut du Portugal continental.

    Ce fromage, qui était caillé à l’infusion de fleur de chardon, et non pas avec de la présure, figurait parmi les Sete Maravilhas da Gastronomia de Portugal, les Sept Merveilles de la Gastronomie du Portugal.

    Le fromage de la Serra da Estrela n’était pas le seul à jouir d’un statut sommital. Les deux autres produits avec lesquels il formait une alliance tripartite, bénéficiaient aussi d’une renommée qui était au top.

    L’aventure gustative consistait à se laisser séduire par un trio gagnant, qui réunissait trois sommets de la gastronomie : le bacalhau plébiscité sur toute la façade de l’Océan, le queijo des cimes enneigées, le vinho gorgé de soleil et mondialement connu.

    Une illustration du trio gagnant était présentée sur la façade, en position centrale. En effet, on y voyait le gâteau s’ouvrir, laissant couler l’onctuosité du fromage. Juste derrière, un verre d’une pureté incroyable, reçoit joyeusement le vinho do Porto.

    L’arrière-plan de l’affiche montrait un orgue avec ses tuyaux. Car la dégustation était proposée avec une musique appropriée, vivante et très agréable.

    L’instrument était encadré par les deux magnifiques escaliers qui menaient à l’étage supérieur, plus proche de l’immense lustre. Un musicien, en chair et en os, jouait des mélodies pleines de grâce.

     

    L'élixir du fleuve

     

    Dans ce lieu extrêmement charmant, paré de pourpre, dont les murs exhibaient les tranches dorées d’une multitude de livres, comme pour accueillir des êtres friands de savoir encyclopédique et de nouvelles découvertes, qu’est-ce qui était l’élixir du fleuve : le vinho ou le bacalhau ?

    Qu’est-ce qui détenait le pouvoir de transmuter le substrat ordinaire du temps en matière précieuse, rare, d’une valeur inégalable ?

    L’interrogation gagnerait même en pertinence en replaçant le Temple de la Morue dans le contexte de la soirée qui venait de s’offrir la montée des lumières.

    L’interface constituée par les grandes baies vitrées nous invitait à comparer ce qui se passait à l’intérieur de l’enceinte avec ce qui se passait dehors, à l’air libre.

    Voici ce que l’on pouvait voir sur l’une de ces baies vitrées :

     

    L'élixir du fleuve

     

    Le lustre intérieur occupait une place prépondérante dans le reflet. Juste au-dessous, sur la droite, apparaissait, par transparence, la décoration des lampadaires, laquelle avait la forme d’un cône, avec l’extrémité pointue en bas et le rebord circulaire en haut.

    L’appel du dehors devenait irrésistible. Et nous avons rejoint l’autre côté du fleuve, en empruntant l’impressionnant Ponte Luis I.

    Nous étions comme aimantés par le Cais da Estiva, le Quai de l’Arrimage.

    C’était l’endroit le plus populaire et le plus pittoresque de la ville.

     

    L'élixir du fleuve

     

    Sur ce quai, on servait de tout : du vin, de la bière, du café, du thé, et même de l’eau, avec ou sans sirop. Ce qui comptait pour les visiteurs, ce n’était pas tant ce qu’il y avait dans le verre, mais plutôt le spectacle de la déambulation, la compagnie du microcosme, celle de la famille et des amis.

    Avec un entourage aimant, un riverain du Douro n’hésiterait pas à dire :

    « Minha avó sempre faz um elixir que cura qualquer dor de garganta. »

    Ma grand-mère fait toujours un élixir qui guérit tout mal de gorge.

    La boisson se voit dotée de pouvoirs  thérapeutiques presque extraordinaires parce qu’elle est préparée et servie par un être aimant, qui est la grand-mère.

    De la même façon, un visiteur du Cais da Estiva, entouré de ses êtres chers, pourrait dire :

    « Meu amigo sempre faz um elixir que cura qualquer preocupação. »

    Mon ami fait toujours un élixir qui guérit toute inquiétude.

    Le fonctionnement à la manière d’un élixir dépend des propriétés physico-chimiques, mais surtout du contexte affectif qui transmute des circonstances ordinaires en occasion exceptionnelle.

    L’élixir se trouve là où l’on se sent bien, à son aise, entouré et aimé.

    Là où nous nous sentons à notre aise, c’est chez nous, même si c’est un chez-nous de nomade.

     

    L'élixir du fleuve

     

    À Porto, notre chez-nous se trouvait à deux pas de la célèbre Avenida de Fernão de Magalhães. Nous étions très fiers que notre chez-nous côtoyait la gloire de l’illustre navigateur qui avait découvert le Détroit qui reliait, au Sud de la Patagonie, l’Océan Atlantique à l’Océan Pacifique.

    En plus de l’aura du passé, l’avenue qui honorait le nom de Magellan nous apportait les avantages du présent en nous fournissant les denrées du terroir à des prix défiant toute concurrence. L’un de ces produits, qui était synonyme de délice et d’euphorie, provenait des vignobles qui se doraient au soleil, entre fleuve et océan, dans le Nord du pays.

    Il s’agissait du fameux vinho verde.

    Littéralement, le « vin vert ».

     

    L'élixir du fleuve

     

    En quoi ce breuvage est-il « vert » ? Il est « vert », non par sa couleur, mais par son effet tonique. De la même manière, pour s’adresser à un corps humain qui continue de surprendre par ses performances physiologiques, on dit volontiers, en français : « T’es bien vert encore ! »

    Pour les œnologues, la tonicité du vinho verde provient de sa fermentation malolactique.

    Pour notre gosier, cette tonicité produisait une exquise fraîcheur. C’est pourquoi nous avions le vinho verde du matin et le vinho verde pour le soir aussi.

     

    L'élixir du fleuve

     

    Le geste de se nourrir, de prendre soin de soi tout en pratiquant l’autonomie, était si primordial pour notre hôte qu’il avait mis du marbre sur toute la table de travail de la cuisine. Et pour lui, la table de travail incluait l’endroit où les provisions et la vaisselle étaient lavées manuellement.

     

    L'élixir du fleuve

     

    Du marbre donc, pour poser les verres et les assiettes, doser les quantités, découper la viande, le poisson et les légumes, pour préparer le café. Mais aussi pour faire disparaître l’eau de rinçage. Du marbre pour l’évier de la cuisine ! Est-ce utile ?

    La conversion d’une futilité en nécessité relève sans doute de la magie de l’élixir. Notre hôte voulait que le repas partagé soit une véritable fête, du début jusqu’à la fin, jusqu’au tout dernier geste impliqué par la convivialité.

    Pour notre hôte, le temps des agapes à domicile devrait être l’élixir de l’existence. Sa perspective était notre intention et notre conviction.

    Sur les rives du Douro, l’élixir revêtait bien des formes inattendues, mais toutes étaient ravissantes et enchanteresses.

     

    L'élixir du fleuve

     

    L’élixir était dans le verre, dans l’assiette, dans le temps qui se nourrissait d’attentions délicates.

    En définitive, c’est quoi l’élixir du fleuve ?

    C’est tout cela à la fois, toutes ces bonnes choses, en même temps ou l’une après l’autre, dans n’importe quel ordre, sans aucune exclusion de l’une par l’autre.

    Car l’hédonisme, qui constitue à la fois la source et la finalité de l’élixir du fleuve, est d’abord spontanéité et générosité.

     

    L'élixir du fleuve

     

    Le poète Joaquim Pessoa a écrit ces lignes dans son ouvrage « Guardar o Fogo » (Sauvez le feu) :

    «  o amor é o elixir da juventude. Não esse que sempre se procurou nas indecifráveis formulas dos antigos livros de magia e de alquimia, mas aquele que está tão perto de nós que, por vezes, o pisamos sem reparar. »

     

    Seul l'amour est l'élixir de la jeunesse. Pas celle qui était toujours recherchée dans les formules indéchiffrables des anciens livres de magie et d'alchimie, mais celle qui est si proche de nous que parfois on marche dessus sans s'en rendre compte.

     

    Le mot clé du texte précédent est sans doute l’adjectif «  » (Seul). Il dit que le pouvoir revigorant de l’élixir appartient exclusivement à l’amour.

    Autrement dit, pour être jeune longtemps, il faut beaucoup aimer.

    Cela est valable sur les rives du Douro, et ailleurs aussi.

     

    L'élixir du fleuve

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