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Par zéphyros2 le 7 Août 2024 à 13:03
Au cours de cette saison, les routes du Zeph et de l’Hypérion se sont croisées à plusieurs reprises. D’abord, à Θηρασία (transcription : Thirassia), sur le flanc Est du cratère mythique de Santorin. Puis à Λέβιθα (transcription : Lévitha), pour un hymne à l’indépendance d’esprit, quand l’Hypérion a osé, avec un plat de pâtes, tenir tête au ragoût de chèvre, qui faisait la fierté du seigneur des bouées du mouillage. Ensuite, à Κάλυμνος (transcription : Kalymnos), l’île qui, autrefois, avait bâti sa fortune sur l’éponge ramassée en mer.
La rencontre à Κάλυμνος était vécue comme le troisième et dernier acte des retrouvailles, qui se sont déroulées à la manière d’une pièce de théâtre.
La Providence a eu la bonté d’y ajouter un épilogue, en organisant une nouvelle rencontre à Λέρος (transcription : Léros), au cours de laquelle le Zeph a appris que l’Hypérion s’apprêtait à vivre une métamorphose radicale. Cet épilogue a été conté dans l’article « Le balcon posé sur la mer (36) à Λέρος », publié le mardi 09/07/2024.
À présent, l’itinéraire du Zeph et celui de l’Hypérion se sont de nouveau croisés à Πάτμος (transcription : Patmos), qui est l’île de la Révélation pour les Écritures Grecques Chrétiennes. Sur le plan personnel, ce second épilogue se révélerait être un très beau cadeau offert par la Providence.
À chacune de ces cinq rencontres, il se passait quelque chose d’extraordinaire. L’exemple le plus frappant était Λέβιθα. C’est pourquoi le nom d’épopée a été choisi pour nommer l’ensemble des cinq rencontres.
L’Hypérion a son QG sur le rivage cannois. D’où l’épithète qui figure dans le titre de cet article.
Le cinquième épisode de l’épopée cannoise a commencé par cet échange de messages :
À gauche, sur fond blanc, c’étaient les messages en provenance de l’Hypérion. À droite, sur fond vert, c’étaient ceux qui étaient émis par le Zeph.
C’était l’Hypérion qui ouvrait le feu. D’abord au sens symbolique, en prenant l’initiative d’inviter le Zeph. Ensuite, au sens propre, avec la combustion du four.
Ce qui était sublime, ce n’était pas l’invitation en elle-même, mais la gestation de celle-ci. C’était le facteur temporel qui rattachait le geste épistolaire de l’Hypérion à la nature de l’épopée.
L’Hypérion a lancé son invitation le vendredi 28 juin, à 12h37.
Peu de temps auparavant, la Muse de l’Hypérion, qui revenait de la plage avec son capitaine, s’est arrêtée devant la passerelle du Zeph pour nous saluer.
Bien sûr, nous avons dit à la Muse de l’Hypérion et à son capitaine de monter à bord du Zeph.
Les tout premiers mots de la Muse étaient pour demander un peu d’eau, afin qu’elle puisse se rafraîchir le gosier. Tout de suite, le mousse a apporté de l’eau fraîche, non sans, au préalable, mis une nappe et sorti des verres qui faisaient tinter la pureté de la matière et des sentiments.
Très courtoise, la Muse disait au mousse qu’il aurait pu se passer de ce protocole.
Mais le mousse chérissait trop la compagnie de l’Hypérion : c’est pourquoi il voulait que l’accueil ne soit pas taché par la banalité. Encore moins, par l’avarice.
Avec une charmante affabilité, le Zeph et l’Hypérion se sont intéressés à ce que l’autre avait fait depuis la rencontre de Λέρος. Or l’enjeu de cet échange n’était pas le passé, même proche, mais le présent. L’idée d’une nouvelle table conviviale flottait dans l’air, mais personne n’osait faire le premier pas, car cette cinquième rencontre prenait tout le monde au dépourvu.
C’était l’Hypérion qui était le premier à bannir l’incertitude en envoyant le message sur les daurades.
Dans le texte de l’invitation, le mot clé n’était pas celui qui renseignait sur le menu, mais celui qui précisait le lieu où auraient lieu les agapes : « sur Hypérion » celles-ci auraient lieu.
Donc le « chez soi » était promu. La taverne, disqualifiée.
D’emblée, l’Hypérion a accédé au désir du Zeph en matière de diététique. C’était la première prouesse.
Le texte de l’invitation mentionnait une deuxième prouesse : nous étions attendus le soir-même. L’Hypérion fonctionnait comme s’il avait plein de ressources. Il donnait l’impression que les daurades qui nous étaient destinées étaient disponibles par un simple claquement de doigt.
C’était ce double enchantement qui rattachait le geste de l’Hypérion au merveilleux qui caractérisait l’épopée.
Le soir venu, nous étions donc à bord de l’Hypérion :
La photo montre les deux capitaines en train d’échanger leurs points de vue au sujet de la flottaison. Étaient prononcés des propos fraternels, que seul le cadre intime du chez soi autorisait. Cette liberté était un confort que ne pouvait donner la taverne.
À la taverne, on s’intéresse prioritairement à ce qu’il y a dans sa propre assiette. Avec l’hospitalité d’un chez soi, on prend le temps de s’intéresser à ce que ressent l’ami qui est assis à côté. La taverne flatte l’égocentrisme. L’hospitalité cultive l’altruisme.
Il existait un signe qui associait la manière d’être de l’Hypérion et le souci de l’autre. Le voici :
À droite de la bôme de l’Hypérion, sous le lampadaire municipal qui venait de s’allumer, se profilait la chapelle Φανούριος (transcription : Fanourios), déjà décrite dans l’article « Le balcon posé sur la mer (37) entre Λéros et Πάτμος », publié le mercredi 17/07/2024. Il est aussi expliqué dans cet article que l’espace sacré relié à cette chapelle avait son portail ouvert jour et nuit, pour signifier une disponibilité sans limite de temps. Sur la photo précédente, ce portail, toujours ouvert, apparaissait à bâbord de l’Hypérion, entre le hauban solitaire et le faisceau des trois haubans.
Ainsi, la configuration spatiale à Πάτμος était appropriée pour signifier que le chez soi de l’Hypérion était empli de sollicitude envers autrui.
Avant les daurades du miracle, il y a eu le prélude enchanteur de l’apéro. L’Hypérion mettait sur la table tout ce qu’il y avait dans ses réserves : le craquant les biscuits, le moelleux du melon, la chair parfumée de la pistache grillée, l’ouzo PILAVAS et l’οὖζο πλωμαρίου (littéralement : l’ouzo de Plômari, qui est un port sur la côte Sud de l’île de Lesbos).
Il y avait la beauté de la simplicité. Une simplicité qui n’avait rien à voir ni avec l’indigence, ni avec l’avarice.
Quant à la manière dont l’ouzo était servi, elle portait l’une des signatures de l’Hypérion. En effet le breuvage grec était versé directement sur les glaçons pour avoir tout de suite la bonne dilution à la bonne température.
C’était original, ludique et efficace.
Dès le début, la Muse de l’Hypérion montrait qu’elle était heureuse de nous recevoir chez elle, dans son véritable chez soi, et non pas dans un espace d’emprunt :
En ouvrant toutes grandes les portes de son chez soi, elle ouvrait toutes grandes celles de son cœur. Elle savait qu’il y aurait du travail supplémentaire avant l’arrivée des invités, pendant la présence de ceux-ci et après leur départ. Mais ce surcroît de travail ne l’incommodait pas, car il était motivé par du sens, le plus noble qui soit, puisque celui-ci naissait du dévouement manifesté au nom de l’amitié.
Le capitaine du l’Hypérion respirait le même bonheur que sa Muse :
Le sourire de l’hospitalité était lumineux parce qu’il n’était pas pollué par le contexte du négoce, qui était inséparable de la taverne.
Le naturel du visage en fête ne pouvait s’offrir que dans le cadre intime du chez soi.
La pureté de la joie était une conséquence du désintéressement, méconnu des pratiques commerciales qui irriguaient la taverne.
Bien avant la fête des papilles, l’Hypérion nous a offert la fête de l’éthique, qui était en même temps la fête de l’art. Car ce portrait est beau, très beau, par sa douceur et sa véracité.
Après ce prélude qui était sublime par ses clins d’œil au second degré, est arrivée la séquence des daurades. Celles-ci ont été cuisinées comme sur le rivage cannois. D’abord, un lit de tomates et d’oignons, agrémentés d’herbes aromatiques, a été préparé :
Certes, la fraîcheur des ingrédients rendait la photo attractive. Mais le véritable intérêt de celle-ci n’était pas dans le contenu, mais dans le contenant, qui était une plaque destinée à aller au four.
Ah, le four que d’aucuns redoutaient d’allumer, parce qu’il consommerait trop de gaz et causerait trop de salissures !
Dans sa bonté d’âme, l’Hypérion ne craignait ni de consommer du gaz, ni de nettoyer les outils de cuisson, parce que le plaisir d’offrir l’emportait.
Ainsi des daurades bien dodues ont regagné leur lit aromatisé.
Parmi les récits qui espéraient faire sensation auprès du public, il y avait souvent ceux qui relataient l’amarrage à un rocher. À bord de l’Hypérion, ce soir-là, tous les regards étaient amarrés au four :
Comme pour l’amarrage à un rocher, l’amarrage au four de l’Hypérion requérait de la précision et de la patience.
Sur la table dressée, la Muse a posé sur chaque assiette la moitié d’un citron :
En bordure de l’assiette, la moitié de citron, objet éphémère, côtoyait une maxime, qui revendiquait la pérennité.
La maxime, écrite en latin, disait : « navigare vivere est ».
Une traduction possible est : « naviguer, c’est vivre ».
On pourrait comprendre : « La navigation fait toucher du doigt la vie véritable » ou encore « Il n’y a pas de meilleure façon de vivre que naviguer ».
Est-ce à dire que lorsque qu’une personne ne navigue pas ou ne navigue plus, elle ne sait plus vivre ?
Autrement dit, le verbe « est » » désigne-t-il une tautologie entre le concept « navigare » et le concept « vivere » ou exprime-t-il seulement une inclusion stricte du premier concept dans le second ?
Le débat est ouvert entre les personnes mordues de navigation et les personnes qui en sont moins fans.
En tout cas, depuis la rencontre à Λέρος, nous avons compris que le destin de l’Hypérion allait basculer par rapport à cette maxime latine.
Malgré l’extrême gravité de la circonstance, l’Hypérion nous offrait l’hospitalité à son bord, avec une joie absolument sincère.
Une fois les daurades cuites, c’était le capitaine de l’Hypérion qui se chargeait de lever les filets. Chacun avait une portion bien copieuse.
Le Zeph a apporté un Chablis Grand Cru, sorti en 2013, des fûts de la maison Pascal BOUCHARD :
Le Chablis a charmé tous les palais. Le sillage laissé par le millésime 2013 était si délicieux que le capitaine de l’Hypérion en parlait encore, le lendemain.
Cette fête de la convivialité était une sublime réussite parce que c’était la fête du dévouement.
Voici un souvenir inoubliable du dévouement déployé par l’Hypérion :
Il y avait à laver, à la main, les nombreux verres, les multiples assiettes, sans oublier le plat encombré qui venait du four.
Cette tâche, souvent considérée comme obscure et indigne, n’avait pas la gloire comme le fait de tenir la barre ou de lancer une amarre. Cela n’empêchait pas la Muse de l’Hypérion de s’en acquitter sans tergiverser, et toujours dans la bonne humeur.
La Muse était heureuse de conduire avec maestria sa nef de l’hospitalité :
Le Zeph, lui, était aux anges :
Dans quelle taverne, le Capitaine du Zeph se serait permis de se prélasser ainsi, avec un sourire en coin ?
Seulement dans la taverne qui s’appelait « Hypérion », et qui n’ouvrait ce soir-là que pour deux personnes !
La Grèce nous donne à voir ce qui est beau.
L’Hypérion nous offre ce qui est vrai. Ce qui est vrai est beau, aussi.
Ce qui est beau se contemple tandis que ce qui est vrai, non seulement se contemple, mais se pratique surtout. La belle attitude de l’Hypérion était une leçon de vie. L’exemplarité de l’Hypérion montrait que la mer n’était pas une simple cour de récréation, mais un lieu d’enseignement et d’édification.
On en vient tout naturellement à ce qui est bon, c’est-à-dire bénéfique, salutaire, enrichissant pour l’existence. La présence de l’Hypérion encourageait l’empathie, la compréhension mutuelle, le lien social, l’amitié, c’est-à-dire tout ce qui échappait aux embruns et aux miles nautiques !
Grâce à l’Hypérion, le balcon posé sur la mer à Πάτμος était celui du beau, du vrai et du bon.
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