• Qui a besoin d’être consolé ?

    Celles et ceux qui sont frappés par le malheur.

    De tous les malheurs, le plus cruel est le deuil.

    La consolation est un baume pour les personnes endeuillées.

    La promesse de la consolation est un engagement altruiste, noble et précieux.

    Deux sœurs viennent de perdre leur frère.

    Du temps où l’homme malade n’a pas encore rendu le dernier souffle, elles ont envoyé des messagers auprès d’un ami commun pour que celui-ci leur vienne en aide.

     

    La promesse de la consolation

     

    Pourquoi ont-elles tant misé sur cet ami ? Parce que celui-ci incarne la promesse de la consolation.

    La description de l’espoir engendré par l’amitié est donnée par l’apôtre Jean, au onzième chapitre de son récit de la Bonne Nouvelle.

    Dès le début, le texte grec mentionne le lien exceptionnel qui unit le souffrant et l’homme de bien. En effet, on peut lire ceci :

    « ἀπέστειλαν οὖν αἱ ἀδελφαὶ πρὸς αὐτὸν λέγουσαι κύριε ἴδε ὃν φιλεῖς ἀσθενεῖ »

    ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ια’. Στίχος γ’

     

    « Les sœurs lui envoyèrent donc dire : “ Seigneur, vois, celui pour qui tu as de l’affection est malade. ” »

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 11. Verset 3

     

    Le solide lien affectif entre les deux hommes est l’axe autour duquel se développe la promesse de la consolation.

    L’homme de bien étend aussi sa bienveillance à la proche parenté du souffrant. On peut lire encore ceci :

    « ἠγάπα δὲ ὁ Ἰησοῦς τὴν Μάρθαν καὶ τὴν ἀδελφὴν αὐτῆς καὶ τὸν Λάζαρον »

    ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ια’. Στίχος ε

     

    « Or Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare. »

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 11. Verset 5

     

    Cette fois-ci, les principaux personnages du drame sont mentionnés dans un contexte très particulier : avec le lien de tendresse qui motive leurs paroles et leurs gestes.

    Le souffrant est Lazare. Il a deux sœurs : Marthe et Marie. Tous les trois habitent le village de Béthanie, qui se trouve en Judée, à trois kilomètres à l’Est de Jérusalem.

    Nous voilà prévenus : le texte grec ne relate pas une démonstration de puissance, mais une preuve d’amour.

    Malgré la menace des Judéens, qui tout récemment, ont cherché à le lapider, le Nazaréen s’en va à Béthanie pour porter secours à ses amis accablés par l’infortune.

     

    La promesse de la consolation

     

    Lazare est mort avant que le Nazaréen n’arrive à Béthanie.

    Questionnée sur la sortie de crise, la famille du malade décédé s’exprime au futur.

    Marthe, dont le frère est encore inconscient et emmuré derrière la lourde pierre qui ferme l’entrée de la tombe, dit :

    « οἶδα ὅτι ἀναστήσεται ἐν τῇ ἀναστάσει ἐν τῇ ἐσχάτῃ ἡμέρᾳ »

    ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ια’. Στίχος κδ

     

    « Je sais qu’il [Lazare] ressuscitera à la résurrection au dernier jour. »

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 11. Verset 24

     

    La promesse de la consolation

     

    La réponse de l’homme de bien commence par une affirmation solennelle et non équivoque :

    « ἐγώ εἰμι ἡ ἀνάστασις καὶ ἡ ζωή »

    ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ια’. Στίχος κδ

     

    « Je suis la résurrection et la vie. »

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 11. Verset 25

    Le temps utilisé dans le début de la réponse est le présent et non le futur.

    C’est le présent de l’intemporalité, qui s’affranchit du cadre spatio-temporel de cet événement survenu dans la banlieue Est de Jérusalem.

    L’attente de la famille du défunt est traduit par le verbe ἀναστήσεται , qui signifie littéralement « se lever de nouveau ». Le verbe indique un changement de la position : on passe de la position allongée à la position debout, mais aussi une modification de la la condition : on passe de la condition inerte à la la condition animée. Dans les deux cas, le mouvement serait une manifestation du retour à la vie.

    Pour répondre à ce verbe qui parle de mouvement, l’homme de bien n’emploie pas un verbe d’action, mais d’état. En l’occurrence, c’est le verbe être ( εἰμι , dans le texte grec), qui est choisi. Autrement dit, la clé du redressement physique et physiologique de l’homme à secourir se trouve dans une essence qui s’identifie avec le don de la vie. Le texte grec distingue alors deux sortes de vie : d’abord, dans le contexte de l’actuel traumatisme, la vie retrouvée, évoquée par le terme ἀνάστασις (en français : résurrection), et ensuite, la vie toute naturelle (désignée par le terme ζωή), de préférence sans heurt et sans accident.

    Marie, l’autre sœur du défunt est aussi allée à la rencontre de l’homme de bien pour accueillir celui-ci.

     

    La promesse de la consolation

     

    Cette deuxième rencontre n’a pas produit un échange théologique, ni sur le futur, ni sur le présent. Par contre, elle a donné lieu à des effusions qui disaient que l’enjeu n’était pas au niveau de la tête, mais du cœur.

    Voici ce que dit le texte grec :

    « Ἰησοῦς οὖν ὡς εἶδεν αὐτὴν κλαίουσαν καὶ τοὺς συνελθόντας αὐτῇ Ἰουδαίους κλαίοντας ἐνεβριμήσατο τῷ πνεύματι καὶ ἐτάραξεν ἑαυτόν »

    ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ια’. Στίχος λγ

     

    « Jésus donc, quand il la vit pleurer et les Juifs qui étaient venus avec elle pleurer [aussi], gémit dans l’esprit et se troubla ; »

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 11. Verset 33

     

    Le verset décrit une cascade de réactions émotionnelles.

    D’abord Marie exprime sa peine par des larmes, qui ne passent pas inaperçues aux yeux du Nazaréen.

    Ensuite, les personnes qui accompagnent la jeune femme s’effondrent aussi en larmes. Cette solidarité dans le chagrin ne manque pas d’attirer l’attention de l’homme de bien.

    Cette double manifestation de la douleur crée alors en celui-ci une profonde irritation, dont parle le verbe ἐνεβριμήσατο. Ce terme évoque une grande colère, une vive indignation. Mais contre qui, contre quoi le Nazaréen se met-il en colère ? Contre qui, contre quoi s’indigne-t-il ?

    Est-ce les pleurs qui l’indisposent ? Pas les pleurs en eux-mêmes, mais leur signification et leur cause. Car ces pleurs traduisent le triomphe absolu de la Mort. Et c’est le joug implacable de la Mort qui irrite tant le Nazaréen. Cette violente irritation a ses sonorités de désapprobation et de révolte.

    L’homme de bien s’immerge dans la douleur causée par la disparition d’un être cher.

    La douleur de ceux qui l’ont appelé à l’aide est devenue la sienne, sans simulacre, sans calcul.

    Après le verbe ἐνεβριμήσατο , qui sous-entend la désignation de l’ennemi commun, vient le verbe ἐτάραξεν , qui décrit la perte de la paix et de la solidité internes. Le premier terme dit l’animosité contre l’adversaire, le second mentionne le contrecoup subi par le Nazaréen, qui réagit comme un simple homme, fait de chair et de sang.

    Le lecteur, dont la curiosité est stimulée par l’impatience, a hâte d’assister au surgissement de quelque chose d’extraordinaire. Et voilà que le texte grec prend le temps de détailler l’effusion de larmes, la contagion de la douleur, l’effet déstabilisant de l’épreuve, la partition sonore du cortège qui se dirige vers le sépulcre.

    Le Nazaréen est loin d’être un prestidigitateur imbu de sa science, qui vient seulement pour faire son one-man-show et réclamer des applaudissements.

    Après les sanglots et les gémissements, vient la parole articulée, qui s’intéresse à la localisation de la tombe. On peut lire ceci dans les deux versets qui suivent :

    11:34  καὶ εἶπεν ποῦ τεθείκατε αὐτόν λέγουσιν αὐτῷ κύριε ἔρχου καὶ ἴδε

    11:35  ἐδάκρυσεν ὁ Ἰησοῦς

    ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ια’. Στίχοι λδ’, λε

     

    34  et il [Jésus] dit : “ Où l’avez-​vous déposé ? ” Ils lui dirent : “ Seigneur, viens et vois. ”

    35  Jésus se laissa aller aux larmes.

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 11. Versets 34 et 35

     

    L’homme de bien n’a pas pu retenir ses larmes pendant qu’il s’approchait de la tombe de son ami. Il s’est mis à pleurer avant même de la voir.

     

    La promesse de la consolation

     

    Lui, en qui reposaient toutes sortes d’espoir, il a pleuré et il n’a pas caché ses larmes. Il montrait sa souffrance en plein jour, sur la place publique. N’avait-il donc pas peur du qu’en-dira-t-on ?

    Traversait-il un moment de faiblesse ? La compassion est-elle de la faiblesse ? L’amitié qui a inspiré cette compassion était-elle aussi de la faiblesse ?

    La figure du bienfaiteur est-elle moins glorieuse quand elle ne dissimule pas son affliction ? Qu’en pensait l’opinion publique de l’époque ? Voici ce que dit le texte grec : 

    « ἔλεγον οὖν οἱ Ἰουδαῖοι ἴδε πῶς ἐφίλει αὐτόν »

    ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ια’. Στίχος λς

     

    « Les Juifs se mirent donc à dire : “ Voyez : quelle affection il avait pour lui ! ” »

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 11. Verset 36

     

    Celles et ceux qui assistaient à la scène ont constaté l’empathie réelle du Nazaréen, la sincérité et l’intensité de son émotion, la beauté de l’amitié qu’il ressentait pour son ami. Le ton du constat était admiratif.

    Le Nazaréen n’est pas venu à Béthanie pour accomplir un prodige, mais pour exprimer son amour. Une chose n’empêchait pas l’autre. Mais il y avait une préséance, d’ordre ontologique et chronologique : c’était l’amour qui précédait le prodige.

    Du point de vue de l’action dramatique, cette pause narrative permet au suspens de se préparer pour rebondir de plus belle. Et du point de vue de l’action thérapeutique, les larmes inattendues du Nazaréen portent incontestablement la promesse de la consolation. Ému jusqu’au tréfonds de son être, il mettra tout en œuvre pour consoler celles et ceux qui sont frappés par le deuil.

    L’apôtre Jean décrit enfin le sépulcre. Mais juste avant, il prend soin de rappeler la sonorité dominante du drame. En effet, au verset 38, on peut lire ceci :

    « Ἰησοῦς οὖν πάλιν ἐμβριμώμενος ἐν ἑαυτῷ ἔρχεται εἰς τὸ μνημεῖον ἦν δὲ σπήλαιον καὶ λίθος ἐπέκειτο ἐπ᾽ αὐτῷ »

    ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ια’. Στίχος λη

     

    « Jésus donc, après avoir gémi de nouveau en lui-​même, vint à la tombe de souvenir. C’était, en fait, une grotte, et une pierre était placée contre. »

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 11. Verset 38

     

    On retrouve le verbe qui, déjà au verset 33, a décrit la vive indignation et les sonorités de désagrément qui en découlaient. C’est la proximité de la tombe qui déclenche cette juste colère. Le face à face avec la Mort ne peut être que révoltant. Les gémissements qui expriment la révolte résonnent comme un cri de guerre. L’oreille capte le son avant que l’œil ne découvre ce qu’il doit voir. Le suspens va crescendo.

    Vient le moment où le Nazaréen fait retentir le premier ordre libérateur.

    Coup de théâtre : l’ordre rencontre une objection !

    Est-ce raisonnable qu’il y ait une objection ?

    Voici comment le texte grec raconte le coup de théâtre :

    « λέγει ὁ Ἰησοῦς ἄρατε τὸν λίθον λέγει αὐτῷ ἡ ἀδελφὴ τοῦ τετελευτηκότος Μάρθα κύριε ἤδη ὄζει τεταρταῖος γάρ ἐστιν »

    ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ια’. Στίχος λθ

     

    « Jésus dit : “ Enlevez la pierre. ” Marthe, la sœur du défunt, lui dit : “ Seigneur, il doit déjà sentir, car cela fait quatre jours. ” »

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 11. Verset 39

     

    L’objection paraît tout à fait légitime. Elle concerne le confort olfactif et l’hygiène. L’homme gravement malade a rendu son dernier soupir il y a quatre jours. L’odeur nauséabonde du corps en décomposition serait insupportable si la tombe venait à s’ouvrir.

     

    La promesse de la consolation

     

    De qui vient l’objection ? De Marthe, qui venait de parler avec le Nazaréen de la résurrection dans le temps futur. Et l’homme qui lui a répondu au présent, va démontrer que la promesse de la consolation s’accomplit au présent, ici et maintenant.

    Celui qui ose défier la Mort et la combattre ne va quand même pas se laisser déstabiliser par le processus de décomposition des tissus organiques, ni par la puanteur qui s’en échappe. L’enjeu véritable est d’un autre ordre !

    La pierre qui ferme la tombe est finalement retirée, conformément à l’ordre du Nazaréen. Celui-ci se concentre pour solliciter l’aide de son Père céleste, puis ordonne, à voix haute, au défunt de sortir.

     

    La promesse de la consolation

     

    Le texte grec raconte le résultat de cet ordre :

    « ἐξῆλθεν ὁ τεθνηκὼς δεδεμένος τοὺς πόδας καὶ τὰς χεῖρας κειρίαις καὶ ἡ ὄψις αὐτοῦ σουδαρίῳ περιεδέδετο λέγει αὐτοῖς ὁ Ἰησοῦς λύσατε αὐτὸν καὶ ἄφετε αὐτὸν ὑπάγειν »

    ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ια’. Στίχος μδ

     

    « L’[homme] qui avait été mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, et son visage était lié tout autour par un tissu. Jésus leur dit : “ Déliez-​le et laissez-​le aller. ” »

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 11. Verset 44

     

    Lazare est donc relevé d’entre les morts.

    L’essentiel du prodige a eu lieu. Mais celui-ci ne serait pas complet si le ressuscité était abandonné à sa nouvelle condition. La sollicitude du Nazaréen se manifestait encore par l’aide apportée pour enlever les anciennes bandelettes.

     

    La promesse de la consolation

     

    L’ami était-il médecin ? Pas du tout ! Sa place aurait été dans un comité d’éthique et non dans un cabinet médical ou un centre hospitalier.

    Alors en quoi pouvait-il être utile en cas de crise aiguë du corps humain ?

    Il avait le pouvoir d’arrêter le dérèglement somatique et de rétablir le métabolisme optimal.

    D’où lui venait ce pouvoir ? C’était son secret, son privilège, une affaire entre lui entre Celui qu’il appelait son Père Céleste.

    Est-il sensé de lui faire confiance ?

    Quant un agent pathogène crée des hécatombes jour après jour, nombreux sont ceux qui sont tout disposés à faire confiance à des molécules qui n’ont pas encore satisfait le protocole défini par les essais cliniques. L’urgence accentuée par l’angoisse commande la foi en une substance que l’on espère immunogène.

    Dans le cas de l’homme de bien, gratuitement et immédiatement, il était possible d’obtenir une guérison en ajoutant foi à la parole enseignée.

    Quand la détresse est extrême et le désespoir sans bornes, tous les moyens sont-ils bons pour sortir de l’impasse ? Oui, tous les moyens sont bons, pourvu qu’ils ne flirtent pas avec la malhonnêteté.

    Le chemin proposé par le Nazaréen est un moyen pour sortir de l’impasse grâce aux vertus de l’amour. L’antidote qu’il utilise n’est pas biochimique, mais éthique. La Mort est vaincue dès l’instant où l’espoir naît, avant même que celui-ci ne se réalise complètement. Car la séparation n’est plus définitive.

    Quand l’irréparable a déjà eu lieu, il est essentiel pour les survivants de ne pas se retrouver seuls dans le deuil. Il est vital qu’ils se sentent accompagnés, soutenus et réconfortés. La promesse de la consolation n’attend pas le temps futur pour s’accomplir. Elle peut et doit se réaliser dans l’instant présent, sans tarder, en conformité avec la conjugaison du verbe dans la proclamation : « Je suis la résurrection et la vie. ».

    L’intemporalité exprimée par la forme verbale dit que le message a une portée universelle. Cette universalité se vérifie dans l’espace comme dans le temps.

    La Mort frappe de façon aveugle. Le remède doit aussi pouvoir ignorer les frontières linguistiques et les barrières culturelles. L’antidote, porté par le message d’amour, a ce pouvoir de transcender la division, de vaincre la nocivité, d’impulser la guérison et d’apporter la consolation sur la terre entière.

    Sur les terres de l’Islam, la promesse de la consolation, véhiculée par l’histoire de Lazare, est accueillie comme une bénédiction.

    « Lazare » est la forme française de l’hébreu אלעזר ( avec la prononciation Elʿāzār ), qui signifie littéralement « Dieu est mon aide ». La colonne vertébrale du terme hébreu est composée de trois consonnes : le ל , qui correspond au « L » français ; le ז , qui a la valeur du « Z » en français ; et le ר , qui se prononce comme le « R » français.

    La langue du Coran utilise la même racine trilitère pour nommer le malade de Béthanie. La graphie utilisée est alors لعازر , c’est-à-dire ﻌ ﺎ . En se souvenant que l’arabe, tout comme l’hébreu, se lit de droite à gauche, on retrouve, dans l’ordre, les trois consonnes hébraïques, fidèlement transcrites : d’abord le pour le « L » initial, puis le ز pour le « Z » médian, et le ر  pour le « R » final. La prononciation du nom transcrit est Al-ʿāzir, où la la racine trilitère est absolument audible.

    Le crédit accordé par l’Islam au message d’espoir qui illumine l’histoire de Lazare ne réside pas seulement dans la filiation entre deux structures phonétiques. La grande estime témoignée par l’Islam pour ce récit de la Bonne Nouvelle se voit également dans le texte qu’a rédigé l’éminent exégète الثعلبي   ( Al-T̲h̲aʿlabī ), qui a vécu au onzième siècle, en Perse. Dans l’ouvrage  قصص الأنبياء  (  Qiṣas al-'Anbiyā' ), dont le titre signifie « Histoires des Prophètes », l’érudit persan ne fait pas que mentionner le nom du défunt relevé d’entre les morts. Au contraire, l’exégète coranique transcrit tous les événements relatifs à ce deuil, en suivant la chronologie du texte grec.

    Dans l’icône suivante, le nom de Lazare, calligraphié dans la langue du Coran, apparaît au début de l’inscription qui figure en en-tête.

     

    La promesse de la consolation

     

    Après le nom propre لعازر ( Al-ʿāzir, ), le texte arabe parle du défunt qui émerge du royaume des ombres.

    Le ressuscité porte encore les bandelettes mortuaires et attend qu’on l’aide à s’en débarrasser. Parmi les personnes qui se pressent vers la béance de la grotte, trois hommes se bouchent le nez à cause de la puanteur dégagée par la décomposition du corps de Lazare. Un jeune homme imberbe se couvre même tout le bas du visage avec un pan de sa cape bleue. Derrière lui, un homme âgé et barbu fait le même geste avec une étoffe rose pâle. L’épaule droite de cet homme âgé touche un autre homme âgé, qui lève le regard en bouchant le nez avec la main gauche.

    Vers le centre de la composition, le Nazaréen est debout, face au sépulcre. Il est en pleine conversation avec une femme, qui est debout elle aussi, et dont les mains et le visage traduisent une sorte d’opposition. C’est Marthe, qui a engagé le débat sur le moment où son frère sera relevé d’entre les morts, et qui, maintenant, soulève la question de l’odeur nauséabonde.

    Marie, l’autre sœur de Lazare, est agenouillée aux pieds du Nazaréen, dans la position d’une suppliante. Ses larmes précèdent celles du Nazaréen.

    Derrière celui qui vient défier le pouvoir de la Mort, il y a un cortège avec douze auréoles de sainteté. C’est le collège des douze apôtres. Juste derrière le Nazaréen, se tient une jeune silhouette au visage imberbe : c’est l’apôtre Jean, qui relatera ces événements extraordinaires au onzième chapitre de son récit de la Bonne Nouvelle.

    La promesse de la consolation n’est pas entravée par des frontières territoriales, ni temporelles. Nous avons constaté son caractère d’actualité à Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ, le jour où nous avons pris le bus pour rentrer sur Athènes.

    La gare routière de Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ était contiguë à un cimetière. Un simple muret séparait symboliquement les deux aires. D’un côté, c’était l’aire réservée à la mobilité des vivants. De l’autre côté, c’était la zone d’embarquement dédiée aux défunts.

     

    La promesse de la consolation

     

    La première est reconnaissable avec la silhouette des bus, dont l’un est bleu sur la photo. La seconde est facilement identifiable par les croix qui marquent les lieux du dernier au revoir.

    Une autre particularité de ce cimetière était sa proximité avec un grand centre d’approvisionnement. L’enseigne de celui-ci apparaît en lettres rouges sur la photo. En effet, on peut lire : μασούτης.

    Par effet de contraste, la configuration des lieux semble définir ce cimetière comme un endroit où l’on ne bouge plus et ne mange plus.

    C’est dans ce cimetière que nous avons vu la répétition du drame de Lazare.

    L’inhumation était récente puisque la tombe n’était pas finie. La terre meuble qui recouvrait le cercueil était encore visible.

     

    La promesse de la consolation

     

    Les briques destinées à élever la bordure gisaient pêle-mêle.

    De toute évidence, l’enterrement était de fraîche date. Comme pour Lazare, la douleur des survivants était encore trop vive. Leurs larmes n’ont pas eu le temps de sécher.

    Comment était disposé le corps du défunt ? De quel côté se trouvait la tête ?

    L’orientation des sépultures voisines donne des indications.

    Dans le cas de la tombe inachevée, le chevet se trouverait du côté où se dressaient les deux poteaux blanchis. Au sol, toujours de ce côté-là, étaient posés un encensoir et une lampe à huile d’olive.

    Accrochée au poteau le plus extérieur, une étoffe flottait au vent, à la manière d’un oriflamme.

     

    La promesse de la consolation

     

    Sa blancheur était celle d’un linceul.

    L’étoffe était comme neuve. Elle n’a pas encore subi les injures du temps. Le fait qu’elle n’a servi que depuis très peu nous rapprochait à nouveau du moment où le cercueil descendait dans la fosse, pendant que les entrailles des survivants étaient aspirées par le gouffre du désespoir.

    Sur l’étoffe blanche, était écrit en lettres dorées un texte. Le voici :

    ΣTON

    ΑΓΑΠΗΜΕΝΟ ΜΟΥ

    ΑΔΕΛΦΟ

     

    ΑΛΕΞΑΝΔΡΑ

     

    En français, ce message serait :

    À

    MON BIEN-AIMÉ

    FRÈRE

     

    ALEXANDRA

     

    La main qui a écrit ce texte était donc une main féminine. Alexandra s’adressait à son frère, qui se trouvait sous terre. L’adjectif qu’elle employait pour qualifier son frère était : αγαπημένο – ΑΓΑΠΗΜΕΝΟ, qui signifie « préféré ». Autrement dit, celui qu’elle venait d’enterrer était son « chouchou », qui jouissait d’une préférence marquée.

    À travers cet adjectif si expressif, on imagine sans mal l’immense détresse qui a étreint Alexandra.

    L’émouvante déclaration d’Alexandra commence par une préposition qui dit que la sœur offrait quelque chose à son frère « préféré ». Quel était ce cadeau ?

    Des lettres dorées qui célébraient l’intensité exceptionnelle du lien fraternel ?

    C’est une possibilité. Y en a-t-il une autre ?

    L’étoffe blanche était accrochée à un tasseau peint en blanc, dont le sommet portait une couronne, blanche également. De la couronne émergeait une gerbe composée de plusieurs espèces végétales, qui provenaient de la nature et non de l’industrie.

     

    La promesse de la consolation

     

    Les fleurs étaient fanées. Les feuilles, desséchées. Dans les tiges, la sève a tari. Bientôt toute cette composition s’effriterait, pour rejoindre l’humus qui se trouvait juste au-dessous, à moins que le vent ne disperse les parcelles les plus légères.

    Alexandra offrait à son frère « préféré » la poésie automnale d’une nature morte.

    Mais dans ce bouquet élégiaque qui sied tout à fait à un au revoir, quelque chose intrigue le regard. Des feuilles allongées et disposées en éventail font penser à celles du palmier. Le profil de celles-ci se connecte tout naturellement à la scène de l’entrée triomphale du Nazaréen à Jérusalem. En voici une description :

    « τῇ ἐπαύριον ὁ ὄχλος πολὺς ὁ ἐλθὼν εἰς τὴν ἑορτήν ἀκούσαντες ὅτι ἔρχεται ὁ Ἰησοῦς εἰς Ἱεροσόλυμα ἔλαβον τὰ βαΐα τῶν φοινίκων καὶ ἐξῆλθον εἰς ὑπάντησιν αὐτῷ καὶ ἐκραύγαζον ὡσαννά εὐλογημένος ὁ ἐρχόμενος ἐν ὀνόματι κυρίου καὶ ὁ βασιλεὺς τοῦ Ἰσραήλ »

    ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ιβ’. Στίχοι ιβ’, ιγ

     

    « Le lendemain, la grande foule qui était venue à la fête, en apprenant que Jésus venait à Jérusalem, prit les rameaux des palmiers et sortit à sa rencontre. Et ils criaient : “ Sauve, nous t’en prions ! Béni est celui qui vient au nom de Jéhovah, oui le roi d’Israël ! ” »

    Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 12. Versets 12 et 13

     

    La promesse de la consolation

     

    Les feuilles de palmiers sont associées à une manifestation de joie. Cette joie s’exprime à l’occasion de la proclamation de la royauté du Nazaréen, qui entre à Jérusalem pour célébrer la Pâque de l’an 33.

    À lumière de ces événements, chaque bouquet confectionné par Alexandra pour dire au revoir à son frère « préféré » contient un clin d’œil à la joie qu’apportera le moment où le Nazaréen sera roi. Ce sera aussi le moment où les morts se lèveront de nouveau.

    Les bouquets confectionnés par Alexandra en souvenir de son frère « préféré » témoignent qu’elle a entendu la promesse de la consolation.

    Dans le récit de la Bonne Nouvelle selon Jean, l’épisode de l’entrée triomphale à Jérusalem suit immédiatement celui de la résurrection de Lazare.

    Ainsi la boucle est bouclée. Nous voici revenus à Béthanie, où le prodige accompli sert à illustrer ce qui se produira à une plus grande échelle.

    En attendant ce jour béni où tous les morts se relèveront, le parfum qui s’échappe de l’encensoir est comme une prière qui exprime la confiance dans la promesse de la consolation.

     

    La promesse de la consolation

     

    À côté de l’encensoir, la flamme de la lampe à huile symbolise une conscience en éveil, émue par la miséricorde.

    Le fait que l’irréparable a eu lieu signifie-t-il que l’on ne peut plus rien faire ?

    Nullement !

    Le vrai sujet est celui de la peur. Peur que la séparation ne soit définitive. Peur que le décès ne soit une voie sans issue, et pour le défunt, et pour les survivants. Or les événements survenus à Béthanie proclament qu’il existe une issue et en dévoilent la perspective.

    La promesse de la consolation est une aide pour vaincre cette peur.

    Ne pas être seul dans son malheur.

    Ne pas se retrouver seul dans son deuil.

    La compassion n’empêche pas l’accident de survenir. Elle permet de mieux se relever après le choc et de continuer à aller de l’avant, ne serait-ce que pour honorer la mémoire de ce qui vient d’être perdu.

    Ne pas rajouter une mort à une autre, celle de la lassitude et de l’oubli à celle de la biologie.

    Le deuil, c’est déjà terrifiant en soi.

    Avec la solitude du deuil, une souffrance s’ajoute à une autre et l’épreuve n’en est que plus insupportable.

    La promesse de la consolation est une réponse de la miséricorde au double problème du deuil et de la solitude du deuil.

     

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