• Le don du Grec

    Pour définir l’Égypte, Hérodote, le père de l'Histoire, employait l'expression « δώρο του Νείλου » (en français : don du Nil). Nous continuons à nous inspirer de cette pensée, qui privilégie dans le mot « don » une dimension altruiste.

    Le Grec offre le soleil de son pays, l'azur du ciel et de la mer. La beauté du cadre physique est un cadeau très appréciable, mais elle ne dit rien sur l'être intérieur du Grec. Qu'est-ce que le Grec peut offrir d'autre, en impliquant sa personne ? Quel don -au sens utilisé par Hérodote, peut révéler l'âme grecque ?

    Il nous a été donné de constater la réalité de ce don et son caractère polymorphe à Μέθανα – MEΘΑΝΑ, qui a été notre première escale à la sortie du chantier d'hivernage.

    Notre arrivée sur le site a été conspuée parce que les « dignitaires » qui étaient déjà amarrés nous prenaient pour deux intrus, hautement méprisables et indignes du lieu. À coup de vociférations et de gesticulations, on nous a ordonné de déguerpir. Mais nous nous sommes ancrés et nous avons trouvé notre place.

    Parmi ceux qui montaient l'atroce cabale contre nous, il y avait un homme qui se prenait pour Otto von Bismarck en personne. L'homme avait une très haute opinion de lui-même, de son autorité et de son espace vital. Il voulait que tous lui obéissent au doigt et à l’œil, tous y compris l'indomptable capitaine du Zeph.

    Comme l'autoritarisme aux accents germaniques répandait une odeur nauséabonde dans l'air ambiant !

    L'homme qui rêvait d'imposer sa volonté à tout et à tous n'a pas prévu de faille dans son plan d'hégémonie. Pourtant, celle-ci est apparue, ce qui a donné lieu à un revirement très cocasse dans le ton et dans la démarche.

    Ses réserves d'eau douce se sont amenuisées, et il avait besoin de remplir ses citernes.

    Pour cela, il a dû s'adresser au Grec qui gérait le quai.

    C'est ainsi qu'entrait en scène le « don » du Grec. Non pas sous forme d'eau fournie gratuitement, surtout pas. Mais sous forme de parole qui rétablissait le juste équilibre des choses.

    Le Grec demandait trois euros pour cent litres d'eau douce. Son interlocuteur jouait la comédie en fouillant dans les poches, comme pour montrer qu'elles étaient vides !

    Le Grec a continué à réclamer les trois euros, qui avaient du mal à quitter les caisses de Bismarck. Le Grec se montrait intransigeant. Bismarck, sans nulle honte, se mettait à balbutier, comme un enfant qui n'avait pas compris la consigne du maître d'école. Effectivement, en cet instant précis, le maître n'était plus le citoyen dont le pays dictait sa loi à toute l'Europe, mais l'enfant du terroir, qui avait subi, avec le peuple grec, l'humiliation de la part de la Troïka.

    En la circonstance, le « don » du Grec était le λόγος – ΛΟΓΟΣ (en français : logos), c'est-à-dire la parole qui instruit, ré-équilibre et structure.

    Voici la photo prise au moment où Bismarck consentait enfin à confier au Grec les trois piécettes :

     

    Le don du Grec

     

    Sur la photo, le Grec portait un tee-shirt blanc et des lunettes. Bismarck était torse nu et se trouvait encore sur la passerelle de son catamaran.

    Ne nous fions pas aux sentiments que pourrait susciter l'apparence physique. L'aspect chétif de Bismarck ne l'a pas empêché de nous chasser comme des pestiférés. Son âge avancé n'inspirait nullement le respect, encore moins la sympathie, car il exacerbait la soif de pouvoir et l'instinct tyrannique.

    La parole de fermeté du Grec était une parole de justice.

    Au premier plan, on reconnaît le basilic qui embaumait le balcon du Zeph. Le mousse était en première loge pour voir comment le don du Grec ré-équilibrait les choses dans le microcosme du quai.

    La leçon du logos se poursuivait un peu plus tard, au fond de la baie. Un voilier, arrivé à l'heure du coucher de soleil, ne trouvait plus de place. Il s'est donc garé n'importe où, c'est-à-dire là où normalement c'était interdit, d'après le règlement de la municipalité.

    Voici l'accostage, illicite à première vue :

     

    Le don du Grec

     

    Le culot de la manœuvre mettait tout le monde sur le qui-vive.

    Le Grec, qui avait maté Bismarck, était là, prêt à dire la loi, officielle en principe.

    Face à lui, une femme, qui portait une robe blanche avec des fleurs bleu foncé, plaidait la cause des nouveaux arrivants. Elle faisait valoir leur détresse.

    Le Grec, reconnaissable à son tee-shirt blanc, se laissait attendrir. Il a vu, parmi les personnes qui demandaient l'asile d'une nuit, une fillette dont la fragilité réclamait une protection. Sur la photo, elle était en train de jouer à bâbord.

    De plus, le voilier était immatriculé à Gdańsk, en Pologne, qui est un pays frère dans la communauté de l'orthodoxie.

    Le cœur du Grec a engendré le logos de la compassion.

    Le scandale pressenti à cause de l'audace de l'accostage, s'est résorbé.

    Le don du Grec a neutralisé la rigidité de la loi écrite.

    Le logos s'enquiert, réfléchit, et construit en compensant.

    À droite de la photo, le capitaine du Zeph, assis sur une chaise jaune, assistait à la naissance du logos de l'hospitalité.

    La première mission du logos était d'édifier. Le don du Grec bâtissait et honorait le lien social.

    Octroyer ce don était un devoir sacré, comme nous l'a montré l'épisode du génois récupéré à Athènes.

    Fin juin, nous avions rendez-vous à Athènes pour récupérer le génois tout neuf, sorti des ateliers Quantum. Mais avant de parler de coutures, de lanières et de toiles, la maîtresse des lieux a coupé la parole à tous les locuteurs pour proposer un rafraîchissement aux visiteurs.

    D'abord, parce qu'une chaleur caniculaire régnait en Grèce depuis plusieurs jours.

    Ensuite, parce que ce geste faisait partie des belles manières pour accueillir un client qui apportait des billets de banque.

    Mais surtout, parce que l'authenticité de l'hospitalité se voyait dans la sollicitude des tous premiers instants.

    Polis, nous avons demandé seulement de l'eau. Aussitôt, nous avons été servis,

    Voici les verres d'eau qui ont présidé à la vérification technique du matériel :

     

    Le don du Grec

     

    La manière dont la maîtresse des lieux a rappelé le protocole de bienvenue n'admettait aucune contestation. Le logos du savoir-vivre était un impératif. Le don de la Grecque était incontournable.

    Nous étions très contents de la qualité de la confection.

     

    Le don du Grec

     

    Nous étions charmés par l'élégance du logos de l'hospitalité.

    Cette escapade à Athènes nous a permis de régler un autre problème technique, qui était l'installation de la nouvelle éolienne. Et à cette occasion, nous avons eu accès à une autre manifestation du don du Grec.

    Voici le capitaine qui était en train de donner les instructions au soudeur :

     

    Le don du Grec

     

    Il s'agissait d'adapter les dimensions de la nouvelle éolienne au portique existant. Pour rigidifier le support, il fallait réaliser des soudures sur un tube en inox, qui n'était pas disponible dans l'atelier, et pour lequel nous devions passer commande.

    Une fois les travaux finis, le soudeur nous a remis la portion du tube qui n'a pas servi.

    Nous lui avons fait comprendre que nous préférions la lui laisser.

    Le Grec a sorti de ses poches une facture pour montrer que nous avions payé l'intégralité du tube, et que le morceau restant nous appartenait de droit.

    C'était le logos de la probité. Le don du Grec était la transparence, qui préservait la dignité de l'être humain.

    Voici la potion du tube en inox, qui témoignait de la droiture du Grec :

     

    Le don du Grec

     

    Le don du Grec contribuait à la beauté de l'échange, par rapport à la perception sensorielle mais aussi par rapport à l'émotion du cœur.

    En voici un exemple, à Αλμυροπόταμος – AΛΜΥΡΟΠΟΤΑΜΟΣ (en français : Almiropotamos), qui se trouvait sur la rive Sud de l'île d'Eubée.

    L'emplacement au port coûtait 3,90 €. Une silhouette féminine, dont les pans de la robe bleue volaient au vent à la manière des ailes d'un papillon, était chargée de récolter la taxe.

    Elle expliquait au Capitaine que c'était une une obligation municipale. C'était le logos de la régularité administrative.

     

    Le don du Grec

     

    Le Capitaine a tendu à la Grecque un compte rond, qui était 3€.

    La Grecque a répondu : « Εντάξει – ΕΝΤΑΞΕΙ ! » (littéralement : tout est en ordre !)

    C'était le logos de la conciliation.

    Car qui allait débourser pour les 90 centimes manquants ?

    Le don de la Grecque était le geste de l'hospitalité, qui évitait de mettre le visiteur dans la gêne ou dans l'embarras.

    Le déficit était faible : seulement 90 centimes, mais la noblesse d'âme était grande !

    Comme à Μέθανα – MEΘΑΝΑ, le logos de la bonté transcendait la loi écrite, qui était figée et rigide.

    La Grecque a dû ouvrir son porte-feuille personnel.

    Toujours à Αλμυροπόταμος – AΛΜΥΡΟΠΟΤΑΜΟΣ, des Grecs ont ouvert au mousse la porte de leur demeure. C'était le logos de l'admiration et de la confiance.

    Car ils l'ont vu choisir le bon angle de vue pour photographier les fleurs qui dépassaient de leur jardin.

    Voici l'une de ces photos :

     

    Le don du Grec

     

    Le fond était noir, car il s'agissait du mur de la maison, qui était dans l'ombre.

    Charmé par le regard exigeant du mousse, le Grec a invité celui-ci à franchir la porte pour faire les photos depuis l'intérieur de l'enceinte de la demeure.

    C'était le logos de l'émerveillement.

    La position a changé. Le regard, aussi.

    Voici le résultat quand la perspective précédente était inversée :

     

    Le don du Grec

     

    Cette fois-ci, le fond n'était plus rempli d'obscurité, mais d'azur. Car, depuis l'intérieur de l'enceinte de la demeure, le mousse regardait en direction de la mer. Et sur la gauche de la photo, apparaissaient un mât et une coque blanche : c'était le Zeph qui savourait sa quiétude.

    Le don du Grec était l'amour du beau.

    C'était le logos de l'épanouissement par l'art.

    Le Grec a trouvé une très belle expression pour nommer ce rivage. Il l'appelait Οδός Ονείρων – OΔΟΣ ΟΝΕΙΡΩΝ (littéralement : route des rêves)

     

    Le don du Grec

     

    C'était le logos de l'évasion.

    Le don du Grec était l'accès à la fabuleuse richesse du monde onirique.

    La liberté n'est pas incompatible avec le pragmatisme ou la rationalité. C'était la leçon reçue à Λιμνή – ΛΙΜΝΗ (en français : Limni), qui se trouvait sur la rive Sud de l'île d'Eubée.

    Un Grec a vu le Zeph s'approcher du port, qui était une calanque très étroite. Le Zeph redoutait de s'y engager sans savoir s'il y avait un emplacement disponible.

    Un Grec, qui a vu l'hésitation du Zeph, nous a fait signe pour nous indiquer la place libre. Rassuré, le Zeph s'est faufilé pour atteindre celle-ci.

     

    Le don du Grec

     

    C'était la dernière place disponible.

    Une fois l'amarrage terminé, nous avons réalisé que nous avions perdu la trace de notre bienfaiteur.

    Le don du Grec était le geste désintéressé. Il n'y avait pas de parole audible. Le logos de l'entraide a utilisé efficacement le langage gestuel.

    À Λιμνή – ΛΙΜΝΗ, le mousse s'est lié d'amitié avec un pêcheur.

    Voici le Grec à l'entrée du port. Il venait de réaliser une pêche très fructueuse, car il a capturé de nombreux poulpes, grâce aux cages vertes empilées.

     

    Le don du Grec

     

    Dans sa main droite, il tenait un poulpe pendant qu'il bavardait avec un baigneur qui se réjouissait aussi de la pêche.

    Il expliquait au mousse qu'il fallait d'abord ramollir la chair du poulpe en tapant bien fort.

     

    Le don du Grec

     

    C'était le logos pour communiquer un savoir. Le don du Grec était le partage d'une expérience.

    Ensuite, il fallait enlever les toxines en mouillant avec l'eau de la mer et en frottant sur le quai.

     

    Le don du Grec

     

    C'était le logos de l'exhaustivité. Le don du Grec était la générosité du partage.

    Mais le plus beau de tous les dons que le mousse a reçus du Grec ne concernait pas un savoir-faire, mais un savoir-être.

    En effet, au mousse qui venait d'utiliser l'expression καλοί άνθρωποι ΚΑΛΟΙ ΑΝΘΡΩΠΟΙ (littéralement : des hommes bons, c'est-à-dire « des humains remplis de bonté ») pour désigner les personnes qu'il avait rencontrées ici, à Λιμνή – ΛΙΜΝΗ, le pêcheur s'est empressé de rectifier qu'il y avait ici des bons, mais aussi des mauvais, comme partout ailleurs, dans le monde. Au premier abord, la déclaration du Grec pourrait sembler banale, car elle disait une vérité universelle. Ce qui n'était certainement pas banal, c'était la lucidité et le courage du Grec, qui n'a pas succombé au chauvinisme. C'était le premier à ne pas se satisfaire d'une louange, qui lui semblait excessive ou hâtive. C'était le logos de la clairvoyance et de l'objectivité. Le don du Grec était le jugement équilibré.

    À Λιμνή – ΛΙΜΝΗ, le Grec montrait qu'il savait faire la part des choses.

    À Λιμνή – ΛΙΜΝΗ, les gardes-côtes ont compris que leur informatique défaillante ne leur avait pas permis d'enregistrer les deux nuits que le Zeph avait passées au quai municipal. Alors, ils ont préféré nous en faire cadeau.

    Le don du Grec est le logos de la bonté de leur cœur.

    Nous voici à Λιμνή – ΛΙΜΝΗ, choyés par le don du Grec :

     

    Le don du Grec

     

    Au moment de faire cette photo, nous ne savions pas encore que trois semaines plus tard, nous demanderions asile à Λιμνή – ΛΙΜΝΗ pour bénéficier du logos de la consolation.

     


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  • Commentaires

    1
    Fifi
    Jeudi 2 Septembre 2021 à 15:35
    Minh,il n’y a que des photos sans texte!
    2
    Zephyros
    Jeudi 2 Septembre 2021 à 18:09

    Le texte apparaît quand tu regardes le blog en version standard, c'est à dire sur un ordi.



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