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Le balcon posé sur la mer (41-3) à Xίος. Le balcon aimé et aimant
L’an dernier, le Roch’hir est venu jusqu’au chevet du Zeph quand celui-ci était en chirurgie post-traumatique à la clinique de Χαλκούτσι (transcription : Khalkoutsi). Quel geste d’amitié valeureux, émouvant et inoubliable !
Cette saison encore, c’était le Roch’hir qui a fait le premier pas, en parole et en geste, pour les retrouvailles. Dès qu’il avait le pressentiment que celles-ci pourraient se dérouler à Xίος (transcription : Khios), il a mis tout en œuvre pour que l’éventualité devienne une joyeuse réalité.
À peine amarré, il a lancé l’invitation pour l’apéro qui aurait lieu à son bord, dès le premier soir.
La promptitude de la démarche conviviale indiquait que ces retrouvailles avaient été ardemment désirées.
Le capitaine du Roch’hir s’est déplacé en personne pour nous apporter l’invitation, de vive voix.
Les paroles de l’invitation comportaient une clause spéciale qui dénotait le pragmatisme du Roch’hir. La clause prévenait que l’effervescence champenoise ne serait pas au rendez-vous.
Or, c’est un fait notoire que le champagne était le catalyseur de l’amitié fougueuse entre le Roch’hir et le Zeph et qu’il constituait, depuis la baie de Αλιμιά (transcription : Alimia) où s’était produite la première rencontre, la clé de voûte de leurs agapes festives.
Comme le capitaine du Roch’hir était très attaché à la préservation des belles manières, il s’est senti obligé de nous signifier qu’il y avait eu rupture de stock et que le ravitaillement n’avait pas pu être effectué à temps.
Il savait qu’il pouvait compter sur notre souplesse avérée.
Guillerets, même sans champagne, nous sommes donc montés à bord du Roch’hir au moment où le soleil passait sous l’horizon.
Voici une photo des tout premiers instants à bord du Roch’hir :
Des flûtes arrivaient sur la table du cockpit pour se substituer à des verres cylindriques déjà en place. Un service remplaçait un autre. Manifestement, s’est produit un changement de dernière minute, qui a pris tout le monde de court. Tout le monde, sauf l’auteur du coup de théâtre, qui était évidemment le capitaine du Roch’hir.
Les axes des verres cylindriques déjà disposés sur la table étaient parallèles entre eux. Ce n’était pas encore le cas des flûtes, qui avaient chacune une direction différente. La multiplicité des directions, tenue par une seule main, était un pur hasard. Mais ce bel hasard venait à point nommé pour illustrer un trait de personnalité chez le capitaine du Roch’hir.
Ce trait de personnalité est évoqué dès les tout premiers vers de l’Odyssée, que voici :
Ἄνδρα μοι ἔννεπε, Μοῦσα, πολύτροπον, ὃς μάλα πολλὰ
πλάγχθη, ἐπεὶ Τροίης ἱερὸν πτολίεθρον ἔπερσε
Le terme qui nous intéresse ici est l’adjectif πολύτροπος, qui se compose de l’adverbe πολύ (qui signifie plusieurs) et du substantif τρóπος (qui désigne la direction vers laquelle l’on se tourne). Étymologiquement, l’adjectif πολύτροπος signifie donc « poly-directionnel ».
Homère applique cet adjectif à Ulysse.
Voici comment Émile Pessonneaux a traduit la description faite par Homère :
Muse, dis-moi ce guerrier, fécond en ressources,
qui erra si longtemps, après avoir renversé la ville sacrée de Troie
Plus récemment, Philippe Jaccottet a donné cette traduction des deux premiers vers de l’Odyssée :
O Muse, conte-moi l’aventure de l’inventif :
celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra
Comme Ulysse, le capitaine du Roch’hir était « fécond en ressources » et « inventif ».
C’est pourquoi, contrairement à l’annonce faite en début d’après-midi, il y a eu du champagne pour démarrer les agapes offertes par le Roch’hir.
L’esprit inventif du capitaine du Roch’hir n’était pas une fin en soi, mais seulement un moyen. Car cet esprit inventif était au service de la persévérance. En effet, le capitaine du Roch’hir n’a pas renoncé à ramener l’effervescence champenoise. Le premier champagne, celui de Αλιμιά, était un symbole si fort que son souvenir, impérissable, a présidé tous les protocoles ultérieurs.
Après le coup de théâtre, il y a eu une ravissante démonstration de générosité. Un capitaine servait un autre, abondamment :
Non, n’y voyez aucune maladresse, aucun manque de prévoyance. C’était plutôt l’humour de la générosité. En fait, il s’agissait de la générosité qui ne craignait pas de faire sourire.
L’aspect ludique des débordements était inattendu. Comme nous lui avons réservé un très bon accueil, le divertissement s’est produit une seconde fois :
C’était la générosité de l’humour !
Après l’apéro, le Roch’hir nous a gardés à son bord pour le repas du soir. Cette prolongation n’était pas prévue dans la formulation qui avait été faite en début d’après-midi. Mais nous aimions être surpris par le Roch’hir, parce que les surprises que le Roch’hir nous réservait étaient dictées par la bienveillance et la sollicitude.
Ainsi, nous avons partagé ensemble la chair goûteuse de deux daurades bien dodues :
Seul le contexte du chez soi peut rendre compte à quel point l’invité est choyé, et par voie de conséquence, à quel point l’hôte qui reçoit s’est investi. Un cadre extérieur et impersonnel serait totalement incompétent pour dévoiler la profondeur des sentiments de part et d’autre.
Le Zeph a remercié le Roch’hir sans tarder, c’est-à-dire dès le lendemain, avec ce que le Zeph savait faire de mieux, c’est-à-dire avec l’art de vivre à la française.
L’hospitalité de la réciprocité était en gestation dès les premières lueurs du jour. Tôt le matin, le Zeph, facilement reconnaissable à son éolienne tricolore, rosissait déjà de bonheur à l’idée de recevoir le capitaine du Roch’hir et son nouvel équipage :
Voici la place que nous avons préparée pour le capitaine du Roch’hir :
Nous lui avons réservé la couleur de la profondeur de la mer. Par la même occasion, nous voulions aussi rendre hommage à la profondeur de la curiosité chez l’homme qui ne portait jamais un regard superficiel sur les êtres et sur les choses.
Le Zeph chérissait la compagnie du Roch’hir parce que celui-ci ne s’encombrait pas avec des pensées vaines et des propos oiseux.
Le capitaine du Zeph et son mousse avaient des assiettes bleues aussi, mais avec une tonalité plus claire, pour exprimer le fait que leur expérience de la mer était plus récente que celle du capitaine du Roch’hir :
Sur la photo, le capitaine du Roch’hir avait la place de celui qui présidait la tablée. À sa gauche, il y avait le capitaine du Zeph. À l’autre bout de la table, il y avait le mousse, qui pouvait ainsi accéder facilement à l’évier de la cuisine.
À droite du capitaine du Roch’hir, il y avait les adjoints de celui-ci. L’assiette rouge était pour le premier adjoint, qui s’appelait Dominique, au féminin. L’assiette orange était pour le second adjoint, dont le nom était Pierre.
Au centre de la table, était posée une bouteille de Médoc.
Le breuvage était sorti en 2016 des fûts du Château Greysac. Le millésime correspondait à l’année où le mousse avait retrouvé, pour la première fois, le Zeph dans les eaux de l’Hellade. Plus exactement, à la Μαρίνα Ζέας (en français : Marina Zéa), qui appartenait au complexe portuaire du Pirée.
Le capitaine du Roch’hir se plaisait quand chaque chose avait du sens. À bord du Zeph, la moindre chose avait du sens. D’où la profonde empathie entre le Roch’hir et le Zeph.
Ce soir-là, autour de la table, tout le monde avait un lien affectif avec l’Indochine. C’est pourquoi le mousse a préparé des rouleaux de printemps avec des ingrédients frais et surtout une huile toute neuve :
Le menu, qui enchantait les papilles, a donc aussi fait plaisir au cœur.
Et le champagne dans tout cela ? Il arrive, il arrive !
Le voici, prêt à être servi :
Il était servi avec le dessert.
En dessert, il y avait de la glace à la vanille, avec des pêches et des cerises parfumées au rhum :
Le bouquet final enchantait tout le monde :
Le goût du beau réunissait le Roch’hir et le Zeph :
Grâce au Roch’hir, un café philosophique, digne de la Rive Gauche à Paris, s’est tenu à bord du Zeph. Le principal sujet de débat était la persévérance féminine. C’était Dominique, la première adjointe du capitaine du Roch’hir, qui nous a éclairés avec la lumière qui émanait de son être intérieur :
La locution « la lumière qui émanait de son être intérieur » était un euphémisme pour ne pas dire « la lumière qui provenait de ses entrailles ». Car Dominique, avec beaucoup de talent, a établi le lien entre la psychologie et la physiologie. Ce soir-là, l’expérience dans la chair disait que la persévérance féminine était corrélée avec l’exigence de mener à terme l’enfantement.
Le Roch’hir et le Zeph se retrouvaient mutuellement dans la quête du vrai, qui faisait partie de la quête du beau.
Le balcon posé sur la mer à Xίος était un balcon aimé et aimant. « Aimé et aimant » dans cet ordre, car c’était toujours le Roch’hir qui faisait le premier pas, en direction du Zeph.
Tags : balcon posé sur la mer, Xίος, Roch’hir, Château Greysac 2016, champagne, persévérance, rouleaux de printemps, πολύτροπος, Mαρίνα Ζέας
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