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Le balcon posé sur la mer (41-2) à Χίος. Le balcon dansant 7. Θράκη, Μακεδονία, Eύβοια
Les deux articles précédents étaient consacrés à la seule troupe de la Messénie (en grec : Μεσσηνία). Il était très tentant d’y voir le clou du spectacle, qui aurait pu être le bouquet final, mais qui ne l’a pas été, puisque six autres prestations se préparaient à entrer en scène après la Messénie.
La question suivante était alors inévitable : quelqu’un pourrait-il faire mieux que la Messénie ?
Bravo au festival de Χίος, qui savait entretenir le suspense d’une manière aussi habile !
Après la Messénie, est montée sur scène la Thrace (en grec : Θράκη), par l’intermédiaire de Καβάλα (transcription : Kavala).
La Thrace n’a pas voulu renchérir sur l’exultation, déjà remarquablement illustrée par la Messénie. La Thrace a fait preuve d’une grande intelligence en choisissant de danser la paix, celle de tous les jours, qui procurait le bonheur du quotidien. La chorégraphie ne recherchait pas les coups d’éclat. Elle préférait donner à voir le charme inusable de la modération.
En plus du cadre reposant qu’offrait la Thrace, deux choses remarquables méritaient d’être signalées par rapport à la mise en scène.
Le premier point remarquable concernait le rapport entre le féminin et le masculin.
Intentionnellement, la phrase précédente a nommé le féminin avant le masculin, car la prestation de la Thrace a commencé avec un cortège exclusivement féminin. Il a fallu attendre le milieu de la prestation pour que des silhouettes masculines s’y intègrent. Cette incorporation possédait trois caractéristiques qui étaient loin d’être anodines.
D’abord, l’aspect quantitatif. Seulement deux silhouettes masculines ont été ajoutées au cortège initial, qui était composé de quinze silhouettes féminines. Manifestement, l’objectif de l’ajout n’était pas un ré-équilibrage numérique. Le nouveau cosmos décrit restait majoritairement féminin. Que pouvait être ce cosmos ?
La deuxième caractéristique de l’ajout était l’âge très avancé de chaque silhouette masculine. L’objectif de cet ajout n’était donc pas de rendre la danse plus tonique, mais plus significative. En effet, les deux deux silhouettes masculines représentaient le troisième âge, ou plus exactement, les aïeux qui ont survécu. Et il n’y avait pas de plus belle équité que d’offrir aussi au troisième âge le bonheur de la danse.
À présent, le visage sociologique du nouveau cortège se dévoile : le cosmos que celui-ci évoquait était la partie de la population qui n’était pas partie sur le front de guerre. Il s’agissait des mères, des épouses, des sœurs, sans oublier les grands-pères.
Maintenant que la signification sociologique est explicitée, la troisième caractéristique au sujet de l’ajout des deux silhouettes masculines, ne renferme plus aucun mystère. En effet, les deux Anciens étaient placés en tête du cortège dès leur arrivée sur scène. Ainsi c’était la sagesse qui guidait la ronde de la vie en attendant que les guerriers reviennent du front avec la nouvelle de la victoire.
Admirez l’harmonie qui nourrissait le lien social à l’arrière du front :
Après cette émouvante gestion du rapport entre le féminin et le masculin, la Thrace a encore grandement étonné par la manière dont elle illustrait la solidarité au sein du corps social qui était resté à l’arrière du front.
D’ordinaire, dans une ronde, les danseurs se tiennent par la main.
Pour sa danse finale, la Thrace a décidé de faire autrement : chaque silhouette devait tenir celle qui la précédait et celle qui la suivait, par leurs ceintures respectives.
Les corps s’en trouvaient plus proches les uns des autres.
Quels avantages cette nouvelle disposition apportait-elle ?
Sur le plan sémantique, cette façon de se tenir mutuellement renvoyait à l’étymologie du mot « evzone » (en grec : εύζωνος), déjà utilisé dans l’article précédent. Ce mot, qui désigne un membre de la Garde présidentielle, signifie littéralement : « à la belle ceinture ».
Ensuite, sur le plan symbolique, le fait de se tenir par la ceinture signifiait que l’arrière développait le même mental que le front, pour que l’Ottoman soit bouté dehors.
Voici la danse qui montrait que l’arrière était solidaire du front :
La Macédoine, représentée par Βέροια (transcription : Véria) a emboîté le pas à la Thrace pour rester dans le registre de la modération. Le contexte macédonien incitait certaines silhouettes féminines à porter des costumes qui évoquaient l’armée d’Alexandre le Grand :
Mais le véritable attrait de la chorégraphie était dans le sourire qui faisait resplendir chaque ronde.
Après la Macédoine, les Cyclades sont remontées sur scène par le biais de Μύκονος (transcription : Mykonos). La chorégraphie célébrait les choses qui rendaient la vie belle et désirable : sentir son corps bouger, sentir son cœur battre, aimer et se sentir aimer.
Le jeu de la séduction donnait des ailes à tous les protagonistes :
Le mouvement est une source d’inspiration et un moyen pour s’accomplir.
La troupe du Pirée, qui a pris la relève de celle de Mykonos, exploitait la fascination pour le mouvement en exhibant celui avec l’esthétique de la générosité.
Émus avant les spectateurs par les performances qui allaient se déployer, les artistes ont laissé leurs visages nous préparer à l’émerveillement :
Le contexte de la générosité métamorphosait le visage grec en celui d’une Madone de la Renaissance.
L’univers de la générosité s’épanouissait avec des lignes courbes, des formes circulaires, des volumes arrondis.
La configuration de la toupie produisait l’émerveillement dans les gradins mais aussi sur scène.
Les quatre prestations, offertes par la Thrace, la Macédoine, les Cyclades et le Pirée, nous ont éloignés de la virtuosité masculine tant célébrée par la Messénie. Le Festival nous y ramènerait par le bouquet final. Mais avant de revenir à la figure du héros virtuose, nous prenons congé du couple, dansé avec beaucoup d’entrain par Κέα (transcription : Kéa), qui représentait l’archipel cycladique.
Nous arrivons maintenant à la prestation qui marquait la fin du Festival. L’honneur de le clôturer revenait à Εύβοια (en français : Eubée).
Nous avons vu que la Guerre d’Indépendance était une source d’inspiration pour le programme et que la virtuosité du masculin constituait l’un des principaux ornements de la danse grecque.
Il était logique que pour la performance de clôture la fustanelle apparaisse de nouveau. La voici donc, dès le début de la prestation de l’Eubée :
Les danseurs portaient, en plus, des chaussures dont le bout était décoré par un pompon noir. La référence à la Garde présidentielle ne faisait pas de doute.
Élargissons le cadrage de la photo :
Deux evzones se faisaient face en se tenant mutuellement par les épaules.
Ce qui frappait tout de suite, c’était leur fringante jeunesse.
Malgré leur très jeune âge, ils ont réalisé, sans à-coups, la rotation dont l’axe, oblique, passait par le poignet gauche :
Leurs corps juvéniles ont tournoyé en faisant la roue d’une manière leste et superbe :
Innocents, ils ne craignaient pas le French Cancan :
Donc, tout ce qui faisait la fierté de la Messénie, l’Eubée l’a brillamment réalisé.
Mais l’Eubée a fait bien plus encore ! L’Eubée a accompli des tours de force inconcevables pour la Messénie, comme passer le pied droit au-dessus du mouchoir de la solidarité :
Et cette aisance du pied droit de l’Eubée n’avait d’équivalente que celle du pied gauche :
Il n’est pas incongru de penser que cette formidable souplesse était un avantage du jeune âge.
En tout cas, l’Eubée a fait mieux que la Messénie.
C’est pourquoi le bouquet final du feu d’artifice a eu lieu avec l’Eubée.
Une ronde de la fin a réuni sur l’estrade toutes les bonnes volontés, quel que soit le costume et quelle que soit la constitution physique :
Un regard méticuleux y discernerait jusqu’à cinq cercles concentriques.
Souvenons-nous : c’était la jeunesse qui avait ouvert ce Festival. À présent, c’était encore la jeunesse qui le clôturait.
La danse à Χίος était une danse de fraîcheur, d’espoir et de confiance.
Avec le Festival de la danse à Χίος, il y avait de la cohérence, du suspense et de l’édification.
Nous avons eu l’immense chance d’être conviés dans le grand salon de la demeure hellène pour partager un festin culturel d’une qualité exceptionnelle.
Le balcon posé sur la mer à Χίος était le balcon du καιρός.
Tags : balcon posé sur la mer, Χίος, Θράκη, Μακεδονία, Καβάλα, evzone, Βέροια, Μύκονος, Πειραιάς, Κέα, Εύβοια, καιρός
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Commentaires
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La rédaction de la série d’articles sur le Festival de la danse à Χίος s’est achevée au moment où prenait fin le second séjour sur cette île. L’au revoir épistolaire coïncidait avec l’au revoir topographique.
Avec un Médoc, nous avons célébré cette coïncidence qui n’était pas sans importance :
Le breuvage provenait des fûts du Château La Fleur des Aubiers :
Le millésime 2015 correspondait à l’année où le voyage initiatique du Zeph avait commencé.
Depuis, de nombreuses satisfactions ont fécondé son sillage.
Pour accompagner le Médoc, le mousse a préparé un poulet rôti avec des légumes du terroir grec :
Pour rappeler l’ocre de la terre, il y avait l’aubergine posée sur un socle confectionné avec un poivron jaune
Pour évoquer la chlorophylle, il y avait les petits pois déposés dans des pétales créés à partir d’un oignon.
L’hédonisme est à son comble quand les joies de la culture rejoignent les plaisirs de la table.
RP