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Le balcon posé sur la mer (41-2) à Χίος. Le balcon dansant 6. Μεσσηνία 2
L’article précédent a conté l’éclatante démonstration de la Messénie (en grec : Μεσσηνία) dans sa première moitié. Le présent article poursuit la passionnante aventure culturelle et artistique sous l’égide de la Messénie, dans le contexte très prenant de la Guerre d’Indépendance grecque.
Les trois premières danses, déjà relatées, ont propulsé sur le devant de la scène la φουστανέλα (en français : fustanelle), dont les quatre-cents plis évoquaient les quatre-cents ans de servitude sous le joug ottoman.
Consciente de son attrait irrésistible, la fustanelle a pris possession de l’espace scénique dès le début de la quatrième danse :
Mais, surprise ! Sur la photo, le vêtement de la servitude, devenu le symbole de l’émancipation, n’appartenait pas au danseur qui avait mené les trois premières danses, mais à la silhouette masculine qui se trouvait derrière celui-ci, c’est-à-dire au personnage qui était en troisième position dans la photo de l’entrée sur l’estrade.
Voici la photo qui confirme l’identité des deux personnages actuellement en tête du cortège et qui exhibe le nouvel ordre de préséance :
Le nouveau chef du cortège ne portait pas la barbe. Le précédent chef était barbu.
Quelle singularité que de mettre, cette fois-ci, en tête du cortège, quelqu’un qui, au départ, n’avait pas la posture du commandement !
Ce changement à la tête du cortège n’était une simple lubie, sans fondement, de la part du chorégraphe.
Seule l’éthique était en mesure de fournir une explication de ce renouvellement de la tête du cortège. En effet, le changement apporté signifiait qu’aucune personne, même la plus compétente ou la plus gradée, n’était irremplaçable.
Quelle belle leçon d’humilité !
Après cet intermède concernant la juste considération à avoir envers soi-même, le premier chef a repris sa fonction à la tête du cortège.
Commençait alors un enchaînement vertigineux de tours de force, tous aussi éblouissants les uns que les autres.
D’abord, il y a eu le fameux plan incliné :
La tête était rejetée en arrière. Pendant la descente du corps, la main droite rejoignait le sol qui se trouvait sous la nuque. Le geste du toucher était vif, comment si le danseur voulait seulement taquiner la terre.
La vivacité du contact établi et l’apparence furtive de celui-ci faisaient penser à l’espièglerie qui consisterait à toucher l’épaule de quelqu’un sans qu’il s’en rende compte. Et comme la cible ne pouvait pas remonter jusqu’à la cause du toucher, l’espièglerie s’amuserait à se produire à trois reprises.
De la même façon, par trois fois, la main droite du danseur est allée taquiner le sol.
Ce jeu du toucher insufflait un climat de légèreté dans le spectacle très sérieux où l’appareil musculaire se contractait au plus haut degré.
Après le toucher dans le dos, il y a eu le toucher devant le visage. La main droite venait flirter avec la pointe du pied gauche, qui maintenait la jambe gauche dans l’extension maximale :
La main folâtre, qui donnait l’impression de toucher à tout, traduisait l’euphorie qu’apportait la fin du joug ottoman.
À présent, la main joueuse et le bras auquel elle était connectée indiquaient la courbure que suivait la rotation de tout le corps suspendu au poignet gauche :
La main qui menait le jeu s’abstenait de toucher le sol pour éviter de donner l’impression qu’il y avait une faiblesse.
L’aisance des mouvements, qui entretenait le suspense, se voyait aussi dans la rigueur et la précision.
Après cette rotation qui avait lieu selon un axe oblique passant par le poignet gauche, le guerrier grec a effectué une autre rotation, autour d’un axe horizontal, cette fois-ci :
La photo montre le bras qui servait de support vertical à la roue.
Le caractère immédiat de l’enchaînement des deux types de rotation indiquait que le guerrier grec était tout de suite disponible, et dans n’importe situation.
Après les rotations qui nous ont fait tourner la tête, se sont déployées des pirouettes qui faisaient chavirer la libido.
La pirouette, qui commençait par un saut en hauteur, s’ouvrait sur un spectacle du French Cancan :
La fustanelle, qui se réjouissait de l’Indépendance retrouvée par l’Hellade, donnait libre cours à son ivresse sans se préoccuper des âmes trop pudiques.
Dans l’euphorie du tournoiement, le clin d’œil à la robe de Marilyn Monroe était inévitable :
La fustanelle obtenait les mêmes ondulations que le vêtement hollywoodien, non pas avec le vent qui venait d’en bas, mais avec l’air qui était comprimé d’en haut. L’effet était le même dans les deux cas : il s’agissait de la jouissance de l’exquis moment présent, où l’insouciance conférait de la pureté à toutes choses.
La pirouette polysémique finissait par une posture de flamenco :
La fustanelle riait aux éclats parce que l’honneur et la dignité étaient saufs grâce à la liberté retrouvée.
Avec sa morphologie mouvante, la fustanelle transmettait un message. Celui-ci disait que l’Occident, c’est-à-dire le Vieux Continent ainsi que le Nouveau Monde, était concerné par le combat que menait l’Hellade pour briser le joug ottoman.
La danse du guerrier grec a fini par un discours métaphysique, en rapport avec le Destin.
À cause des aléas de la guerre, certaines fois les intérêts de l’Indépendance grecque avaient le vent en poupe. D’autres fois, c’était la tornade de l’infortune, la tempête de l’humiliation.
Avec une flamboyante lucidité, la danse de la fustanelle illustrait le mystère du cours de l’Histoire. Voici la position ascendante :
La main droite saluait la hauteur du décollage, non sans la crainte d’une chute inévitable.
Et voici la position la plus basse, la plus proche de l’humus, c’est-à-dire la plus humiliante :
La main droite, toujours elle, était-elle animée par la colère ? Peut-être. Surtout à cause de la scène qui suivait :
Tout le corps, écrasé par le Destin, frôlait la terre, en commençant par la tête. C’est dire que le mental était au plus bas. La chorégraphie de l’humiliation étirait considérablement le temps pour en faire sentir toute la douleur et toute la honte. Mais le guerrier grec a fini par se redresser et rebondir.
Honnête avec lui-même, il se souviendrait de cette dure épreuve.
En effet, il y est revenu, dans sa mémoire, pour se nourrir de la force invincible qui a permis la résurrection de la liberté.
Le danseur faisait alors une dernière pirouette en direction du sol, mais s’abstenait de s’abaisser à l’extrême et se contentait de saluer d’assez loin ce qui avait failli être le désespoir.
Méritant et glorieux, le guerrier grec a retrouvé sa compagne. Mais le succès militaire ne suffisait pas pour se faire aimer.
C’était la fustanelle qui déclenchait le regard approbateur de la bien-aimée :
Car la fustanelle incarnait des vertus féminines comme la tendresse ou le sens de l’équité, qui consolidaient le lien social à l’intérieur du couple.
La beauté du spectacle offert par la Messénie était dans le fait d’avoir montré la virtuosité du masculin sans en faire un motif d’hégémonie.
Le balcon posé sur la mer à Χίος était un balcon plein de finesse.
L’intelligence du Festival de Χίος était de mener un combat éthique sans en avoir l’air.
Tags : balcon posé sur la mer, Χίος, Μεσσηνία, φουστανέλα, Guerre d’Indépendance grecque, éthique, French Cancan, Marilyn Monroe
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Commentaires
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Comme il fallait s’y attendre, la rédaction de cet article a beaucoup influencé la création de l’assiette du jour.
Dans le corps du crustacé, se retrouvaient les couleurs du costume masculin. La chair nacrée de la crevette évoquait la blancheur de la fustanelle tandis que l’ocre de la veste, de la ceinture, du V dans le dos et des chaussures faisait écho au corail.
La ronde des crevettes serrées les unes contre les autres était un hommage à la solidarité des frères d’armes :
RP