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Le balcon posé sur la mer (41-2) à Χίος. Le balcon dansant 5. Μεσσηνία 1
Grâce au festival de la danse à Χίος (transcription : Khios), nous étions conviés à franchir le seuil de la demeure hellène pour entrer dans son grand salon et prendre part à un fabuleux festin culturel, qui se déroulait sur deux jours.
Les articles précédents ont conté le faste qui emplissait la première journée et le début de la seconde journée. Y aurait-il un crescendo ? Vu la merveilleuse intelligence qui a conçu et réalisé le programme, il était tout à fait naturel de s’attendre à un crescendo. Effectivement, le Festival est passé à un registre supérieur avec la contribution de la Messénie (en grec : Μεσσηνία), qui a succédé, sur scène, à la Macédoine.
Voici l’entrée des artistes qui avaient la responsabilité et le privilège de dévoiler le patrimoine culturel et artistique de la Messénie :
Sur la photo, le présentateur, qui portait une chemise avec des motifs circulaires et verts, était en train de quitter l’estrade en tenant dans sa main gauche les papiers de son discours.
Derrière lui, la troupe de la Messénie était prête à commencer sa danse. Le cortège était conduit par une silhouette féminine qui agitait au-dessus de sa tête un mouchoir blanc pour susciter l’enthousiasme.
D’ordinaire, le personnage en tête était le personnage principal du cortège. Cette fois-ci, ce n’était plus le cas. En effet, dans un très court instant, nous verrons que le personnage qui apportait l’animation au cortège était le personnage placé derrière la silhouette féminine. Pourquoi était-elle tolérée, cette entorse à la règle de la corrélation entre le rôle et la place ? Parce que le retour à l’ordre classique des positions créerait un effet surprise. Et surtout parce que ce changement scénique illustrait une réalité historique et sociologique.
Le clin d’œil à l’Histoire (à la grande Histoire, évidemment) se voyait dans la tenue vestimentaire. Effectivement, jusqu’à maintenant, tous les hommes qui étaient venus sur scène avaient des pantalons, noirs et bouffants. C’était la première fois que lors de ce Festival, des hommes portaient une tunique blanche, qui ressemblait bigrement à une jupe.
Cette tenue est aussi celle des evzones qui montent actuellement la garde devant le Parlement grec, à Athènes.
Le vêtement semblable à une jupe s’appelle φουστανέλα (en français : fustanelle). Elle comporte quatre-cents plis, qui correspondent aux quatre-cents ans de servitude sous le joug ottoman.
La fustanelle est donc un vêtement militaire.
Son port est intrinsèquement lié au contexte de la Guerre d’Indépendance grecque.
La danse que la troupe de la Messénie se préparait à exécuter était alors un hymne à la liberté retrouvée.
Les premiers instants de la chorégraphie décrivaient une situation où le péril extérieur n’existait pas encore. Dans ces moments de paix, c’était le féminin qui était le principal artisan de la prospérité de la cellule familiale. C’est pourquoi une silhouette féminine était à la tête du cortège au début de la danse.
Puis s’est produite une permutation entre la première place et la deuxième place. À partir de là, c’était une silhouette masculine qui conduisait le cortège. Ce changement était la réponse à l’irruption d’un péril qui menaçait la sécurité de la patrie et de la famille : il s’agissait du péril ottoman.
Voici comment le guerrier grec s’est élancé dans sa lutte contre l’envahisseur :
L’envergure des bras était impressionnante.
Elle disait l’engagement sans limite, de tout le corps, pour défendre les siens.
D’un tour de bras, le guerrier grec éloignait le péril.
La silhouette masculine faisait un tour sur elle-même. La voici sur le point de retrouver la position qui existait avant la pirouette :
L’atterrissage avait la précision du vol d’un rapace.
La main féminine, qui avait connu la séparation à cause de l’envol du guerrier, attendait, immobile depuis tout à l’heure.
Il y avait dans cette configuration un magnifique clin d’œil à l’univers homérique. La confiance et la persévérance féminines ainsi dévoilées étaient celles de Pénélope.
Voici enfin le délicieux moment des retrouvailles :
Avec une précision spectaculaire, la main du guerrier a retrouvé celle de sa compagne. Il n’y a eu aucun tâtonnement de part et d’autre. La main féminine n’a pas bougé. La main masculine n’a pas zigzagué. Le chemin de l’une vers l’autre était franc, déterminé, sans hésitation et sans erreur. C’était une très belle illustration de la profonde entente à l’intérieur du couple.
Le contexte historique servait de mur de scène à la sociologie du couple.
La première démonstration de la silhouette masculine avait surtout lieu au niveau des bras. La démonstration suivante concernait les jambes :
Le saut en hauteur pourrait évoquer le dépassement de soi-même.
Plus le corps s’élevait en altitude, plus il manifestait son attachement aux choses d’en haut, dont faisait partie l’amour de la liberté.
Le formidable élan des bras puis l’impressionnante force de propulsion des jambes avaient pour conséquence de faire chavirer le symbole des quatre-cents ans de servitude. La fustanelle aux quatre-cents plis commençait à avoir un rôle plus important dans la chorégraphie :
La magnifique présence de la fustanelle se déployait au cours de rotations plus ou moins accélérées.
Elle mettait en valeur la gestuelle du corps au combat.
Voici que le danger revenait. Le guerrier s’élançait à nouveau pour déjouer la menace de l’envahisseur.
La fustanelle oscillait pour épouser l’élan du corps. Dans le balancement des plis, il y avait la rage de vaincre.
Cette fois-ci, le combat était plus rude, exigeant de la silhouette masculine un saut en hauteur plus important :
Les armes de feu ont parlé. Le nuage généré par la poudre entretenait la confusion.
Cette confusion se voyait dans l’apparence désordonnée et floue de la fustanelle.
Finalement, le guerrier grec est sorti indemne du combat.
Voici la silhouette masculine qui retombait, sain et sauf, sur une jambe :
Le bord inférieur de la fustanelle a perdu et son horizontalité et sa régularité. Le chaos qui l’envahissait traduisait le souvenir de l’incertitude du sort.
Et pour montrer que le combat a finalement tourné à son avantage, le guerrier grec effectuait une pirouette supplémentaire :
La rotation de la joie soulevait, sans retenue, la fustanelle et laissait paraître l’intimité du corps du guerrier. Le spectacle n’était pas imputable à un manque de pudeur, il était offert par le plus pur des hasards, qui a donné libre cours à son imagination, face à l’impétuosité de l’allégresse. Et puisque cet hasard s’est produit, il n’en était pas moins dépourvu de signification : désormais, le guerrier ne se sentait plus du tout vulnérable, nulle part !
La fustanelle chantait la victoire à tue-tête.
L’humour se glissait, avec succès, dans le langage de la joie.
Après les sauts qui propulsaient vers le ciel, il y a eu des sauts qui rapprochaient de la terre :
Le guerrier grec s’aplatissait au sol pour ne pas être vu par l’ennemi. De cette position de guetteur, il donnait maintenant une joyeuse parodie. Pour des questions d’esthétique évidentes, la position accroupie se substituait à la position allongée.
Même au sol, l’agilité demeurait une condition de survie. La silhouette masculine s’est alors mise à rebondir pour atterrir dans une nouvelle position accroupie. Regardez comment la fustanelle prenait part à ce jeu de souplesse :
La fustanelle montrait les mêmes ondulations que la robe de Marilyn Monroe. Pourtant, aucun vent de métro ne soulevait le vêtement du guerrier grec. Seul le souffle de la liberté enveloppait le personnage ivre de bonheur !
Ce clin d’œil inattendu à Hollywood était un humour d’une grande élégance.
La première danse de la Messénie montrait l’héroïsme de l’individu. La deuxième danse mettait en valeur la solidarité entre des frères d’armes.
Le cortège s’est donc scindé et seules les silhouettes masculines occupaient désormais le devant de la scène.
Bien sûr, la fustanelle a chanté la fraternité entre les guerriers grecs, animés du même idéal de liberté :
Les cônes de tissu se sont soulevés en même temps pour devenir plus évasés.
Le tournoiement, qui d’ordinaire exprimait la coquetterie féminine nourrissait, en la circonstance, la fierté des silhouettes masculines.
Le synchronisme des jambes levées rappelait le contexte militaire en y ajoutant un aspect enjoué :
Après avoir fait danser la solidarité entre des frères d’armes, la Messénie s’est intéressée aux compagnes de ceux-ci. Le cortège restait scindé. Mais cette fois-ci, c’était les silhouettes féminines qui occupaient, seules, le devant de la scène.
Elles ont dansé la paix retrouvée et le bonheur d’avoir des compagnons valeureux.
Le mouchoir était le symbole du rêve féminin comblé.
Debout à l’arrière-plan, les guerriers grecs applaudissaient la danse de la gratitude.
Dans la contribution de la Messénie, la virtuosité masculine était une offrande ex-voto en l’honneur de la patrie.
La fustanelle était l’étendard de cet hymne patriotique.
Le balcon posé sur la mer à Χίος était un balcon qui s’ouvrait sur l’âme patriotique de la Grèce.
Tags : balcon posé sur la mer, Χίος, Μεσσηνία, danse grecque, evzone, φουστανέλα, Guerre d’Indépendance grecque, Ottoman, sociologie du couple.
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Commentaires
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Les rondes sur scène continuaient d’inspirer les rondes dans l’assiette.
C’était une ronde des seiches qui a accompagné la rédaction du présent article.
La gestuelle individuelle était riche de nuances :
Le cercle dansant n’était aucunement frivole :
RP