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Le balcon posé sur la mer (34) à Κάλυμνος
Sans l’intervention de l’Hypérion dans la baie de Λέβιθα (transcription : Lévitha), le Zeph se serait fait lyncher pour cause de sédition, si l’on avait été aux temps bibliques.
La courageuse empathie de l’Hypérion a permis au Zeph d’avoir la vie sauve et l’honneur sauf.
Il était donc tout à fait compréhensible que le Zeph exprime sa profonde gratitude envers l’Hypérion, de la manière qui réjouissait le plus et l’un et l’autre. Cette manière doublement gratifiante faisait appel à l’art culinaire.
Ainsi, le lendemain de l’arrivée à Κάλυμνος, le Zeph a remercié l’Hypérion en préparant pour celui-ci un menu terre-mer.
Du côté de la mer, il y avait des crevettes, avec leurs rostres chargés du beau et du bon corail :
Le traditionnel citron était remplacé par le raisin blanc pour donner de la rondeur à l’acidité. Le brugnon avait la même fonction que le raisin blanc, mais avec une texture plus fibreuse. Le gingembre apportait le peps de l’âpreté, recommandé par l’ayurvéda.
La terre, elle, était représentée par la saucisse de Μύκονος (transcription : Mykonos), grillée avec des poivrons rouges et des champignons :
Pour plus de romantisme dans le cockpit, le Capitaine a allumé la lampe-tempête.
La lumière d’appoint permettait de mieux apprécier la décoration des gourmandises apportées par l’Hypérion et de savourer davantage le prélude visuel des trésors gustatifs dissimulés dans leurs corps aguichants.
Tous les esprits nomades savent que l’apothéose du jour ne peut venir que du plaisir de la gastronomie.
Il existe un préliminaire matériel à cela : l’intégrité physique. À Κάλυμνος, cela se traduisait, pour le Zeph, par la protection du flanc droit. Car, de l’autre côté, il y avait déjà la présence inoffensive et pacifique de l’Hypérion.
La paix du balcon posé sur la mer tapissait le fond de l’assiette avant que celle-ci ne soit garnie.
C’est pourquoi le Capitaine passait le plus clair de son temps à surveiller les bateaux qui, presque tous, prenaient un malin plaisir à arriver en trombe, sans tenir compte de l’étroitesse de l’espace qui leur était accordé.
Après le bolide des Flandres, c’était encore un bolide qui s’est emparé de la place à tribord du Zeph. Son pavillon était helvète. Mais son détestable arrogance avait des relents germaniques.
Le bateau suisse-allemand prévoyait de passer deux nuits au port municipal. Par conséquent, le lendemain de l’arrivée de ce bateau, le Capitaine du Zeph n’avait plus besoin de monter la garde. Nous avons alors décidé que cette liberté provisoire serait mise à profit pour explorer la montagne du septentrion, qui dominait à bâbord le Zeph et l’Hypérion.
Nous voici prêts pour la ballade qui nous mènerait à la rencontre du destin de la cité portuaire :
Jadis, Κάλυμνος avait bâti sa fortune grâce aux éponges ramassées au fond de la mer. L’exploitation de cette ressource naturelle avait fait éclore un rêve d’opulence, qui s’est évanoui au XXIè siècle. L’habitat portait les stigmates de ce déclin, mais il donnait aussi à voir la survivance de la dignité, voire de l’espoir.
Comme exemple de la lutte contre l’oubli, voici une demeure qui, autrefois, avait offert gîte et couvert aux voyageurs et qui, à présent, se contentait de les saluer en agitant les branches fleuries de son bougainvillier bicolore :
Les possibilités matérielles n’étaient plus là, mais le désir de plaire demeurait.
L’intention sauvait la noblesse d’âme.
C’était aussi le cas de l’Hypérion ce soir-là. Le sens de l’équité a transcendé la modestie de l’Hypérion, qui a préparé un délicieux riz au curry pour les agapes entre les deux équipages.
Le dévouement de la Muse de l’Hypérion était admirable. Au cours de cette soirée, la joie de son barreur était magnifique.
Il était prévu que l’Hypérion sortirait de l’eau le 1er juillet, c’est-à-dire dans deux semaines. Ses dernières escapades en mer ne devraient pas trop l’éloigner de sa base, qui était Λέρος (transition : Léros). Quant au Zeph, il voguerait vers le Nord, en direction de Thessalonique. Il était donc temps de penser à l’au revoir entre les deux équipages.
Le Zeph a proposé que l’au revoir, qui aurait lieu le lendemain du riz au curry, soit fêté à son bord. Intelligent, compréhensif et fraternel, l’Hypérion a accepté la proposition.
Les trois jours de répit qui ont suivi le coup d’éclat de Λέβιθα ont permis au Zeph de se reconstituer émotionnellement et physiquement. Ainsi, il a pu déployer tout son art du bonheur afin de remercier l’Hypérion pour la présence édifiante de celui-ci.
Le jour des agapes de l’au revoir, le Zeph bénéficiait d’un environnement matériel très favorable, ce qui a été très bénéfique pour la créativité du mousse.
En effet, le nouveau voisin à tribord était un voilier turc très coopérant et discret :
Le voilier turc s’appelait « Marinero » et était immatriculé à Bodrum, connu dans l’antiquité comme le site de l’une des Sept Merveilles du Monde : le Mausolée d’Halicarnasse.
Le breuvage de l’au revoir était le millésime 2015 du Médoc sorti des fûts du Château La Fleur des Aubiers :
2015 était l’année où le Capitaine a commencé le voyage initiatique qui le mènerait jusqu’aux flots de l’Hellade.
La table était dressée comme un hymne au καιρός :
L’Hypérion a grandement aidé le Zeph à féconder le καιρός.
En entrée, il y avait des asperges, bien al dente :
Le raisin blanc apportait l’équilibre dansant entre la saveur sucrée et le goût acidulé. Mais en définitive, la patate douce se chargeait de donner l’avantage à la présence des glucides pour évoquer la suave compagnie de l’ami.
L’ingrédient vedette du plat principal était l’ananas frais. Frais, c’est-à-dire libéré de ses écailles hexagonales juste avant de passer dans le wok :
C’était les lamelles de porc au caramel qui accompagnaient les éventails d’ananas rôti, et non l’inverse.
Il allait de soi que le principe ayurvédique y était présent, dans toute sa splendeur.
Le poivron apportait la contribution de l’amer. Celle-ci était toutefois tempérée par la douceur qui était plus importante dans le poivron jaune que dans le poivron rouge.
Le croquant de la courgette et du poivron devait répondre à celui de l’ananas.
Avant d’être taillée en quartiers, la courgette était ronde, et non oblongue.
Les formes rondes étaient à l’honneur, pour exprimer le vœu que les aspérités disparaissent de la relation humaine.
Les corps lisses, qui rappelaient la sphère ou une partie de celle-ci, donnaient une vision géométrique du goût de l’ananas. Gustativement, il s’établissait un accord entre l’ananas, la cerise et le brugnon.
Le giron du Zeph était un havre de paix, de fraternité et de bonheur :
Avec un plaisir non feint, nous avons trinqué à l’amitié fidèle.
La chanson française ne dit-elle pas que « l’on n’est riche que de ses amis » ?
À Κάλυμνος, le Zeph a eu le grand privilège d’en être l’heureuse confirmation.
Le balcon posé sur la mer à Κάλυμνος était le balcon de la complémentarité, rare et précieuse.
Tags : balcon posé sur la mer, Κάλυμνος, Λέβιθα, ayurvéda, Μύκονος, Λέρος, Château La Fleur des Aubiers 2015, καιρός, amitié, complémentarité
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