-
Le balcon posé sur la mer (33) entre Λέβιθα et Κάλυμνος
Au moment relaté par ces lignes, le véritable abri pour se protéger du vent du Nord était Κάλυμνος (transcription : Kalymnos) dont Λέβιθα (transcription : Lévitha) n’était que le marche-pied.
De très bonne heure, l’héroïque Hypérion de la veille a donc quitté le mouillage pour rejoindre Κάλυμνος. Le Zeph, matinal aussi, s’offrait, au contraire, plus de temps pour contempler le lever du jour sur la baie encore médusée par l’acte de résistance à la pensée dominante.
Le soleil se levait du côté des silos à grain, dont l’article précédent a montré les silhouettes parallélépipédiques et bleues :
La fronde menée par le Zeph et l’Hypérion n’a pas provoqué une désapprobation de la part de la bouée restée fidèle au maître des lieux. Au contraire, dans le miroir lisse de l’eau, le Zeph voyait la cohérence avec soi-même.
Une navigation réussit, non pas grâce à la fiabilité des instruments, mais grâce à la préservation de la cohérence interne de la nef.
À la sortie de Λέβιθα, la glisse donnait l’impression de frôler une étoffe soyeuse.
Le jour naissant révélait la grande humidité du cosmos.
L’œil s’écarquillait pour cueillir la douceur ambrée à bâbord et contempler la magie de la ouate à tribord.
Une fois de plus, les divinités nous offraient le privilège de vivre l’expérience ulysséenne entre l’île des Phéaciens et Ithaque.
La disparition des repères spatiaux n’empêchait pas le voyage de continuer.
Dans la dernière étape du parcours d’Ulysse, le rêve du voyage de retour a donné lieu à un voyage du rêve, parce que le héros était plongé dans le sommeil pendant que les Phéaciens le ramenaient jusqu’à Ithaque.
Dans notre cas, notre rêve de Κάλυμνος commençait à s’accomplir grâce à un voyage qui prenait une allure onirique.
En effet, le Zeph semblait enveloppé par un cocon de soie :
Une lueur ambrée parcourait la capote pour indiquer la connexion non interrompue avec l’astre solaire.
Le climat onirique faisait de la route du Zeph un chemin initiatique.
La poésie rappelait notre condition de privilégiés.
La beauté du voyage s’amplifiait grâce à la perception par la métaphysique.
L’ancre de la fermeté, qui ne côtoyait ni vase ni rocher, se délectait dans un éther de douceur et de pureté :
Le délice de la paix produisait la merveilleuse impression que le corps du métal se préparait à rejoindre l’immatérialité pour oublier tout ce qui était rudesse ou violence.
Il n’était pas insensé de voir dans cette ambiance de charme, offerte conjointement par le ciel et la mer, le signe que les divinités approuvaient la manière dont l’indépendance d’esprit du Zeph s’était manifestée la veille.
Puis est venue l’heure de tourner la page de Λέβιθα.
Toutes voiles dehors, le Zeph a foncé en direction de Κάλυμνος :
Les voiles de la tonicité étaient les voiles de l’allégresse :
Chance extraordinaire et grande joie : le Zeph retrouvait l’Hypérion, qui était parti du mouillage de Λέβιθα un quart d’heure avant lui.
Il s’en est suivi une régate euphorique, où les deux capitaines se défiaient à qui mieux mieux, avec tout le mental et toute la tension musculaire.
Quelle émouvante amitié dans cette splendide émulation !
En définitive, l’Hypérion a conservé son avance :
Sur la photo, l’Hypérion, qui avait encore toutes ses voiles dehors, se trouvait à tribord du Zeph.
Κάλυμνος se trouvait à gauche de la photo. L’Hypérion était donc en train de longer l’horizon en allant de la droite vers la gauche.
Entre le moment où la photo précédente a été faite et celui où le Zeph s’est présenté devant le quai du port municipal de Κάλυμνος, il fallait une paire d’heures.
Voici le Zeph qui venait de jeter son ancre :
À bâbord, c’était l’Hypérion qui regardait, d’un air amusé, la manœuvre du Zeph.
Avec le pied gauche confortablement posé au-dessus du davier, le capitaine de l’Hypérion occupait l’avant-poste. Quant à la Muse de l’Hypérion, elle regardait le spectacle depuis le cockpit. Car il y a eu spectacle, à cause des essais infructueux dans le lâcher de l’ancre et dans l’ajustement de l’axe du bateau.
Sous le lampadaire du quai, se tenait un Grec qui portait un gilet jaune. C’était un employé municipal qui aidait à l’amarrage contre une rémunération de cinq euros.
C’était une chance qu’il y ait de la place juste à côté de l’Hypérion et que le Zeph ait pu profiter de cette circonstance favorable.
En fait, il y avait deux places disponibles à tribord de l’Hypérion quand le Zeph s’est présenté devant le quai municipal. Maintenant que le Zeph a pris place à côté de l’Hypérion, il restait encore une place disponible à tribord du Zeph. Autrement dit, le flanc droit du Zeph était exposé aux indélicatesses de barreurs impétueux, maladroits ou je-m’en-foutistes.
Quelques minutes seulement après l’amarrage du Zeph, la menace à tribord de celui-ci a pointé le bout de son nez.
Vigilant, le Capitaine s’est posté à la proue pour protéger le Zeph :
Le bateau qui était en train de reculer était sûr de son coup : sûr que son ancre ne s’était pas entremêlée avec la nôtre, sûr que son axe était parallèle à celui du Zeph, sûr que l’impétuosité avec laquelle il s’emparait de la place vacante ne causerait aucun dégât collatéral, sûr qu’il pourrait freiner à temps avant de taper le quai avec son excès de vitesse.
Quatre certitudes ou quadruple présomption ?
Le bateau de l’arrogance était un Cyclades 50,5, qui possédait une double barre à roue et s’appelait Gentle Wind (littéralement : Gentil Vent).
Deux têtes blanches maniaient les deux barres à roue, à la manière de deux volants de formule 1. À toute allure, le soi-disant « Gentil Vent » est arrivé comme une tornade sur le Zeph. L’arrière du soi-disant « Gentil Vent » n’était pas du tout parallèle au quai mais en diagonale. Autrement dit, l’angle à bâbord de l’arrière du soi-disant « Gentil Vent » s’est retrouvé à seulement quelques centimètres du flanc droit du Zeph. Bien sûr, les défenses ont valsé au-dessus du liston. Si l’on était au temps de la Rome antique, le soi-disant « Gentil Vent » nous aurait éventrés par sa désinvolture.
Malgré ce déroulement catastrophique, une salve d’applaudissements a salué ce qui était considéré comme un amarrage réussi par le soi-disant « Gentil Vent ». C’était ainsi que la cargaison de gent féminine félicitait les deux barreurs dont le grand âge n’avait pas empêché d’être écervelés.
À bord du soi-disant « Gentil Vent », s’échappaient quelques sonorités de la francophonie. Mais il s’agissait d’une francophonie bien lointaine ou bien superficielle, apparemment en provenance des Flandres.
Après ce spectacle d’une laideur affligeante, nous avons retrouvé avec un immense soulagement la quiétude du giron du Zeph.
La fraîcheur des champignons crus, agrémentée par une sauce au gingembre, nous a revigoré le corps et l’esprit :
Le croquant du champignon cru se mariait à merveille avec celui de la carotte, du chou blanc et du concombre, qui évidemment, étaient tous crus.
Le plaisir de la dégustation était indissociable de la qualité diététique.
À Κάλυμνος, la relation à soi requérait de la vigilance et du soin, comme ailleurs. Sur ce plan, le Zeph n’était pas dépaysé.
Par contre, à Κάλυμνος, la relation à autrui était confrontée à une situation nouvelle qui désorientait quelque peu le Zeph : il s’agissait du côte-à-côte avec l’Hypérion.
Pourtant, un signe venu du ciel servait de phare à la gestion de cette situation inédite : c’était l’empourprement du ciel du côté de la poupe, c’est-à-dire du côté de l’accès à la convivialité.
Avec la silhouette de l’éolienne tricolore, la photo montre le coucher du soleil à partir du Zeph. Mais c’était l’Hypérion qui a compris le message céleste et qui l’a exploité. En effet, ce soir-là, c’était l’Hypérion qui a pris l’initiative de dissiper la gêne du silence en proposant à son bord l’apéro qui réunirait les deux équipages.
Très vite, la réunion des deux équipages autour d’une table où l’ouzo de l’Hypérion coulait à flot devenait festive.
La beauté de ces agapes impromptues résidait dans leur spontanéité, leur sincérité et leur simplicité.
À son tour, le Zeph a apporté sa contribution à cette belle fête de l’amitié qui avait lieu dès le premier jour à Κάλυμνος. En effet, le Zeph a posé son wok sur la table de l’Hypérion. Dans ce wok, il y avait de l’aubergine blanche, agrémentée de carotte, de poivron et de brocoli.
Le sauté de légumes, qui a ravi tous les palais, apportait une belle conclusion à la journée.
La joyeuse régate à l’approche de Κάλυμνος était l’un des temps forts du jour.
Le balcon posé sur la mer entre Λέβιθα et Κάλυμνος était le balcon de l’émulation.
Tags : balcon posé sur la mer, Λέβιθα, Κάλυμνος, cohérence, Ulysse, Phéaciens, Ithaque, soie, diététique, régate, émulation
-
Commentaires