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Le balcon posé sur la mer (16) entre Ερμούπολη et Πάρος
La tempête qui nous avait contraints à nous réfugier une seconde fois à Ερμούπολη s'en est allée. L'image du Zeph dans le miroir des fonds marins retrouvait sa charmante plénitude :
Devant le museau du Zeph, l'ancre et le collier de flotteurs se plaisaient à montrer qu'ils pouvaient mener une agréable existence sous la surface de l'eau sans avoir à trimer au milieu de la vase ou de la rocaille.
Quant au mât et aux barres de flèche, ils montraient, même aux personnes qui ne voulaient pas lever le regard, qu'ils sont sortis indemnes des assauts du vent venu du septentrion.
L'intégrité physique du reflet transmettait de l'optimisme et du bonheur.
À tribord, le linge, étendu la veille par le Capitaine, finissait de sécher grâce au retour de l'astre solaire :
Le reflet habituel des lignes bleues s'ornait, pour la circonstance, d'une grande guirlande colorée, qui célébrait la vie réelle, simple, saine et savoureuse.
Avant de quitter les lieux, nous avons voulu faire un appoint d'eau douce. Seulement, le robinet disponible au quai des pêcheurs était trop bas pour l'embouchure de notre jerrycan. Nous nous sommes alors mis à la recherche d'un récipient moins haut pour pouvoir le glisser sous le robinet. Le Capitaine a vu un camping-car autrichien qui était stationné à proximité de la borne d'eau. Il s'est donc adressé au propriétaire de la maison roulante. Immédiatement, celui-ci est allé chercher un seau, qui était bien rangé parmi d'autres seaux à l'arrière du véhicule.
L'esprit d'entraide fonctionnait tout de suite entre le nomade de la terre et celui de la mer.
Nous avons chaleureusement remercié notre bienfaiteur puis nous sommes allés faire nos transferts.
Nous ne savions pas encore que des yeux bienveillants s'intéressaient à nous depuis le camping-car. Nous l'avons su quand le premier contenu du seau a été transféré. En effet, à ce moment-là, une silhouette s'est approchée de nous pour nous tendre un entonnoir. C'était la même main qui nous a tendu le seau, puis l'entonnoir. Cette sollicitude nous a beaucoup émus :
L'extra-ordinaire se nichait dans les détails. Il nous appartenait de discerner ces manifestations de la bonté et de nous en nourrir pour que la vie réelle conserve son caractère radieux.
Après l’approvisionnement en eau douce, nous nous sommes occupés de l’apport vitaminé. Dans la ville consacrée au dieu des échanges, plusieurs grandes enseignes se disputaient la clientèle. Le temple du négoce que nous avons choisi de fréquenter en priorité était celui qui prenait davantage en compte la modestie du porte-monnaie du petit peuple.
Voici le Capitaine qui s’apprêtait à quitter le vestibule de notre enseigne préférée, avec un chariot plein de bonnes choses :
Depuis peu, nous étions tombés amoureux d’une bière brassée à Thessalonique. Comme elle n’était pas disponible là où nous venions de faire nos courses, nous sommes allés la chercher dans une enseigne concurrente :
Nous voilà bien équipés pour mettre en œuvre le principe de l’autonomie au sujet de la cuisson et du service à table. Mais auparavant, il fallait ramener dans le giron du Zeph tous ces produits du terroir :
L’annexe qui assurait le transfert était amarrée au quai des pêcheurs. Avec sympathie et bienveillance, les habitués du lieu nous regardaient charger l’annexe. L’un d’eux nous a proposé son œil protecteur au cas où nous devrions nous absenter pour d’autres courses. Le Grec qui nous offrait sa surveillance était accompagné d’un ami fidèle et fort coquet :
Au sujet de celui-ci, le mousse a dit au Grec : « Το μωρό σου ; »
En français : « C’est ton bébé chéri ? »
C’est ainsi que les Grecs parlent des animaux de compagnie pour lesquels ils éprouvent une grande amitié.
L’emploi du jargon affectif a beaucoup plu au Grec, qui a ri pour acquiescer.
Le Capitaine a félicité le mousse pour le geste diplomatique de celui-ci.
La vie véritable suscite les rapports amicaux et en prend soin.
Rassurés quant à l’inviolabilité de nos provisions, nous sommes allés voir les mécaniciens Σταμάτης et Γεώργιος, qui étaient intervenus la veille pour le moteur du Zeph.
Nous leur avions commandé un filtre décanteur, un filtre gasoil, un filtre huile et une courroie pour la roue de la pompe à eau.
Voici le chantier naval où travaillaient les deux mécaniciens :
C’était le royaume de l’efficacité mais aussi de la poésie.
Nous avons d’abord vu Σταμάτης, le père, qui nous a dit que Γεώργιος, le fils, ne tarderait pas à venir avec les pièces que nous avions commandées.
Σταμάτης, le père, nous a dit ce que nous avons cru être l’essentiel. Mais le Grec était rusé comme son illustre ancêtre qui avait pour nom Ulysse.
En effet, derrière son sérieux, Σταμάτης, le père, ne nous a pas tout dit et nous a peut-être même pas dit l’essentiel, pour ménager des coups de théâtre.
Comme annoncé, Γεώργιος, le fils, est venu avec les pièces de rechange. Mais aussi avec autre chose, plus importante encore : des friandises qui faisaient la fierté de la cité portuaire dédiée à Hermès.
Dès que Γεώργιος, le fils, nous a vus, un sourire radieux illuminait son visage.
Quand il nous a tendu le sac de friandises, son sourire de la bonté nous a émus jusqu’aux entrailles.
Le mousse a dit alors au Grec :
Όταν επιστρέψουμε στην Ερμούπολη, θα θέλαμε να σας προσφέρουμε ένα γεύμα Μασσαλίας, στο σκάφος μας. Θα έρθεις με τον μπαμπά σου.
En français :
« Quand nous reviendrons à Ermoupoli, nous voudrions vous offrir un repas marseillais, à bord de notre bateau. Tu viendras avec ton papa. »
Le sourire d’acquiescement du Grec nous conduisait au bord des larmes.
La vie véritable est faite d’amour, spontané et sincère.
Nous avons donc quitté Ερμούπολη en emportant avec nous le sac de friandises, offert par Σταμάτης et Γεώργιος. Ce sac contenait quatre nougats circulaires et une boîte de dix loukoums :
Ce sac était une cargaison de gestes affectueux.
Il y avait dans la manière d’être des deux Grecs beaucoup de générosité et d’élégance.
L’équivalent dans la culture française serait qu’un médecin offre à son patient une bouteille de champagne. Non pas des papillotes, mais une bouteille de champagne. Et pour égaler les Grecs, c’est le médecin qui devrait offrir la bouteille de champagne à son patient, et non l’inverse !
Fortifié et heureux, le Zeph a filé, toutes voiles dehors, vers sa nouvelle destination, qui était Πάρος (transcription : Paros).
À Πάρος, le Zeph a mouillé dans la baie de Παροικιά (transcription : Parikia).
Le cœur en fête, le mousse a accompli les tâches requises par l’autonomie. Laver la vaisselle faisait partie de ces tâches.
Le mousse faisait un pré-lavage avec l’eau de mer.
Sur la photo, au premier plan, on peut voir un wok noir et une assiette blanche, qui attendaient d’être lavés.
Ce soir-là, nous avions à notre table un marin talentueux, généreux et heureux. Nous avons fait sa connaissance au chantier de Χαλκούτσι (transcription : Khalkoutsi), à l’époque où le Zeph affrontait ses chirurgies. Depuis, le valeureux skipper ne cessait de nous fournir des conseils précieux sur les ports et les mouillages. Dès qu’il a vu le Zeph revenir au mouillage de Παροικιά, il est venu à notre rencontre pour prendre de nos nouvelles :
La vie véritable est faite de courtoisie et d’entraide.
Le balcon posé sur la mer entre Ερμούπολη et Πάρος était le balcon de la vie véritable.
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