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La promesse du désintéressement
Elle a toujours offert au mousse le meilleur de l’instant, sans jamais rien demander en retour. Elle agissait par empathie, par bonté, par désintéressement.
Nous lui avons rendu visite avant de franchir la frontière italienne et de rejoindre l’Adriatique. Il était prévu que nous arriverions à 17h chez elle et que j’improviserais sur place, avec les moyens du bord, quelque chose pour la collation des retrouvailles.
La solution de la simplicité avait été envisagée pour tenir compte de la très grande fragilité de la santé de l’amie qui nous ouvrait sa porte et son cœur.
Hélas, nous n’étions pas ponctuels. En effet, nous sommes arrivés avec deux heures et quart de retard. Et jamais un mot ou un ton émanant de sa part n’y a fait allusion. Elle avait la patience de l’Orient et savait se satisfaire de l’essentiel. Le fait que nous étions arrivés sains et saufs et que nous étions désormais à ses côtés lui suffisait amplement. Donc pas d’impatience avant notre arrivée, pas de reproche après notre arrivée. C’est la sagesse de l’Orient, qui extrait du temps le bonheur et non l’action.
Nous étions reçus comme des princes.
En entrée, nous avions droit à une tarte absolument délicieuse, qui exhibait la magnificence du terroir de la Riviera française.
L’amie a composé la garniture avec des tomates gorgées de sucs et de couleurs.
Il y avait des portions resplendissantes de rouge :
L’intensité des reflets rouges disait l’ardeur de l’amitié.
D’autres portions nous séduisaient grandement par leur chair jaune :
L’or, si désirable, indiquait le caractère inaltérable du désintéressement, décennie après décennie.
Le premier attrait était celui de la couleur. La dégustation nous a réservé une autre surprise, extrêmement agréable. En effet, la pâte était divinement moelleuse !
Nous mangions dans des assiettes décorées par des rinceaux d’or. Nous avions à notre disposition des couverts d’argent. Tout cela nous était offert sans rien espérer en retour. Le désintéressement était une manifestation de la noblesse d’âme de l’amie.
Après la tarte aux tomates, nous avons dégusté des raviolis frais, délicieusement fourrés.
La touche du chef (de la cheffe, devrais-je dire, pour me conformer à l’air du temps) était dans le filet d’huile à la truffe, qui parfumait incroyablement les raviolis, déjà fameux par eux-mêmes.
Malgré l’heure très tardive par rapport à son état de santé, l’amie nous tenait compagnie et ne ménageait pas ses efforts pour nous rendre la vie extrêmement agréable.
Le désintéressement de l’amie était comme un diamant dont l’éclat ne se ternissait pas au fil des ans.
Le premier geste désintéressé de l’amie était de permettre au mousse de poser le pied sur le sol de l’Hexagone et de se retrouver en première loge pour jouir de la culture de l’Occident, qui est tout simplement l’héritière du savoir grec.
Sans ce geste désintéressé, celui qui allait devenir le mousse du Zeph ne serait qu’un nhà quê, dévoré jour après jour par les sangsues de la rizière.
Corollaire évident : sans ce geste désintéressé, ce travail d’écriture ne serait jamais venu à l’existence !
Il y avait un témoignage de l’époque providentielle où ce geste désintéressé s’était manifesté. Voici ce témoignage :
Ce meuble, incrusté d’ivoires, devant lequel nous avons mangé la tarte aux tomates et les raviolis à l’huile de truffe, venait directement de Saïgon, la ville natale du mousse.
Il existait un autre témoignage de l’époque fondatrice de l’identité culturelle du mousse. Voici ce second témoignage :
Le châssis du lit où nous avons passé la dernière nuit en France avant d’aller en Italie venait, lui aussi, de Saïgon !
Avec une profonde empathie, l’amie voyait la vive émotion suscitée chez le mousse par ces souvenirs du passé.
La contemplation du sillage n’était pas futile. Elle permettait de prendre conscience de l’extraordinaire coup de pouce dont l’amie avait fait bénéficier le mousse, sans jamais attendre quoi que ce soit en retour.
Avant le repos nocturne, le mousse a jeté un dernier regard par la porte qui donnait sur la cour intérieure. Voici ce qu’il a vu :
La lumière du lampadaire municipal se répandait sur la cour intérieure qui reliait la chambre d’ami et le bâtiment principal, qui se trouvait à l’arrière-plan. Les reflets ambrés transportaient le mousse au temps de sa jeunesse lycéenne. Derrière le rideau blanc à gauche, se dessinait une silhouette féminine. Malgré l’heure très, très tardive pour sa santé, l’amie était encore debout pour s’assurer que nous bénéficiions de tout le confort.
Ému et heureux, le mousse a vite trouvé le chemin du sommeil. Le visage affectueux de l’amie qui était venue l’accueillir sur le seuil de la demeure l’a accompagné en rêve jusqu’à l’aurore. Voici ce visage affectueux, qui était celui de la bonté et du désintéressement :
L’amie ne nourrissait pas de passion pour la mer. Et pourtant, au Capitaine du Zeph et au mousse, elle leur a réservé un accueil princier.
L’amie n’aimait pas la mer, mais savait aimer des marins.
Nous voici tous les trois réunis pour rechercher les photos du Zeph qui s’était arrêté à Hyères :
Cette année-là, le Zeph, qui venait de dire, non pas au revoir, mais adieu à Port Napoléon, avait pris la résolution d’hiverner dorénavant sur le rivage grec.
Au cours de ce trajet de l’adieu, nous nous étions arrêtés à Hyères pour saluer l’amie.
Avec sa dextérité coutumière, le Capitaine a retrouvé la date des retrouvailles de cette fois-là. C’était le 11 mai 2019.
Les recherches fructueuses du Capitaine nous ont remplis d’une très grande joie :
Sur la photo, l’index de l’amie était pointé vers le sillage retrouvé.
Le désintéressement de l’amie vient du fait que son projet de vie est fondé sur l’altruisme.
La dette du mousse envers l’amie est immense. Mais l’amie ne veut pas en entendre parler, à cause de sa grandeur d’âme.
L’histoire du Zeph n’est pas écrite par les aiguilles des cadrans, mais par les êtres qui chérissent le Capitaine et le mousse.
Tags : promesse, désintéressement, empathie, bonté, Saïgon, Hyères
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